~44~

(Misha) 

Ce n’est peut-être pas une bonne idée de lui apprendre la présence de Josef, mais je n’ai guère le choix. Celui-ci est déjà là et je n’ai aucune raison de le mettre dehors. Rolf semble hésiter à entrer lui aussi. 

— Rolf, si Ivan est d’accord, tu peux venir aussi.

Le discret hochement de tête d’Ivan confirme ce que j’ai compris. Je ne sais pas ce qui s’est passé entre eux mais le courant passe. Je ne prends même pas la peine de m’arrêter dans la pièce de vie, les trois fumeurs ont besoin d'un extérieur.

Rolf récupère deux chaises au passage, et les pose sur la terrasse. D’autorité, je m’installe à droite d’Ivan.

— Tout d’abord, se lance Josef, je dois te demander de me pardonner Ivan. J’ai, une fois de plus, mis la charrue avant les bœufs. Même si nous sommes confrontés au quotidien à des personnes qui ont fui leurs pays, nous ne réalisons pas toujours ce que cela implique. Vos peurs ne peuvent pas se comparer aux nôtres. Parler de cet homme pour moi ne représentait pas de problèmes. Mon geste se voulait amical. 

— Je n’en doute pas un instant, réplique Ivan. De l’extérieur, ma réaction a pu sembler être excessive. Hélas c’est très loin d’être le cas. Ne vous détrompez pas, j’ai toujours cette peur en moi. Je suis revenu chez Misha pour une seule raison. Je ne peux te protéger qu’en étant près de toi, conclue-t-il en posant sa main sur ma cuisse.  

Mon réflexe immédiat est de lui montrer que je ne rejette pas ce qu'il dit. Ma main a recouvert la sienne. L'envie de l'embrasser est grande mais je ne suis pas certain qu'il soit d'accord pour s'exhiber. 

— D’où la raison de ma présence, continue Josef. Un des contacts que je vais rencontrer dans un peu plus d'une semaine se nomme Piotr.

La main d’Ivan serre immédiatement la mienne.

— Misha a lui aussi été surpris, commente Josef en voyant sa réaction. Il s’agit peut-être d’une coïncidence…

— Je ne sais rien de lui à part les mots que Irina a laissé. 

— C’est justement pour cela, interviens-je.  Sans ton accord, je ne voulais pas que Josef les lise.  

— Si cela peut déboucher sur une piste concernant Dalibor, je n’y vois aucun inconvénient. Mes peurs concernent mes proches qui pourraient être ciblés. N’y voyait pas une sorte de paranoïa, c’est hélas une réalité. 

— Peux-tu nous éclairer à ce sujet ? Même si l’homophobie existe aussi ici à un moindre niveau, elle est condamnée par la justice.

Ivan s’est levé si brusquement de sa chaise que je n’ai rien eu le temps de faire. 

—  Vous êtes complètement à côté de la plaque !
Il ne s’agit pas d'une discussion dans un salon de thé. Croyez- vous que je sois parti sur un coup de tête !? Vos contacts vont avoir du boulot, lâche-t-il dans un long et profond soupir comme s’il désirait se calmer.

Personne ne bouge, le temps que sa respiration redevienne calme.

— Être arrêté en tant que PD entraîne des réactions en chaine, explique-t-il.  En tout premier lieu, un passage à tabac en règle. Mais c’est presque un cadeau par rapport à tout ce qui se passe dans nos prisons. Les autres prisonniers ont très bien compris que dénoncer, cogner, livrer du PD peuvent leur offrir des privilèges et ils ne s’en privent pas. Le lot commun, presque une plaisanterie, consiste à subir humiliations et coups par à peu près tous ceux qui en ont envie. 

— As-tu subi tout cela, interroge Josef. 

— Non. Grâce à Aslan justement, j'ai été éloigné des secteurs les plus dangereux. Mais son cousin Bachir a été arrêté, lui et emprisonné pendant plus d'un mois.

— C'est de lui que tu tiens ces infos ? demande Josef. 

— Est-ce que vous osez suggérer que ce sont des mensonges ? Bachir était devenu une ombre, apeurée à chaque bruit. Ses parents tenaient une boutique prospère. Plus personne n'y est venu par peur des représailles. C'est tout cela qui fait que je suis parti. Je savais qu'un jour ou l'autre, malgré ma discrétion, je me ferai surprendre. Voyez cela comme de la lâcheté si cela vous chante, ou par une sorte de déni de ce que je suis, je m’en moque mais ne m’accusez pas d’exagérations ! 

— Ce n’était pas mon intention et je te demande de m’excuser si mes propos t’ont donné l'impression que je te jugeais. Piotr m’a été recommandé par un de nos contacts. Je ne parlerai ni de toi ni de ta sœur sans connaître ses intentions. 

—  Irina donne peu de détails concernant l’homme qui l’a exfiltré, dis-je.  Était-ce le même qui la déposait et récupérait le soir, je n’ai pas l’info. Je ne l’ai plus jamais vu après le décès de ta soeur.

— J’avais quelques questions à ce sujet, intervient Ivan. Pourquoi n’a -t-elle pas été hospitalisée quand sa bronchite est devenue trop forte ?

— Crois-moi, nous avons tout fait pour la convaincre. Il ne s’agissait déjà plus d'une bronchite mais d'une pneumonie ancienne qui a dégénérée. Irina se savait condamnée mais refusait l’hospitalisation. Nous avons pris la décision de la garder dans notre refuge.

— Je confirme, dis-je. Par peur qu’elle ne décède dans la rue, sans aucune aide palliative, nous l’avons installée de manière définitive dans une des salles de soins. Elle n’a pas été la première et ne sera hélas pas la dernière.

—  C’est légal ?

— La loi a été votée mais tarde à vraiment être appliquée partout.  Irina comme une grande partie des réfugiés que nous recevons possèdent des papiers plus ou moins faux. Ils sont nombreux à souvent disparaître du jour au lendemain…

— Des médecins les aident à mourir ? 

— Non. Ils font comme dans beaucoup de structures, ils les aident à partir dans la dignité. 

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