Chapitre 25 - Difficile de voir clair dans un jeu trouble
Dire que je me sens complètement larguée suite à cet échange avec Santiago serait un euphémisme. Pendant que mon nouveau pensionnaire, visiblement exténué, dort profondément sur le canapé du salon, je passe des heures à me retourner dans mon lit sans trouver le sommeil. Comment pourrai-je y parvenir après une telle soirée ?
Au-delà de son retour brutal, déjà suffisamment difficile à gérer, notre conversation m'a beaucoup perturbée. J'ai beau examiner sa version des faits sous toutes les coutures, je ne parviens pas à m'y retrouver.
D'un côté, j'ai bien du mal à croire qu'il ne soit pas lié à la disparition d'Ana alors que son souhait avant d'être arrêté par les forces de l'ordre était justement de la retrouver. Mais en même temps, quel intérêt aurait-il à me retrouver si c'était le cas ? Dans la même veine, son histoire d'amoureux transi, je n'y crois pas une seconde. Et pourtant, j'ai bel et bien senti qu'il était venu m'observer à plusieurs reprises et, sous ce prisme-là, son histoire prend un tout autre sens. Puis, surtout, il est en train de pioncer sur mon canapé alors que je pourrais le dénoncer à tout moment. Il accepte donc, dans une certaine mesure, d'être en posture de vulnérabilité face à moi. Quelque chose que je n'aurais jamais cru possible venant de lui.
Dans mon cerveau, les interrogations et les hypothèses fusent. Dès que de minuscules fenêtres de confiance s'entrouvrent, elles sont aussitôt rabattues par des envolées de doutes. Une méfiance presque maladive, mais amplement justifiée au vu des stratagèmes tordus que Santiago a déjà pu échafauder. Ne serais-je pas une fois de plus que le simple pion de l'une de ses manipulations malsaines ? Quelle stratégie peut-il bien avoir en tête ?
Une chose est sûre : je ne peux pas me permettre de baisser la garde. S'il m'est impossible d'en parler à qui que ce soit, la seule chose à faire est d'aller dans son sens tout en gardant les yeux grands ouverts.
Après une nuit entière de tergiversations, les premiers rayons de l'aube me tirent du lit sans effort. Contrairement à mes précédents week-ends, je me réveille pleine d'énergie. Une réalisation d'autant plus étrange que je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. À croire que l'adrénaline est capable de beaucoup dans des cas extrêmes comme celui-ci.
Toc-toc-toc.
Alpaguée à la sortie de la douche par trois coups frappés à ma porte d'entrée, je sursaute. Qui peut bien venir me rendre visite à une telle heure, d'autant plus un samedi ? La vision de Santiago en train de dormir sur le divan du salon accélère les battements de mon cœur. Priant pour qu'il ne s'agisse pas de ma mère avec le double des clés, je m'empresse de m'enrouler dans ma serviette pour dévaler les escaliers. À mon grand soulagement, Santiago ne traîne plus dans les parages.
Je prends une grande inspiration avant d'ouvrir la porte.
Ramenée à mon objectif de départ par cette même voix, je me hisse sur la pointe des pieds et entrevois une tête blonde en contrebas. J'ai trop coiffé ces boucles pour avoir ne serait-ce que l'ombre d'un doute.
— Camila ? Qu'est-ce que tu fais ici ?
Ma question, lâchée de but en blanc, la laisse perplexe.
— Wow, quel accueil. Je te dérange ?
Réalisant que j'ai une fois de plus oublié de mettre les pincettes, je resserre ma serviette autour de mon buste en m'efforçant de cacher la vue sur mon appartement. Je doute que Santiago décide d'y faire irruption en dansant le jerk à moitié nu, mais on ne sait jamais.
— Non, pas du tout. J'étais en train de réviser mes cours de droit. J'ai arrêté de les suivre, mais j'aimerais les reprendre au plus vite.
Je m'arrête de moi-même avant d'éveiller les soupçons. Une personne n'ayant rien à se reprocher n'aurait pas eu à se justifier.
— Ah, d'accord. Tout s'est bien passé, hier soir ?
Sa question me fait tiquer.
— Hier soir ? répété-je d'une voix un poil trop aigüe pour être naturelle. Oui, tout s'est bien passé. Pourquoi ?
— Tu en es sûre ? J'ai l'impression que tu es... différente. Le fait de t'être retrouvée seule au salon ne t'a pas attiré d'ennuis, j'espère ?
En temps normal je n'aurais pas été spécialement alertée, mais au vu de ce qui s'est précisément passé ce soir-là, l'intérêt de Camila me questionne.
— Non. Je peux savoir ce que j'ai de différent ?
Je guette la réaction de mon interlocutrice, qui se contente de hausser les épaules.
— Je ne sais pas. Je trouvais que tu avais l'air nerveuse, j'ai dû mal juger. Pour tout te dire, j'étais surtout venue ici pour te proposer quelque chose.
— Ah oui, et de quoi s'agit-il ?
— Je sais que vous remuez ciel et terre avec Sara pour retrouver Ana et... j'aimerais pouvoir vous prêter main forte.
La mention de Sara, toujours aux abonnés absents, me serre le cœur. Malgré tout, je m'efforce de garder l'air impassible – hors de question de commencer à m'épancher sur le sujet.
Cette proposition tombe de nulle part et je ne vois pas du tout comment l'interpréter. Camila m'a peut-être aidée à renflouer les caisses en achetant mes habits, mais la laisser intégrer notre cercle d'enquête est bien trop risqué. J'ai beau essayer, je ne vois pas ce qui pourrait la pousser à faire ça. En avait-elle au moins quelque chose à faire d'Ana ?
— C'est gentil de proposer, mais je ne vois pas trop comment tu pourrais nous aider. C'est la police qui est en charge de retrouver Ana. Si tu as des informations à fournir, je t'invite à te tourner vers eux.
Ma réponse jette un froid sur la conversation. Visiblement déçue, Camila baisse les yeux.
— D'accord, comme tu voudras.
Je sais que j'ai été dure, mais je ne vois pas comment faire autrement. Que cherche-t-elle ? Tant que je n'arriverai pas à y voir clair, je resterais sur mes gardes.
— Bon, eh bien, à bientôt, Juli... Prends soin de toi.
Je la regarde s'éloigner d'un pas traînant. Lorsqu'elle disparaît au coin de la rue et qu'une voix surgit de derrière mon dos, je sursaute.
— Dios, tu as beaucoup d'amies qui débarquent à l'improviste à sept heures du matin comme ça ?
En me retournant, je découvre Santiago qui, à peine vêtu d'un short de sport, émerge de mon placard à balais. La vue de son torse sculpté me renvoie malgré moi à d'anciens souvenirs, bien moins douloureux cette fois-ci, mais je m'efforce de garder le cap.
— Fais attention, bon sang, quelqu'un pourrait te voir ! sermonné-je en refermant la porte. Dire que tu as réussi à te volatiliser avant même que j'ai fini de descendre les escaliers, ce serait dommage de ruiner ta si belle performance maintenant...
— Quand on évolue dans des milieux controversés, on apprend à détaler en un clin d'œil sans laisser de traces, déclare Santiago en relevant le coin supérieur gauche de sa bouche.
Cette simple moue donne à son visage une teinte légère et insolente qui ne me laisse pas indifférente.
— Voilà qui est rassurant, lâché-je à demi-voix en tentant de masquer mon trouble.
Mais Santiago envoie tout valser en s'approchant de moi. Ses cheveux en bataille, témoin de la nuit qu'il vient de passer, lui donnent un air presque innocent.
— Quoi, tu vas me dire que ça ne te plaît pas ? L'interdit, le fruit défendu...
Je garde les yeux rivés sur les siens, incapable de trouver quoi répondre. Santiago finit par rompre notre contact visuel pour détailler la serviette qui m'enveloppe encore. Je sens mes doigts se crisper instinctivement à mesure qu'un désir inattendu s'empare de moi.
— Santiago, ce n'est pas...
Mais les mots se meurent entre mes lèvres lorsqu'en cherchant son regard, je m'égare une seconde de trop dans les reliefs de ses pectoraux. S'il y a au moins une chose que la vie de gangster semble garantir, c'est bien la musculature.
Sans se soucier de cette tentative de résistance échouée, Santiago vient effleurer le tissu de ma serviette de bain. Ses doigts laissent une traînée de frissons le long de mes clavicules.
— Moi, en tout cas, j'aurais bien envie de faire tomber cette dernière barrière qui nous sépare.
Malgré moi, mon cerveau commence déjà à visualiser tout ce que nos corps nus pourraient bien faire sans ces tissus superflus. Rattrapée par ma raison, je cligne des yeux pour tenter de chasser ces images saugrenues.
— Pas toi ?
Lorsque j'entrouvre les paupières, le visage de Santiago n'est plus qu'à une poignée de centimètres du mien. Une nouvelle fois, sa main vient se poser sur mon plexus mais, cette fois-ci, lorsqu'elle propose de faire glisser ma serviette, je ne la retiens pas.
— Oh, Juli... Tu m'avais manqué.
Cette phrase, lâchée à demi-voix par Santiago en même temps qu'il vient effleurer la courbure de mes seins, est l'équivalent d'une allumette jetée dans un bain de fioul. Incapable de garder le contrôle une seconde de plus, je laisse mes mains explorer les reliefs de son torse, pendant qu'il me presse les hanches pour me ramener contre lui.
Ma conscience m'envoie un dernier signal d'alerte, mais je l'ignore pour m'abandonner complètement à Santiago, à ses mains et à l'ardeur de sa peau.
* * *
Emportés par ce moment extatique et hors du temps, nous terminons sur le lit de ma chambre. Les ferronneries de la petite lucarne découpent des motifs organiques sur les draps blancs. Je passe au moins vingt minutes à rêvasser, le regard perdu dans cette toile du quotidien.
Moi qui ne demandais qu'à mettre en pause toutes ces histoires compliquées pour vivre un moment d'insouciance, on dirait que j'y suis bel et bien parvenue... De la plus improbable des manières. Ce n'est qu'en émergeant peu à peu de mon état second que je réalise ce qui vient de se jouer et que la panique s'empare de moi.
Bon sang, qu'est-ce qu'il m'a pris ?
Je jette un coup d'œil à Santiago, encore allongé sur le dos à côté de moi. Sa respiration régulière me laisse croire qu'il est encore assoupi.
Anxieuse, je m'assois sur mon lit. Il faut que j'établisse un plan d'action pour la suite, mais je ne sais absolument pas quoi faire. Et, surtout, je m'en veux terriblement. Comment ai-je pu me laisser aller de la sorte ? Santiago n'est pas quelqu'un de confiance. Tout ce qui s'est passé avec Ana nous a largement prouvé que ce type est un psychopathe, si ce n'est pire. Lui laisser croire que je suis la fille un peu naïve et à sa merci qu'il projette est sans doute la meilleure chose à faire, mais lui ouvrir ne serait-ce que la plus infime des brèches est bien trop risqué !
— Tu m'as l'air bien pensive...
En me retournant, je croise le regard de Santiago. Ses paupières mi-closes lui donnent un air doux et, l'espace d'un instant, je me demande s'il a apprécié cet interlude hors du temps que nous venons de vivre. Avant de me censurer aussitôt.
— Je suis encore un peu sonnée, brodé-je. Te retrouver ici, c'est... Compliqué.
Santiago acquiesce, avant de poser sa main sur la mienne.
— C'est normal. Prends ton temps pour assimiler tout ça.
Un silence plane entre nous, avant qu'il ne reprenne :
— Je repensais à la visite de cette fille, tout à l'heure... Et plus particulièrement à ta réponse. Tu espères sincèrement que la police qui se charge de retrouver Ana ?
— C'était surtout un prétexte. On ne peut pas faire confiance à n'importe qui.
— Je te rejoins là-dessus. Mais si tu attends que ce soient ces incapables qui retrouvent Ana, autant faire directement une croix sur elle.
Sa vision des forces de l'ordre est assez pessimiste, mais je n'en attendais pas moins venant de lui. En face de moi, Santiago poursuit d'un ton ferme :
— Si je suis venu te chercher, c'est pour qu'on avance plus vite ensemble, Juli. Et pour ça, toute aide est bonne à prendre. Alors la prochaine fois que tu verras cette fille, tu me feras le plaisir d'accepter son offre, d'accord ?
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