NEIL III

Suite à son entrevue avec Cassandra, puis son combat d'escrime au sein de la grandiose salle d'arme de l'Université d'Ordia, Neil se voyait tourmenté par une seule image, un seul visage : celui de cette jeune femme aux cheveux lumineux baignés d'auburn reflets. À force de visualiser la silhouette svelte et les mouvements techniques de ce duel il s'abandonnait à son obsession. Tierce, coup droit, prises de fer... Non sans passion il revenait sur tous les points spécifiques de son combat. Et cela caractérisait particulièrement la nature de ce compétiteur né. D'abord car il se le devait en tant que militaire, devoir obligeait, mais également car cela le ravissait. Combattre, quoi d'autre ? Pourtant il fallait bien sacrifier au devoir autrement que par et pour des moments aussi triviaux, furent-il des plus ravissants. Déjà ses pas le ramenaient à l'Université, non celle de l'académie militaire, mais bien à la Haute Faculté des sciences d'Ordia. Là il devait rencontrer le célébrissime Duc de Bedford. Dirigé par un petit cortège de doctorants il pénétra dans le laboratoire du Professeur Bedford. À l'Université personne n'aurait songé à l'affubler de son titre de noblesse. Non sans annoncer le Capitaine des Faucons, les doctorants pénétrèrent l'espace quasi sacré dans lequel Damon menait ses recherches. L'effet que produisit ce lieu sur Neil fut des plus saisissant.

Sur trois ou quatre niveaux s'exprimait voluptueuse une sorte de bibliothèque circulaire dans un matériau qu'il n'aurait pu nommer mais qu'il identifia comme une sorte de bois collé de plusieurs couches. Des tables de travail ovoïdes épousaient le vide et s'enroulaient autour de la bibliothèque. Sur ces tables des plans, des schémas, des maquettes de toutes sortes. Aéronefs, avions, navires... Il crut discerner des croquis anthropomorphiques. De même éparpillés ça et là, des éléments métalliques mécaniques et cybernétiques. Le sérieux avec lequel les chercheurs, étudiants ou confirmés, s'adonnaient à leur intellectuel labeur contrastait avec l'évident chaos brossé par ce tableau des plus incongrus. Quand Damon s'aperçut de sa présence il le rejoignit immédiatement et non sans donner quelques ordres gesticulés, à grands pas, l'attira vers un salon à l'arrière de parois vitrées donnant directement sur l'espace de travail. Ce dernier se déployait à l'étage accentuant l'impression de hauteur du tout. « Vous avez fini par venir mon cher ! Alors que puis-je faire pour vous ? » Ah ce Damon... Il savait pertinemment la raison de sa présence. Pourtant, joueur, il ne résistait guère au plaisir perfide de le lui entendre dire. « Et bien cher Duc, si je suis ici c'est car j'ai grandement besoin de vos service. L'Empire a besoin de vous. » Attentif, voir même contenté, le Duc s'enfonça dans le cuir de son fauteuil. Les doigts tapotant les uns sur les autres, ses yeux semblaient défier son interlocuteurs tout en l'invitant à se répandre : « Continuez je vous prie ».

Alors Neil expliqua fort simplement ce qui le motivait. Son entrevue avec Cassandra, les récents événements survenus à Kimôto, la bataille du Pacifique, ses propres duels et surtout la défaite de Cassandra. Damon ne laissa rien paraître. Tout cela il le savait. Même si l'échec de la première princesse impériale avait soigneusement été caché, Damon provenait d'une des familles victoriennes les plus anciennes. Son clan s'avérait aussi illustre que celui de Victor ou même que le clan d'Arlénon. Et son réseau de renseignement se voulait aussi capable que son nom le lui permettait. « Cassandra a failli en mordant la poussière. Je le sais. » Il appuya son menton au creux de sa paume et pensif expira. Une contrariété imperceptible l'habilla. Neil s'en aperçut tout de même. Damon reprit : « Pourtant si mes informations sont exactes, et je crains qu'elles ne le soient, la lionne victorienne n'aurait guère pu faire grand œuvre devant l'éclat de ce Saviour. Vous qui avez été témoin de cette rixe vous le savez n'est-ce pas ? Le niveau de ces individus semble dépasser le commun... » Effectivement. Hochant le chef Neil expliqua combien pour lui le style et l'élégance de l'homme masqué, de tous ses hommes du restes, contrastait avec la nature de leurs revendications. Il décelait une forme aiguë de noblesse, un code d'honneur. À bien y réfléchir s'ils avaient voulu détruire l'île, au vu de l'étendue de leur attaque et des mois, voir des années nécessaires à sa préparation, quoi de plus simple ?

Au lieu de cela ils avaient en réalité opté pour un avertissement afin de mettre en scène leurs exigences au travers du désormais célèbre  discours libérateur de Saviour... « Une publicité du plus mauvais goût. Mais une publicité tout de même... » Damon avait soufflé ces mots non sans une pointe d'ironie caractéristique chez lui. Réajustant ses lunettes il sourit moqueur. Puis se relevant prestement il glissa sa main au dessus d'une console de bois laqué aux armoiries de son clan. Un hologramme fut projeté. Damon toussa au creux de son poing afin d'asseoir ses dire et commenta : « Devant vous mon cher Faucon mes derniers travaux. Ces derniers étant encore au stade de l'expérimentation nous pouvons dire que ce sont tous des prototypes. L'armée n'en a bien sûr pour l'instant guère ouïe dire... » Il sembla à Neil que l'œil de Damon s'élevait au dessus de ses verres malicieusement. Ce dernier reprit : « Leur usage ne pourra donc se faire qu'au travers d'un accord avec l'Université d'Ordia... Avec mon laboratoire pour être plus précis. » Neil aurait pu le dire, Damon jubilait. La simple idée d'un pied de nez à l'armée au travers de l'un de ses éléments les plus capables l'enchantait. « Des prototypes dites-vous ? » Damon se retourna et fixant le Faucon susurra : « Vous vous moquez bien de l'écueil de la première princesse impériale. De même que de la prééminence de Victoria. Oh bien sûr.. La mère-patrie fait partie de votre projet chevaleresque, mais pas comme cela... »

Neil observait sans sourciller. « Ce que vous voulez... C'est vous mesurez à l'homme masqué. Votre voie est celle du combat et elle ne peut être accomplie qu'en affrontant Saviour n'est-ce pas ? Vous êtes un fanatique cher Faucon, n'essayez pas de flouez mon intelligence raffinée. » Neil se trouva abasourdi. Il n'en laissa rien paraître pourtant. Damon était-il dans le vrai ? Était-ce réellement non pour l'Empire mais bien pour lui-même qu'il se trouvait là, à solliciter les connaissances de ce scientifique excentrique ? Ces objectifs étaient-ils opposés ? Non... Au contraire ils se rejoignaient. « Damon je ne partage pas tout de votre analyse, bien qu'il y ait beaucoup de vrai. Pour protéger l'Empire je me dois d'abattre Justice. Vaincre Saviour fait partie de cet objectif. Je ne choisis pas, j'assume le tout. » Damon gloussa. « Oui, oui. Le devoir militaire, tout ça. Je ne comprendrai jamais l'abrutissement obtus des militaires. Si vous voulez. Regardez plutôt ceci. » Alors Damon entra dans un exposé de ses recherches et d'un certain nombre de ses découvertes qu'il pourrait mettre au service des intérêts de Neil si ce dernier travaillait de façon indépendante avec le laboratoire. Damon exécrait l'armée dans laquelle pourtant son clan s'était démarqué au travers des âges. Neil accepta de bonne grâce. Dans la balance ce que proposait le Duc de Bedford l'emportait. Et de toutes les manières rien ne l'empêchait de travailler avec ce dernier tant qu'ils n'usaient guère de ces recherches officiellement.

Pourtant à mesure que défilaient sous ses yeux concentrés l'objet du discours continu de son allié circonstanciel, Neil repensait à l'homme masqué. Pourquoi l'obsédait-il autant ? Il n'avait guère perdu lui... Alors quoi ? Sentant qu'il perdait son interlocuteur Damon s'arrêta un bref instant. Puis concédant une pause il gagna la grosse console en bois laqué. De sous un nécessaire, il sortit une bouteille ovale d'un verre des plus transparent. Servant deux brandy couleur de chêne il emprunta pour la première fois une attitude détendue et bienveillante. Dans cette expression il sembla à Neil reconnaître les manières du penseur rouge : le Duc Phybraz d'Arlénon de Rubrum. Il partagea cette observation avec son interlocuteur. « Nous avons grandi ensemble. Et nous avons je peux le dire, une véritable amitié l'un en vers l'autre doublée d'une certaine admiration. » Amenant le précieux liquide à ses lèvres il commenta à l'intention de Neil : « Vous savez chevalier, il est coutume d'admirer ses amis. Mais ce que l'on s'avoue moins c'est l'admiration que nous portons à nos ennemis. Surtout les plus capables, les plus nobles... » Damon perçut les maxillaires de Neil se  durcir. Il se raidit. « Vous n'y aviez même pas songé n'est-ce pas ? Décidément vous êtes d'une simplicité analytique bien primaire vous autres soldats. » Nul plaisir cette fois-là.

Damon ne s'adressait pas réellement à Neil. Il réglait ses propres démons familiaux. Neil le savait et ne lui en tenait pas rigueur. Une révélation bien plus importante l'obsédait à ce moment-là. Son obsession pour Saviour provenait-elle réellement d'une forme sourde d'admiration ? S'émerveillait-il vraiment pour ce terroriste déloyal ? Si tel était le cas, pourquoi ? Pourquoi les dires de Damon l'affectaient-ils autant ? Il devait en avoir le cœur net. Et le seul moyen qu'il entrevoyait était effectivement de se comporter en Chevalier. Il lui fallait s'améliorer, trouver les failles chez son ennemi et s'entraîner. Damon reprit : « Je pressens que votre conclusion se teint de bravoure et d'exploits de bataille. Est-ce là votre réponse à vos maux ? » Se relevant afin de se rapprocher de l'hologramme projeté Neil contemplatif répondit inflexible : « Il n'en a jamais été autrement. Et il ne saurait en être autrement. » Admiratif à son tour devant tant de détermination, Damon se rapprocha également et débuta alors une collaboration dont la nature aurait des répercutions significatives sur les événements à venir. Répercutions dont nos deux amis ignoraient encore et la portée, et la signification futures...

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