- Chapitre 7 -
Assis sur le canapé gris chiné du salon, Andrew m'observe. La lumière des lampadaires pénètre dans la pièce plongée dans la pénombre, donnant à son visage un air menaçant. Deux certitudes s'imposent alors à moi. Premièrement, je n'ai pas imaginé la scène de la ruelle. Deuxièmement, il sait que je l'ai démasqué.
Au fond de moi, je redoutais ce moment depuis le jour où j'ai quitté le building d'Anderson Corporation. Ma tête me dit de fuir, mais mes pieds sont cloués au sol. Use-t-il de son pouvoir ?
– Je vous ai connue plus polie, Emma. Que vous arrive-t-il ? Ne me dites pas que je vous fais peur !
Pas le temps de reprendre mon souffle : soudain, il est là, tout près de moi, alors qu'il se trouvait sur le sofa une seconde plus tôt. Quel homme est capable d'une chose pareille ? Aucun, évidemment. Mon cœur palpite, ma respiration est douloureuse. Délicatement, ses lèvres se retroussent en un sourire carnassier.
– C'est ce que vous ressentiez lors de notre dernière entrevue ? De la peur ? Ou peut-être était-ce du désir ?
Je le regarde sans comprendre.
– Comment ?
– Votre cœur battait anormalement vite, mais votre regard paraissait étrangement calme, en comparaison. C'est pourquoi je m'interrogeais. Aviez-vous peur que je vous réserve le même sort qu'à cette jeune femme dans la ruelle ? Ou espériez-vous simplement plus, si affinités ? Dans les deux cas, nous pouvons en discuter.
Mon visage se fige.
– Ah ! La peur, enfin ! Je commençais à m'inquiéter.
Je recule d'un pas, me cognant au secrétaire de l'entrée. La lampe qui trônait dessus tombe, se brise sur le sol. Il est si proche. Je vais mourir.
– Aucune larme. Pas la moindre supplication. Voilà qui est plutôt rare ! s'exclame Andrew en souriant.
– Vous allez me tuer ?
Les mots m'ont échappé. Je porte une main à ma bouche. Sa présence me pulvérise, me paralyse tout entière. Tant bien que mal, je tente de rester stoïque. Mais la peur dissout mes entrailles.
– Voilà une question bien banale. Je suis déçu ; j'attendais mieux.
Il arque un sourcil, croise les bras avec un air boudeur, avant de se remettre à sourire. Je fixe sa bouche, ses lèvres pulpeuses qui se retroussent, laissant voir ses dents parfaitement alignées, d'un blanc immaculé.
– Arrête de fixer ma bouche comme ça, je vais finir par croire que tu meurs d'envie de m'embrasser.
Je continue de l'étudier en silence, me refusant à le supplier. Il a une peau parfaite, et ses yeux sont bien plus pâles que dans mes souvenirs – ils ont la couleur du ciel avant l'orage, un bleu azur presque irréel. Ses cheveux blond foncé, quant à eux, sont toujours impeccablement coiffés, avec cette raie sur le côté et cette mèche qui lui retombe sur le front. Il est si beau que j'en oublierais presque qu'il s'apprête à me tuer.
– Tu ne dis rien ?
Je ne réponds pas, priant intérieurement pour que tout cela se termine vite. Je déglutis. Il porte une veste en cuir et des vêtements très sombres. Je ne peux pas m'empêcher de penser que c'est la tenue dans laquelle il a assassiné toutes ces jeunes femmes. Le costume trois-pièces, lui, est probablement réservé à des activités plus mondaines.
– Plutôt étrange, que tu aies retrouvé la mémoire. Étrange et regrettable. Tu dois bien te douter que je n'aime pas vraiment laisser des témoins derrière moi... D'autant que j'ai fait preuve de bonté en effaçant tes souvenirs, souffle-t-il à mon oreille.
Je réfléchis à toute allure. Je dois réussir à gagner du temps, puis à atteindre la porte, hurler peut-être... Oserait-il me tuer devant mes voisins ? Peut-être les tuerait-il aussi...
Je ne suis pas sûre de pouvoir garder mon sang-froid encore longtemps. Mes jambes peinent à me porter, et mes doigts commencent à trembler.
– Inutile de chercher une issue, Emma : je serais bien trop rapide. Si tu es encore en vie, c'est uniquement parce que je l'ai décidé.
Tel un prédateur, il semble prendre plaisir à jouer avec sa proie avant de l'achever.
Je ne bouge pas. À mes pieds, à côté de la lampe brisée, un cadre noir, contenant une photo de mon frère et moi. Si je ne devais emporter qu'un souvenir avec moi...
– Vous êtes... un... un vampire, dis-je, pour occuper son attention.
– Quelle perspicacité, se moque-t-il.
Doucement, il me guide contre le mur, m'obligeant à reculer. Je sens son souffle chaud sur mon visage. Bientôt, son regard bleu devient très sombre, presque noir, et son rictus laisse apparaître deux longues canines. Bon Dieu, j'ai si mal à mon cœur que je crains qu'il ne cesse de battre d'un instant à l'autre. Il se met à humer mon parfum, et je ferme les yeux, espérant être victime d'une hallucination.
Je cherche désespérément une arme avec laquelle me défendre, mais mes mains ne rencontrent que la surface dure et lisse du mur. Prise au piège... Ses lèvres ourlées se posent sur mon cou, et je ne peux m'empêcher d'anticiper la douleur qui va suivre. Un frisson me parcourt comme une onde.
Je vais mourir.
Je ferme les yeux. Ma vie à New York aura été si brève... J'ai le cœur déchiré en pensant à la peine que ressentiront Jonathan et mon père lorsqu'ils apprendront ma mort. Enfin, s'ils l'apprennent. Après tout, les corps de ses précédentes victimes n'ont jamais été retrouvés.
Soudain, je rouvre les yeux. Comme une fulgurance, une idée folle me traverse l'esprit. Tout à coup, j'entrevois la possibilité de survivre. Et pas seulement à Andrew. Peut-être aussi à Becky. C'est de la folie.
– J'imagine que c'est très excitant pour vous de boire le sang d'une jeune femme paralysée par la peur ? demandé-je d'une voix tremblante.
Il ne répond pas. Je reprends, d'une voix plus assurée.
– Et si elle était consentante ?
Andrew relève la tête, surpris, et plonge son regard dans le mien. Visiblement, j'ai réussi à éveiller sa curiosité. Je laisse échapper un soupir.
– Bien sûr, il serait très agréable de voir une sublime jeune femme me faire don de son sang, mais, à vrai dire, cela ne m'est jamais arrivé. Pourquoi cette question ? Seriez-vous volontaire, mademoiselle Reyes ?
Une lueur d'amusement brille dans ses yeux.
– Pas tout à fait, dis-je.
– Mais encore ?
Je le sens s'impatienter, mais je sais que je suis sur la bonne voie. Je refuse de mourir sans avoir rien tenté.
Soudain, j'entends la porte de l'entrée s'ouvrir. Je tourne la tête vers le couloir, paniquée à l'idée qu'Andrew Anderson puisse s'en prendre à Jonathan. J'entends celui-ci jurer lorsqu'il se cogne contre la desserte de la cuisine.
Je retiens mon souffle. Ma main cherche le bras d'Andrew, espérant naïvement le retenir, l'empêcher de faire du mal à mon frère... mais elle ne trouve que le vide. Il a disparu. La fenêtre est ouverte, et les rideaux volettent au gré de la brise.
Il n'est plus là, et je suis toujours en vie. Je suis toujours en vie !
– Oh, Emma ! s'exclame mon frère en titubant dans ma direction. Tu m'attendais ?
Je m'approche de lui pour l'aider à ôter ses chaussures et l'installe sur le canapé. Il a tellement bu qu'il ne remarque pas les débris de la lampe brisée gisant au sol.
– Je t'aime, Emma. Je ne sais pas ce que je ferai le jour où...
– Je suis là, Jonathan.
– Oui, mais... mais...
Une larme silencieuse trace un sillon sur sa joue, et je l'essuie de mon pouce. Il est complètement ivre, ça ne lui ressemble pas.
Mon téléphone se met à vibrer. Je le cherche du regard, et il est là, par terre, près de l'entrée. Je me lève et le ramasse.
+77 678 331 294 - Aujourd'hui à 00h57
Ce n'est que partie remise.
Mon cœur s'arrête de battre.
***
Même si je travaille de chez moi, je me lève toujours aux aurores. C'était déjà comme ça au lycée : j'aimais me réveiller une heure plus tôt pour lire – commencer par quelque chose d'agréable avant d'affronter la dure réalité de la journée.
Ce matin, pourtant, Jonathan s'est levé avant moi. Je ne sais pas depuis combien de temps il s'affaire dans la cuisine, à préparer le petit déjeuner, mais cela n'augure rien de bon. Quelque chose ne va pas.
– Dis-moi ce que tu as à me dire, Jonathan. J'ai horreur que tu tournes autour du pot.
A-t-il pleuré toute la nuit ? A-t-il seulement dormi ? Ses yeux sont injectés de sang et des cernes encore plus prononcés que d'habitude marquent son visage. Je sors de la cuisine, furieuse. Il me rejoint, m'invite à m'asseoir sur le canapé.
– Tu as rendez-vous avec le médecin à 14 heures.
Un coup de pied dans le ventre ne m'aurait pas fait plus mal.
– Tu le sais depuis quand ?
Je ne sais pas ce que le médecin a pu dire à mon frère, et je n'ai pas la force de le lui demander. De toute façon, s'il demande à me voir, c'est que quelque chose cloche dans les résultats des examens.
– Je voulais juste te préserver, se défend mon frère.
En vérité, je ne suis pas en colère après lui. C'est à Becky, que j'en veux. Et à moi-même.
– Quand, Jonathan ?
– Vendredi après-midi. Ils ont appelé.
Je frotte mes mains sur mon jean, puis m'arrête net, prenant conscience que mon frère me regarde. Il doit s'attendre à ce que je me mette à pleurer, ou à hurler.
– Pas un mot à papa, d'accord ? dis-je en me levant.
– Emma... Tu ne peux pas le lui cacher...
– Je ne te demande pas ton autorisation, Jonathan. Tu ne lui dis rien, OK ?
Il hoche la tête, et je gagne ma chambre plus précipitamment que je le voudrais, pour me jeter sur mon lit. Je prends mon oreiller, plonge mon visage dedans et pousse un long hurlement.
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