~39~

 
(Ivan ) 

Ma première envie est d’entrer dans un bar et de boire jusqu’à m'écrouler. Je ne vais évidemment pas au bout de cette pensée. Parce que je suis conscient que je ne ressortirai plus du trou dans lequel cela me plongerait. 

Ma réaction est viscérale. Je ne m’oppose pas à Aslan. Sans lui, j'aurais sûrement été arrêté, réduit à un état de larve comme Bachir. Mais la seule idée que m’approcher puisse mettre Misha en danger de mort m’affole. Non. Pire que cela, je suis terrorisé. 

Plusieurs fois, cette nuit, j’ai failli franchir la porte pour en discuter avec Misha. Expliquer que mes intestins sont broyés par la trouille. Qu'il m’arrive quelque chose ? Même pas. Mais à lui, à Sam, Romain. C’est un de leur moyen de pression. S’attaquer à ceux qui nous sont proches. L’intérêt est de faire le vide autour de chacun de nous. Ceux qu'ils souhaitent éradiquer. 

Alors j’ai renoncé à lui parler.

Je dois m’éloigner tout en restant vigilant. En découvrant mon absence et le mot, Misha s’adressera immédiatement à Sam. Il ne m’y trouvera pas. Sauf si l’appel que je suis en train de passer ne fonctionne pas. 

— Ivan ? Que se passe-t-il ?

— Impossible de t’expliquer par téléphone. Je comprends que mon appel puisse te surprendre mais je n’ai pas d’autres options. 

— Je suppose qu'il faut que je vienne te récupérer ? 

— Oui. Il te faut combien de temps pour arriver ? 

— Sauter dans mes habits, démarrer la moto et dix petites minutes supplémentaires. Toi, tu sors et tu tournes à droite au bout de la rue. Il y a un arrêt de bus, je t'y rejoins.

Il me faut contrôler l’envie de m'arrêter devant sa porte. M’exhorter à traverser la grande pièce sur la pointe des pieds, fuir comme un voleur celui que je tenais dans mes bras tout à l’heure. Mon mot ne lui suffira pas, je le sais mais pour le moment c’est la seule décision que je peux prendre. Ma peur est grande, mais l’idée que je puisse le mettre en danger est un motif suffisant pour que je m’éloigne de lui.

L’attente est courte. Rolf ne discute pas, il me tend juste un casque que j’enfile avant de m’installer derrière lui. Lorsqu'il entre dans une cour et coupe le moteur, je descends.  

— Suis-moi, il caille. 

La cour débouche sur une entrée d’immeuble me semble-t-il. Rolf, silencieux, franchit la première porte et s’engage dans un couloir avant de stopper devant une porte qu'il déverrouille. 

— Tu ne m’as pas laissé de temps pour faire du rangement, il faudra te contenter du bordel. Café ?

Je hoche la tête, alors qu'il franchit une porte. 

— Installe-toi sur le canapé, j’arrive.

Le canapé, vaste, semble confortable. La pièce est d'une bonne taille, peu chargée en mobilier. Une table basse encombrée de livres, un bureau où est installé un pc, une bibliothèque. L’espace plus restreint que chez Misha rend le lieu plus chaleureux. 

— Tu n’as pas osé pousser mes affaires, dit-il en embarquant d'une seule brassée ce qui traînait sur le canapé. J’ai eu une nuit de garde à rallonge et la flemme, comme assez souvent. 

Je réalise que je ne sais rien de lui, de son boulot.

— Je suis désolé.  Si tu m'indique un hôtel, je te laisse.

— Arrête de dire n’importe quoi ! J’ai juste besoin de quelques explications. 

— Est-ce que je peux fumer à la fenêtre ? 

— Tu peux même le faire ici, j’ouvrirai la fenêtre. Que c’est-il passé pour que tu fuis ainsi ? 

— Je devais protéger Misha. 

— Je me doute, sinon tu ne serais pas là.  Qui te veut du mal ?

— C'est plus compliqué que cela. Je crains ce qui pourrait lui arriver ainsi qu'à ceux qui me sont proches ! 

—Et je suppose que tu n'as aucun nom. Mais pourquoi t'affoles-tu seulement à présent ? Qu'est- ce qui a changé par rapport à ta crise ? 

— Josef.  Je suppose que tu le connais ? 

— Exact. Il est même celui que je préfère des trois mais ne fuit pas pour autant, dit-il avec un franc sourire. Il doit y avoir une erreur quelque part, Josef me semble incapable de faire du mal à qui que ce soit. Tu peux m'en dire plus ? 

— Il a créé des liens avec des tchétchènes.  Son objectif est de mettre en place une sorte d’aide pour les personnes qui souhaitent quitter le pays. 

— Et c’est ce qui te fait paniquer ? L’idée est plutôt bonne, non ? 

Je réalise que, tout comme Misha, ils n’ont pas connaissance de ce qui se passe réellement dans mon pays. Ma soudaine immobilité et mon silence lui mettent la puce à l'oreille.

— Ivan ? Tu as fait la démarche de m’appeler et j’ai réagi immédiatement. Je te sens prêt à disparaître. Explique-moi ce qui te terrorise dans le projet de Josef. 

— Pour y arriver, il devra obligatoirement se mettre en relation avec des personnes sur place. Il a nommé Aslan, qu'il aimerait contacter, pensant me faire plaisir…

— Quelqu’un de ta famille ? 

— Mon meilleur ami, celui qui nous a aidé à fuir. 

— Je comprends encore moins ta réaction. Ou cela m'ouvre une piste probable. Je ne pense pas me tromper en disant que, entre toi et Misha, il y a un truc. Pourtant tu es là.  Pourquoi ne pas dénoncer cette personne ? Josef me semble tout à fait capable de t’aider dans cette démarche. 

( Rolf )

Mes mots déclenchent une réaction immédiate. La position prostrée qu'il avait depuis le départ n’est plus d’actualité. Il s’est levé d'un bond allant jusqu'à me faire sursauter. Ses doigts fourrageant dans ses cheveux courts, il fait des aller-retours dans la pièce. D’un mouvement, je le bloque de mon bras.

— Ivan. Si j’ai accepté de te récupérer c’est pour t’aider. Ne crois pas que la situation soit facile pour moi. Ne me fais pas regretter mon geste. N’oublie pas que Misha est mon meilleur ami. 

—Je ne peux pas donner de nom. Il peut s’agir de n’importe qui. Les homosexuels sont toujours en danger dans mon pays. Que j’en sois parti ne me laisse pas en sécurité pour autant. Ni toutes les personnes qui me côtoient. 

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