CASSANDRA I
Là voilà de nouveau à Oldon. Et de nouveau elle devrait passer tous les postes de garde avant de pouvoir enfin se retrouver en face de la Reine-mère Ivory. Cette dernière l'avait reçue promptement. Il fallait dire que les Neuf Grands Pays, et mêmes les plus petits, se voyaient en émoi après ce qui désormais serait dénommé comme la Bataille du Pacifique. Et d'une certaine façon le simple fait d'y avoir participé suffisait à auréoler de gloire le moindre soudard. Alors une princesse impériale... Qui plus était, la réalité de sa défaite cuisante face à Saviour avait été for stratégiquement tue. En effet à part les plus proches membres de l'Ordre du Lion et certains éminents individus présents lors des affrontements sur l'île des Magistères, personne n'imaginait que Cassandra de Victoria mordît la poussière. Certes avait-elle combattu et avait refusé de se soumettre. Mais elle avait perdu. J'ai été lamentable... Elle se grattait machinalement et frénétiquement l'avant cuisse. Déjà on l'introduisait. Ivory comme à l'accoutumée se promenait avec sa cour. Insupportable colonie de gloussements et de glapissements féminins que Cassandra portait en horreur. Ces dames de compagnie, ces femmes de cours incarnaient ce qu'elle méprisait le plus au monde. Toute sa vie avait consisté à éviter un destin similaire. Bouillonnante elle foula non sans plaisir le jardin des althéas. Elle en huma la fragrance enchantée et se remémora son enfance. Comment pénétrer là sans penser à Eleanor ? Impossible. Enfin elle dirigea son sillon vers sa grand-mère. Cette dernière remercia ses amies circonstancielles et invita sa petite-fille sous la rotonde la plus proche. « Te voilà. Je vois avec plaisir que ta défaite cuisante n'a en rien entamé ta superbe naturelle mon enfant. Je reconnais bien là le Lion de Victor ! » Avant même que Cassandra ne lui demandât quoi que ce fut Ivory la diminuait. Pas d'apitoiements larmoyants et autres caresses. On lui signifiait tout de go qu'elle avait failli. Qu'elle avait perdu. Il ne fallait surtout pas imaginer que sa dernière sentence évoquant le sang victorien fut destiné à la rassurer. Une simple autre manière de me rappeler mon exceptionnelle ascendance. « Bonjour grand-mère. »
Ivory hocha imperceptiblement le chef. « Que me vaut donc cette visite ? Tu as bien à faire je suppose. Qu'attends-tu de ton aïeule ? » Cassandra prit un siège elle aussi. Puis rabattant une jambe sur l'autre elle s'exprima : « Ma très chère grand-mère vous n'êtes pas sans savoir que j'ai affronté en personne le meneur de cette calamité : Saviour. » Ivory ne sourcilla guère. Sa petite-fille poursuivit : « Malgré le dénouement difficile de ce combat ce fut sans doute une chance. » Son interlocutrice fronça les sourcils. « Car ce que vous ignorez certainement c'est qu'aussi abject que cela puisse paraître ce Saviour n'ignorait rien de notre clan, de nos manières, de nos coutumes. Il a pu me réciter par cœur les préceptes et les devises de notre famille et... » Ivory trancha. N'importe qui pouvait apprendre par cœur ces phrases toutes faites qui décoraient la légende de la famille impériale. « Certes grand-mère... Néanmoins il y avait chez lui autre chose. Un vrai besoin de m'humilier, de condamner et surtout de combattre nos idéaux. J'ai ressenti de la haine envers le clan victorien. Je suis quasi certaine qu'il m'a laissée la vie sauve afin que je rapporte ceci. A vous ou à père... » Alors pour la première fois depuis des années Cassandra lut quelque chose qui s'apparentait à de l'appréhension dans le regard d'Ivory. Un clignement subtil et indiscernable pour le commun des mortels. Mais pas pour Casandra. Une ride se dessina et Ivory s'inquiéta : « De la haine envers notre clan dis-tu ? Mais encore ? Saurais-tu dire quel âge avait ce Saviour ? » Cassandra répondit par l'affirmative concernant la position de son adversaire vis à vis de la famille au pouvoir. Néanmoins son masque semblait déformer sa voix. Elle n'aurait puis lui donner d'âge. « Bien... Ce sont des informations qu'il te faudra garder Cassandra. N'en avertis que l'Empereur. Et... » Elle se releva en proie à une concentration rare : « Se pourrait-il que cette personne nous connaisse ? Non. Cela me paraît peu probable. Qui ? Les ennemis du clan victorien ont été pour la plupart éliminés ou enfermés... Qui ? » Ses pas rapides et contrariés emplissaient de vibrations la timide rotonde. Puis fixant les althéas elle lâcha venimeuse : « Ou alors certains auraient survécu ? Il est vrai qu'à bien des égards ton père a manqué de discernement il y a quelques années. Pourquoi n'ai-je été plus dure lors de ces purges... Le drame qui en a suivi lui est imputable. Jamais vous n'auriez perdu votre mère si... »
Mais Ivory se reprit. Elle prit tendrement la main de Cassandra s'excusant de penser à voix haute. Elle ne voulait en rien lui remémorer des évènements difficiles. « Pardonne-moi. Cherchant nos ennemis j'en oublie vos blessures à ta sœur et à toi-même. Nous trouverons ne t'inquiète pas. Qu'as-tu en tête ? » Cassandra en avait la gorge nouée. Où voulait-elle en venir ? Avec Ivory l'on ne savait jamais. Sincérité ? Information offerte ? Empathie ? Une chose s'avérait certaine dés lors, les événements récents avaient peut-être une explication dans le passé de la maison impériale. Il lui faudrait chercher. Mais pour l'heure il lui fallait aussi tout mettre en œuvre pour combattre Justice. Elle traquerait et attraperait ce maudit Saviour. Il paierait au centuple son humiliation et elle réduirait à néants les espoirs illusoires de ces infâmes terroristes. Pour cela il faudrait le soutien de la Chambre et de son aile conservatrice : Bygone. Il était de notoriété publique que même sans y siéger Ivory influençait dans l'ombre cette branche regroupant les représentant des clans les plus anciens et les plus imperméables au changement. Même si le Duc Phybraz d'Arlénon et le capitaine de l'Ordre du Faucon Neil Highwind avaient participé à l'Attaque de Kimôto, jamais ils n'auraient le courage de prendre les décisions que la situation imposait. Moi si. Elle expliqua donc qu'elle comptait faire voter à la chambre une décision importante consistant à mettre à sa disposition les moyens de détruire Justice. « Je ne peux mobiliser seule l'armée. L'Ordre du Lion ne peut seul lutter contre des forces aussi organisées et dont nous ignorons tout des ramifications. Par ailleurs je... » « Tu espères donc que la Chambre majoritairement vote des mesures spécifiques. Ainsi non seulement ton Ordre mais également ceux qui paraîtront les plus aptes à traquer ces terroristes seront réunis sous la même bannière. Idéalement la tienne. C'est bien cela ? » Cassandra se courba quelque peu. « Et pour cela tu as besoin de mon autorité sur les clans les plus vieux. Effectivement une majorité de progressistes ne le sont finalement pas assez pour renoncer à leurs passe-droits nobiliaires... Ton plan n'est pas mauvais Cassandra. »
Ivory promit donc son soutien. Cassandra en fut aise. Elle remercia non sans y mettre les formes protocolaires, ce qui - elle le savait pertinemment - contentait profondément la Reine-mère. Puis elle s'autorisa à prendre congé. Pourtant alors qu'elle quittait la rotonde la génitrice du souverain l'apostropha : « Cassandra mon enfant... Je t'aide cette fois-ci. Non que je tienne particulièrement à ce que tu mènes tout cela à bien. Mais je pense surtout à l'avenir de notre maison. » Cassandra se retourna pleine de questionnements. « Contrairement à toi. » La voix de l'aïeule se voulait cassante, brutale, pénétrante : « Tu es un monstre d'égoïsme et d'apitoiement. Ne pense pas un seul instant que je sois dupe, tu ne cherches qu'à te venger et à laver un honneur par trop personnel. Tu cherches les raisons de reconstruire ton ego brisé. » Ses yeux se firent plus froids qu'ils ne l'étaient de coutume puis telle la lionne qu'elle aussi incarnait, se déchaîna tempétueuse : « Il te faudra te comporter un peu plus comme une princesse impériale et moins comme une enfant vexée si tu tiens à conserver mon aval. Par ailleurs n'espère pas non plus te rallier ta sotte de petite sœur ainsi. Bien au contraire... Maintenant va et ne t'avise pas de me décevoir enfant. Jamais. » Cassandra n'en croyait pas ses oreilles. Voilà donc qui était la Reine-mère. Toujours elle avait eu le sentiment de faire au moins jeu égal avec cette dernière. Elle comprenait ce jour qu'elle n'était qu'une marionnette. Comment rivaliser avec cette femme qui avait tout vu depuis des dizaines d'années et qui avait régner sur Victoria, et donc sur le monde, pendant tout ce temps ? Pourtant elle devait le détruire... Quoi qu'il m'en coûte tu mourras par ma main Saviour. Des sueurs froides parcouraient son échine. Elle se demandait si Ivory ignora quoi que ce fut du devenir des Neuf Pays. Puis passant sa main dans ses cheveux auburn aux reflets blondissant elle ne put s'empêcher de considérer que cette entrevue demeurait une victoire. Elle trouverait l'aval de la Chambre. Elle prendrait sa revanche. Et quoi que tu en dises grand-mère je redorerai mon blason déchiré par ces traîtres. Une fois cela fait je te ramènerai à la mère-patrie Eleanor. Sur notre sang léonin je le jure. Traversant le dernier des postes de garde d'Oldon la splendide, elle s'arrêta et contempla les vergers qui tapissaient les berges du Timeze. La floraison neigeuse des arbres fruitiers sous le soleil d'été, et notamment celle des orangers, la ravit. Humant les effluves qui s'en dégageaient elle murmura rassérénée : « L'amour que je te porte ne s'éteindra jamais Eleanor. Même dans la mort. Même après la mort... »
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