~27~
( Ivan )
Face à moi, à côté de Misha se trouve une femme entre deux âges. Une crinière rousse, des yeux d'une teinte verte, sa main tendue vers moi.
Je ne suis pas un homme de contact et encore moins avec des inconnus. En même pas une heure de temps, Joachim m’a tenu l’épaule, Josef était si près, presque à me chuchoter dans l'oreille. Le fait que cette personne soit une amie de Misha devrait me rassurer mais ce n'est bizarrement pas le cas. Sans réussir à me contrôler, je fais demi-tour et traverse le peu de chemin effectué. Mon objectif : la porte où j’allume une cigarette dès que je l’ai franchie.
— Un manque d’anticipation de ma part, je suis désolé, chuchote Misha qui m’a bien entendu suivi.
— Tes amis sont un peu trop tactiles pour moi, grogné-je. Je n’y suis plus habitué.
— Tu veux rentrer ?
— Non. Laisse-moi fumer cette cigarette tranquillement et si tu veux on y retourne. Josef m’a dit que tu venais d’arriver…
— Cela ne m'étonne pas qu'il t’en ait parlé. C'était ma première fois ici, les autres lieux je ne m’y sentais pas à mon aise.
— Pourquoi ?
— Distribuer de la nourriture, des vêtements, c’est bien et utile. Mais je souhaitais offrir du réconfort. C’est Josef qui avait validé ma demande de bénévolat. Tout naturellement, je me suis dirigé vers lui. Il s’evertuait à nourrir une jeune femme. Soit elle était plutôt maigre mais j’ai surtout remarqué à quel point elle semblait fatiguée. La salle était plutôt bondée et le brouhaha dû aux nombreuses discussions ne devaient rien arranger. Josef a profité de ma présence pour l’aider à installer un coin un peu à l’écart. Elle a accepté une cuillère puis deux et tout naturellement, Josef m’a laissé continuer pour se diriger ailleurs. J'étais très loin d’être à l’aise aussi ai-je attendu bêtement qu'il revienne me relayer. Entre-temps, ta sœur, un peu plus repus qu'à son arrivée, dans un espace plus calme et à l’abri des courants d’air s’était assoupie. Ne sachant comment agir, j’avais sorti un livre et lisait. En relevant la tête, j’ai croisé son regard et son doux sourire. J’ai été désigné pour la nourrir puisqu’avec moi, elle acceptait d’ouvrir la bouche.
— Mais, tu n’as jamais vu qui l’aidait à venir ? Où elle passait ses nuits ?
— Bien entendu que j’ai eu quelques informations. Elle en parle avec plus de détails dans un des cahiers. Ils t’étaient adressés à toi, son frère. Veux-tu rentrer à la maison ? Nous aurons l’occasion de revenir ici.
— C’est si difficile de découvrir tout cela. Une part de moi souhaiterait dévorer ces carnets pour tout savoir. L’autre, sent que découvrir son histoire au fur et à mesure, avec toi en guide m’aide à ne pas sombrer. Tu sembles connaître les endroits où je peux perdre pied.
— C’est exactement cela. En les découvrant pour la toute première fois, je me suis fait cette réflexion. Qui que soit son frère, certains passages de ces cahiers provoqueront des dégâts.
— Les lire seuls m’aurait fait du mal. Intégrer des passages au cours de mes questions temporise mes réactions. Les lire en intégralité, plus tard, me sera moins difficile.
— Je suis content que tu ne le regrettes pas.
( Misha )
Je suis troublé. Réellement troublé.
Mon but premier était de retrouver son frère. Les deux premières semaines après la mort d’Irina, j’avais effectué cette tâche machinalement. Parce qu’elle en avait clairement émis le souhait. Puis l’émotion ressentie au cours de ma lecture des cahiers, avait subtilement fait basculer la raison. L’envie de rencontrer ce frère m’avait poussé au-delà du simple devoir tacite. Mon énergie, boostée au point de délaisser mes propres cours, m’a entrainé à écumer les bibliothèques. Le contact avec différentes associations m'avait ouvert d’autres pistes. Certains témoignages coincidaient à des passages des carnets m'ouvrant de nouvelles perspectives. Sans la dernière piste débouchant vers cette galerie d'art - un hasard- j’aurais abandonné.
Il m'était impossible de nier que dès le premier regard, il s’était passé quelque chose. Les mêmes yeux qu’Irina bien entendu mais c’était bien au-delà de cela. Ceux de Ivan, charbonneux à souhait, semblaient vouloir faire fuir tout le monde. Il n’était pas question que je le laisse faire ! Décider Sam à le laisser partir n’avait pas été si difficile. Celui-ci a, je crois, très vite compris que je ne voulais aucun mal à Ivan. Certes sa présence n’aurait pas été un obstacle mais l’émotion naturelle d’Ivan n’aurait sans doute pas été la même. L’un comme l’autre s’auto-protègent. Quelque chose me dit qu’ ils n'ont jamais eu une quelconque relation, même charnelle. Néanmoins, celle-ci est forte. Très forte sans être secrète puisqu'au moins Stefan en connaît l'existence. Est-il possible que cela vienne de cette exposition dont m'a parlé le galeriste. Associer photos et sculptures en cuir n'aurait pas juste été un moyen subtil pour stimuler d'éventuels acheteurs ? J'espérais que, à son tour, Ivan se livre un peu. L'envie de découvrir toutes les facettes qu'il me dissimulait, provoquait en moi des ondes de frissons.
Un petit arrêt dans un bureau de tabac, Ivan rassuré quand à l’assurance de pouvoir fumer, sans la peur de manquer, comme un rituel nous nous installons à la table. J’ai fait un saut dans la chambre pour récupérer les carnets. Leurs couvertures usées, de teintes indéfinissables, ils sont à présent posés sur la table.
— Ils étaient déjà dans cet état, précisé-je. C’est une des premières choses que j’ai faite. Les photocopier me permettaient d’annoter, corner les pages. Il était inconcevable que je les abîme d'aucune manière.
Comme la toute première fois, sa main se tend vers le cahier du dessus. Ses doigts glissent délicatement sur la couverture. Je me permets un regard vers son visage. A-t-il au moins conscience du charisme de chacun de ses gestes ?
À quoi pense-t-il à l'instant ?
— Réalises-tu à quel point ces cahiers ont de l’importance pour moi ? Même s'ils représentent une part infime de ma sœur, elle est la seule que je connaîtrais. Notre vie en Tchétchénie ne nous a pas permis de le faire. Son audace en me menaçant m’a ouvert les yeux.
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