STELLAR II
Les démons nouvellement arrivés semblaient confiants. Ils prirent le temps d'épouser l'espace qui jusque là accueillaient les fuyards. Un homme au teint basané, balafré de la tempe au menton articula venimeux qu'ils les avaient enfin retrouvés. Ils comptaient tuer les plus vieux et garder les plus capables. Dieu seul savait ce qu'ils planifiaient pour femmes et enfants... Pourléchant de plaisir son glaive recourbé dentelé il grogna à l'attention de ses compères: « Amusez-vous mais la peau blanche là-bas est à moi. Tu vas danser ma belle. Ça va saigner et pas qu'un peu... » Arwin fut étonnée du contraste entre les pulsions primaires, manifestement sordides de cet homme et son élocution mesurée. Une habitude éprouvée de ce genre de forfanterie et une volonté de nuire assumée. Un monstre... Un nourrisson sans doute ébranlé par l'atmosphère pesante émit un cri strident et les belligérants se jetèrent les uns sur les autres. Contrairement à ce qu'ils avaient escomptés les assaillants se heurtèrent à une vraie résistance. Luttant pour leur vie les anciens esclaves faisaient montre d'une bravoure héroïque. Ils se défendaient aidés par les armes volées sur les dépouilles de leurs anciens geôliers. Arwin recula. Une peur si profonde s'empara d'elle que son corps entier se rigidifia comme gelé d'angoisse. Anders apparut et se dressant entre sa sœur et le molosse à la cicatrice fit mine de combattre. Il sortit un coutelas d'un de ses plis puis émis une moue menaçante. Devant le rire à peine contenu de l'ennemi il trembla. Ses genoux se touchaient de terreur mais l'épaisse couche de graisse qui les entouraient empêchait toute perception de ses gigotements. Un moment encore il lutta contre lui-même puis il finit par fuir misérablement, laissant derrière ses pantalons une traînée de pisse odorante. « Tu sens ? Ça sent la peur... » L'homme frétillait désormais d'impatience. Nanook instinctivement défendait le corps endormi d'Estfàn mais son grondement s'adressait à leur ennemi. Il s'élança sur ce dernier mais reçu un coup de garde de glaive sur la tempe suivi d'une pluie de savates. Malgré son courage et sa taille appréciable pour son jeune âge Nanook restait encore un ourson. Anéanti il gémissait en se léchant les pattes. Le gaillard en furie agrippa le poignet d'Arwin et la tira violemment contre son aine. Jouant avec sa lame il la passait et la repassait contre sa joue dégoulinante de sueur. Puis comme s'il n'y tenait plus il enfouit sa main dans ses jupons à la recherche de son intimité. « Non... Lâchez-moi. Immonde pourceau. Lâchez-moi ! »
Une gifle aussi cinglante que douloureuse envoya Arwin s'affaisser sur le sol caillouteux et dur. « Tu es mienne tu entends ? Cesse de geindre et livre-toi gentiment cela sera moins douloureux... » Désormais seuls ses yeux rougis par le plaisir s'avéraient identifiable dans la pénombre. Les entrailles d'Arwin s'ébattaient dans une ronde asphyxiée qui muselait dés lors ses cris muets. Elle criait, elle hurlait mais suffoquait de silence. Puis enfin il décida de la délivrer et commença à se défaire de son pantalon noirâtre. Gardant son glaive à la main il entreprit de sortir son atour inconvenant de sa main libre quand soudain il s'écroula sur lui même. D'abord sur les talons. Puis sa silhouette désarticulée laissa choir sa tête sur le torse, les genoux et enfin la poussière. Suivirent une dizaine de détonations coupant dans un sifflet le vent pourtant absent. Paw,paw, paw ! « Que se passe-t-il ? » Arwin remettant difficilement ses jupons relevait le chef incrédule. Leurs assaillants gisaient pour la plupart inertes. Le reste se faisait achever par les esclaves libres. C'est alors qu'Arwin prit conscience que son agresseur demeurait vivant. Frappé au niveau des chevilles, des épaules et des genoux. Vraisemblablement au niveau du bassin également. Puis elle apparut. Vision à la fois angélique et démoniaque. Le teint ténébreux, or foncé, les cheveux presque aussi blancs que les siens mais tirant vers un argent bleuté, les yeux chamois bronze, grande, élancée, puissante. Un manteau beige flottant dans la nuit la protégeait du regard et un long fusil d'une facture inconnue flanquait son côté droit. Une brindille au bec elle avança avec aplomb. Gratifiant ce violeur de circonstance d'un coup de botte dans la mâchoire elle le questionna. Qui était-il ? D'où venait-il et surtout que cherchait-il à ces pauvres âmes fuyantes ? Il grinça qu'il n'était qu'un mercenaire. Qu'ils avaient été généreusement rémunéré pour ramener cet imbécile qui dormait à Théves la ville des Vents. Mais qu'après tout il n'y avait guère de mal à prendre plaisir dans le travail. Surtout pour de simples esclaves en fuite et... « Arrrggghhhhhh ». Elle lui piétinait un poignet ensanglanté. « Et elle ? Ça fait partie du travail de chercher à déflorer une enfant ? Réponds-moi infect lâche ! »
Luttant pour répondre quelque chose de crédible il implora la pitié d'Arwin. Cette dernière, hagarde, se murait derrière un autisme bouleversé. Il trouva enfin : « Écoute tu sais ce que c'est, je... » Paw ! Paw ! Paw ! Trois coups de fusil plus tard une incohérente ombre défroquée dessinait inanimée une tache sale écarlate sur le sol sylvestre. Elle l'avait occis sans hésitation. La sauveuse se tourna vers Arwin : « Il faut partir. Vite ! » Réveillée de ce songe hideux Arwin harangua le groupe et les pressa. L'on porta Estfàn toujours prisonnier du dieu des songes. Nanook triste et boitillant, monta à la hauteur d'Arwin. Anders quand à lui reparût non sans se moucher régulièrement à l'aide de son bras bouffi. Le groupe se mit en marche après avoir éteint le feu du camp. Stellar s'inquiéta de l'état de la jeune jumelle. Puis elle demanda des précisions sur leurs objectifs immédiats tout en dirigeant le mouvement général vers la frontière. « Il nous faut gagner le Pays de Jun au plus vite afin de prévenir d'autres attaques. Je ne pense pas que ceux ou celles qui vous recherchent en resteront là... D'ailleurs que veulent-ils à cet homme ? » Silence. Ni Arwin ni le meneur des esclaves, le paciféen, n'en savaient rien. Pourquoi diable toutes ces personnes s'en prenaient-elles à Estfàn ? Mystère. Stellar considéra la situation dans son ensemble. Comme toujours elle prenait les bonne décisions et s'avérait réfléchie. Avant la frontière un certain nombre de pièges à mettre en place. Contourner les sentiers connus afin d'emprunter rivières, chemins escarpés et autres monts nuageux. La frontière du Pays de Jun s'avérait particulièrement riche en massif montagneux. C'est une chance. Ainsi pendant quelques jours s'évertuèrent-ils à camoufler leur passage, à endormir les pisteurs potentiels, à se terrer en épousant les dons paysagers de la nature mère. Stellar parlait peu. Pourtant une sensation étrange s'insinuait au cœur de sa solitude habituelle. Un attachement qu'elle croyait avoir oublié à jamais.
Perdue devant une chute d'eau splendide, laquelle mourait sur un lac d'un autre âge elle s'embruma de chimères... « Est-ce réellement le bon choix ? Tout me pousse à croire que non... Il sera toujours temps de changer d'avis néanmoins. » La main sur la hanche, l'autre tenant fermement son long fusil, son regard s'apparentait à celui d'un fauve. Lorsque cette fameuse nuit elle avait sauvé Arwin, un tout autre dessein animait sa lugubre marche nocturne. Quel ne fut pas son étonnement en se rendant compte que ses proies subissaient déjà la chasse d'une autre meute. Chiara... Tu crois pouvoir tout contrôler ? « Quelle stupidité. En envoyant tes sbires décérébrés tu n'as fait que me mettre des bâtons dans les roues. » Caressant le bois acajou de la crosse du fusil elle expira non sans lassitude. Elle savait bien au fond d'elle-même que le problème venait d'ailleurs. Ce n'était ni Chiara, ni Estfàn objet de son contrat, ni même ces mercenaires qui malgré leur grossièreté et leur instinct de rapt se bornaient à exécuter les ordres. Non. Ce qui la tracassait c'était elle. Lors que ce porc avait essayé de la violenter elle n'avait pu suivre son propre plan. Au lieu de les laisser se perdre en rapine puis de les éliminer tranquillement plus tard, elle n'avait pu taire son indignation et les avait occis les uns après les autres obéissant à une sorte de rage sourde, aveugle, assoiffée de meurtrière vengeance. Jamais elle n'avait perdu son calme légendaire. Cela en vaut-il la peine ? Troublée elle n'avait guère perçu les doux pas graciles. Preuve qu'elle était loin de son état normal. « Qui va là ?! » « Ce n'est que moi » murmura-t-on. En la découvrant à l'orée de ces arbres chatoyants animés de myriades de tons colorés, son cœur se serra si fort que son souffle se coupa un instant. Objet de ses doutes et de ses incertitudes, elle se présenta dans toute son ingénue pureté, dans son immaculée beauté : « C'est moi, Arwin ».
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