~4~
(Ivan)
La nuit a été brève comme assez souvent. L’inspiration semble vouloir me lâcher. L’exposition qui nous a mis en valeur Sam et moi est très loin derrière nous. Malgré la notoriété de Stefan, mon travail du cuir, plutôt original n’attire pas les foules. En suis-je dépité ? Pas vraiment. Dès la première exposition, j’ai été clair. Ces sculptures étaient sorties de mes tripes. Elles attiraient le regard, encore plus après les incroyables mises en scène concoctées par Sam et Romain. Lui comme Stefan pouvaient témoigner de l’effet très souvent dévastateur qu’elles avaient eu sur moi. Larmes, coups de gueule, désespoir au point certaines fois d’éclater mes poings contre les murs de mon alcôve ! Rien de très anormal chez un artiste. Foutaises. Sam en était un et un sacrément bon. Moi, je me dissimulais derrière cette image.
L’intérêt suscité pour mes sculptures m'avait permis d’en vendre plusieurs. Une seule n’a jamais été proposée à la vente. Un état de fait qui provoquait une certaine convoitise. Ce connard d’Armand a mis cela sur le compte d'une très intelligente réflexion de ma part afin d’en faire grimper le prix. Tout faux. Stefan, fidèle à lui-même, me soutient. Il n’a jamais posé de questions. Il a eu raison, j’aurais sûrement fait ce que je maîtrise à la perfection : disparaître.
Malgré les années qui passent, mon passé est resté plus ou moins secret. Même mon meilleur ami ne le connaît pas. Je sais qu'un jour, je trouverais la force de lui parler. De mon propre chef ou par obligation. Stefan est celui qui en sait le plus, et il a galéré pour que je l’accepte.
—Je suis plutôt conciliant, Ivan. Je ferme les yeux sur pas mal de choses.
—Tu peux fouiller à n’importe quel moment mon alcôve, Stefan. Tu n’y trouveras rien de plus que de l’alcool et quelques joints. Je ne te l’ai jamais caché, je t’en ai même expliqué la raison. Si tu veux me les interdire, dis-le. Mais, et ce n’est en aucun cas une sorte de chantage, je devrais partir. Quand mes démons remontent, seules ses substances m’aident.
—Tu as été honnête à ce sujet dès le premier soir, et je t’ai donné mon accord sous conditions. Mais, pour proposer tes sculptures dans des lieux de vente, il y a des règles auxquelles je ne peux déroger.
—Je ne peux y consentir.
—Ivan. Crois-tu être le seul artiste à dissimuler son nom ? Dois-je te rappeler qu’avant l’arrivée d’Armand, j'étais le seul gestionnaire de la galerie. Des artistes qui préfèrent rester anonymes pour diverses raisons sont très loin d’être rares. Je ne te demande même pas d’explications.
— Ne me prends pas pour un idiot, Stefan. C’est la première choses que tu feras, regarder qui je suis.
—Bien entendu que je le ferai ! Pourquoi devrais-je être le seul à prendre le risque ? Il va te falloir à ton tour m'offrir ta confiance !
La partie de moi la plus trouillarde avait bataillé fort pour me décider à ne pas tout laisser tomber. Partir à nouveau sur les routes, errer, quémander me répulsait. En plus de l'alcôve qui me permettait de créer, Stefan m’avait dégoté un petit studio. Sa proximité avec la couveuse me rassurait. Lâcher tout cela m’effrayait. De longues années de méfiance n'entraînent pas à offrir sa confiance. Pourtant Stefan, lui, m’avait offert la sienne. Il se contenta de ce que je lui livrais. Mon pays d'origine et mon vrai nom. Mikail Provakov. Tchétchène.
Je déteste cette sonnerie mais le peu de personnes qui connaissent ce numéro comptent pour moi. C’est donc possiblement urgent. Et à deux heures du matin, je décroche.
— Ivan ?
—Bravo Stefan. Même si tu sais que je dors rarement à cette heure-là, j’espère que la raison de cet appel est valable.
—Tu en jugeras par toi-même. J’ai réfléchi à la nécessité de t’appeler immédiatement sans provoquer une réaction inadaptée ! J’ai même envisagé de me déplacer en personne.
—Abrège ou je raccroche, dis-je afin de le faire taire.
—J’ai juste un prénom et un nom : Irina Provakov
Incapable de réagir, le souffle coupé, l’envie de raccrocher est forte. Cela fait si longtemps que j’ai fait une croix sur l’espoir d’entendre à nouveau ce nom. Une multitude de questions se masse dans ma tête mais la peur qui les accompagne me rend aphone.
—Ivan. Ton silence était ce que je redoutais le plus. Contente toi d’écouter le peu d’infos que j’ai à te donner. Un étudiant recherche des infos concernant un poing sculpté en terre glaise. Il a eu mes références par un collègue de Berne. Le nom donné est celui de la personne qui l’emploie je suppose, je n’ai rien de plus préférant ne pas poser de questions. Il souhaitait te parler pour discuter de cette sculpture. Je n’ai donné aucune info sur toi, précisant que tu serais le seul à décider si tu veux le rencontrer.
Je suis incapable de réagir. Pas encore. Stefan coupe la communication, il sait que je le rappellerai plus tard. Je me recroqueville, partagé entre diverses émotions. L’attente semble se terminer. Bonne ou mauvaise, je sais que je n’ y arriverais pas seul. Un seul nom me vient en tête. Le seul en qui j’ai pleine confiance. Le seul à qui je vais, je pense, pouvoir parler.
Il est tôt, je me contente de laisser un message, il appellera quand il sera disponible.
[J’ai besoin de te voir ]
A peine une demi-heure et mon portable sonne.
— Tu préfères que je vienne ?
—Pour te séparer de ta petite famille ? Pas question.
— Chloé n’est plus un bébé, tu sais. Je m’organise et je te dis cela très vite.
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