~25~
(Misha)
J’ai pris la précaution d’appeler le responsable de l’association hier soir. Cela fait presque deux mois que je n’y suis pas allé. Débarquer sans prévenir avec un visiteur, surtout celui-là était hors de question.
— Joachim ? Bonjour c’est Misha.
— Et bien ! Cela fait du bien d’entendre ta voix, petit ! J’espère que tu viens m’annoncer que nous allons bientôt te retrouver parmi nous.
— Cela ne va pas être immédiat, non. Mes derniers partiels sont à la fin du mois, j’ai besoin d'un peu de temps.
— Je sais à quel point c’est important donc je n’insiste pas. Avais-tu besoin d'un renseignement ?
— D’une autorisation en fait. Je souhaiterais passer avec quelqu'un. Ce n’est pas un bénévole…
— Tu sembles préoccupé. Cette personne n’est sûrement pas nocive tel que je te connais. Est-ce que tu aurais oublié de me signaler que tu as trouvé le fameux frère !?
— C’est arrivé si vite, et sans prévenir alors que je perdais espoir. Il est à la maison depuis hier. Il me semble que visualiser le lieu, croiser quelques personnes qui lui ont parlé peut lui apporter du réconfort.
— Alors, viens avec lui. Demain, je suis là toute la journée. Mira et Josef aussi.
Face à l’entrée, je sens Ivan hésiter. A moi de jouer.
— Cela va peut-être t’impressionner. Il n’y a pas de chambres, ici. Quelques lieux plus protégés pour effectuer quelques soins. Ceux qui viennent ici n’ont pas les moyens de payer des soins hospitaliers ou n’ont pas de papiers d’identité conformes. Tu vas entendre des langues étrangères. Parmi les bénévoles, certains maîtrisent plusieurs langues. Crois-moi, c'est appréciable.
— C’est ton cas, je suppose.
— Pas vraiment. L'anglais car c’est indispensable. Le Français parce que cela a été ma deuxième langue depuis le début de ma scolarité. Et évidemment l’Autrichien. Pour le reste, une application informatique suffit à comprendre la plupart du temps. Mais toi c’est pareil, tu parles plusieurs langues, non ?
— Je ne sais pas si je suis encore capable de maîtriser une conversation en Tchétchène. Je me suis tant efforcé de rayer mots et intonations lorsque je suis arrivé …
— Etais-tu en danger ?
— Honnêtement ? Je n’en sais rien. Des rumeurs dans mon pays circulaient. Quiconque s’échappe du pays y sera un jour ramené. Aslan en était persuadé et me le répétait régulièrement. Sûrement pour être certain que jamais je n’y revienne.
— Vous vous êtes tous séparés quand vous êtes arrivés ? Après un si long et dangereux voyage ?
— Je me méfiais de tout le monde… Presque un mois s’était passé après la disparition d’Irina. Une part de moi refusait qu’elle soit morte mais je l’imaginais mal se mettre en danger pour m’attendre. Certains regards à la frontière donnaient plus envie de partir que de s'y éterniser. Elle y était ?
— Rien dans ses carnets n'y fait allusion. Elle aurait été en danger. Dalibor a dû sûrement devoir rendre des comptes.
— C’était ma deuxième raison de ne pas m’attarder. Sans savoir quoique ce soit de ses trafics, je le sentais capable de m’utiliser s'il en avait l'opportunité. J'ai fui, préférant mettre le plus de distance possible entre lui et moi.
Son regard s'égare vers la pièce juste derrière la porte. Des chaises groupées par deux ou quatres, occupées ou pas. Un léger brouhaha presque étonnant vu le nombre de personnes massées dans la pièce.
Un peu à l'écart, des rideaux offrent un semblant d'intimité aux malades plus sérieux.
— Ah Misha, te voilà.
— Joachim, bonjour, je voulais te présenter, commencé-je.
— Ce n’est même pas la peine d’aller au-delà, dit-il en regardant Ivan. Le même regard, incroyable ! Cela va être compliqué de passer incognito auprès des bénévoles les plus anciens. Le regard de votre sœur ne passait pas inaperçu. À vrai dire, même si Misha n’avait pas pris l’initiative de me prévenir - c’est une règle que l’on met en pratique au quotidien - l’image de votre sœur aurait surgit.
Ivan est troublé c’est certain. La main de Joachim n’a pas quitté son épaule. Celui-ci mélange, surtout quand il est troublé, le français et l’Autrichien.
(Ivan )
Mon angoisse que Misha avait réussi à diminuer reprend des forces. Le regard de cet homme, le ton de sa voix, sa main sur mon épaule constituent un peu trop d’éléments qui pourraient me faire perdre pied. Le mélange des deux langues est assez troublant.
— Je suis désolé, dit-il en ôtant sa main. L’émotion a pris le…
— Contrôle, souffle Misha entre rire et émotion. Je te comprends, Joachim. Il m’est arrivé sensiblement la même sensation lors de notre première rencontre.
— Vous voulez faire le tour ? J'ai trois personnes qui attendent mon passage et après je suis libre comme l'air !
— J'en doute, commente Misha, en le voyant se diriger vers une personne assise. Joachim a beaucoup de difficultés à prononcer le mot non. Viens, nous allons déposer nos affaires par ici.
Je le suis pas à pas, sans réussir à détourner complètement mon regard de la multitude de personnes autour de nous.
— Ils sont toujours aussi nombreux ?
— Rarement moins, parfois beaucoup plus et plus bruyants quand il y a des familles. L’association cherche un local qui permettrait d’éviter ceci. Mais il manque de mains, d’argent comme partout. N’en-as- tu pas bénéficié lors de ton arrivée ?
— Non. Je me suis débrouillé.
Je reste évasif, espérant qu'il changera de sujet. Me retrouver seul n’était pas réellement un problème. Malgré tout, demander de l’aide ne m'était pas venu en tête. Le peu qu'il me restait en argent avait suffit pour un moment et après ma stature m’avait offert la possibilité de bosser régulièrement. La compagnie des hommes, de l’être humain en général, ne m’était pas indispensable. Je les côtoyais pour travailler afin de me nourrir. Je ne cherchais pas à m’installer. Sans la rencontre et la proposition de Stefan, je serais devenu une ombre.
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