STELLAR I
Elle les observait à couvert. Pensant et ressassant son enfance. Toujours lorsqu'elle voyageait seule, et cela arrivait relativement souvent, elle voyait défiler contre son gré les affligeants souvenirs du passé. Stellar n'était guère femme à se lamenter sur son sort. Bien au contraire. Elle se démarquait du commun par une volonté et une ténacité farouches, doublées d'une intelligence hors paires. Attentive, silencieuse, réfléchie et par dessus tout excellente calculatrice. Dans un certain sens elle incarnait parfaitement son métier de tueuse... Oui tueuse. Et tuer, elle le faisait bien. Trop bien sans doute. Mais pas pour le plaisir. Pour l'argent. Simplement. Pas de sentiments, pas d'émois et autres états d'âme. Stellar prenait la vie comme vous exécuteriez n'importe laquelle de vos tâches quotidiennes. Avec une aisance certaine,fruit d'une expérience éprouvée par les ans.
Mais voilà. Malgré une bourse plus que remplie, car assassiner pouvait s'avérer commerce lucratif, elle ressentait un malaise profond. Plus les années passaient plus quelque chose semblait manquer. Mais quoi ? Elle n'eut su répondre distinctement à des préoccupations qu'elle s'efforçait de taire. Dissimulée dans la pénombre verdoyante de la forêt épaisse elle les traquait. Oh elle aurait pu tirer depuis longtemps. Mais quelque chose l'en empêchait. Elle avait pu apprécier ce spectacle somme toute émouvant. Des esclaves qui gagnaient leur liberté à la force des armes, dans la sueur et le sang. Un meneur étrange, possédé presque, qui d'un coup s'était transformé en défenseur des faibles et des opprimés. Défiant son propre destin il avait réussi l'exploit de mener une véritable révolte, délivrant les esclaves, prenant la vie des vendeurs de mort qui monnayaient femmes ou enfant à prix coûtant sans morale aucune. Puis ivre d'héroïsme le voilà ballotté sur cet ours de la taille d'un grand chien, stupide et désarticulé, à la merci de n'importe quel bon assassin. « Tu me le ramènes vivant tu entends !? Vivant ! » Et s'il se défend ? S'il met sa vie en jeu ? « Et bien tu la lui prends tueuse. Mais j'aimerai le garder pour moi. Donc ne me l'abîme pas trop... » Décidément les commanditaires l'étonnaient toujours. En proie à des émotions souvent contradictoires. Comment veux-tu que je le tue si je dois l'attraper vivant? La voilà bon gré mal gré en chasse. État qu'elle affectionnait particulièrement. Pourtant ses certitudes s'étaient vues légèrement contrariées par l'escapade héroïque... Deux adolescents accompagnaient toujours la cible. Jamais ne lui avait été donné de croiser tels individus. Cheveux blanc de neige, yeux violacés ou mauves, peau laiteuse et démarche altière... Humains oui. Mais de quel monde ? Quelle grâce, quelle beauté oubliée... Surtout elle. Un contraste violent déchirait ce qui probablement s'avérait une gémellité douloureuse. Le jeune homme rampait plus qu'il ne marchait, encombré dans son obésité flasque. Lors que la sœur flottait de petits pas agiles, graciles, sur le sol tamisés et feuillu des dessous de bois demetheriens.
Le Pays de Jun n'était guère qu'à quelques lieux désormais. Je le tue là ? Ou j'attends la nuit ? Vivant il me rapportera certainement plus... Elle opta pour la seconde solution et s'étonna à sourire en contemplant un joli tableau imaginaire. Que ferait le petit gros si d'aventure elle venait à prendre la jeune fille aussi ? « Pas grand chose le pauvre... » Se relevant elle replaça son superbe fusil travaillé d'armoiries et ciselé d'argent puis rejoignit les ombres. Le groupe avait improvisé un campement de fortune. Devant le feu crépitant Arwin priait les dieux bienveillants de Sinorjieva. Après tout n'avaient-ils pas permis leur escapade ? Ne leur avaient-ils pas fait don de la victoire ? N'avaient-ils pas envoyé l'étoile du nord pour les protéger ? Car qui pouvait être ce guerrier perdu, cette âme de souffrance providentielle sinon un combattant consenti par les dieux ? L'étoile du nord protectrice avait choisi son champion. Pas besoin d'être sinovien du reste. Les cieux seuls connaissaient l'issue de cette quête. Anders se sentait mal. Son ventre le faisait souffrir d'envie. L'odeur du charbon lui faisait monter la salive et avivait une faim pourtant congénitale chez lui. Il se tourna vers les anciens esclaves. Certains avaient réussi à attraper des rongeurs. Ils les dépeçaient en vue d'une grillade. Confus il s'était relevé malhabile traînant non sans crainte vers le chef des libérés. Ses yeux gloutons trahissaient une envie non maîtrisée, émanant du centre qui commandait tout son être : son abdomen. Pris de pitié ils l'invitèrent. Il avait beau avoir enduré le début d'une quête imposée par son peuple, et malgré les salissures de sa peau, les bleus sur ses avants bras, il demeurait évident que ce grassouillet de bonne famille se voyait perdu dans une aventure qui le dépassait et pour laquelle sa silhouette hypertrophiée devait fournir des efforts caloriques somme toute surhumains. « Avance. N'aie pas peur. Nous allons les roustir. » Sa lèvre supérieure se tordit dans une rencontre improbable entre un torve rictus et une sorte de sourire consternant. Croisant ses mains aux doigts épais il frétillait de contentement. « Merci ». Malgré sa gentillesse, certes intéressée, il ne pouvait s'empêcher de provoquer un dégoût, même léger, chez les gens.
Une fois la braise prête ils la partagèrent, lui offrant des parties plus charnues. Sensible à ce geste mais succombant à sa faim incontrôlable, il s'empara des os et les fourra dans son gosier en les broyant de plaisir. Puis comme plus personne ne se servait il arracha toutes les têtes des carcasses encore juteuses et les mâchouilla non sans délectation, éprouvant un plaisir puissant à aspirer les yeux, à avaler les cervelles et à sentir le cartilage éclater sous le coup de sa succion frénétique. Repus il ne l'était pas. Mais il ressentait tout de même la rude satisfaction du goût, le plaisir profond chez lui des arômes riches coulant au travers de son gosier inépuisable. « Merci » dit-il encore, la dentition pleine de chairs déchirées. Déjà il fallait rejoindre les couches de fortunes étendues à même le sol. La plupart se contentaient d'ailleurs de feuilles et autres fines branches à portée de main. Arwin lui offrit un regard las puis reprit ses méditations. Elle surveillait avec attention leur bienfaiteur. Elle veillait sur son corps endormi. Tu dois prendre des forces envoyé... Anders s'était rapproché tel l'animal craintif qu'il demeurait et blotti contre la jambe de sa sœur espéra trouver un sommeil réconfortant, bien qu'alourdi par son repas immédiat. Dans l'obscurité un bruit se fit entendre. Puis deux. Des hommes se parlaient à voix basse. Ils sembla à Arwin, seule éveillée à cette heure tardive, qu'ils échangeaient des directives. Elle bouscula plus qu'elle ne secoua son sauveur mais les blessures profondes l'empêchaient de bouger. Du reste son sommeil semblait attester d'une fatigue profonde, ancienne et insurmontable. Son cœurse mit à battre la chamade. Elle se releva d'un coup sec puis s'emparant de l'arc en ivoire toujours à disponibilité dans ses effets, elle le banda de tout ce que son être délicat était capable. Résultat moyen. Que n'ai-je la force des gardiens de Sinorjieva, pensa-t-elle amère. Mais déjà de sombres silhouettes armées se présentaient menaçantes. « Maudits ! ». Elle hurla de toutes ses forces. Les esclaves s'éveillèrent en sursaut et instinctivement se préparèrent à se battre. Même les plus jeunes. Telle une meute prête à faire preuve de toute la sauvagerie possible. Ils savaient intuitivement qu'il faudrait mettre leur vie en porte-à-faux pour espérer survivre...
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