Chapitre 1


Année 2022

Le tic-tac de l'horloge résonne dans le salon, chaque seconde s'étirant comme un soupir. Je parcours la pièce sans but, les nuances chaudes des murs et le reflet doré du cadre de notre mariage attirent mon regard. L'excitation et l'anxiété s'entrelacent dans mon être tandis qu'Hannah, mon amie d'enfance devenue ma femme depuis quelques années, se prépare dans la salle de bain.

Les préparatifs pour notre voyage à Montréal viennent de se conclure, et je ne guette plus que l'arrivée de ma femme avant de partir. Je jette des coups d'œil à la porte close, mon impatience est palpable. Je ne peux m'empêcher de noter la manière dont la lumière du soleil danse à travers les rideaux, créant un ballet d'ombres délicates sur le sol. Immobile dans l'attente, sans action qui apaise ma nervosité innée, chaque minute qui s'étire semble alourdir cette pression dans la poitrine.

Nous avons trois heures de route pour rejoindre la métropole, afin de rencontrer le père d'Hannah et d'annoncer une merveilleuse nouvelle. C'est le vœu que ma femme souhaite réaliser ; révéler en tête à tête à son paternel la venue de notre futur enfant. Enceinte de quatre mois, elle attend ce moment propice pour me dévoiler, par la même occasion, le sexe du bébé. Depuis sa dernière échographie, elle a gardé le silence, un doux sourire aux lèvres, créant une énigme que je ne peux résoudre que dans un avenir proche.

À presque trente ans, je serai bientôt papa. Au début, la nouvelle me pétrifiait. Serais-je un bon père, alors que je n'ai eu aucun modèle durant ma jeunesse ? Hannah, par sa sagesse et sa douceur, a pansé les doutes de mon esprit et a su m'apaiser. Désormais, je ne souhaite qu'une chose ; rencontrer ce petit être et devenir un phare à ses yeux. Les battements de mon cœur résonnent avec l'écho de l'avenir, telle une symphonie d'espoirs et de joies entrelacés.

La porte de la salle de bain s'ouvre enfin, la vapeur d'eau s'échappant en un voile presque fantomatique. Hannah émerge, un sourire radieux éclairant ses traits. Elle porte une simple robe blanche qui met en valeur ses formes, sans être grossière. Ses cheveux couleur miel s'ondulent doucement, encadrant son visage comme des rayons du soleil. Une légère trace d'eye-liner accentue ses yeux chocolat, et un rouge à lèvres bordeaux tranche avec la pâleur de sa peau. Un parfum de lavande subtil m'enveloppe lorsqu'elle me prend dans ses bras.

- Pas trop attendu, Émile ? me demande-t-elle, ses yeux pétillants.

- Non, ça va, lui répondis-je, me perdant dans son étreinte.

Son regard se pose sur moi, un sourire en coin.

- Tu mens mal, tu es pâle comme un linge, constate-t-elle en gloussant légèrement.

La clarté de l'après-midi danse sur sa chevelure avec une grâce céleste. Elle devient presque angélique, baignée dans cette luminosité bienvenue. Ce spectacle m'apaise quelque peu, me sentant béni qu'elle fasse partie de ma vie.

- Oui, je suis un peu stressé, avoué-je en soupirant.

Hannah m'embrasse tendrement puis se libère de mes bras, saisissant son sac à main sur le canapé.

- Tout ira bien, dit-elle en se tournant vers moi, un sourire encourageant. Ce n'est qu'un voyage de trois heures, et puis sortir de notre petite ville nous fera du bien.

- Oui, je sais, mais es-tu sûre de pouvoir tenir le coup ? Être enceinte n'est...

- N'est pas une maladie en soi, me coupe-t-elle. Je me sens parfaitement bien et j'ai hâte de retrouver mon père après tout ce temps.

Effectivement, le temps s'est écoulé depuis notre dernière rencontre avec son père dans la métropole. Toute notre jeunesse est gravée dans les rues de Montréal, ces quartiers, ces festivals et y retourner suscite une étrange saveur dans ma bouche, une réminiscence mêlée d'émotions.

Le doux parfum de lavande persiste alors qu'Hannah se dirige vers la porte d'entrée. Je soupire à nouveau, essuie mes mains moites contre le jean et prends les clés de la voiture.

***

Alors que je conduis avec Hannah sur la route paisible menant à Montréal, l'été dévoile la splendeur de la campagne québécoise. Les champs s'étendent à perte de vue, une mosaïque de verts chatoyants sous un ciel d'un bleu profond, où le soleil caresse chaque feuille et transforme chaque brin d'herbe en une œuvre d'art vivante.

Les collines serpentines bercent le paysage, ajoutant une élégance naturelle à l'horizon. Des fermes traditionnelles émergent çà et là, entourées de champs de blé ondulant comme une mer dorée, offrant une danse harmonieuse au rythme de la brise légère de l'été. Le parfum sucré des fleurs sauvages enveloppe l'air, créant une symphonie olfactive en un équilibre parfait.

Les arbres en bordure de route tissent une canopée verdoyante, formant des tunnels d'ombres mystiques où la clarté du soleil filtre en éclats lumineux. Les oiseaux s'élèvent dans le ciel, ajoutant une mélodie joyeuse au silence magique de la campagne.

À mesure que je progresse, le bleu des lacs et des rivières se dessine, reflétant le ciel sans nuage comme des miroirs naturels. Les berges scintillent sous les rayons du soleil, invitant à une contemplation silencieuse de cette pure beauté.

Cet été délicieux s'infiltre à travers les fenêtres ouvertes de la voiture, caressant délicatement nos visages et réchauffant l'habitacle d'une apaisante chaleur. Les rayons du soleil filtrent à l'intérieur, transformant le vrombissement régulier du moteur en une douce symphonie, une mélopée rythmée qui accompagne le murmure du vent. L'autoradio diffuse une mélodie suave, ajoutant une bande-son en harmonie avec le paysage qui défile.

À travers cette escapade estivale, les kilomètres se succèdent avec une lenteur bienvenue, laissant le temps suspendu dans une bulle de chaleur et de lumière. Et dans cet instant, avec les vitres ouvertes, cette saison devient une expérience sensorielle totale, une poésie en mouvement qui enveloppe tout, du paysage qui défile à l'intérieur douillet de la voiture.

La complicité entre Hannah et moi se manifeste par des éclats de rire, des mains entrelacées, chaque instant partagé ajoutant une touche intime à ce moment de plénitude. Les rares véhicules croisés deviennent des ombres éphémères dans cette vaste toile de paysage, accentuant leur note fugace à ce kaléidoscope visuel qui accompagne notre voyage vers Montréal.

Mon anxiété s'est envolée en observant Hannah aussi radieuse. Je me demande même pourquoi j'étais si inquiet de son état, elle se porte comme un charme. Je ne me pose plus de question, profitant de cette bulle de bonheur que je partage avec elle. Ce voyage est la meilleure idée qui soit !

Le murmure paisible de la musique berce notre trajet, mais peu à peu, les notes mélodieuses se fondent dans une autre symphonie, celle des actualités diffusées à la radio.

Le ton grave du journaliste résonne à travers les haut-parleurs, trahissant l'importance du sujet.

« Mesdames et messieurs, ici la station d'information. Nous vous apportons des nouvelles de dernière heure concernant un événement majeur qui a secoué le monde criminel. Le dénommé "l'Archange", un redoutable parrain de la mafia, vient de réaliser un coup de maître, plongeant Montréal dans l'émoi et l'inquiétude. »

Sa voix, empreinte d'une solennité marquée, détaille l'ampleur du coup orchestré par l'Archange avec une précision glaçante.

« Selon nos informations, l'Archange aurait orchestré une série d'opérations complexes, s'attaquant simultanément à plusieurs fronts rivaux. Les témoignages recueillis parlent d'une coordination sans faille, déployant des tactiques dignes d'une stratégie militaire. Des sources affirment que des connivences au sein même des forces de l'ordre pourraient expliquer le succès de cette opération d'envergure. »

Le journaliste poursuit en énumérant les conséquences de ce coup de maître, décrivant l'impact sur l'équilibre fragile qui régnait entre les différentes factions criminelles de la ville. Chacun de ses mots ajoute une note discordante à la quiétude de notre trajet.

« Les autorités sont actuellement en état d'alerte, cherchant à appréhender l'Archange et ses complices. La situation évolue rapidement, et les ramifications de cet événement s'étendent bien au-delà du monde interlope, affectant la sécurité même de nos rues. »

Hannah et moi échangeons un regard, absorbant l'information. Les buildings de Montréal, habituellement imposants et majestueux, semblent soudain empreints d'une aura de mystère et d'intrigue. Les rues familières de Montréal deviennent le théâtre d'une conspiration criminelle.

Les notes des actualités se fondent progressivement dans la mélodie de fond, créant une ambiance étrange, où la normalité du quotidien se mêle à l'extraordinaire des événements qui se déroulent dans la ville.

Nous ne partageons aucun mot, conscient que notre paisible escapade a été momentanément envahie par l'ombre de ce méfait orchestré par l'Archange.

Le murmure de la musique s'éteint brusquement sous la pression de ma main qui coupe la radio. Un silence momentané règne dans l'habitacle, seulement brisé par le ronronnement du moteur.

Je cherche à alléger l'atmosphère, percevant le poids des informations diffusées. Je souris doucement, posant une main réconfortante sur celle d'Hannah.

- Tu sais, commencé-je d'une voix faussement assurée, ces nouvelles à la radio... C'est probablement juste une autre de ces histoires sensationnelles. Les médias ont un don pour dramatiser. On ne devrait pas trop s'en soucier, n'est-ce pas ?

Mon regard encourageant cherche refuge dans les yeux d'Hannah, espérant apaiser les vagues de craintes qui l'assaillent. À travers la vitre, le paysage extérieur défile en douceur, mais je m'efforce de tisser une bulle de sérénité à l'intérieur de la voiture, un havre où les tourments de la ville n'existent pas.

Cependant, une anxiété persiste au plus profond de moi. L'écho des nouvelles concernant l'énigmatique « Archange » résonne en moi, d'autant plus que nous nous dirigeons vers Montréal, le théâtre de ses agissements. Peut-être que je dramatise, mais l'idée de fouler des rues incertaines me titille, faisant naître l'envie fugace de faire demi-tour.

Je garde ces pensées pour moi, conscient que les partager avec Hannah ne ferait qu'accentuer ses propres préoccupations, ce qui n'est pas propice pour notre futur enfant. En cet instant, un doux sourire perce son masque d'inquiétude et quelques mots parviennent à franchir ses lèvres :

- Oui, tu as raison. Si nous devions nous inquiéter pour tout, nous ne sortirions plus de chez nous. D'ailleurs, quel est le pourcentage de chance de croiser un membre de la mafia ?

- Nous aurions plus de chance de gagner au loto ! m'esclaffé-je, cherchant du réconfort au milieu de mes propres doutes.

Mon rire résonne dans l'habitacle, mais je sens que derrière l'humour, Hannah perçoit la tension latente. Elle me lance un regard complice, cherchant à calmer mes inquiétudes.

- Tout à fait ! On devrait même essayer, un jour ! rit-elle à son tour, enfin apaisée. Et puis, qui sait, peut-être que la chance sera de notre côté.

Je remarque la lueur espiègle dans ses yeux, et cela éveille un sentiment chaleureux en moi. C'est l'une des raisons pour lesquelles je l'aime tant, cette capacité à trouver la légèreté même dans les moments sombres.

Je me recentre sur ma conduite, mettant un terme à cette inquiétude intrusive qui persiste dans les profondeurs de mon esprit. Je préfère ne pas accorder d'importance à cette sensation dérangeante, privilégiant l'instant présent.

La conversation se poursuit, mêlant des sujets légers et sans importance, lorsque subitement une camionnette décide de nous dépasser. Je l'avais observée dans le rétroviseur, notant son comportement agité, et je suis soulagé qu'elle se trouvera bientôt devant nous. Absorbé dans nos échanges, je ne prête plus attention jusqu'à ce qu'un bruit métallique soudain me coupe le souffle.

La camionnette a heurté notre voiture, poussant celle-ci avec une force inattendue. Un frisson d'effroi parcourt ma colonne vertébrale alors que l'impact secoue tout l'habitacle. Les cris d'Hannah résonnent, leur intensité ajoutant une dimension supplémentaire à la terreur qui s'empare de nous.

L'élan nous propulse en direction de la vallée, une descente vertigineuse s'ouvre devant nous. La camionnette, tel un spectre malveillant, nous pousse inexorablement vers le précipice. Mon cœur bat la chamade, chaque seconde qui me rapproche de ce précipice semble interminable. Notre voiture dévale la pente, emportée par la gravité. Le bruit du vent et des hurlements de détresse de ma femme, mêlés au grondement du moteur hors de contrôle, amplifie la cacophonie de l'horreur qui s'empare de moi.

Dans un fracas assourdissant, notre véhicule s'écrase contre un arbre. Elle se plie sous la force du choc, et ma tête heurte violemment le volant, m'envoyant dans un étourdissement momentané.

La douleur pulsante dans ma tête devient le triste refrain de cette scène, tandis que le silence qui suit l'accident enveloppe la voiture, maintenant transformée en un amas de tôle froissée. Le monde semble suspendu, figé dans le moment où la réalité cruelle de la collision s'impose, laissant dans son sillage une litanie d'incertitudes et de souffrances.

La tête reposant lourdement sur le volant, j'entreprends d'ouvrir les paupières, ne constatant la présence que d'un œil fonctionnel. Ma main s'élève automatiquement vers mon crâne, rencontrant un liquide poisseux qui parcourt la moitié de mon visage. Encore dans les vapes, je distingue Hannah assise à côté de moi, ses mains protectrices entourant son ventre arrondi. Elle demeure immobile, recouverte de sang et de blessures profondes. Mon cerveau engourdi note sans véritablement comprendre que la tête d'Hannah adopte un angle peu naturel.

À mes côtés, des pas écrasent les feuilles, et des murmures indistincts parviennent à mes oreilles. Péniblement, je tourne la tête, qui semble peser une tonne. Incapable de la relever, je reste là, appuyé sur le volant. Malgré ma vision floue, je discerne le dos large d'un homme près de la vitre conducteur. Il marmonne quelque chose, mais mon esprit refuse de le comprendre. Ma petite voix intérieure suggère qu'il s'agit probablement d'un sauveur providentiel, d'un automobiliste bienveillant qui passait dans les environs.

À aucun moment, l'idée ne me traverse l'esprit que cet individu serait peut-être le responsable de cet accident.

Après des secondes qui s'étirent comme des minutes, il se tourne enfin, dégainant quelque chose de métallique dans ma direction. Les lueurs du soleil, filtrant à travers les feuilles des arbres, illuminent l'objet, et je réalise que c'est une arme. Aucune peur ne m'envahit, la compréhension du danger peine à se frayer un chemin dans mon esprit.

De mon œil encore valide, je fixe le visage de l'homme. Ses traits sont profonds, marqués par la fatigue, son crâne rasé orné de tatouages, son regard gris écarquillé. Ces détails se rassemblent dans mon esprit, formant une reconnaissance qui résonne en moi.

Je le connais. Je le reconnais.

C'est Alex, un ancien ami du lycée.

Je reste là, impuissant, observant simplement. Mon cerveau, trop blessé, accepte cette sentence, reléguant l'arme au second plan.

Ses lèvres sèches bougent, formant des mots qui me frôlent. Aucun son ne sort de ma bouche, seul mon œil répond en clignant lentement.

Rien ne se produit pendant une éternité. La vallée demeure paisible, le soleil danse avec la verdure, quelques oiseaux reprennent leur chant après le tumulte de l'accident.

Puis retentit le coup de feu, l'exécution tant redoutée, me plongeant dans un néant sans fin, le tout enveloppé de la délicate fragrance de lavande.

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