~35

 
( Ivan )

Croit-il réellement me duper avec son timide mouvement de la tête ? Je me refuse d’admettre ce qu'il s’efforce de camoufler. Le détailler serait grossier et lui mettrait la puce à l’oreille. 

— Tu m’excuseras, dis-je en baillant de façon exagérée mais je suis fatigué. Il y a de fortes probabilités que ma nuit ne soit pas complète mais je trouverais bien un livre pour m’aider à replonger au milieu de tous ceux qui sont dans ma chambre.

— Si tu veux regarder un film ou autre chose, tout est à disposition dans la salle. 

—Je n’ai pas de télé et cela ne me manque en rien. Bonne nuit.

A peine arrivé dans ma chambre, je récupère le papier laissé par Rolf et je me dirige dehors en composant son numéro.

— Ivan ? Il y a un problème ?

— Pas vraiment. Des questions auxquelles tu vas pouvoir répondre, je pense.

—Tu veux que je vienne ? 

Oh le petit malin qui pense que je pourrais peut-être me laisser tenter ! 

— Je préfère pas, non. 

— Donc tes questions concernent Misha ? 

Je ne peux m’empêcher de sourire. Rolf est très malin.

— Est-ce si évident ? 

— Misha donne beaucoup mais il oublie très souvent de prendre. 

— Pourtant, d’après ce que j’ai vu, il est grandement apprécié. Sa maison devrait déborder de la présence de toutes ces personnes ! 

— Disons, pour simplifier, qu'il a des difficultés à ouvrir sa porte. 

—Toi, tu y viens bien ! 

—Nous nous connaissons depuis longtemps et j’ai, j’avoue, fait un peu de forcing pour qu'il l’ouvre, sa porte. Que veux-tu savoir, demande-t-il, fatigué d’attendre.

—Je pense ne pas m’être trompé. Il est très difficile de lui faire parler de lui ! 

— C’est le roi de l’esquive, en effet. Autant te prévenir de suite, certains de ses secrets le resteront même si tu me fais des propositions scandaleusement sexys. 

— Il me semblait donc bien avoir compris. Je ne tenterais pas de te corrompre.

—Je n’ai pas été très discret, j’avoue mais tes yeux…

— Ce n’est pas de moi dont je veux parler. Je résume ce que j’ai compris, libre à toi de commenter ou pas. 

—Je suppose que tu es dehors, avec de quoi boire et fumer. Laisse-moi le temps de faire pareil. 

Des bruits de verre résonnent en fond. 

—Je rentre tout juste, pas encore mangé donc si parfois le temps de réponse est un peu long dis-toi que c’est préférable au bruit degeu si je répondais la bouche pleine.

Ce mec est l’opposé parfait de Misha, il semble n’avoir aucun filtre. 

—Au cours des lectures de différents passages des carnets de ma soeur, j’ai évoqué l’homosexualité. J’espérais qu’il me parle de lui, mais rien.

—Après quelques jours, j'aurais sûrement fait la tête si tu avais réussi. J’ai dû presque le travailler au corps pour obtenir une réponse précise. 

—Je n’y suis pas allé sur la pointe des pieds. J’ai posé nettement la question et il a…

— Louvoyé. Une des spécialités de Misha. Tu me rassures, tu n’as pas été plus efficace que moi, se moque-t-il gentiment.

Je ne commente pas, amusé par ce qui va suivre. 

—Attends, réagit-il en comprenant la raison de mon silence. Il a répondu clairement ? Sérieusement, je suis impressionné, là. 

—Il n’y a pas de quoi pavoiser. Reconnaître qu'il est plus attiré par les hommes que par les femmes, n’a pas été si difficile. Sa façon de réagir à mes remarques m’ont facilité le travail. Il t’a parlé un peu des carnets, je suppose ? 

—Très brièvement. En fait, hormis le fait que ta sœur te cherchait et lui a confié le job quand elle a compris que .. Misha n’est pas le genre de mec à dévoiler des choses intimes. Nous l’avons souvent trouvé en larmes, les cahiers étalés devant lui mais aucun de nous n’a posé de questions. Il n’y aurait pas répondu. 

— Cela me concerne, je peux parler, moi. J’ai fui mon pays. Mon homosexualité me mettait en danger de mort. Irina, ma sœur, redoutait que mon père choisisse de la marier. Nous avons fui ensemble. 

— Pourquoi avez-vous été séparés ? 

— En partie à cause de moi. Notre passeur a profité de ma naïveté. Il a joué sur tous les tableaux. Facile pour lui, contrairement à moi, il avait toutes les cartes en main.

Je préférerais ne pas rentrer dans les détails mais je n’ai pas le choix. 

— Les carnets de ma sœur expliquent que - les mots ne sont pas faciles à dire - elle était déjà vendue avant même d’arriver à destination. Pour la protéger du passeur qui semblait attiré par elle, j’ai accepté ce qu'il voulait. Ma naïveté devait le faire mourir de rire.

Aucune réaction du côté de Rolf. Dois-je continuer ? 

—J’ai compris l’essentiel, Ivan. Sans avoir la raison de votre séparation mais ce n’est pas grave. Je comprends mieux ce qui se passe. Il te raconte les carnets, prêt à intervenir si cela te secoue. C’est ton choix ? 

—Non. Il s’est battu pour que je le suive. Sam, redoutait ma réaction, et aurait voulu être là. 

— Pour te soutenir ? 

— Il a souvent croisé le Ivan qui ne contrôlait pas grand chose. 

—Et il pensait que Misha ne serait pas à la hauteur. C’est logique mais mal réfléchi. L’émotion sort différemment face à un inconnu. Et puis Misha doit connaître chaque mot depuis le temps. Mais cela ne m’explique pas pourquoi tu m’as appelé ?  

—J’ai besoin de comprendre pourquoi il est seul, sans mec ou nana ce n’est pas le problème.

—Très bonne question à laquelle je n’ai aucune réponse à te fournir. Misha ne laisse personne percer la carapace qu'il s'est construite. Il camoufle sa timidité dans des sourires et esquive toutes les occasions de rencontrer des inconnus. 

— Hormis chez lui et à l’association. Donc j’ai bien compris. Il n’a jamais eu une relation. 

—Pas à ma connaissance. C’est cela qui te tracasse ? Il n’est sûrement pas le seul sur la planète.


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