83. Le Mont Olympe
Le Second Empire n'est qu'une distraction. Un ralentissement imprévu. Avalon se déplace toujours dans la Galaxie. La rencontre d'autres civilisations est inévitable, et nous ne savons toujours pas ce qu'il en adviendra. Nous sommes déjà si peu maîtres de notre propre avenir.
Clodomir d'Embert, Journal
L'ombre d'une montagne tomba sur la pente abrupte qu'ils escaladaient à pied, et Lor, jusque-là écrasé par le soleil, se mit à avoir froid. Au début de leur ascension, il s'était félicité d'attacher des cristaux sous ses semelles et de modeler deux bâtons de marche, qui facilitaient l'effort de la montée ; mais son pouvoir de Sysade ne pouvait rien contre les alternances brutales de température.
« J'espère que tu sais où tu vas » lança-t-il à Aelys.
Les premiers jours, ils avaient emprunté des chemins balisés ; puis les panonceaux avaient progressivement disparu, et ils progressaient désormais tantôt entre les bois de pins et les rochers éclatés chauffés par le soleil. L'été venant juste de s'achever, les torrents étaient presque tous franchissables ; mais les vieux troncs d'arbre qui encombraient leurs lits creux témoignaient de la puissance qu'ils avaient au début de la fonte des neiges.
Sous les arbres, la terre poussiéreuse était recouverte d'un tapis de brindilles. D'infatigables écureuils y grignotaient des graines. À l'extérieur, Lor apercevait parfois un ours, un lynx ou un cerf qui grimpaient les pentes abruptes.
« Ça monte encore ? On ne va pas manquer d'air ? »
Des hordes de moucherons tournoyaient autour de son visage ; il souffla pour les faire partir.
« Le mont Olympe ne fait que trois mille mètres. On n'aura pas de problème. »
Aelys s'arrêta un instant pour étudier le paysage. Lor avait espéré qu'en grimpant sur les montagnes centrales d'Avalon, les Premiers Monts, ils aient vue sur l'ensemble du continent ; qu'il puisse pointer du doigt chaque ville où il avait posé ses bagages, de Hermegen à Vehjar. Mais il ne voyait rien d'autre que des montagnes, des vallées encombrées de pins, des prairies d'altitude, des lacs asséchés qui ne seraient alimentés qu'au printemps. Il s'en était rapidement lassé et comptait les jours en soupirant.
Chaque soir, lorsque les étoiles s'élevaient au-dessus du ciel, Aelys désignait du doigt un point presque invisible. Les astronomes d'Avalon devaient l'observer dans leurs lunettes, et l'avaient sans doute ajouté à la liste interminable des curiosités inexpliquées passées dans le ciel du monde errant. L'Étoile Rouge d'Auguste.
Il lui semblait qu'elle avait grossi et que sa couleur se faisait plus nette.
Fort heureusement, quand il finissait par s'endormir sous les étoiles, Lor ne rêvait pas d'une collision entre Avalon et l'Étoile, ni de la peste tombant en pluie mortelle d'un ciel teinté de rouge, mais de la moustache fabuleuse de Rafael Toledo.
Ils avaient croisé le commandant à mi-chemin des montagnes, alors que le Herméguénois, à la tête d'une improbable coalition humanitaire, descendait passer le balai à Istrecht. La ville suspendue, depuis l'effondrement du pont, vivait en effet un bouleversement équivalent à son épidémie de peste. Les anciens ingénieurs du Second Empire essayaient désespérément d'installer une sorte de téléphérique au-dessus du Ravin et n'avaient jusqu'à présent réussi qu'à tendre quelques cordes fragiles.
Les Paladins bloqués de l'autre côté ne survivraient pas l'hiver si on ne pouvait pas les approvisionner en vivres. Tandis que ses compagnies isolées de par Avalon se débandaient progressivement, la grande armée du Second Empire était assiégée, et ce, même en l'absence de force assiégeante – à l'exception d'un vieillard édenté assis sur le côté Nord du pont d'Istrecht, les jambes dans le vide, qui jetait des cailloux au côté Sud en rigolant.
Les importateurs et exportateurs, après s'être longuement regardés en chiens de faïence des deux côtés du Ravin, s'étaient tournés les uns vers Gormelo, les autres vers Nieuwlied, et s'étaient arrachés les cheveux en voyant les misérables navires de pêche sur lesquels reposait désormais tout leur négoce. Du reste, avant même que ses subordonnés n'arrivent à Nieuwlied, Toledo avait, d'un simple télégramme, racheté l'intégralité de la flottille au double du prix, pour le compte de la couronne de Hermegen.
Le commandant espérait sincèrement convaincre Aelys de les rejoindre. Il se moquait qu'elle fût ou non une véritable héritière ; Hermegen avait besoin d'installer dans la ville Nord un nouveau pouvoir royal. Aelys avait écouté ses arguments sans mot dire, tandis que Lor s'abîmait dans cette moustache, qui éveillait en lui des sentiments nouveaux.
Aelys avait réagi à son argumentaire avec un laconique « peut-être, je verrai », laissant Lor surpris, et même, embarrassé que l'on pût dire non à une telle moustache.
Ensuite, ils commencèrent l'ascension de l'Olympe. Sur les contreforts des montagnes d'Avalon, tous les bergers et les chasseurs qu'ils croisèrent leur dirent qu'ils faisaient fausse route ; si un ou deux excentriques du siècle passé avaient certainement eu l'idée saugrenue de planter un drapeau sur les sommets les plus élevés du continent, personne n'avait été encore assez stupide pour y construire un chalet.
Mais aux dires de Cheshire, c'était là qu'Auguste s'était rendu ; ils suivaient sa piste à une semaine d'intervalle, et le Nattvas apparaissait à Aelys presque toutes les nuits pour lui indiquer l'itinéraire.
« Moi qui me faisais une joie de dormir enfin dans un vrai lit, il me semble maintenant que ma vie n'est plus qu'une longue randonnée.
— Tu ne marches même pas » rétorqua Aelys.
Il est vrai qu'il flottait au-dessus du sol tel un esprit vengeur ; mais cela ne changeait rien au fait que sa chemise de lin, à son grand désespoir, empestait de nouveau la sueur rancie. Et de même que l'homme assoiffé aperçoit des mirages dans le désert, il arrivait parfois à Lor de surprendre, derrière les pentes grises d'un col, le sommet d'un hôtel imaginaire, perdu au milieu des montagnes, dont la façade bleu pâle comme une robe de printemps lui promettait un bain chaud et des biscuits.
« Sinon, comment va ton bras ? »
Aelys fit quelques mouvements. Sa main droite répondait normalement, mais l'entaille d'Eldritch et la morsure du corbeau étaient toujours présentes, sous un épais bandage. Les gestes trop brusques pouvaient casser ses points de suture, et son bras n'avait plus la force nécessaire pour porter une arme. Elle se rabattait donc sur sa main gauche, sur sa dague, et sur l'enseignement de Maïa.
Lor, malgré le fait qu'il se déplaçait comme un angelot flottant sur un nuage, se laissait parfois distancer par la jeune femme. Il regardait les paysages en regrettant de ne pas disposer d'un appareil photographique. Il aurait pu prendre d'excellents clichés et les revendre ensuite aux enchères, pour que de riches bourgeois de Hermegen les suspendent dans leurs toilettes.
« Nous sommes arrivés » annonça Aelys d'une voix neutre.
Elle se retourna vers lui ; au sommet de la crête, cheveux dans le vent, elle ressemblait à une Valkyrie montant les marches du palais de Wotan pour lui livrer son déjeuner.
La vue était belle, mais les sommets enneigés se situaient encore plus loin ; Aelys avait simplement mis le pied sur un petit plateau rocheux. On aurait pu y installer un chalet, peut-être des pistes de luge. Lor s'enfonça dans une chaise imaginaire, faite de cristaux, et s'octroya une pause bien méritée.
Aelys poussa son attelage flottant d'un coup de coude.
« Tu es en plein milieu. La porte n'apparaîtra pas si tu restes ici.
— Quelle porte ? »
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