I
Nous nous sommes mariés par un jour de printemps.
Nous avions attendu que l'hirondelle revienne. C'était le signe que l'on s'était donné.
La veille, l'hirondelle était revenue. Elle l'avait vue se poser sur sa fenêtre, un court instant, avant de s'envoler. Le ciel s'étirait déjà dans sa blancheur printanière et promettait les doux parfums envoûtants, les fresques ensorcelées du ballet des couleurs.
On s'était dit minuit. On s'était dit que lorsque sonnerait le jour nouveau, nous commencerions une nouvelle vie. On s'était promis la lune. On avait cru changer notre monde. C'était au printemps.
Nous nous sommes mariés par un jour de printemps.
Agathe avait le plus beau nom. On l'aimait parce qu'on ne pouvait que l'aimer, et de l'amour le plus fou. J'étais prêt à faire des folies pour elle. Elle le savait, elle m'aimait. Elle m'avait envoyé un message, la veille du jour où minuit avait sonné. Un doux message... Agathe savait se faire aimer. C'était écrit sur un papier épais, aux grains si doux qu'il suffisait de passer sa main pour frissonner. Elle avait écrit : "j'ai vu l'hirondelle". Pas un mot de plus... Elle aimait le mystère, mais un mystère délicat, qu'on comprenait avec cette joie profonde qui nous faisait garder le silence dans un souvenir ému. On comprenait qu'elle aimait, qu'elle était Agathe et qu'elle et moi, c'était...
Quand j'ai reçu le message, j'ai fermé ma cabane. Je n'ai rien pris, je n'avais rien à prendre. J'attendais ce moment depuis si longtemps que je suis sorti immédiatement, aller rêver ma dernière nuit sur la grève, sous le vent de printemps.
L'air était doux, l'hirondelle avait bien prédit. L'écume blanche de la mer venait lécher le sable blanc. Étendu, j'observais le paysage tranquille et les vagues qui venaient s'échouer à mes pieds. Je me laissais bercer. Une nuit, ma nuit, ma dernière nuit sur le sable solitaire.
Je regardais les mouettes qui me chantaient mon opéra. Spectacle privé, j'étais privilégié. L'une d'elle fondit brusquement sur les moutons ombrés et en arracha un poisson. J'observais le combat, déséquilibré. Le poisson se faisait dévorer.
Je ne me souviens plus comment se termina le combat. Je me réveillai au matin, le cœur creux, l'âme pleine du désir d'entrer dans le futur. J'avais fermé ma cabane, j'y avais enfermé toutes mes déceptions passées. Je ne voulais qu'aimer. Et l'amour s'écrit au présent, se rêve au futur, efface le passé dont il était absent.
Je n'ai pas pu tenir en place. J'avais le cœur qui faisait trop de bonds, qui voulait sauter les quelques heures qui me séparaient de minuit. Si le temps avait pu être comprimé, j'aurais acheté une fortune pour crever cette distance qui me séparait du bonheur.
Je suis allé sur la pointe pour fuir les masses qui venaient s'échouer sur les plages en vagues ininterrompues. J'attendais le futur avec une impatience telle que ces êtres informes encrassés dans leur présent confortable ne pouvaient me comprendre. Je préférais fuir leur regard et regarder le vent fuir à l'horizon au-dessus des moutons perlés aux nuances rêveuses.
Et minuit est tombé. J'attendais depuis longtemps sous sa fenêtre, sous la houppe féérique d'un saule dormeur. J'avais mis ma vareuse blanche et coiffé mon béret marine. Et elle ? Elle apparut dans sa petite robe blanche et son doux regard noir.
- Viens. Tu as tout ?
Elle tenait une petite valise, si petite que c'est à peine si je l'ai vue. Elle me sourit.
- Il y a un endroit où...
L'émotion me serra le cœur. J'oubliai ce que je disais et lui pris sa main en l'entraînant vivement à ma suite. Elle peinait à me suivre, mais je n'avais pas envie de ralentir : le futur nous attendait. Il y avait trop longtemps que je l'attendais. Je n'allais plus m'embarrasser d'une longue attente, fût-ce à ses côtés. On allait se marier.
Sans prêtre, sans mairie, sans ami, ni parents.
Je courais.
- Tu as vu ma robe ? Me dit-elle en s'arrêtant.
- Une fée. Les bois frémissent, tu entends ? Tu es une fée qui fais frémir les bois et danser les lucioles. Les lumières se reflètent dans les plis nacrés de ta robe.
Elle me regarda, regard doux, regard noir, regard ensorcelant et regard de sorcière. Qui ne tombe pas sous les charmes d'Agathe ?
- Où est-ce qu'on va ?
Je n'ai pas entendu sa question. Ou peut-être que je l'ai tue inconsciemment en voulant lui réserver la surprise. Déjà les bois se dégageaient, le vent ronflait plus fort et on entendait les vagues s'écraser sur la berge. Ébouriffés, nous nous arrêtâmes sans nous concerter, pour laisser à dame nature le temps d'émerveillement qui lui est dû. C'est une promesse ancienne : elle déploie ses efforts monstres pour nous révéler ses grâces et nous nous laissons en retour capturer par ce sentiment d'insignifiance et de contemplation.
- C'est beau, me dit Agathe.
- C'est là, lui répondis-je.
Nous n'avions tout au plus elle et moi que vingt ans.
Elle rit doucement. Peut-être la nervosité, le sentiment que la nuit s'apprête à recouvrir de son manteau lourd et pesant le passé qu'elle a traîné jusqu'ici. Le sentiment que la nuit l'épie, qu'elle attend le moment de saisir son butin et de précipiter la jeune fille dans un autre monde. Seconde à bascule. Paré à virer ?
- C'est là ?
Elle savait que c'était ici. Dame nature est là, en témoin. Les falaises sauvages n'accueillent que nos deux silhouettes perdues, prêtes à s'unir contre le monde et ses vastes étendues. Minuit a sonné. L'hirondelle est venue. Je lui tiens la main.
On vire de bord. Je fais briller deux alliances à la lumière de la lune. Et je murmure :
- Agathe, veux-tu me prendre pour époux ?
- Oui. Et toi, veux-tu me prendre pour épouse ?
- Oui.
On n'avait pas voulu se dire plus. Il suffisait de ces quelques mots volés au vent, confiés au vent, abandonnés au vent. C'est tout.
Mais un désir d'adieu brûlait nos coeurs d'enfant.
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