Chapitre 10 : Quelques confidences
Quand elle se réveilla le lendemain matin, Lou sentit un poids lourd et chaud écrasé contre son dos. Elle mit un certain temps avant de se rendre compte qu'un bras était positionné au-dessus d'elle. Tristan... Cette image d'eux deux enlacés dans son lit la ramena immédiatement à « l'incident » de la veille, à ce qu'elle avait ressenti quand elle l'avait embrassé. Elle essaya de se persuader, en vain, que tout ça, c'était du cinéma pour convaincre les autres, mais son cœur lui répondit le contraire. Une bouffée d'angoisse la submergea : il fallait qu'elle s'éloigne de lui au plus vite.
Elle bougea doucement pour essayer de se dégager discrètement, mais Tristan grogna et ouvrit les yeux.
- Salut, dit-il sans bouger.
- Salut, répondit-elle. Désolée de t'avoir réveillé...
Il ne répondit rien, se contentant de la couvrir de son regard intense. Il brisa soudain le silence en disant :
- C'était bizarre hier, non ?
Embarrassée, Lou essaya d'éluder la question :
- La situation dans laquelle on se trouve est bizarre, non ?
Il soupira. Il n'était pas dupe...
- Est-ce que tu pourrais me lâcher maintenant ?, demanda-t-elle.
- Pourquoi ? On n'est pas bien là ?
Elle le regarda avec des yeux ronds avant de comprendre qu'il la taquinait. Elle répondit du tac au tac :
- Rassure-moi : ce que je sens contre ma cuisse, ce n'est pas ce à quoi je pense... ?
Ahuri par son audace, Tristan eut un mouvement de recul. Il se redressa en se justifiant :
- C'est physiologique ! Ça n'a rien à voir avec toi !
Elle ricana, fière d'elle, avant qu'il ne la talque à son tour. Il se leva et dit en la regardant droit dans les yeux.
- Parce que parfois tu penses à mon... ?
Il haussa un sourcil suggestif auquel elle répondit d'un air outré :
- Même pas en rêve !
Il se dirigea vers la salle de bain, mais s'arrêta avant d'y pénétrer.
- Dans mes rêves, tu es beaucoup moins habillée, Davis...
- La ferme, Dubois !, répliqua-t-elle, rouge comme une tomate.
Elle tenta de lui jeter un coussin à la figure, mais il referma la porte, hilare. Lou cacha son sourire sous les couvertures. Intérieurement, elle le remercia d'être parvenu à dérider ce moment plus que gênant.
Quand ils descendirent retrouver ses parents, il était presque midi. Ils dinèrent donc tous les quatre en devisant gaiement. Après le repas, Didier proposa un billard à Tristan ce qu'il accepta avec joie.
Lou sourit en voyant la bonne entente des deux hommes avant de se rappeler que dans quelques jours, elle n'existerait plus. Un vague à l'âme la surprit. Était-elle déçue à cette idée ? La fatigue sans doute. Il faut dire qu'ils étaient rentrés tard. Elle décida donc d'aller s'allonger un peu dans sa chambre.
Une heure plus tard, on frappa trois coups discrets à la porte.
- C'est moi, dit Tristan. Je peux entrer ?
- Oui, répondit-elle en vérifiant qu'elle était encore bien coiffée avant de se réprimander : ce n'était que Tristan, pas de quoi en faire tout un plat !
- Ca te dirait une petite ballade ?, lui proposa-t-il. Il y a du soleil aujourd'hui. Je me suis dit qu'on pourrait aller marcher sur la plage...
Elle chercha un chandail dans ses bagages pour l'accompagner pendant qu'il faisait le tour de la pièce. Il s'arrêta devant une photographie encadrée qui représentait la mer un jour de tempête.
- Je me souviens du jour où tu l'as prise..., commenta-t-il.
Elle le regarda, cherchant où il voulait en venir. Bien entendu, elle se souvenait elle aussi de ce jour-là... Ils se promenaient avec Nora et Lina quand la tempête avait éclaté. Les deux sœurs avaient voulu rentrer, mais elle avait refusé de les suivre. Armé de son seul appareil photo, elle souhaitait capturer l'âme de la tempête. Elle avait pris plusieurs photos, dont celle-là, qui était la plus réussie. Tristan était resté avec elle ; il craignait qu'il lui arrive quelque chose et avait fini par la trainer de force jusqu'au cabanon caché au fond de la propriété familiale. Ils étaient trempés comme des souches et s'étaient servis de vieilles couvertures pour se sécher. A l'époque, elle n'osait pas lui avouer ce qu'elle ressentait pour lui depuis des années. La promiscuité des lieux les avait rapprochés et ils s'étaient embrassés pour la première fois.
Elle chassa ce souvenir pour revenir au présent. Tristan était face à elle et guettait sa réaction.
- C'était dans une autre vie, finit-elle par déclarer.
Il soupira et demanda :
- Tu ne fais plus de photos ? Je me souviens qu'à l'époque on ne te voyait jamais sans ton appareil et tu parlais même de devenir photographe professionnelle.
- Je... j'ai un peu mis ça de côté depuis que...
Elle hésita avant de poursuivre :
- Depuis mon entrée à l'université...
Elle n'avait pas besoin d'en dire plus. Elle vit à son air blessé qu'il avait compris.
- Ok, tu es prête ? On peut y aller ?, s'enquit-il un peu trop sèchement.
Elle s'en voulut de lui reprocher encore aujourd'hui ce qui s'était passé il y a huit ans, mais c'était plus fort qu'elle. Elle se rappela soudain de quelque chose.
- Attends ! Je crois que...
Elle se précipita pour ouvrir le tiroir de son bureau et en sortit son vieil appareil. Elle appuya sur « on » et, miracle, il s'alluma.
- Maintenant, je suis prête !, dit-elle triomphante.
Quelques instants plus tard, ils avaient parcouru les quelques centaines de mètres qui les séparaient de la plage de Wissant et profitait maintenant de la brise glacée aux odeurs d'embrun en marchant dans le sable humide.
De son œil expert, Lou repérait çà et là de bons sujets à photographier. Les mains dans les poches, Tristan n'avait pas pipé un mot, absorbé par ses pensées. Elle tenta de le dérider un peu en courant quelques mètres devant lui.
- Souris, lui cria-t-elle en prenant un premier cliché.
Il fit la grimace.
- C'est dans la boite, se moqua-t-elle. Je compte bien l'afficher en grand dans l'entrée de « notre » appartement !
- Quoi !? Efface ça tout de suite ou je te jure que...
- Que quoi, Dubois ?
Il hésitait à répondre, mais Lou avait gagné car une lueur de défi venait de s'allumer dans son regard et un mince sourire détendit ses lèvres. Elle prit un nouveau cliché juste avant qu'il ne s'élance à sa poursuite. Surprise, Lou cria avant de se mettre à courir pour le fuir. Il eut tôt fait de la rattraper et ils s'étalèrent de tout leur long en riant comme des adolescents. Tristan la bloqua en pesant de tout son poids pour l'empêcher de faire le moindre mouvement.
- Tu vas effacer cette photo tout de suite !
- Sinon quoi ?
Il approcha dangereusement son visage et effleura de son nez le bout du sien ce qui lui déclencha une série de frissons incontrôlables. Il était si proche qu'elle le vit regarder sa bouche avec hésitation. Elle retint sa respiration et se surprit à fermer les yeux. Il lui murmura :
- Tu ne veux pas savoir ce que je serais capable de faire, Davis...
- Ok, c'est bon, je me rends. Promis, j'effacerai la photo.
- Tout de suite !
Elle fit apparaitre le cliché sur son écran et appuya sur la touche « supprimer » sous le regard satisfait du jeune homme qui la relâcha enfin. Elle frotta ses vêtements pleins de sable humide pendant qu'il s'asseyait à côté d'elle.
- Ça ne sert à rien ce que tu fais là, princesse, lui dit-il avant de se rendre compte qu'il avait à nouveau utilisé ce surnom. Désolé, je ne voulais pas dire ça...
Lou vit bien que ça lui avait échappé, mais elle se sentit blessée.
- Ce n'est rien, dit-elle en essayant de cacher les tristes souvenirs qui s'imposaient à elle.
- Pourquoi tu n'aimes pas qu'on t'appelle comme ça ?
Elle soupira, prit un bâton qui trainait là et pour éviter son regard, elle se mit à dessiner des formes disparates dans le sable avant de se mettre à parler :
- C'est le surnom qu'on m'a donné chez Davis Corporation. Papa a souhaité que je commence par les bases du métier et c'est vrai que j'apprends beaucoup, mais ce n'est pas tous les jours facile d'être la fille du grand patron... Non pas que je me plaigne de mon sort ! Mais bon, soit on me frotte la manche en espérant se faire bien voir par mon père, soit on m'insulte derrière mon dos pour une promotion que j'aurais obtenue grâce à mon statut de privilégiée. Je ne peux faire confiance à personne... à part Amandine que tu as déjà rencontrée.
- C'est vrai que ça ne doit pas être très gai, déclara Tristan avec compassion. Et Marc, dans tout ça ? Il travaille aussi pour ton père, non ?
Le visage de Lou se durcit pour ne pas faire voir au jeune homme à côté d'elle les blessures de son cœur.
- Je pensais qu'il était différent des autres lui aussi, mais il est bien pire !, affirma-t-elle.
Tristan n'ajouta rien, se contentant d'écouter d'une oreille attentive. Elle avait besoin d'en parler à quelqu'un, alors pourquoi pas lui ?
- Quand il est arrivé dans la boite, il ne paraissait pas savoir qui j'étais et ça m'a mise en confiance. Il se montrait charmant, m'aidait dans mes projets, me donnait des conseils... Quand il m'a invitée à déjeuner, puis à diner, j'étais déjà sous son charme... En plus de ça, mon père l'adorait, il lui voyait déjà un avenir prometteur dans l'entreprise. Je n'ai compris que récemment que tout était calculé.
- Comment ça ?
- Disons qu'il s'est servi de moi pour approcher mon père. Il a montré son vrai visage quand papa nous a mis en compétition avec d'autres sur un projet de pub pour un parfum de luxe. Celui qui décrocherait le contrat deviendrai directeur artistique. J'ai travaillé comme une malade sur mon projet et quand je suis parvenue au bout, je l'ai montré à Marc pour avoir son avis. Lui, il n'avait pas encore fini le sien, il avait du mal de trouver des idées et l'atmosphère était exécrable à l'appartement. Il a démoli chaque point du mien un par un... Il a fini en disant que de toute façon, c'était moi qui allais gagner même si j'étais nulle puisque j'étais la fille du patron. Je crois qu'il était jaloux, mais j'étais tellement déçue que je me suis retirée de la compétition pour lui laisser la place.
- Pff, c'est lui le gros nul !, commenta Tristan.
- Ce n'est pas le pire, attends... C'est le projet de Marc qui a finalement été retenu. Je l'ai félicité, évidemment, puis Amandine est venue me montrer la nouvelle affiche pour « Desire », le parfum. C'était, à peu de choses près, la mienne ! Ce connard m'avait volé mon idée !
- Il avait copié ton travail ? Et qu'est-ce que tu as fait ?
- J'ai voulu lui dire ma façon de penser. J'étais furieuse... Et puis... rien ne s'est passé comme prévu...
Elle éludait volontairement la partie de l'histoire la plus humiliante. Tristan sembla le sentir, mais ne fit aucun commentaire.
- Bref, j'étais tellement dégoûtée que j'ai claqué la porte de la boite et je suis partie de chez moi avec juste quelques affaires. Je ne savais pas où aller pour qu'il ne me retrouve pas, alors j'ai appelé Nora. Et voilà...
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