CASSANDRA II
Du haut de son navire céleste Cassandra s'apprêtait à rejoindre la capitale d'Ordia. La boule au ventre et les poings crispés. Elle éprouvait une colère rare mêlée à une tristesse ambiguë, sournoise, inavouable. Soufflant de fatigue elle tenta d'oublier. Pourtant le regard perdu dans les nuages qui s'étalaient devant son regard bleu enflammé d'or, elle ne put s'affranchir de revivre son entretien avec sa sœur. Elle avait rejoint Eleanor dés son entrevue avec la Reine-mère terminée. Cherchant le réconfort au près de sa petite sœur, laquelle séjournait dans la ville qui s'étendaient autour du centre historique d'Oldon. "Pour prendre un peu de distance par rapport à leur grand-mère", avait précisé la cadette. De la distance ? Mais pourquoi enfin ? Le tableau se peignait à mesure qu'elle dessinait les contours de ces souvenirs récents... Calme, relâchée sa petite sœur buvait une tasse de thé. Oh pas du leur. Ça non. Elle buvait ce thé du Pacifique, certes agréable mais en rien comparable à ceux qu'ils faisaient venir à grands frais des terres d'Elefteria. Mais peu importait, après les étonnantes mises en garde d'Ivory le bonheur de voir son sang effaçait toutes angoisses. « Eleanor... Raison de mon existence viens donc que je t'embrasse. » Cassandra s'avérait méconnaissable avec sa sœur. Bien sûr leur séjour au Pacifique les avait bousculées et il y avait eut des querelles. Elle le concédait. Mais Eleanor demeurait tout ce qu'elle possédait. Et puis avec Justice, avec ce maudit Saviour... L'heure n'était plus aux joutes stupides. Sa sœur le comprenait. Elle y voyait une évidence. Dans cette étreinte pourtant elle remarqua quelque chose d'inhabituel. Elle n'aurait su dire quoi. Ou même comment ? Qu'avait sa sœur ? Que se passait-il ? D'où venait ce malaise perceptible ? Eleanor pourtant assura que tout allait pour le mieux, qu'elle se reposait. Les combats violents de Kimôto lui intimaient de la tranquillité. Du reste elle était bien aise que sa grande sœur ait pu récupérer aussi promptement. Surtout avec les blessures qu'elles avaient subies...
Certes Cassandra avait été durement meurtrie, battue par le champion des terroristes. Et elle lui devait la vie car, malgré sa victoire le chef des révolutionnaires avait sciemment évité tout point vital. Il l'avait suffisamment insultée en le lui signifiant par ailleurs. Cette seule réalité éveilla un courroux jusque là muet. Elle tenta pourtant d'abîmer sa colère dans la profondeur de l'amour porté pour sa cadette. « Tu as raison. Les médecins de Victoria sont vraiment les meilleurs du monde. Me voici apte et alerte après seulement quelques semaines... » Eleanor acquiesça puis reporta la tasse à ses lèvres. Tout est normal... Alors pourquoi ? Oui tout semblait étonnamment ancré dans une normalité canonique. Pourtant Cassandra se voyait agacée. Contrariée. Sa sœur... Ses manières, son élocution, sa tenue, son attitude. Elle ne trouvait guère ses atours inhabituels. Une robe en tulipe renversée. Pourtant quelque chose de plus sobre, de moins impérial dans l'ensemble de sa toilette. Une robe. Oui. Mais quoi ? « Eleanor je suis venue te voir car nous devons nous entretenir de la position de Victoria dorénavant. Nous ne pouvons laisser le monde en proie aux folles divagations d'êtres abjects tels que Saviour. » Eleanor s'abreuva encore. « Il est donc du devoir de la famille impériale de montrer l'exemple. Nous devons nous regrouper, nous affirmer, nous soutenir. » Une autre gorgée engloutie. « Tu m'écoutes ? » Le ton montait. Eleanor détachée au possible affecta un sourire bienveillant et s'inquiéta : « Je t'écoute Cassandra. Te sentirais-tu mal ? » Point serré l'aînée ne put s'empêcher un coup de talon. Le sol douloureux émit quelques échos... « Je te parle de l'avenir de la Mère-patrie ! A quoi penses-tu bon sang ? » Eleanor se releva. Perdue devant les orangers d'Oldon, ceux qui embellissaient la ville à chaque période estivale. Elle en huma les effluves parcourant la ville. « Tu sais chère sœur. J'ai perdu beaucoup d'amis, de condisciples, ma rivale... » Cassandra décontenancée, horrifiée même, voulut revenir sur cette rivalité affective suggérée mais Eleanor poursuivit : « Qu'as-tu perdu ma sœur lors de cette bataille hormis ton renom ? »
La lionne se raidit : « Que dis-tu ? Alors toi aussi tu penses que je ne cherche qu'à redorer le blason de... » Avec une douceur insoupçonnée Eleanor lui coupa pourtant la parole : « Je le crois oui. Mais je sais aussi ma sœur que tu es bien d'autres choses encore... A part te gorger de notre sororité qu'es-tu venue me dire ? » Cassandra décida de jouer carte sur table. Eleanor devinait juste. Elle venait lui demander de rentrer. Le jeu touchait à sa fin. L'on ne pouvait plus se permettre qu'une princesse victorienne s'amusât à la Faculté Universelle en ces temps ô combien troubles. Elle pourrait gagner n'importe laquelle des universités victoriennes. L'Ordre du lion pourrait participer à ses recherches. Elle convaincrait l'Empereur de lui allouer des bourses d'études conséquentes ! « Tu dois rentrer... Il en va de l'équilibre des nations. Nous sommes un symbole ! Tu le sais... » Eleanor la reprit méthodiquement. « C'est donc cela. Dois-je rentrer ? Ou vais-je rentrer ? C'est un ordre première princesse de l'Empire ? » Mais qu'on lui rendît sa sœur enfin ! Que signifiait tant d'effronterie ? « Eleanor je sais que désormais tes choix t'appartiennent et que tu entends prendre ton destin en main. Mais il ne s'agit nullement de ta petite personne... » Eleanor trancha encore : « Non. Il s'agit pourtant de ta grandeur. » Un pas, un recul. Cassandra toucha machinalement le pommeau de Lionheart. Pourtant elle ré-freina cette folie. Mains jointe derrière le dos Eleanor expliqua non sans lassitude qu'elle ne rentrerait pas. Mais que sa sœur était dans le vrai. Il ne s'agissait effectivement pas de leurs petites personnes... L'empoignant et subissant pour la seconde fois une rixe verbale de front, la lionne victorienne la retourna sèchement: « Tu sembles ne pas me comprendre. Ton avis ne compte pas. Tu rentres à Victoria. » Eleanor précisa quelle y séjournait déjà. « Tu restes. Grand-mère me soutient. J'aurai la Chambre avec moi. » Eleanor persifla : « Pour te venger ? » Cassandra de s'insurger : « Pour te protéger jeune sotte ingrate ! » Pourquoi croyait-elle qu'elle se battît ? Elle n'était qu'une étudiante après tout. Il serait aisé de la contraindre! Alors Eleanor s'échappa de l'étreinte fraternelle avec une aisance qui perturba l'aînée. Pas le moins du monde entamée par la fureur de cette dernière, la cadette de nouveau souffla. Mais cette fois-ci un dédain palpable habilla son expiration :
- Cassandra ma sœur tu ne comprends pas.
- C'est toi qui ne comprends pas ! Ta petite escapade butée touche malheureusement à sa fin!!
Cette débauche de menaces s'avérait douloureuse pour Cassandra. Eleanor représentait ce qu'elle chérissait le plus au monde. Devoir en arriver à ces extrémités la meurtrissait:
- Cassandra je suis une apprentie du Temple de l'Eau. Je serai un jour Magistère.
- Tu... Tu n'es pas sérieuse?
- Je suis l'apprentie du Médecin-Magistère Serenity Teva.
La première princesse de l'Empire s'étouffait. Cette information parcourait son corps de l'échine à ses orteils en brutalisant tout son système nerveux. Chiens de Magistères... Elle avait remporté la partie face à Ivory facilement. Trop facilement. Sans doute cette dernière savait. Qu'ignorait-elle ? Voilà pourquoi la soutenait-elle. Pour équilibrer. Comme toujours. « N'espère pas gagner ta sotte de sœur a-t-elle dit. » Maudite... Les Magistères gagnaient. Il ne servait à rien de se répandre. S'en prendre à un Magistère c'était s'en prendre à l'île de Kimôto elle-même et donc au Pacifique. Tout à coup Cassandra reprit ses esprits. Sa sœur serait sans doute Magistère mais elle-même demeurait la première princesse de l'Empire, prétendante principale au trône, cheffe incontestée des Chevaliers de l'Ordre du Lion, Vice-Reine de la province annexée de Parnéa et enfin elle était auréolée du titre de Dominateur. Se raidissant elle murmura froidement : « Bien. Si c'est cela que tu veux. Ne te plains pas plus tard, apprentie-Magistère... » Avec une rigueur toute martiale Cassandra disparut sans même prendre congé, sans embrasser sa sœur. Oh... Bien sûr elle souffrait. Mais l'amertume, la sensation de trahison, de rejet, l'emportaient. En retrouvant ses hommes et en pénétrant au sein de son vaisseau amiral, le Leo II, elle réalisa quelque chose. Une sorte d'évidence. Eleanor aurait beau gesticuler chez les Magistères il suffisait de vaincre Saviour et de ramener la paix au sein des Neuf grands Pays. Grâce à Ivory l'assemblée des représentant, la Cuve comme l'on disait, la soutiendrait. Elle aurait ainsi le soutien de l'armée. Et ce faisant qui pourrait lui résister ? Bien assez tôt son influence grandissante la porterait tout en haut... Tu ne t'échapperas pas ma sœur. Que tu le veuilles ou non tu obéiras à ton sang. Au fond peu importait la manière. Commander et tout obtenir. Par la force. Comme toujours... Elle perpétuait ainsi le destin de sa famille, l'œuvre violente et grandiose de sa famille illustre : Le sanglant clan victorien.
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