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(Misha) 

Sa question me prend au dépourvu alors que j'ai tout fait pour entamer ce sujet. 

— Josef m'a appelé tout à l'heure. 

— Et ? Quel rapport avec Aslan ? 

—Josef est celui qui est le plus impliqué du groupe. S'occuper des personnes déplacées l'intéresse mais son projet serait d'être capable de prendre en main le déplacement proprement dit. 

— Se substituer aux passeurs ? 

— Irina et toi n'ont pas, hélas, été  les seuls à se retrouver dans des situations compliquées voire dangereuses. Josef, grâce à des relations, a pu avoir des contacts avec des responsables tchétchènes concernés par la situation des personnes qui s'exilent afin de ne pas être arrêtées. 

Je ne sais pas si le fait qu'il reste silencieux est une bonne ou une mauvaise chose. 

—Pourquoi fait-il cela? Je veux dire, en quoi cela le concerne ? 

— Ils représentent la quasi majorité des personnes reçues à l’asso. Tenter d’améliorer leur prise en charge me semble être une bonne chose, non ? Il n’est pas question de distributions alimentaires mais d’aide pour retrouver des proches, s’acclimater au pays. Les contacts que Josef a noué pourraient aider, non ?

— Ou s'ils sont entre de mauvaises mains, un moyen de pression. 

(Ivan) 

Mes mots ont été plus rapides que mes pensées. Sans réellement connaître Josef, je me doute que ces intentions sont bonnes. Est-il pour autant au courant de la façon de pratiquer dans mon pays ? Être arrêter en tant qu'homosexuel implique pour  la grande majorité des fois à des violences. Passage à tabac, humiliation, incitation à la dénonciation d’autres homosexuels, chantages financiers auprès des familles. La peur d’être découvert implique de se cacher constamment. Sans l’aide d’Aslan, j’aurai sûrement été, un jour ou l’autre, dénoncé ou repéré. Misha est-il en capacité de l’entendre et de comprendre cet état de fait. 

— Irina parle t-elle de mon homosexualité ?

— Pas nommément, non. Le fait qu’elle ait compris ce que Dalibor exigeait de toi, de ta fuite de ton pays pour pouvoir vivre ce que tu es mais c’est tout. 

— L’homosexualité est considéré comme un délit. Croire que c’est du passé est un mensonge. La police dans mon pays n’est pas comparable avec celle de la France ou de la Suisse. Cela ressemble à des descentes faites pour “choper des PD”

— Tu en as déjà été victime ? 

— Non. 

J’aimerais pouvoir lui parler de Bachir. Mais est-il capable de supporter ce genre d'informations ? 

—N’ai pas peur de me raconter, Ivan, réplique-t-il comme si j'avais parlé à voix haute. Te rechercher impliquait de fouiner dans un peu toutes les directions. Sur les conseils d'un de mes profs, mes contacts avec des associations impliquées m’ont ouvert les yeux sur pas mal de sujets. Certains témoignages m’ont empêché de dormir. Je suis conscient de vivre dans un univers protégé mais ne crois pas pour autant que je n’ai aucune info. 

Est-il réellement prêt à entendre ce qui m’a poussé à tout laisser derrière moi ? Va-t-il comprendre qu’il m’est impossible de faire confiance à ce qu'il me reste de famille ? Sa réaction sera, d'une manière ou d'une autre, décisive dans l’évolution de notre relation. Mon bras entoure sa taille sans qu'il s'y oppose. Sa tête se pose sur mon épaule, mes mots se libèrent. 

— Ma peur est toujours présente. Un grand nombre de jeunes ont été arrêtés sous différents motifs. Dénoncés ou piégés au milieu d'une rafle. Sans Aslan qui a oeuvré pour me protéger, je ne serais sûrement plus de ce monde.

Je m’attends à une réaction qui ne vient pas. 

— Est-ce pour cette raison que tu as changé de nom ? Pour te protéger ?

— Pour pouvoir me garder dans l’alcove et éventuellement mettre en avant mes sculptures, Stefan voulait mon nom.

— Malgré le fait qu'il t’hébergeait, il ne connaissait pas ta réelle identité ? 

A travers son interrogation, j’entends le reproche sous-jacent. Je ne vais pas au delà. Sam, mon seul ami, a été blessé, de ne pas lui avoir confié cette vérité. Misha et sa droiture à toute épreuve ne peut pas comprendre que, même à présent, la peur est toujours réelle. Je n’envisage pas un seul instant reprendre mon identité tchétchène. Il ne m’est pas possible de répondre à sa question sans mentir et je me l'interdit. Mon bras se détache de lui, doucement. Il ne réagit pas plus que cela, j’en profite pour me lever, sortir mon paquet de cigarettes. Mes pas se dirigent vers l’extérieur. 

— Ai-je dit ou fait quelque chose de mal, me questionne Misha ?

— Non. Parler de cette période est toujours aussi difficile. Ne m’en veux pas surtout mais, après cette cigarette, je vais aller me coucher. 

— Je suis désolé…

— Ne le soit pas, chuchoté-je en l’embrassant doucement sur le front. 

(Misha) 

Presque dix heures et aucun signe de vie d’Ivan. J’ai même poussé le vice en posant mon oreille contre la porte de sa chambre. Pas un bruit. Vu comment il semblait troublé hier, j’ose ouvrir celle-ci tout doucement. Aucune lumière, aucun bruit de respiration, j’avance vers le lit prêt à faire demi-tour une fois que je serais rassuré. Mais le lit est vide. Je bifurque vers la terrasse m’ attendant à l’entendre éclater de rire mais il n’y est pas non plus. Appuyé contre son mug, une enveloppe avec mon prénom dessus.

Mes mains tremblent pendant que je l'ouvre. 

Misha

Ne m'en veut pas et ne t'en veut encore moins s'il te plaît. 

Je comprends la démarche de Josef mais trop de souvenirs sont remontés. J'ai besoin de m'isoler quelque temps pour reprendre pied. Je ne te fuis pas, mais il m'est nécessaire de partir. Pour aider Josef et j'espère d'autres personnes, je te laisse les références de Aslan. 

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