~12~

(Stefan )

—Il aurait peut-être été plus honnête de m’en parler précédemment ? Ivan est quelqu'un de fragile et je n’apprécie pas vraiment votre façon de faire. 

—Son nom est Mikail, pas Ivan. 

—Il a le droit de changer de nom. Me balancer son identité à la figure est grave, jeune homme. C’est tout à fait indigne de la confiance que nous vous avons accordée en acceptant de vous recevoir. 

—Je m’en excuse. Rien n’était prémédité. J'étais quasi persuadé d’échouer une fois encore. Ils ont le même regard. Ces yeux noirs charbons. J’ai été indélicat,  je le reconnais. Mais mettez-vous à ma place un instant. Je cherche une trace de lui depuis trois ans. 

—Trois ans ? 

La voix d’Ivan qui vient d'intervenir fait immédiatement réagir Misha.

—Je vous dois des excuses, réplique-t-il immédiatement.

—Rien à foutre de vos excuses, grogne Ivan. La seule chose qui m'intéresse est où se trouve ma sœur ? 

( Misha )

Dans sa voix, je ressens toute sa tension. Mon manque de contrôle nous met tous à mal. Sam reste près de lui, comme s'il redoutait un geste incontrôlé de la part d’Ivan.

—Je répète. Où est ma sœur ?

—Je suis désolé. J’étais persuadé que c’était, une fois encore, une fausse piste. 

—Où est Irina ? demande-t-il et cette fois, il n’y a plus d’agressivité dans sa voix.

Sam l’attire contre lui. Son regard semble me supplier de continuer.

— Votre sœur est décédée, il y a presque trois ans. Une forte bronchite mal soignée. Je n’ai pas pu avoir évidemment accès aux informations médicales la concernant. Je vous l’ai dit, je suis bénévole. Je tiens compagnie aux personnes malades qui  reçoivent peu voire aucune visite. Votre sœur aimait discuter de tout et de rien. 

—Elle n'était pas soignée ? 

—Bien sûr que si… mais la prise en charge a été trop tardive. Votre sœur était très maigre, fragile. 

—Comment est-elle arrivée à l’hôpital ? questionne Ivan sans tenir compte du sens caché de mes mots.  Avez-vous des informations de l’endroit d’où elle venait ? 

—Lors d'une maraude comme assez souvent. Au cours de nos nombreuses conversations, votre sœur n’a jamais donné d’informations sur un lieu d’habitation. Cela ne veut pas dire qu’elle n’en avait pas, pour autant.  Son but était de trouver une oreille attentive afin de lui confier sa mission. 

—Me retrouver c’est cela ? Mais en quoi vous est-il utile d’avoir continué, puisqu'elle est décédée ? 

Mon regard croise celui de Sam. Un bref mouvement affirmatif me confirme ce que je pensais. Ivan est dans une sorte de déni. 

—Vous le signaler dans un premier temps, débuté-je en espérant qu'il comprenne à mi-mots. 

—Et ? insiste-t-il.

—Irina a rempli une sorte de journal. Quasi au quotidien. 

—Elle vous l’a confié ? À un inconnu ? questionne-t-il, suspicieux.

—Nous en étions, c’est vrai. Mais… Je lui ai tenu compagnie quasiment tous les jours pendant six mois. Cela crée de solides liens. 

La stupéfaction se répand sur le visage d’Ivan et celui de Stefan.  Elle doit s’y trouver sur le mien aussi. Je réalise l'énormité de cette réalité. Comment pourrait-il me croire  ?

—Cela vous arrive souvent d’avoir un tel comportement ? 

—Non.  Sur une aussi longue durée, c’est la première fois. Mais Irina, si vous acceptez cette familiarité de ma part, possédait  une sacrée personnalité. Au milieu des autres malades, malgré son état de fatigue, sa vigilance envers eux était constante. Elle refusait de converser avec moi si je ne mettais pas toute mon énergie pour convaincre  les soignants de les aider. 

— Rien ne m'étonne. Elle a fait preuve d'une forte motivation pour me convaincre de l’emmener avec moi. Ils étaient nombreux, ces malades ?  

—De moins en moins au fil des jours. Beaucoup de migrants dans un sale état, mais aussi des personnes seules, en fin de vie.

—Elle les connaissaient ?

—Honnêtement, je n’en sais rien. Leurs parcours devaient se ressembler. Vous n'avez pas connu cela lors de votre arrivée ? 

Ma question semble le surprendre, pourtant il n’y répond pas.

—Explique-t-elle dans ses mémoires pourquoi elle est partie sans rien me dire ? 

—Elle l’explique, oui. 

Cette image tourne en boucle dans ma tête. Choquée. Non par l’acte en lui-même, je sais que Mikail est homosexuel. Mais là, il est flagrant que rien n’est consenti. Ses pleurs nuit après nuit depuis notre départ en sont les preuves formelles . Pourquoi accepte-t-il ? 

—Irina. Ne lui dit rien. Laisse moi t’expliquer ce soir.

Depuis les premières heures de marche, Anzor m’a beaucoup aidé par ses conseils. Consciente que cela peut être risqué de m'isoler,  je décide malgré tout de lui  faire confiance. 

—N’en veut surtout pas à ton frère, me dit-il lorsque nous nous retrouvons. 

—Il n’est pas mon frère, c’est mon mari, précisé-je d'un ton que j'espère dissuasif. 

—Il est logé à la même enseigne que nous tous. Le passeur est le maître du jeu. Son pouvoir sur notre avenir lui offre toutes les opportunités pour nous faire chanter. Il a dû lui proposer un choix.

Je ne suis pas naïve quant à la personne que Mikail veut protéger. 

—Je vais lui dire de ne plus accepter. 

—Et te livrer en pitance à ce...ton frère refusera. 

—Et je dois le laisser se sacrifier ! Pas question.

—Ton frère croit te protéger en se sacrifiant. Dalibor est un beau parleur manipulateur. Il joue sur les deux tableaux. Mikail a, en quelque sorte, monnayé ta tranquillité. 

—Comment cela ?

—Mikail subit les assauts de ce salopard pour éviter, croit-il que tu sois, toi, sa victime. 

—Même si c’est parfaitement ignoble, c’est pourtant le cas. Dalibor n’a jamais eu envers moi un mot ou un geste malsain.

—Il a reçu de l’argent pour cela. C’est la raison de ma présence ici. Il fait partie d'un réseau. Il repère les cas intéressants, les monnaye. 

—Comment peux tu être certain de cela ? Comment puis -je savoir si ce n’est pas toi qui dirige tout cela ? 

—Si c’était le cas, crois-tu que tu ne serais pas déjà dans la même situation que ton frère ? 

—Misha ? m’interpelle Sam. Vous allez bien ? J’ai cru que vous alliez tomber dans les pommes. 

— Certains passages du témoignage de votre sœur ont surgi dans mon esprit. Les prénoms masculins Anzor et Dalibor vous sont-ils connus, Ivan  ? 

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