(Ivan)

Misha referme le cahier pour l'instant. Je comprends mieux à présent son insistance à vouloir m'accompagner dans cette lecture. Certes, Sam aurait pu remplir ce rôle de la même façon. Mais seul Misha a rencontré ma sœur.

- As-tu discuté avec elle de ce qu'elle avait écrit ?

- Non. Elle me les a en quelque sorte... légués. Attends trente secondes, dit-il en quittant le patio.

La fatigue me tombe dessus. La lecture des cahiers débute à peine, et je sais que des pauses me seront indispensables.

-Tiens ! Je n'étais pas à ses côtés lorsque son cœur a cessé de battre. Ta soeur avait de la suite dans les idées. tout était organisé pour ce jour-là. Les cahiers étaient dans un sac en papier à mon nom et il y avait cela dedans. Elle était si déterminée, ta sœur. Elle avait tout prévu ! Elle avait compris qu'elle ne te verrait pas avant de mourir. Elle comptait sur moi pour y arriver !

(Misha)

Il regarde l'enveloppe que je lui tends. L'écriture est la même que celle des cahiers, un peu plus irrégulière. Ses yeux brillent en découvrant son prénom. Ses mains, méticuleuses malgré le tremblement, décachètent l'enveloppe.

Je le regarde lire, je connais par coeur les quelques mots.

Mikail,

J'aurais voulu te parler, te dire tout ce que j'ai écrit dans les cahiers mais je me fatigue vite. Je les confie à Misha. J'ai confiance en lui, il mettra toute son énergie pour te retrouver.

Irina

Il ne bouge plus, seules ses larmes expriment silencieusement son ressenti. Sans rien contrôler, mes bras l'enlacent et il ne me repousse pas.

-Je te remercie pour cette persévérance. Elle t'avait bien jugé, elle pouvait avoir confiance.

-Merci, tes mots me touchent. Ces mois où je l'ai accompagnée presque au quotidien resteront gravés en moi. Je désespérais de te trouver, d'accomplir la mission dont elle m'avait chargée.

-Je ne suis pas certain de réussir à dormir, pourtant si cela ne te dérange pas, je vais stopper là pour ce soir. Je te remercie sincèrement d'avoir insisté. Lire seul m'aurait fracassé.

-Prend le temps nécessaire. N'hésite pas à me réveiller, ma chambre se trouve juste derrière cette porte blanche. Si tu as faim ou soif, tout est libre d'accès.

(Ivan )

Le lit est un champ de bataille, témoin de mon incapacité à dormir. Mon cerveau réclame une dose de nicotine qui se multipliera tout le long de ce qui reste de nuit. Chez moi, j'aurai tenté de sculpter, de travailler n'importe quelle matière pour expulser mon mal-être. J'enfile mon jean, un blouson et je sors de ma chambre. Le filet de lumière sous sa porte m'indique que Misha ne dort pas plus que moi. Je ne me sens pas capable de discuter. En deux minutes, j'ai franchi la porte d'entrée. Marcher ne me fera pas de mal. Seule précaution, repérer le nom de rue afin d'éviter de me perdre. L'envie d'un alcool, fort de préférence, s'insinue dans mon esprit. Je le rejette avec force, et je me concentre sur la marche, enchaînant les cigarettes. Une lueur dans la rue, des ombres vacillantes et bruyantes, je m'éloigne. Lorsque mon esprit réclame une dose, j'ai une fâcheuse tendance à chercher la bagarre. Pas question un seul instant que je m'attire des ennuis, je fais donc demi tour et grâce à l'application de mon téléphone, je me retrouve assez vite devant chez Misha. Une lumière dans la cuisine dévoile sa présence. D'un mouvement rapide, il se tourne vers moi.

- À ce que je constate, ni l'un ni l'autre n'avons vraiment trouvés le sommeil.

-J'avais besoin d'évacuer un peu d'énergie.

-Es-tu un adepte de la boxe ou de ce genre d'exercices qui permettent de se défouler ?

-Cela m'arrive de moins en moins quand je contrôle le moment où je peux dérailler.

-Ça a été le cas ce soir ?

-Je le sentais venir, oui. Tu travaillais ?

-J'ai des partiels qui approchent mais rien de très paniquant.

-Il te reste combien de temps d'études encore ?

-C'est un peu mon souci, réplique-t-il en grimaçant. J'adore apprendre. Si cela ne tenait qu'à moi, je resterais étudiant jusqu'à ma mort !

-J'avoue ne pas trop savoir ce que c'est. Même si Irina et moi avons été à l'école, il était essentiellement question d'apprentissage des rudiments nécessaires pour faire marcher une entreprise même de petite taille. Ma destinée était toute tracée, travailler la terre avec mon père et le remplacer lorsque sa santé déclinerai. Mon attirance envers les mecs aurait de toute façon était inacceptable pour lui. Après mon exil, j'ai appris sur le tas grâce à Stefan.

-Mon estomac grondait, peut-être que le tien est dans le même état. Les remplir aide à trouver le sommeil paraît-il ! Veux-tu t'associer à moi pour tenter l'expérience ?

-Ta façon de proposer entre humour et malice ne provoque bizarrement pas le rejet qui m'est habituel. Ne parle pas de cette méthode à Sam, il arriverait à me rendre obèse.

-Je doute que ce soit possible, dit-il en me détaillant. Ta charpente osseuse ne semble pas prête à devenir grasse avant bien longtemps.

-Tu peux, je pense, arriver à la même conclusion te concernant. Ton gabarit est plus frêle que le mien mais je ne m'amuserais pas pour autant à te provoquer.

-Un de mes amis qui en avait marre de me secourir m'a appris quelques rudiments de Krav Maga. Une certaine souplesse m'aide à me sortir de certaines situations.

-Tu sembles avoir des amis qui tiennent à toi.

-D'après ce que j'ai vu et compris, Sam en fait tout autant.

-Tu as dû comprendre que je ne suis pas quelqu'un de très social. Sam et son compagnon Romain ne me brusquent pas. Ils savent respecter mes périodes de mutisme.