- Chapitre 19 -
Je me réveille en retard ce lundi-là – c'est bien la première fois que cela m'arrive. Pourtant, j'ai dormi durant une bonne partie du samedi. Lorsque j'ai rouvert les yeux, c'était le dimanche matin, je n'étais plus au chalet à Harriman State Park, mais dans mon lit. Une enveloppe blanche à mon nom déposée sur ma table de chevet.
À l'intérieur, un mot :
« Merci pour tout, Emma : pour ce que tu as fait, et pour ce que tu es – une femme formidable, avec le plus grand cœur que je connaisse. Désolé d'avoir écourté notre week-end, mais il me fallait me nourrir plus copieusement... Prends soin de toi. »
J'ai cherché à comprendre le sens des derniers mots de Matthew, mais je n'étais plus très sûre de les avoir entendus... cette sensation brumeuse. J'ai alors fini par m'endormir, à nouveau, vaincue par une lourde et inexplicable fatigue.
Cette fois, je suis vraiment en retard. Je me prépare sommairement, saute dans mes chaussures et cours jusqu'à la bouche de métro, manquant de me rompre les os à plusieurs occasions.
Après avoir dû faire la queue devant les ascenseurs, j'arrive enfin à l'étage de la direction. Je salue Vanessa et me dirige tout droit vers mon bureau.
Près du clavier de mon ordinateur, un petit paquet m'attend, soigneusement enveloppé dans du papier cadeau. Je tire sur le nœud de satin, ôte l'emballage et découvre un pendentif en forme de goutte avec, à l'intérieur, un liquide pourpre. Du sang ? Cela vient d'Andrew, aucun doute. Je suis partagée entre une immense gratitude – parce que je crois savoir ce que ce présent signifie – et la colère qu'il est censé m'inspirer pour ce qu'il a fait subir à son frère.
– Il te plaît ?
Andrew se tient dans l'entrée de mon bureau. Les mains dans les poches, un sourire narquois aux lèvres.
– Oui, merci beaucoup.
Je veux lui demander la signification de ce présent ; j'ai besoin qu'il me la dise de vive voix – besoin de savoir que Becky fera peut-être partie de mon passé. Il m'a promis de me transformer, mais je ne cesse de douter.
Je retire mon manteau, l'accroche à la patère de l'entrée et retrousse les manches de mon cardigan. Andrew m'observe, immobile. Je cherche une pique à lui adresser. Je lui en veux. Prise dans mes pensées, je ne le vois pas s'approcher. La pression de ses doigts sur mon poignet m'arrache un cri de douleur.
– Qu'est-ce que c'est que cette cicatrice ? demande-t-il, les dents serrées.
Son regard est noir, une veine palpite sur sa tempe. Cela n'augure rien de bon.
– Quelle cicatrice ?
Je contemple mon poignet, là où les dents de Matthew ont déchiré ma chair, et je ne vois rien. La cicatrice a disparu, et Andrew la voit pourtant.
– Il t'a mordue ?
– Qu... quoi ? bégayé-je.
– IL T'A MORDUE ! hurle-t-il, cette fois.
Je sursaute, son ton m'effraie. Sa main serrée autour de mon poignet me fait mal, mais je n'ose pas me dégager. J'ai peur pour Matthew, tout à coup.
– Oui, dis-je en me dérobant brusquement.
Fou de colère, il recule d'un pas, me fixant d'un regard noir.
– Il va le regretter...
Il est sur le point de quitter mon bureau. Pour aller trouver Matthew ? Je panique.
– C'est entièrement votre faute !
– Comment ça ? demande-t-il en faisant volte-face.
Il revient vers moi, m'obligeant à céder du terrain, jusqu'à heurter le mur. Je lâche une plainte sans le vouloir.
– Vous le savez très bien !
Il plaque ses mains sur le mur, de chaque côté de ma tête. Il est si proche que je peux distinguer les moindres nuances de ses iris.
– Il te l'a demandé ?
Sa voix s'est adoucie, mais je ne m'y méprends pas.
– Non... Je le lui ai proposé.
Il se redresse finalement. Le calme avant la tempête. Je sens la colère l'envahir, son regard me glace le sang.
Tout se passe si vite... Il pulvérise mon bureau contre le mur, explosant au passage l'écran d'affichage de son agenda. Mon ordinateur aussi est brisé, et des feuilles jonchent la moquette. À peine ai-je le temps de réaliser ce qui vient de se produire qu'il a déjà disparu.
Je retiens mes larmes. Tiendra-t-il un jour sa promesse ? Je me laisse glisser sur le sol, mes jambes n'arrivent plus à me porter.
Je reste un moment ainsi, incapable de réagir. Puis le visage de Vanessa apparaît dans l'encadrement de la porte. Sans un mot, elle vient s'accroupir à ma hauteur. Elle prend ma main, me gratifie d'un sourire rassurant. Parfois, il n'en faut pas plus – une présence pour ne pas se sentir seul ou abandonné.
Elle m'aide à remettre de l'ordre dans mon bureau, puis appelle la maintenance pour faire remplacer mon ordinateur et l'écran, pendant que j'essaie de faire du tri dans mes documents. Apparemment, l'état de mon bureau ne choque personne ; c'est, je crois, ce qui me déroute le plus.
*
Andrew reste aux abonnés absents pendant le reste de la semaine. J'entends dire qu'il s'est rendu à Seattle pour une affaire de dernière minute. Je sais que c'est faux. Je ne cesse de m'interroger sur les raisons de cette crise soudaine. Pourquoi reprocher à Matthew de m'avoir mordue quand tout porte à croire que c'est exactement ce qu'il voulait ?
Vendredi arrive sans m'avoir apporté de réponse. Je quitte le bureau plus tôt pour aller à mon rendez-vous chez le Dr Vincenzo. Progressivement, je m'ouvre un peu plus à elle. Mais je reste mal à l'aise à l'idée de me livrer à quelqu'un. Seul mon carnet recueille toutes mes confidences. Chaque soir, je le remplis minutieusement. Je veux être sûre de pouvoir tout me rappeler si Becky décide de s'attaquer à ma mémoire. Et surtout, je sais que je peux tout dire à mon journal : il ne me jugera pas, il n'aura pas un petit sourire si je lui apprends que je côtoie des vampires. Si Christina savait la vérité, elle me trouverait probablement en urgence une place à l'hôpital psychiatrique...
*
– Alors, ce week-end en amoureux ? me demande Rebecca en se faisant les ongles.
– Pas vraiment en amoureux, réponds-je en appliquant un vernis beige sur les miens.
Après l'altercation avec Andrew, je suis allée trouver Matthew pour vérifier qu'il allait bien. Il m'a semblé avoir une petite mine, mais il m'a assuré qu'il se portait au mieux et a tenté de comprendre pourquoi je m'inquiétais. J'ai inventé une explication, prétextant que c'était en rapport avec notre week-end. Je n'ai pas eu le cœur de lui demander s'il savait où se trouvait son frère. Je ne voulais pas qu'il pense que j'accordais plus d'importance à son bourreau qu'à lui-même ; pourtant, je réalise au fond de moi que c'est le cas... Nous n'avons plus parlé d'Harriman State Park par la suite, comme si c'était une affaire réglée et enterrée pour toujours.
– Comment ça ?
Rebecca relève la tête, étonnée.
– Eh bien, on en est toujours au même point.
– Même pas un bisou ? Tu plaisantes, j'espère !
Je marque un silence en guise de réponse. Elle tend les mains pour admirer ses ongles, secoue ses doigts pour accélérer le séchage, puis se lève.
Je regarde par la fenêtre. Depuis qu'Andrew a disparu, il fait gris à New York. Le ciel est perpétuellement chargé de nuages sombres. Mais il ne pleut pas – pour le moment.
– Ce ne serait pas toi qui le freines, par hasard ?
– Pourquoi je le freinerais ?
– Je ne sais pas, moi. Parce que quelqu'un d'autre occuperait ton esprit ?
J'ai l'impression qu'elle lit en moi comme dans un livre. Fait-elle allusion à Andrew ? Est-elle... au courant ?
– Ce n'est pas le cas, dis-je.
Je vois à son regard qu'elle n'est pas convaincue.
– C'est marrant. J'ai l'impression que tu ne me dis pas tout. Tu sais que je suis là, si tu as besoin de parler, hein ? (J'acquiesce, et elle me sourit, avant de me prendre dans ses bras, doigts écartés pour ne pas ruiner le travail accompli.) Et surtout, on ne vit qu'une fois, Emma. N'étouffe pas tes sentiments, vis les choses intensément, OK ?
*
Vos suppositions sur Andrew ? :D
*
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