ARWIN II
Mexus le bien nommé ricana comme de coutume et en quelques minutes il reparut armé d'une sorte de bagage en cuir. Ce dernier recevait un cadenas finement ouvragé, gravé de lignes rondes. Un nuage protégeant une lune, pensa Arwin. Une bonne heure plus tard ils étaient tous là. Estfàn râlait de douleur, ballotté sur Nanook. Les blessures se rouvraient facilement. Il délirait sous la fièvre. On le plaça sous un pêcher. Alors l'homme à la toge apposa ses mains jointes sur les plaies. Il inspira profondément puis expirant dégagea une sorte d'énergie verdâtre. Son souffle enveloppait tout le corps du malade. Il répéta l'opération une bonne dizaine de fois. Puis prépara une mélasse sucrée avec les pêches du verger, il y rajouta des drogues sorties de son nécessaire mis à disposition par Mexus. Ce dernier dévorait avide de détails tous les gestes du maître. Enfin il souffla de manière plus franche : « Huuuuuooooooo... » Une lumière jaunâtre irradiait d'Estfàn. Puis elle disparut. « Qu'il se repose. Il est tiré d'affaire rassurez-vous. » Incrédule Arwin s'approcha et elle put dévoiler les blessures cicatrisées en relevant les langes protégeant les plaies. Son regard à l'intention du maître s'emplissait de larmes reconnaissantes. Se jetant à son coup elle lui rendit grâce avec force démonstration. « Ce n'est rien... Il lui caressa les cheveux affectueusement puis d'un mouvement commanda à Mexus de ranger ses affaires. » Quelle prestance... Stellar avait beau se murer de défiance, elle devait accorder à cet homme des talents exceptionnels. Lorsque le malade put enfin parler il remercia également le maître puis fut invité à se nourrir de ces fruits que d'aucuns considéraient déjà comme divins. Arwin s'inquiéta de savoir qui il était ? D'où tenait-il une connaissance si poussée en matière de médecine et également sur le destin du monde ? Nonchalamment Stellar s'adossa contre un tronc à la circonférence épaisse. Elle attendait dubitative des réponses convaincantes.
Les main jointes dans le dos l'homme formula ceci : « Jeunes... Vous êtes si jeunes. Qui suis-je ? Cela n'a guère d'importance. Où ai-je acquis un tel niveau de maîtrise ? Cela non plus... Ce n'est guère important. » Il regarda le ciel luminescent parcouru d'étoiles aux scintillements divers : « Voyez-vous là ? C'est l'étoile du Nord. Là encore celle du Sud... » Il lança un regard amusé vers Stellar : « Vous cherchez à raison celles du changement. Elles sont apparues... Mais ne brillent guère encore de tout leur feu. » Arwin s'avança : « Mais où ? Où sont-elles ? Comment les trouver ? » Il marcha encore puis sentencieux il asséna : « Alors que vous fuyiez savez-vous que Kimôto a été attaquée ? La République du Pacifique a été entamée par des forces jusqu'alors inconnues... La première princesse de l'Empire Cassandra a été défaite et... » Il sembla s'affaisser contrit. Une peine perceptible dans la voix il confia encore : « Et le plus grand des Magistères, le doyen est décédé. Il a succombé aux coups de l'ennemi en défendant l'île au péril de sa vie. » L'homme était meurtri. Arwin désolée lui prit la main et Nanook se frotta contre sa toge. « Ce n'est rien. C'est là le devoir des protecteurs du Pacifique. » Une fierté véritable émanait de ces mots. Stellar déclara : « C'est donc cela ? Vous êtes un Magistère ! Et ce que nous avons pu observer tantôt est une démonstration de votre maîtrise du Pouvoir c'est bien cela ? » L'homme ne répondit guère. Il se contenta de hocher le menton imperceptiblement. Tout prenait sens. Stellar remercia les dieux, si tenté qu'ils existassent, et présenta des excuses pour avoir douté... L'on ne croisait pas un Magistère tous les jours. Leurs capacités sont véritablement troublantes. Je n'avais jamais été témoin de cela. Il fut décidé qu'ils reprendraient la route le lendemain, non sans s'entretenir encore avec leur bienfaiteur. Ce dernier prépara des fioles de drogues et des onguents de soins à prodiguer encore à Esftàn pendant quelques jours.
Arwin se voyait rassurée. Le long de son périple elle croisait des envoyés providentiels qui lui apportaient grande aide. Comment ne pas penser que les dieux veillaient et qu'ils croyaient en leur quête ? Pendant tout le temps de cette halte Anders avait brillé par son absence gloutonne. Occupé à se repaître des nombreux fruits à disposition dans cet extraordinaire verger le voilà désormais coincé derrière les buissons, prisonnier d'une diarrhée incontrôlée. « Mais par tous les diables dépêche-toi ! » Arwin ne le supportait plus. La personne énorme de son frère jurait complètement avec la grave noblesse de leur destinée. Pourtant en prenant congé Anders avait été apostrophé par le maître. « Anders c'est bien cela ? » Ce dernier avait opiné bêtement du chef: « Tu ne perçois pas encore ce qui est enfoui en toi mais ton étoile est puissante. Ta nature gigantesque est peu commune. Insatiable. Tu te réveilleras bientôt. » Alors qu'il déféquait dans un bruissement odorant immonde il se demanda ce que le maître avait bien pu vouloir dire. Se relevant en torchant son arrière-train avec des feuilles à disposition il cracha venimeux : « Peuvent-pas me lâcher ? Toujours à me sermonner. Je demande rien. Juste de quoi becter... ». La démarche lourde, évasive et chancelante il rejoignit la bande. Sous les ancestraux pêchers généreux le maître cueillait encore quelques fruits ça et là. Mexus malicieux, arrachant la peau d'une orange dérobée non loin à pleines dents, s'inquiéta pour la forme : « Pourquoi les avoir aidé maître ? Ça nous apporte quoi ? » Les yeux perdus Faith ne répondit pas immédiatement. Puis mettant un terme à son ouvrage il s'exprima d'une voix douce : « Certaines réalités nous dépassent mon bon Mexus. Certains futurs nous sont liés sans véritable dénouement autre que celui d'une destinée autrement plus large et immuable. Ces deux jumeaux ont un grand rôle à jouer. Un rôle qui, sur l'échelle de l'existence, dépasse peut-être même le notre. »
Mâchouillant avec humeur cette orange qu'il avalait avec les pépins, Mexus mastiqua férocement le dernier quartier juteux puis, sensible à l'acidité sucrée du fruit, susurra mauvais : « Oui... 'Fin une chance quand même qu'on soit arrivé quelques jours avant et que vous ayez profité des propriétés des pêches du verger hein. 'Sque z'étiez quand même dans un triste état après le combat contre votre professeur et... » Il n'eut guère le temps de terminer. Avalant complètement ce qui lui restait entre ses doigts collants il se reprit sentant l'atmosphère se métamorphoser. La pénombre épousait la lumière et du sol de l'encre coulait épaisse comme le sang il l'aurait juré : « Reste à ta place serviteur. Je me repose. Cet endroit me sied mais je peux tout aussi bien nous renvoyer vers la dimension de ma noire demeure... » Instinctivement Mexus, genoux à terre, implora le pardon. Alors tout rentra dans l'ordre. « Bien. Voilà qui est mieux. Puisque tu sembles les apprécier ramène-donc de ces oranges. Et n'oublie-pas également les fleurs. Savais-tu que les fleurs d'oranger sauvage célèbrent la loyauté même dans la mort ? Ne me force pas à tester la véracité de ce proverbe mon cher Mexus Niholey: Hana tachibana! » Reculant, rampant serait plus juste, le visage collé au sol Mexus disparut dans la nature. Faith cueillit directement sur l'arbre une pêche jaune-orange et sans la peler la croqua hardiment. S'essuyant de la manche il murmura de manière inaudible : « Et dire que tu es mort professeur, sensei... Omi Taajukei le vénérable doyen des Magistères a trépassé par ma main. » Loin d'en éprouver du plaisir il resta là un moment, absent et perdu dans ses chimères.
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