Chapitre 2

À l'extrémité des plaines venteuses, d'épaisses forêts se dressaient massivement, celles de la Meute du Feu. Chênes, châtaigniers, sapins, ifs, noisetiers, tous ces arbres se côtoyant dans un foisonnement inextricable de verdure, depuis des centaines et des centaines d'années, entourées par des ruisseaux et des rivières. Et comme c'était le début de la Saison du Renouveau, les frondaisons étaient si épaisses que le soleil, même aussi luisant soit-il, peinait à illuminer l'intérieur ; ses rayons translucides essayaient paresseusement de se faufiler à travers les feuillages, créant un contour doré autour des feuilles et des branches qui retenaient la lumière.

Les loups, malgré cette jungle verdoyante qui s'épanouissait grandement, avaient créé un chemin reconnaissable par eux-mêmes, mais complètement invisible aux yeux des autres animaux. Cette piste cachée était marquée par des traces de griffures çà et là, qui étaient renouvelées régulièrement, des traces bien particulières car les empreintes représentaient un zigzag semblable à celui d'un éclair. Cette piste menait à des lieux secrets, d'une valeur inestimable car c'étaient grâce à eux que les canidés pouvaient communier avec leurs ancêtres ; les Loups Suprêmes. Mis à part ces marques, tout le territoire de la Meute du Feu était le pourtour des forêts et des pinèdes donc il n'était pas difficile de repérer la frontière qui s'avérait être l'orée - pour ne pas se perdre -.

En revanche, pour ce qui était de trouver le Repaire, c'était une autre histoire. En sachant que la meute du Feu changeait régulièrement de camp afin de ne jamais manquer de gibiers et selon les besoins de ses membres. En l'occurrence, les Épreuves ayant débutées, les Loups de Feu quitteraient leur Repaire actuel une fois celles-ci terminées. Il serait donc assez aisé pour Kaala de rentrer au Camp. Mais elle était blessée, le sang suintant de ses blessures, elle avait le regard perdu, affolé. Ses pas étaient claudiquants, elle ne cessait de tomber dans les buissons d'épines et de ronces, aggravant ainsi ses blessures déjà profondes.

La forêt autour d'elle tournait devant son regard à une vitesse abominable, impossible pour elle de se repérer. Sa truffe était noyée de sang, elle n'arrivait donc qu'à sentir que son effluve métallique et poisseuse. La petite louve finit par rester couchée contre un arbre, des douleurs irradiant dans tout son corps. Ses yeux brillants clignèrent pour chasser le sang et les larmes mais ce fut le seul geste - vain - qu'elle parvint à faire avant qu'ils ne se ferment. Derechef, une tentation irrésistible la tirait vers l'inconscience. Tout ce qu'elle souhaitait en cet instant était de se laissé glisser, de s'abandonner aux ténèbres.

Alors qu'elle se sentait basculée tout doucement, une voix retentit et fit comme l'électro-choc qui la ramena - brutalement - vers la réalité.

« Non, Kaala. Lève-toi. Ne te laisse pas submerger par les ombres.

- Comment connaissez-vous mon nom ? Et qui êtes-vous ? »

Ce fut la seule réponse qu'elle réussit à formuler.

« Ne te préoccupe pas de ce que je sais, mais plutôt de ce je peux faire, petite colombe. », lui répondit la voix - elle était féminine, bien que légèrement grave et son intonation était douce et attendrie.

Kaala ne voyait que du noir, elle se sentait complètement apaisée dans cet entre-deux entre la réalité et l'inconscience, comme plongée dans un vide calme et serein. Il l'étreignait dans une accolade mielleuse.

« Est-ce ma conscience qui parle ? s'interrogea-t-elle finalement.

- Non, ma douce Kaala. Pour le moment, je ne peux t'en dire davantage car il faut que tu te réveilles. Je reviendrais, au moment venu. »

Une seconde plus tard, elle se sentit tombée au sol dans un choc étourdissant. Elle ouvrit ses paupières lourdes et grimaça en sentant la douleur revenir. Tant bien que mal, elle se redressa péniblement, et s'ébroua en grognant. Ce n'était qu'un mauvais rêve, hein ? fit-elle, essayant de se convaincre elle-même, en vain. Difficilement, elle boitilla vers le Repaire, passant à travers les fourrés, louvoyant entre les arbres. Son cœur battait à tout rompre et sa respiration était hachée. Ses pattes étaient faibles, sur le point de flancher, mais Kaala se força à avancer, lentement mais sûrement. Elle déboucha enfin sur la trouée qui abritait leur Repaire et sortit des fourrés pour se révéler à la meute.

Quand elle en déboucha, le soleil qui illuminait la clairière réchauffa sa fourrure glacée et poisseuse. Des frissons parcoururent son échine. Elle chercha Ruqqo et Fendra du regard et les trouva, paisiblement allongés à l'ombre d'un sycomore, blottis l'un contre l'autre. Ils se dressèrent sur leur patte lorsqu'ils la virent et accoururent en reconnaissant l'odeur du sang qui, à présent, embaumait l'air.

« Que s'est-il passé ?! » s'enquit Fendra. Ne lui laissant pas le temps de répondre, elle l'entraîna vers une tanière. « Viens, tu nous raconteras tout à l'intérieur. »

***

Une fois que la louve noire eut relaté la situation affolante, Fendra et Ruqqo convièrent la meute d'un hurlement puissant. Les loups, curieux de connaître les événements mais surtout sentant la détresse des choses, ne tardèrent pas à sortir des tanières ou à se réveiller de leur sieste au soleil. Tandis que les Alphas patientaient, à présent perchés sur un roc de sorte à surplomber la clairière, Kaala vit arriver les autres louveteaux, accompagnés par les trois loups qui étaient à retrouver - c'est-à-dire Werrna, Ylin et la Bêta, Ishka. Sans poser de questions, ils se joignirent au reste de la meute et attendirent les paroles des chefs.

« Aujourd'hui est un jour qui sera gravé dans l'histoire de la meute du Feu, commença Fendra. En effet, cela étant dû aux Épreuves mais pas que : la Meute de l'Air, ces cervelles de piafs, ont osé s'en prendre à Bershkir et à Kaala. Ils les ont attaqué, et Bershkir s'est sacrifié pour sauver un louveteau du Feu. Un acte mémorable qu'on rendra honneur en allant le venger tout de suite ! »

Les loups grondèrent de concert, donnant corps aux propos de la louve qui se dressait d'un air menaçant face à eux, sa fourrure brune ébouriffée par le vent.

« Étant donné que les louveteaux n'ont plus qu'une Épreuve à passer, la plus difficile, je propose de les emmener se battre. Ce sera pour eux leur Épreuve à passer s'ils veulent intégrer notre meute. » reprit Ruqqo.

Tandis qu'une foule de grognements et d'hurlements résonnaient dans la clairière, reflétant l'excitation et la colère palpables des canidés, une silhouette s'avança parmi les autres et se campa devant les Alphas dont les pupilles étaient réduites au minimum. Le pelage long et soyeux d'Ishka mêlait brun, gris et une touche de jaune, et sa carrure en imposait beaucoup. Le calme revint dans la trouée, laissant place aux paroles de la grande louve.

« Et Kaala ? Elle est blessée, - ce qui serait un avantage pour les adversaires - et ce serait comme un suicide de l'emmener là-bas. De plus, les autres louveteaux n'ont jamais eut à se battre véritablement. Les emmener serait comme les condamner ! », persifla-t-elle en soutenant son regard.

Ruqqo plissa les yeux face à cette déclaration inattendue. Il battit rageusement de la queue et descendit du roc pour se poster près d'Ishka, l'œil menaçant.

« Fendra, Ylin, Werrna, venez. Nous allons décider de ce qui est bon pour les petits. »

Puis, il baissa la voix et susurra quelque chose à l'oreille d'Ishka. Kaala ignorait ce qu'il avait murmuré mais le regard de la Bêta s'était baissé et sa posture avait pris celle de dominée. La petite louve vit Ishka grogner lorsque Ruqqo s'éloigna pour s'engouffrer à l'intérieur de son antre, bientôt imité par les trois louves.

Lorsqu'ils ressortirent finalement, les loups affichèrent un intérêt palpable quant à leur décision. Ils dressèrent les oreilles et devinrent attentifs. Ruqqo avait une allure dominante, son poil brun foncé ébouriffé par le souffle de la forêt, et quand il avança d'un pas mesuré, on sentait toute la puissance qu'il dégageait dans l'air. Kaala vit les loups se reculer pour qu'il passe. Ruqqo se percha au sommet d'un roc et toisa ses congénères d'un regard impénétrable. Ses prunelles jaunes brillaient d'un intense éclat, signe de sa détermination et de son excitation tangibles. Les louves, Werrna et Ylin, le rejoignirent au pied du monticule d'un air décontracté. Fendra, quant à elle, restait en retrait, l'expression indéchiffrable.

« Notre décision est prise. Les louveteaux viennent avec nous. » Il observa les visages de ses comparses, puis s'arrêta pour regarder Ishka. « Tous les louveteaux. »

Sans plus tarder, la guerre qu'il déclarait à la Meute de l'Air commença lorsque Ruqqo hurla, un son sinistre et terrifiant. Toute la meute se pressa à ses côtés, le Camp fut déserté en quelques secondes à peine. Le temps d'un clignement d'yeux. Kaala essayait de suivre la cadence des adultes mais elle avait beau puiser dans ses forces, elle ne parvenait pas à accélérer. Les silhouettes des derniers commençaient à disparaître de son champ de vision. Elle voulut leur demander de l'attendre mais de sa gueule ne sortit qu'un couinement misérable.

Ses pattes étaient faibles, elle se traîna tant bien que mal sur la piste de la meute. Ses muscles étaient douloureux mais il était hors de question qu'elle s'arrête, elle devait aller se battre sinon elle craignait d'être bannie de la
Meute sous prétexte qu'elle n'avait pas pu arriver sur le champ de bataille avec elle. La truffe à l'air pour déceler leurs effluves, elle trottina, passant entre les fourrés et contournant des buissons épineux. Puis, alors qu'elle avait réussi à accélérer et qu'elle pouvait apercevoir leurs silhouettes, le vent la frappa de plein fouet, son pelage se plaqua sur ses flancs et lui donna le tournis. Des frissons remontèrent son échine, la faisant s'hérisser. Le souffle s'enroulait autour d'elle d'un air malicieux, agitant sa fourrure noire. Elle donna des coups dans le vide, fendant l'air de ses griffes. Elle contracta les mâchoires à s'en faire mal.

Que se passe-t-il ? Que m'arrive-t-il ? Ses idées étaient brouillées, il lui était impossible d'y voir clairement. Cahin-caha, elle avança contre le vent, prenant bien appui dans la terre meuble. La brise résistait contre elle mais alors qu'elle s'apprêtait à faire un nouveau pas en avant, elle disparut aussi rapidement qu'elle était apparue. Kaala leva le museau, déboussolée et complètement décontenancée. Que venait-il de lui arriver ? Sans parler de cette voix qui lui était apparue un peu plus tôt. Mais que clochait-il donc chez elle ? Pourquoi, elle et pas un autre ?

Rassérénée, elle fila, ventre à terre et lorsqu'elle déboucha enfin à l'orée, la meute était prête à passer à l'acte, menaçante face à celle de l'Air. Les Loups du Feu étaient immobiles, à l'ombre de la forêt, tandis que ceux de l'Air se déployaient dans la plaine venteuse, fouettés par le vent glacial. Kaala se posta près de Nyméria et Nikita.

« Tu es là, petite idiote ! Tu voulais échapper à la bataille ?! », pesta Nyméria avec colère.

Kaala ne répondit rien, elle se contenta d'un grognement furieux. Ruqqo s'avança d'un pas, le visage grondant. Face à lui, Kiergo faisait les cents pas d'un air agacé, sa queue battant impatiemment l'air.

« Nous vous attendions, Ruqqo. Vous en avez mis du temps. », susurra-t-il avec arrogance.

Le chef du Feu montra les crocs.

« Tu es toujours aussi pressé, répliqua celui-ci. Ça n'a pas changé depuis notre dernière rencontre. »

Les deux loups se toisaient avec animosité, se tournant autour, chacun attendant le moment propice pour fondre sur l'autre. Leurs regards lançaient des éclairs. Le ciel, bien que d'un bleu pur et clair, se couvrit de nuages noirs le temps d'un battement de paupières. L'air se refroidit considérablement. La lumière s'assombrit. Kaala recula d'un pas, intimidée. Nikita lui jeta un regard répondant à sa terreur. Ses pattes tremblaient. Quant à Nyméria, son attitude montrait qu'elle était intéressée, prête à se battre elle-aussi. Sa queue battait avec avidité.

Ruqqo gronda, dévoilant ainsi ses canines. Sa position était prête à l'attaque, contrairement à Kiergo, qui était calme et impassible. Tous ses gestes étaient effectués avec précision et agilité. Il calculait le moindre mouvement de son adversaire de son regard bleuté.

« Ton orgueil va te perdre, Ruqqo. »

Kiergo fit un rictus à mi-chemin entre le grognement et le hurlement. Ruqqo se jeta sur lui, les crocs dirigés vers sa nuque. Mais le Chef de l'Air l'avait prévu et se glissa agilement pour y échapper. Kiergo frappa de ses pattes avants, les flancs du loup du Feu, déchirant la chair. Le sang gicla sur leurs fourrures. Le loup du Feu poussa un hurlement de colère et de douleur, ce qui poussa les meutes à se jeter dans la mêlée. Kaala, elle, sentit son souffle se couper. Le sang, les griffes, les coups, les hurlements... tout ceci formant un vacarme assourdissant. La petite louve regarda partout autour d'elle, sans savoir quoi faire. Se jeter dans la mêlée ? Fuir ? Mais un hurlement non-loin d'ici la tira de ses pensées.

« KAALA ! À L'AIDE ! »

C'était la voix terrifiée de Nikita, maîtrisée par une grande louve. La femelle était dotée d'un poil blanc et brun, mais ici et là dévoilaient des blessures profondes, suintant de sang. Mais qui ne l'empêchait en rien de se battre avec férocité. Elle donnait des coups précis, puissants. Nikita, face à elle, hurlait de terreur et de douleur, couinant pour espérer être aidée. Bly !

Sans hésiter, Kaala bondit à la gorge de Bly, mais elle la repoussa d'un simple coup de patte. La petite louve fut envoyée contre un arbre, ce qui lui coupa le souffle. Elle gisait à présent au sol, le museau dans les racines du conifère, ses muscles refusant de lui obéir. Bly griffa le museau de Nikita, faisant jaillir le sang, puis la lâcha pour s'avancer vers Kaala, sa langue passant sur ses canines aiguisées avec désir.

« Je savais bien que je finirais pas t'avoir, petite vermine, gronda cette dernière en posant une patte sur la nuque de la petite femelle. Qu'est-ce que ça fait de s'avoir que, d'un simple geste, je peux t'ôter la vie ? reprit-elle de sa voix fielleuse, en se penchant tout près de l'oreille de la louve noire - son souffle fétide effleurait sa joue. Quand tu iras rejoindre ces crétins de Loups Suprêmes, surtout, tu diras bonjour à mon frère de ma part. Il me manque, vois-tu...

- BLY ! »

Une voix retentit, pleine de colère. Kaala leva les yeux pour l'apercevoir, le loup blanc, au poil maculé de sang et aux canines dévoilées. Bly enfonça ses griffes dans la chair de Kaala. La petite femelle poussa un hurlement à faire fendre l'âme.

« Arctic..., murmura la louve brune et blanche avec un sourire cruel.

- Lâche-la, dit l'interpelé d'une voix froide, en repoussant un loup avec férocité.

- Et pourquoi le ferais-je ? »

Le grand loup envoya son adversaire au sol, et ce dernier s'enfuit, la queue entre les pattes. Arctic s'approcha d'un pas menaçant.

« Bats-toi contre un loup de ta taille, Bly. Cette petite ne devrait pas subir tout ça, et tu sais aussi bien que moi qui elle est. C'est pour ça que tu la hais autant, n'est-ce pas ?

- Que je suis quoi ? couina Kaala.

- La ferme, toi ! fit Bly en lui donnant un coup dans les cotes.

- Tu le sais ? » insista Arctic.

La louve se tut, son regard s'obscurcit. Elle claqua des mâchoires et plaqua les oreilles en arrière.

« De quoi parles-tu, Arctic ?

- Je te le dirais, à condition que tu lui laisses la vie sauve. »

La femelle de l'Air hésita, puis relâcha son emprise. Kaala se releva d'un bond, même si c'était très douloureux, et foudroya les deux loups du regard.

« Qui suis-je ? lâcha-t-elle.

- Il vaudrait mieux que tu ne le saches pas, Kaala. »

Elle grogna.

« Comment connaissez-vous mon prénom ? Je ne vous l'ai jamais dit ! »

Le loup blanc n'eut pas le temps de répondre, un hurlement venait de résonner dans toute la clairière. Tous les combats s'arrêtèrent, les coups se stoppèrent, comme si le temps devenait suspendu. Tous les regards avaient convergé vers Ylin, qui se tenait les babines retroussées, plein de sang lui tachait les membres et le corps. Ses griffes étaient sanguinolentes.

« Bande d'abrutis ! Regardez le ciel, les Loups Suprêmes sont furieux. Nous allons subir leur courroux si nous continuons à nous entretuer ainsi. Un orage terrible se prépare. »

Il était déjà trop tard, des éclairs zébrèrent les cieux grisâtres. Le tonnerre gronda avec fureur et la foudre s'abattit, comme le prédateur sur sa proie. Droit sur l'arbre où se tenait près de lui Kaala. Avant que la louve n'ait eu le temps de faire quoi que ce soit, le conifère s'était déjà brisé en faisant naître des étincelles. Et ces étincelles créèrent un feu ravageur. Dès lors, il y eut le chaos. Les loups essayaient de sauver leur peau, bondissant vers les plaines. Kaala sentit la chaleur étouffante des flammes lécher sa fourrure. Elle donna des coups de museau et se faufila entre les canidés. Mais des mâchoires la saisirent par la peau du cou et la jetèrent au bord des flammes. Elle se releva tant bien que mal et chercha son agresseur avant de voir qu'il s'agissait d'Arctic. Il se pencha vers elle et lui hurla :

« Tu es une louve du Feu ! Tu ne dois pas éviter les flammes, tu dois les accueillir ! »

Kaala tenta de fuir, elle ne voulait pas finir brûlée à vif ! Mais le grand loup lui barra la route et grogna.

« Écoute ce que je t'ai dit. Laisse le feu venir à toi. »

Elle regarda autour d'elle et constata que tous les loups de sa meute fuyaient, courant ventre à terre, les Loups de l'Air ayant déjà désertés.

« Ferme les yeux, Kaala. »

La femelle se força à fermer les yeux. Elle tremblait malgré la chaleur abominable.

« Respire lentement. Fais le vide dans ton esprit. 

- Concentre-toi, petite colombe. »

Elle voulait le faire mais les questions tourbillonnaient dans sa tête. La peur l'empêchait de se calmer. Soudain, elle sentit une douleur déchirante. Les flammes venaient de brûler ses pattes arrières. Elle hurla à percer les tympans. Arctic la saisit et l'entraîna loin de la forêt ravagée. Quand il la déposa au sol, elle ne bougea pas, se roulant en boule, espérant se réveiller d'un mauvais rêve.

« Kaala, tu aurais du m'écouter.

- Et vous, vous êtes complètement dingue ! Qu'est-ce qui vous a pris de me jeter dans le feu !? Vous croyez que j'ai des supers pouvoirs !? » lui jeta-t-elle à la figure, les yeux débordant de larme.

Arctic garda son air stoïque.

« Précisément. »

Kaala toussa et se releva. Elle regarda une dernière fois le loup blanc, avant de s'enfuir, les oreilles rabattues. Il a perdu la tête ! songea-t-elle. Elle courut, elle ne savait pas où mais elle avait terriblement besoin de se vider la tête. Alors elle galopa, fendant les hautes herbes, la fourrure toute ébouriffée. La forêt, elle, avait pris des teintes rougeâtres. Les flammes ravageaient tout sur leur passage avec avidité. Elles s'attaquèrent également à la lande, et Kaala n'eut pas d'autre choix que d'accélérer et d'espérer retrouver la Meute.

Kaala courait aussi vite que ses pattes le lui permettaient. Soudain, au loin, sur un plateau rocheux au pied des montagnes, elle vit des silhouettes canines. Elles formaient deux camps bien visibles ; la Meute de l'Air face à celle du Feu. La petite louve puisa dans ses dernières forces pour s'empresser de les rejoindre. Ses pattes arrières, touchées par les flammes durant quelques instants, lui étaient crucifiantes. Lorsqu'elle arriva à portée de voix, Ishka fendit les rangs pour se précipiter vers elle.

« Kaala ! Tu es vivante ! », s'exclama la Bêta en la couvrant de coups de langue sur ses blessures ouvertes.

C'était étrange de se dire que la femelle qui n'était pas sa mère vous portait plus d'attention qu'elle. Ishka l'entraîna vers la meute et Kaala lui emboîta le pas. Ruqqo semblait furieux, il faisait des allés-venues anxieuses, griffant le sol rocailleux de ses griffes ensanglantées. Une longue estafilade lui barrait le flanc, mais le sang avait séché et formait des croûtes. Fendra, elle, laissait échapper des grognements sourds. Kiergo, le pelage autrefois blanc ourlé de reflets argentés, avait la fourrure poisseuse et dégoulinante. Il se tenait immobile, suivant des yeux les mouvements agacés de son adversaire.

« Les Loups Suprêmes sont en colère, commença-t-il. Nous devons arrêter de nous battre, Ruqqo.

- Jamais ! », feula le concerné, les babines retroussées.

Son regard était voilé par le désir de vengeance.

« Soyez raisonnables, fit un loup en s'avançant. Nos ancêtres ont déjà envoyés le feu pour vous avertir, n'est-ce pas une raison suffisante pour arrêter ? »

Sa carrure était conséquente. Son pelage était blanc, strié de gris clair, assez long et étonnamment soyeux. Fendra prit la parole, sa voix était vibrante d'animosité.

« Arrow. Quel plaisir de te revoir.

- Fendra. »

Il inclina le museau respectueusement.

« Le sang a trop coulé, reprit le loup. Il est temps pour vous de retourner sur vos terres. »

Le faciès de Kiergo ne dévoilait aucune émotion, mais il hocha doucement le museau, signe de son accord. Ruqqo fit un grondement colérique.

« Qu'avez-vous fait de Bershkir ? s'informa Werrna en s'approchant.

- Il a eut le châtiment qu'il méritait ! », cracha Bly, postée aux côtés d'Arrow, en soutenant son regard dans celui de Werrna.

Celle-ci laissa échapper un cri indigné. Fendra lui lança un regard signifiant qu'il était inutile de raviver les tensions.

« Nous capitulons, pour cette fois. Nous retournerons sur nos terres, mais ne croyez pas qu'on va oubliés, affirma la grande louve brune.

- Nous le vengerons ! », promit Ruqqo de sa voix rauque.

Puis, le chef s'écarta de Kiergo et s'élança en hurlant.

« Loups du Feu ! Allons-y ! »

Tandis que les loups lançaient des regards haineux vers les canidés de l'Air, Kiergo tonna en retour.

« Faites un bon retour ! »

Les loups du Feu se regroupèrent et s'apprêtèrent à rejoindre la forêt lorsque Kaala remarqua qu'Ishka s'attardait encore.

« Attendez, dit-elle aux loups de l'Air. Puis-je récupérer le corps de Bershkir ? J'aimerais le veiller comme il se doit. »

Ce fut une femelle qui s'avança, l'expression adoucie, et qui lui répondit. Kaala la reconnut, il s'agissait de la compagne de Kiergo, Nessa.

« Le corps de Bershkir est au Repaire des Roches. Suis-moi, je vais t'y emmener.

- C'est un piège ! s'écria Ruqqo en grondant, se retournant d'un bond.

- Pourquoi en serait-ce un ? s'étonna Nessa en clignant des yeux. Guider l'un des vôtre à l'un de nos Repaires est un signe qu'on vous fait confiance pour ne pas retourner notre bonté contre nous. »

Ruqqo réfléchit, puis rétorqua.

« Alors, pour garantir un minimum la sécurité d'Ishka, vous devrez autoriser deux autres de mes loups à venir.

- Entendu. »

L'Alpha se tourna vers ses comparses et appela :

« Nyx ! Trevegg ! »

Deux loups se dévoilèrent. Nyx n'était pas spécialement imposante mais ses pattes semblaient puissantes. Elle arborait un long poil gris, presque blanc, tandis que Trevegg était d'un gris foncé. Le mâle était le plus vieux loup de toute la meute mais connaissait mieux que quiconque les ruses et les feintes des Loups de l'Air. Les deux canidés rejoignirent Ishka sur le plateau rocheux et suivirent Nessa. Leurs silhouettes disparurent peu après de leur champ de vision. Et si c'était une nouvelle excuse pour s'attaquer, de nouveau ?

Péniblement, Kaala suivit la meute sans s'empêcher de jeter des regards vers les Loups de l'Air qui les observaient depuis leur endroit. Leurs apparences longilignes semblaient fantomatiques. Peu à peu, une pluie diluvienne couvrit le paysage de son voile grisâtre. Kaala fut glacée jusqu'aux os, sentant chaque gouttelette s'infiltrer dans sa fourrure. S'ils avaient froids, les autres loups n'en montraient rien, continuant d'avancer vers la forêt qui, petit à petit, arrêtait de brûler. Les flammes avaient perdus leur ampleur, ne devenant plus que des petits feux isolés.

La petite louve avait mal partout. Elle traîna un peu la patte avant de se forcer à avancer plus rapidement. Lorsqu'ils pénétrèrent dans la forêt, par une partie non-calcinée, l'obscurité était forte, la végétation devint de plus en plus vive et épaisse. Sur le chemin, les loups restaient silencieux. Seul le bruit de leur pas résonnait dans toute la forêt, hormis les piaillement d'oiseaux de temps à autre. Finalement, Kaala s'approcha de Chilali, qui marchait la queue basse, aux côtés de Pax.

« Je voulais te dire Chilali, que je suis sincèrement désolée. Cette proie était la tienne, je n'aurais jamais dû accepter ta proposition. Je regrette, vraiment. »

Le cœur battant à tout rompre, Kaala attendait la réponse de son frère. Celui-ci fit un lourd soupir avant de s'arrêter pour la regarder. Son visage ne dévoilait aucune émotion mais ses petits yeux noirs brillaient de regrets.

« C'est à moi de m'excuser, Kaala. Je me suis emportée contre toi, alors que tu as toujours été si conciliante avec moi...

- Mais non. Ce sont les autres qui n'étaient pas justes. Je me comportais simplement comme une sœur. Tu n'as pas à t'en vouloir. »

Les deux louveteaux reprirent la marche derrière les adultes. Kaala lécha l'épaule de Chilali avec tendresse.

« Les Épreuves sont terminées, de toute façon. Tout rentrera dans l'ordre, nous deviendrons ensemble des Loups du Feu. »

Chilali secoua la tête, l'expression lace.

« C'est là que tu te trompes, Kaala. Je n'appartiendrais jamais à la Meute, murmura le louveteau blanc et brun.

- Mais, du point de vue de Ruqqo, tu as rater qu'une Épreuve, la première ? N'est-ce pas ? »

Elle sentit le doute et la tristesse lui étreindre le cœur.

« Non... je n'ai réussi ni la deuxième, ni la dernière.

- Pourtant, tu es là ! Tu n'es pas mort dans la bataille ! »

Les yeux de Chilali s'embuèrent.

« Parce que j'ai été lâche, Kaala. J'ai fui. Tu comprends ce que cela signifie ? Ruqqo ne veut pas de faibles, et je suis pire que faible.

- Non... ne dis pas ça !

- Je ne serais qu'un fardeau. Je ne mérite pas de vivre. »

Kaala secoua la tête. Elle ne voulait pas y croire ! Elle griffa le sol avec amertume.

« Tu ne peux pas dire ça ! Tu n'es pas un poids mort pour la Meute ! Moi, je t'aime et je t'aimerai toujours ! »

Chilali s'arrêta.

« Navré, Kaala. Il vaut mieux pour moi de partir, lâche comme je suis. »

Il donna un coup de langue sur la joue de Kaala, attendri, puis disparut dans les fourrés sans un regard en arrière.

« NON ! Je t'en supplie, Chilali ! » Elle laissa échapper un gémissement. « Reviens ! » Mais le louveteau avait déjà déserté. Il était parti, et pour toujours.

****************
Coucou, j'espère que ça va bien. Désolée, vraiment, d'avoir mis autant de temps à poster ce chapitre. J'ai eu un gros blocage dessus et l'envie d'écrire est partie. Mais elle est revenue maintenant, et voilà le chapitre deux! ;) j'espère de tout cœur qu'il vous aura plu. Je doute encore de certaines scènes... et il se peut qu'il reste encore quelques coquilles 😅 Par ailleurs, je tiens à préciser que ce n'est que le premier jet donc je sais qu'il n'est pas du tout parfait, loin de la même... en espérant que vous aimez quand même ?
Bye bye ✌️❤️ prenez soin de vous.

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