ღ Prologue
Le soleil déclinait tout doucement et rejoignait bientôt l'horizon infime. La forêt, dont les arbres, immenses, aux branches ramifiées qui se vêtaient de vert et en leur bout, des bourgeons verdoyants commençaient à naître, projetait des ombres sur l'herbe. Les fleurs tapissaient le sol mou et humide, couvert de goutte de la pluie qui avait, quelques heures plus tôt, tomber drue. Un vent frais sifflait entre les végétaux, faisant vibrer les fougères qui s'adossaient aux racines des arbres. La frondaison était encore tendre et fine, mais résistait malgré tout au souffle venteux.
Dans l'obscurité naissante du massif boisé, un monticule s'élevait dignement au centre d'un bosquet où l'herbe était ras. Un abri avait été formé grâce aux noeuds qu'avaient créés un antique arbre, au tronc sinueux et énorme, et faisait comme une tanière végétale aux barrières de bois. Au fond de cet alcôve naturel, sur un nid de fortune fait de mousse imbibée et de fougère, une silhouette maigre et aux allures faméliques était recroquevillée. Son regard brillait d'une lueur peureuse et inquiète dans la pénombre.
Son poil, ébouriffé, s'était dressé le long de son échine. La louve, le ventre grossi par la mise bas qui arriverait bientôt, sentit l'agitation la gagner peu à peu. Elle sentit de violents spasmes douloureux la secouer comme le vent qui ébranlait les arbres alentours. Des convulsions la brusquèrent subitement et ses forces, bien qu'elle n'eut pas fait tant d'efforts que cela pour arriver jusqu'ici, s'amenuisèrent au rythme des secondes écoulées. Elle se rétracta sur elle-même et attendit. Mais qu'attendait-elle au juste ? Elle était certaine que ses petits allaient arriver plus tard. Alors pourquoi pressentait-elle leur arrivée imminente ?
Tandis qu'elle patientait dans la tension du soir, et que l'ombre menaçante de la nuit s'était emparée du ciel et avait laissé plusieurs centaines d'étoiles scintiller, et que la Lune, belle et ronde, trônait fièrement dans le voile sombre du firmament, une silhouette canine se découpa dans l'encadrement de la tanière. Ses yeux ambres luisaient singulièrement dans la nuit noire, alors que quelques rayons argentés éclairaient son poil aussi abyssale que l'atmosphère nocturne.
La louve salua ce nouveau venu d'un long grognement plaintif. Ce dernier s'avança auprès d'elle d'une démarche impérieuse mais où aliénait de l'inquiétude. Il se pencha vers son museau et lui fit une léchouille gracile et attendrie. Dans le regard de la femelle chatoyait un air contrit et peiné. Cet air repenti s'effaça rapidement et se vêtit par un sentimentale nervosité.
« Ils arrivent... » murmura-t-elle à l'autre d'une voix à la fois allègre mais pleine de crainte. Le mâle lui lécha la joue avant de se blottir contre elle, impuissant face à la situation. « Ne t'en fais pas, Waya. Tout va bien se passer... », la rassura-t-il d'une voix suave. La dénommée Waya eut le regard obscurci par la douleur et grogna entre deux spasmes : « O-okami... Va... me ch...ercher... un... bâton... »
Sans demander pourquoi, Okami se leva, les pattes en coton, et quitta la tanière. Sa silhouette, lorsqu'elle pénétra hors de l'abri, fut illuminée par les faisceaux argentés et brusquée à cause du vent. Quand il revint quelques instants après, il avait un bout de bois bien serré dans la gueule. Il le tendit à sa compagne et elle le saisit hâtivement, les mâchoires contractées par la douleur. Des gouttes de sueur perlèrent son pelage, et même dans obscurité, on put facilement voir que son flanc se soulevait trop vite pour qu'il s'agisse de douleurs passagères. Le regard figé, la louve laissa échapper un misérable gémissement au moment où un paquet humide glissa dans la mousse.
Puis, tandis que la louve léchait vigoureusement son petit en le serrant contre elle, une chouette ulula, perchée du haut du grand arbre ancien. Okami grogna et aboya pour la faire fuir, mais celle-ci n'y fit aucunement attention et se blottit sur elle-même. Le loup abandonna et s'empressa de réconforter sa compagne et donna un coup de langue aimant au petit qui, tremblant, rampait d'instinct sur ses faibles petites pattes vers le lait de sa mère. Cette dernière, le visage repeint par l'allégresse, ramena la louveteau – car il s'agissait d'une femelle, a en juger par sa carrure et ses couinements plus aigües qu'un mâle – encore plus proche d'elle, d'un geste protecteur et maternel.
« Il y en a qu'un ? » interrogea le loup, pensif.
La femelle acquiesça, sans vraiment prêter attention à son étonnement. Le père observa sa progéniture en songeant qu'il aurait aimé voir grandir mais son destin n'était pas auprès de Waya et de sa petite. Non, son avenir se trouvait ailleurs, mais il se promit de veiller sur elles, où qu'il soit, et où qu'elles aillent.
« Comment vas-tu l'appeler ? » s'enquit-il d'une voix rauque.
Waya se pencha pour effleurer la truffe du louveteau. Une lueur d'amusement et de tendresse traversa ses yeux avant qu'une voile de tristesse ne la chasse.
« Ce n'est pas à moi d'en décider, Okami. Sa place ne se trouve pas ici. » Malgré la détermination qui perçait dans sa voix fatiguée, une immense peine intense entravait ses entrailles et fit un pincement au cœur d'Okami. Il recula, le cœur déchiré. Leur fille ne connaîtrait jamais ses vrais parents, et cela le désolait bien plus du fait qu'elle vivrait dans une autre meute que la sienne.
« On pourrait peut-être s'enfuir tous les deux... hors de cette vallée aux lois strictes ? Vivre et reconstruire notre propre meute, et cette petite serait avec nous, elle grandirait à nos côtés et nous ne serions pas contraints de l'abandonner à son triste sort dans une meute qui n'est pas la nôtre et dans un milieu qui n'est pas le sien. Il faut se rendre à l'évidence, Waya. Jamais elle ne s'adaptera à la vie loin de nous, son pouvoir grandira et menacera la vallée. Nous pouvons encore arrêter cela, Waya, on peut changer son destin. », insista-t-il d'une voix au timbre chagriné.
Mais Waya en avait décidé autrement et secoua la tête, le museau plissé par les regrets.
« Il est trop tard, Okami. Il est trop tard... je suis désolée, tellement désolée... », répétait-elle.
Elle grogna, soudain amochée par la repentance.
« Mais, pourquoi dis-tu cela ? Il n'est pas trop tard ! Je t'en supplie, Waja... écoutes-moi ! On peut arrêter tout cela, laissons derrière nous cette vallée et partons pour d'autres terres. La petite est plus importante que la meute. Notre amour compte plus que tout à mes yeux. Je pourrais posséder toutes les meutes, toutes les femelles qu'il existe sur cette terre... mais je ne voudrais que toi ! », implora Okami, un léger tremblement faisait défaillir ses traits jusqu'alors durs.
La femelle soupira.
« Tu sais bien que c'est impossible..., murmura celle-ci d'une voix lasse.
- Tout est possible, tant qu'on est ensemble ! contra le mâle, indigné.
- Je suis désolée, Okami. »
Cette fois-ci sa détermination ne faillit pas, elle saisit âprement la petite et se leva, les pattes ankylosées par la fatigue.
« Il est temps. », déclara celle-ci, d'un ton qui était sans appel.
Okami voulut barrer son passage mais le regard noir que lui lança sa compagne le découragea et il la laissa passer devant.
« Pourquoi faut-il toujours que la vie nous sépare ? », se plaignit-il, comme un enfant frustré qui pleurniche auprès de sa mère.
Waya ne fit preuve d'aucune compassion.
« Ne te larmoie pas, s'il te plaît ! s'écria la femelle, les yeux au ciel. Ne fais pas ta fragile petite personne que ô par les Loups Suprêmes on a un peu ébranlé ! »
Okami se renfrogna durement, touché par ses paroles cinglantes, si brusques qu'il aurait pu lui sauter dessus mais il se contenta de pousser un grognement boudeur. Waya se dirigea hâtivement vers l'orée de la forêt, et au rythme de leur pas, le silence s'éternisait, tandis que les arbres se faisaient de moins en moins nombreux et plus faibles, avant qu'une grande plaine, entourée de montagnes enneigées ne se présente à eux. La noirceur de la nuit avait forci, et le froid glacial se fit ressentir, et le mâle frissonna, le pelage en bataille. L'herbe dans les plaines s'agitait comme des courants marins à cause du vent. Waya trottina, s'éloignant de plus en plus, alors qu'Okami la regardait partir depuis les abords de la forêt, le regard songeur et perdu dans le vague. Avant que la silhouette de sa compagne ne disparaisse complètement dans le noir, il la héla subitement :
« Attends Waya ! Mais où l'emmènes-tu ? »
Waya se tourna vers lui, et même de loin, il discerna un éclat penaud dansant dans ses yeux. Elle ne répondit pas, puis, elle se remit en route sans un regard en arrière, le louveteau pendant dans la gueule. Je te retrouverai, petite, songea Okami, en s'enfonçant de nouveau dans la nuit.
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Coucou tout le monde, j'espère que cela vous a plu! N'hésitez pas à me partager votre avis! Il est possible que certaines choses changent en cours d'écriture ;)
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