Elle avait faim.

Elle ?

Ne devrais-je pas dire, il ?

Le papillon se mit à manger son cocon pour remplir son petit estomac. Après quelques secondes à peine, il perça la fine couche qui le séparait de l'extérieur et les rayons du soleil frappèrent ses ailes froissées de plein fouet. Il se sentait vivant, revitalisé.

Dans un étrange mouvement, il s'elança directement de sa branche pour découvrir les cieux. Il contra la bise d'abord en tangant avec difficultés, puis avec l'aisance et la grâce qu'il eusse eu si il avait toujours volé. Il admira autour de lui ses frères et soeurs qui sortaient eux aussi de la grande métamorphose. Il savait bien que sa vie dans ce corps serait brève et qu'il partirait dès qu'il aurait fécondé. Vivant l'instant présent, il tournoya dans le ciel jusqu'à dépasser la cime des grands chênes qui bordaient la jardinière où il avait passé les deux tiers de sa vie. Il parcourut des kilomètres en battant gracieusement ses grandes ailes bleues, se sentant puissant et grand face au monde en contrebas qui subissait de trop la gravité.

Champs, forêts, chaumières, villages et prés, il vola parmi les siens jusqu'à trouver une petite clairière pleine de fleurs juteuses et colorées. Il se posa sur l'une d'entre elle pour deguster son premier pollen au milieu des abeilles ; un joyeux festin.

Profitant de la vie comme jamais auparavant, il ne vit pas le grand filet vert s'abattre sur lui. Quelle ne fut pas sa surprise ! Il tenta de fuir en volant frénétiquement dans tous les sens, mais se heurta chaque fois contre la barrière de fines mailles.

Il était prit au piège.

De sa large main, un enfant dégagea le papillon transit d'effroi en refermant délicatement ses doigts sur ses ailes. Il était si grand pour l'insecte qu'une pression légèrement plus forte l'aurait réduit en bouillie.

"J'en ai eu un !" s'écria le petit garçon.

Son père somnolait sur le sol, au milieu d'une nappe de pique-nique. Il le rejoignit en sillonnant entre les fleurs, balotant ainsi le pauvre insecte qui pensait son heure venue. Pourtant quelques secondes plus tard, le papillon fut lâché dans une petite boîte transparente. Il reprit ses esprits et, l'espoir retrouvé, il fonça à plusieurs reprises contre le pexiglas avant de se laisser choir au sol épuisé.