( Josef )

Un seul coup d'œil me suffit. Je règle le plus rapidement possible ce que j’étais en train de faire et prends la direction du vestiaire où Misha vient de rentrer. J’espérais qu’ Ivan serait avec lui. 

— Ton visage me semble sombre. Que se passe-t-il ? 

— J’ai discuté de ton projet avec Ivan...

— Et vu ton regard et son absence, j'en conclu que cela ne lui convient pas. C’est peut-être trop tôt, ce n’est pas grave. 

—Tu ne réalises pas, chuchote-t-il. Moi non plus, même en lisant les mots de sa sœur, c’est si différent de ce que nous vivons. Il n’a pas caché sa peur mais je l’ai malgré tout sous-estimée. Il est parti sans bruit cette nuit...

— Parti ? Rentré chez lui, tu veux dire ?

— Non. Il est parti sans me le dire en face. Notre discussion, concernant ton prochain voyage et ta proposition concernant Aslan a provoqué son départ. Le mot qu'il a laissé est clair, il est mort de peur.

— J’avais cru comprendre que cet homme était son ami. D'où sort cette peur ?

— Il est bien son ami, aucune erreur de ta part. Je pense même qu'il est le seul de son pays. Ce n’est pas de lui qu'il a peur.

— Mais de ce qui pourrait lui arriver si on l’associe avec un homo qui a fuit son pays. Suis-je idiot de ne pas avoir réagit plus vite. Ernst et Piotr m’en ont pourtant parlé de cette trouille viscérale que ces salopards entretiennent.

— Piotr ? 

— Un de mes contacts. En fait, plus précisément, celui qui semble le plus motivé à mettre en place une filière sécurisée. 

— As-tu un moyen de le contacter ? 

— Non. C'est un peu plus codé que cela. Je ne risque pas grand-chose, mais lui et pas mal d'autres se mettent, eux, sérieusement en danger. C’est pour cette même raison que notre séjour doit être préparé en amont. 

— Ce prénom apparaît dans les carnets d’Irina. Du bon côté, celui qui l’a aidé à ne pas tomber entre les pattes d’un salopard qui envisageait des projets loin d’être réjouissants pour elle. Est-ce un prénom courant ? 

— Je n’en sais rien du tout. Mon idée de “peut-être” renouer des liens, de donner des nouvelles était stupide. Même si nous sommes en contact avec ceux qui ont fui pour de multiples raisons, je ne pense pas possible que l’on comprenne ce que chacun d’eux a vécu. Ma proposition de tenter d’entrer en contact avec des personnes proches d’Ivan me semblait être une action positive. Je réalise que je n’ai pas tenu compte de pas mal de paramètres. Désolé que cela ait provoqué sa fuite. 

— Il n’est pas très éloigné.  Et ne rejette pas complètement ton idée. Il en a surtout peur. Il m’a confié l’adresse d’Aslan.

— Malgré sa peur ? 

— Oui. Pour en aider d’autres. 

( Ivan )

Dans mon esprit, le passage chez Rolf serait provisoire. Un temps nécessaire afin de me retourner et réfléchir. Pourtant, deux jours sont passés et je n’ai toujours pas pris de décision. 

— Arrête de gamberger, Ivan. L’espace est un peu plus restreint à deux mais ça va encore. 

— Je ne veux pas que cela interfère dans ta relation avec Misha. 

— Ce n’est pas le cas.  Misha est une personne très intelligente et réfléchie. Ton mot était là pour le rassurer, cela semble fonctionner. 

Et je comprends. Décidément, je suis très lent à la détente. 

— Tu lui as dit ?

— Il l’a deviné lui-même. Après, sans vouloir te lancer la pierre, ta destination n’était pas très compliquée à deviner. Ton carnet d’adresses ne semble pas déborder. Son premier réflexe a dû être pour Sam et j'étais juste la ligne en dessous.

— Et il n’est pas venu ? 

— Pour que tu disparaisses ? Vous êtes tous les deux aussi discrets sur le sujet pourtant c’est flagrant dès que l’on s’attarde un peu sur vous. Tu es malin, je sais que tu as compris que j'aurais bien tenté de te séduire. J’y croyais un peu, mais nos discussions, nos rires n'étaient pas de la drague. Je ne suis même pas certain que vous soyez passé par cette étape. Comme si sans même vous en rendre compte, une attirance naturelle s’ était glissée entre vous. Il n’est pas possible de lutter contre cela. Conserver l’amitié et la confiance de Misha et savoir que je mérite la tienne me convient tout à fait. Reste ici, prend le temps de réfléchir à la suite. Misha sait que tu es là et n’y viendra pas sans ton accord. 

Entre temps, il aura peut-être récupéré des infos plus précises concernant les projets de Josef. Celui-ci est tout sauf une tête brûlée. Il prendra les précautions nécessaires afin de ne mettre personne en danger. 

Etais-je rassuré par ses mots ? Un peu. Le fait que Misha restait à l’abri me convenait même si ne plus être à ses côtés me manquait terriblement. Rolf avait raison, je n’avais rien anticipé. Je n’aurais pas supporté la lecture des carnets, c’était une évidence. Les extraits qu'il me lisait me permettaient de discuter avec lui. Petit à petit, nous nous étions rapprochés physiquement. Rien ne me semblait avoir été calculé, son besoin de me toucher, de me serrer contre lui ne m’avait pas une seule fois effrayé. L’envie de plus, de le toucher, de le caresser avait grandi peu à peu. Sentir son regard sur mon corps quasi nu avait mis le feu aux poudres. Son regard et son immobilité avait stimulé mon audace. Pour la toute première fois, je m’étais laissé aller à toucher, embrasser.