Chapitre 1
Un brouillard éthéré cernait de part et d'autre la cime des arbres. Une vague obscurité flottait dans l'air de la pinède. Kaala s'aplatit, sans cesser de fixer sa proie du regard. Elle se rappela ce que lui avait enseigné sa mère et s'immobilisa en position de chasseur. Le faon, bien que perdu et vulnérable, restait une proie difficile à attraper, surtout si elle était seule. La petite louve entendit le bruit du vent siffler dans les troncs des arbres et frémit en sentant son souffle s'infiltrer sous sa fourrure noire.
Pendant un instant, Kaala crut bien que le faon l'avait repérée car il redressa la tête des feuilles qu'il mangeait pour scruter les environs. Heureusement, la louve était indiscernable derrière un rocher entre les fougères. Son corps se mouvait parfaitement dans la pénombre et elle s'en réjouit.
À pas de loups, la femelle attendit le moment propice ; ce dernier ne tarda pas à arriver et, bandant ses muscles, Kaala fit un bond prodigieux pour arriver, les griffes en avant, sur l'arrière-train de sa proie. Le faon poussa un cri à en déchirer les tympans et voulut se débarrasser de la louve qui se cramponnait fermement à sa croupe, les griffes plantées dans sa chair frêle. Kaala, afin d'abréger au plus vite ses souffrances, bondit vers sa nuque et la mordit de toutes ses forces.
Contre toutes-attentes, l'animal éjecta la louve avant qu'elle ne puisse faire le coup fatal et s'enfuit dans les fourrés. Kaala s'empressa de se relever d'un pas chancelant et tenta de le rattraper. Le petit faon, lorsque la femelle émergea des taillis en suivant sa piste, avait fini sa course près d'un grand chêne, et agonisait en souffrant le martyr.
La femelle noire se réjouit de sa prise, elle avait réussi la première épreuve ! Elle entendit encore les paroles de sa mère énoncer comment se dérouleraient les Trois Epreuves.
« Les Epreuves existent pour évaluer ta légitimé à rejoindre les rangs de la meute du Feu ; il y en a trois en tout. La plus dure reste la dernière et c'est elle qui détermine ta place dans le groupe. Les deux autres ne sont pas simples pour autant. La première est une démonstration de tes capacités à chasser une proie, dans un temps limité, évidemment. La deuxième est une piste a retrouvé. La dernière est un combat en face à face entre les louveteaux. », leur avait-elle expliqué, à elle et sa fratrie.
Kaala s'approcha, un peu bouleversée d'avoir tué sa première proie, et voulut se dépêcher de terminer au plus vite l'achèvement. Mais, avant qu'elle n'arrive près de l'animal, une silhouette surgit des frondes et posa sa patte meurtrière sur le corps tremblant du faon. La louve, sortie des fourrés, sourit d'un air satisfait et lança un regard vainqueur à Kaala qui serra les crocs en reconnaissant sa soeur, Nyméria. Nyméria acheva rapidement l'animal en jetant une oeillade de fierté en direction de la petite louve noire.
« Cette proie était la mienne ! » protesta Kaala en voyant sa soeur saisir le faon. « J'allais l'achever avant que tu n'arrives. »
Nyméria ricana.
« Trop tard, c'est moi qui l'ai achevée. » rit-elle en se nettoyant ses griffes sanguinolentes. « Ne fais pas cette tête, t'en trouveras d'autres des proies. », ajouta-t-elle devant l'air ahuri de Kaala.
Cette dernière montra les crocs, déterminée à ne pas la laisser prendre sa proie. Nyméria grogna à son tour et les deux femelles s'affrontèrent du regard. Kaala savait tout de la raison pour laquelle Nyméria lui avait volé son gibier, cette dernière avait sans doute échoué à en débusquer un et ne semblait vouloir s'avouer perdante de l'Epreuve.
Le vent ébouriffa alors sa fourrure et transperça la louve noire qui frémit de froid. Nyméria face à elle n'esquissa pas le moindre frémissement à la bise qui brusquait son pelage roux, où seules ses pattes étaient blanches. Son regard doré jaugeait la femelle noire d'un air méprisant.
« Pourquoi tu fais ça, Nyméria ? T'es pas assez douée pour chasser toi-même ? » éructa-t-elle en retroussant les babines, grondante.
Nyméria ouvrit la gueule pour répondre mais un appel retentit dans toute la forêt. Le signal ! songea Kaala.
« Bonne chance, Kaala. » dit Nyméria en souriant simplement d'un air arrogant et, saisissant le faon entre ses mâchoires, tourna les talons dans les fourrés vers le lieu d'où provenait l'appel de l'Alpha. Kaala griffa le sol d'un air rageur. Je vais tous les décevoir ! Nyméria va être couverte de gloire, et moi de honte ! Parce que je n'ai pas pu sauver ma proie de ses griffes !
Kaala s'empressa de filer, ventre à terre, pour retourner au repaire. Mieux valait ne pas tarder, surtout si elle rentrait bredouille. Elle atteignit au pas de course une grande clairière, illuminée par le soleil, et en son centre s'élevaient des rocs formants des tanières. Au milieu des tanières, un endroit plat et ras accueillait des silhouettes familières. Kaala reconnut Ruqqo et Fendra, les Alpha - et par conséquent ses parents - ainsi que Nikita, portant un écureuil dans sa gueule, Cyrus qui avait attrapé un campagnol bien dodu — quant à Pax, il avait débusqué une perdrix. Au plus grand désarroi de Kaala, Nyméria était déjà présente et montrait avec fierté le faon.
Alors que la femelle noire constatait l'absence de Chilali, son frère préféré, sa silhouette apparut des taillis et vint la saluer, un lapin bien serré dans la gueule. Kaala afficha une mince déconfite. Je suis la seule à revenir bredouille... pensa-t-elle, dévastée. Chilali déposa sa proie au sol et demanda, l'étonnement visible sur le visage :
« Tu as échoué, Kaala ?
- Non... Nyméria m'a dérobé ma proie avant que je ne puisse l'achever », avoua-t-elle, les oreilles brulantes de honte.
Chilali jeta un regard vers le rassemblement de canidés.
« Tiens, prends-le. », il poussa du bout de la truffe le lapin vers elle. « Tu le mérites. »
Kaala mit une poignée de secondes avant de comprendre ce que cela signifiait. Elle baissa le regard vers le lapin mort, le coeur réchauffé par cette offre.
« Je ne peux pas, Chilali. C'est ta proie... garde-la, elle t'appartient, hasarda-t-elle, un peu confuse.
- Ce n'est pas la mienne, je l'ai trouvé déjà agonisante, insista le mâle au poil ébouriffé. Je ne veux rien entendre, Kaala. Tiens. »
Il lui tendit le lapin. Elle hésita un instant et s'en saisit. Chilali n'attendit pas une seconde de plus et rejoignit leur famille d'un pas vif. Kaala lui emboita le pas. Qu'aurait-elle fait sans lui ? Elle espéra de tout coeur qu'il ne finirait pas Oméga, même si son chemin menait déjà vers cette voie, car le voir subir les agressions des autres... non, elle ne le supporterait pas. Jamais, se promit-elle. Il était si conciliant et gentil, dans un monde si cruel que Kaala connaissait à peine.
Elle s'assit aux cotés de Chilali et de Pax dans un roulement de muscles.
« Bien, vous êtes là, Kaala, Chilali. » annonça Ruqqo. Il se leva, observant la proie que chaque louveteau avait trouvé. Son regard se fit pesant lorsqu'il vit l'absence de gibier chez Chilali. Le coeur de Kaala se serra si fort quand l'Alpha décréta d'une voix sans pitié : « Je suis affreusement déçu, Chilali. En as-tu seulement conscience ? » Le louveteau baissa piteusement la tête, en signe de soumission et sa queue fut entre ses pattes tremblantes.
Ruqqo gronda, les lèvres retroussées afin de mieux dévoiler ses canines au tranchant cruel. Il fixa le louveteau d'un oeil dur et sévère. Sa patte se leva soudainement et ses griffes meurtrières déchirèrent l'épaule de Chilali. Ce dernier gémit et recula en voyant le sang giclé sur sa fourrure. Une grosse marque sanguinolente était maintenant apparente et semblait assez profonde. Kaala griffa le sol en rageant intérieurement, c'était de sa faute si Chilali subissait cela ! Il lui était si déchirant de regarder la scène en se sachant impuissante. Quel loup aurait laissé faire cela ? Mais la petite femelle noire n'était que désarmée face à la scène. Elle jeta un oeil vers sa mère Fendra mais cette dernière était impassible, comme blasée de la situation, et à la vue de sa mère qui laissait son fils se faire blesser, elle comprit que Fendra ne lèverait plus jamais le bout de la patte pour aider l'un de ses petits. Ruqqo rugit en se tournant vers les autres louveteaux :
« Il est une honte aux vrais loups du Feu ! »
Nyméria approuva ses paroles d'un hurlement, et laissa son oeil glisser vers Kaala, en signe d'avertissement ? La louve noire l'ignorait. Les autres louveteaux suivirent Nyméria en hurlant leur approbation.
En poussant un nouveau grognement, Ruqqo plaqua sa patte sur la nuque crispée de Chilali. Le mâle au poil blanc et brun fit un misérable gémissement qui implorait la pardon et la clémence de l'Alpha. Celui-ci se pencha vers l'oreille du jeune loup et lui susurra des mots que tous les louveteaux purent entendre, et ces mots, résonnaient comme une promesse dans l'air glacé du matin.
« Il n'y a pas de place pour les faibles. » Il redressa l'échine et tonna d'une voix plus forte, pleine de mépris. « Tu m'as déshonoré, ainsi que tous les loups du Feu, et tu oses implorer ma clémence ? ! »
Chilali tremblait de plus en plus et s'aplatissait comme s'il voulait ne faire qu'un avec le sol. Kaala se sentait misérable de ne pas réagir. Elle scruta ses frères et soeurs, dans l'espoir de les voir remuer une oreille. En vain. Pax se nettoyait la patte, désintéressé. Nyméria affichait un sourire exécrable. Cyrus et Nikita restaient silencieux, et Kaala eut presque l'espoir de les savoir révoltés contre l'agissement de Ruqqo mais en entendant leur chuchotement, elle sentit un long déchirement cisaillé son cœur.
« Quel incapable ! Il ne s'est donc pas chassé à notre âge ? s'écriait Nikita d'une voix consternée.
- Tu l'as dit, approuva aussitôt Cyrus. J'espère bien qu'il sera puni convenablement. »
Kaala ne pouvait peut-être pas sauver son frère des griffes de Ruqqo mais elle pouvait toujours faire ouvrir les yeux à son frère et sa sœur. Elle se faufila vers eux, et leur chuchota :
« Vous n'avez pas honte de parler ainsi de notre frère ?
- Les seuls frères que j'ai sont Pax et Cyrus, affirma Nikita. Lui. » elle désigna du bout de la queue Chilali. « N'est qu'un faible à mes yeux. Il ne mérite pas d'être un véritable loup du Feu. »
Kaala sentit son cœur se serrer douloureusement.
« Que vous le vouliez ou non, Chilali est et sera toujours notre frère. » siffla-t-elle.
Nikita la regarda comme si elle ne voyait en elle qu'une inconnue. Son visage se déforma en un rictus mauvais. Cyrus s'ébroua en lançant un regard complice à la femelle rousse.
« Pauvre inconsciente. » cracha Nikita sans cacher son mépris.
Kaala baissa les oreilles, blessée. Elle voulut répliquer mais Fendra se leva et décréta : « Il est temps de passer la Seconde Épreuve. Ruqqo cesse donc toute cette mascarade et annonce ton châtiment. » Sa voix n'était même pas horrifiée, elle était seulement lassée mais formelle.
Kaala ne se sentit pas à sa place tout d'un coup. Elle ne s'était jamais réellement considérée tout comme, mais la situation rendit son sentiment plus fort dans son cœur. Ils étaient tous si cruels... et elle, si naïve et insouciante. Fendra, dont le corps était musclé et élancé, fit rouler ses muscles et bondit sur un monticule un peu plus haut, toisant les louveteaux d'un air suffisant et autoritaire. Kaala regarda Chilali la rejoindre après que Ruqqo ait repris place auprès de sa compagne. Son frère tremblait de tout son corps et dans ses yeux flottait un voile de peur.
« Ça va, Chilali ? murmura la femelle noire.
- Tout... tout ça c'est de ta faute ! Je n'aurai jamais du... je te hais, Kaala ! » feula l'interpelé en montrant les crocs.
Sa peur avait été chassée par la colère. Kaala fut percutée par ses paroles comme s'il l'avait frappée. Elle chercha une lueur de gentillesse dans ses yeux mais il était dans une rage qui ne lui était pas connue.
Kaala ressentit un profond sentiment culpabilité déchirer son cœur.
« Je suis désolée, Chilali. Mais tu as insisté... tu m'as dit que..., bredouilla-t-elle d'une voix pleine de regrets.
- La ferme. » intervint Pax en donnant une tape derrière les oreilles de Kaala, lui intimant le silence. « Fendra va parler. »
Kaala grogna mais ne trouva rien à répliquer. Son œil glissa vers Chilali qui partait s'assoir plus loin d'elle, à sa plus grande tristesse.
La petite femelle noire vit dans le regard de Fendra brûler une lueur de compassion envers le louveteau blanc et brun, mais elle fut vite balayée par l'autorité. Ruqqo s'avança sur le monticule et rugit d'une voix forte :
« Il est temps pour vous, louveteaux, de passer la deuxième épreuve. La première était assez simple. » Son regard brûlant coula sur Chilali de manière sévère. « Mais la seconde s'avère un peu plus compliquée. Votre objectif est simple : Quatre loups du Feu - dont les Bêta : Bershkir et Ishka - Ainsi que Ylin et Werrna, se sont cachés dans la forêt en prenant soin de laisser une trace derrière eux. A vous de retrouver l'un d'eux.
- De plus, reprit Fendra d'une voix formelle, pour éviter de vous suivre les uns et les autres, vous partirez chacun dans une direction que l'on vous indiquera.
- Des questions ? »
Kaala secoua la tête, bientôt suivie par ses frères et sœurs. Nyméria s'avança et exigea :
« J'ai chassé la plus grosse proie de nous tous, je devrais bénéficier d'un avantage ! »
La rage monta en Kaala. Elle va voir celle-là lorsque je la battrais, songea-t-elle, la colère formant une boule noire dans son ventre. Mais elle n'intervînt pas et laissa Ruqqo répondre d'une voix compréhensive.
« Nous comprenons tout à fait ta requête, Nyméria. Ne t'en fais pas, nous rééquilibrerons la compétition, si c'est ce qui t'inquiète. »
Fendra descendit de la butte et s'approcha de Pax. Le bout de sa queue désigna le sud-est de la forêt, vers la rivière où la meute s'abreuvait en grande partie. La femelle indiqua alors ensuite à chaque loup où il devait aller. Chilali, le regard sur ses pattes, eut le visage éclairé lorsque sa mère lui accorda une seconde chance en lui indiquant son chemin. Ruqqo gardait le silence mais Kaala vit l'air réprobateur plaqué sur sa gueule. Fendra s'en aperçut mais l'ignora magnifiquement.
La petite louve noire s'efforça de contenir son impatience quand cette dernière lui montra enfin où elle irait, et vit qu'elle lui affectait aux grandes plaines.
« N'est-ce pas la limite de notre territoire ? », interrogea la louve noire, confuse.
Fendra répondit simplement d'un grognement.
« Dans ce cas, ne les dépasse pas. » Puis, elle se tourna à tous les petits d'un air suffisant. « À mon signal, vous pourrez partir. » Elle frappa trois fois de la queue et lança un hurlement, bientôt suivi par celui, plus fort et plus rauque, de Ruqqo, toujours perché sur le monticule avec une posture de dominant.
Kaala vit tous les autres détaler, ventre à terre. Seul Chilali mit plus de temps à disparaitre, ralenti par sa blessure. La louve s'en voulu atrocement de ne pas aller l'aider mais il la rejetterait surement. Il avait insisté et c'est lui qu'il l'a voulu... n'est-ce pas ? Oubliant sa culpabilité, elle fila entre les taillis et rechercha une effluve familière. Son flair passa au crible chaque recoin du chemin, sans qu'elle puisse détecter ne serait-ce qu'une odeur canine.
Quand le désespoir d'avoir été attribuée une mauvaise piste, elle commença à croire qu'elle n'y arriverait jamais. Pourtant, la senteur de Bershkir flottait sur un bouquet de fougère et la piste continuait jusqu'à l'orée. Kaala la suivit, la gueule entrouverte pour mieux capter l'odeur, et arriva jusqu'à la limite des bois. Elle s'interrogea intérieurement. Devait-elle continuer ? Ces plaines-ci n'appartenaient pas aux Loups du Feu, mais à la meute de l'Air.
L'odeur du Bêta persistait malgré tout sur les ajoncs et semblait s'éterniser encore plus loin. Kaala hésita avant de poursuivre son chemin. L'herbe dans les plaines était si haute qu'elle lui arrivait au poitrail et ralentissait sa progression. Le soleil se levait sur le territoire, inondant les prés d'une couleur jaune. Les bourgeons commençaient à se transformer en fleur, petit à petit. Kaala se faisait malmener par le vent qui soufflait et son poil était plaqué contre ses flancs.
La jeune louve s'étonna de voir la piste continuer à travers champs. Malgré ses doutes, elle s'entêta à la suivre. Le silence encombrait la plaine, et seule la bise murmurait à travers les végétaux. Kaala s'arrêta, le souffle court, et se retourna dans l'espoir de voir la forêt encore proche. Mais elle semblait beaucoup plus lointaine à présent, et la femelle constata qu'elle était vulnérable au beau milieu des plaines à découvert.
Son pelage noir ne passait pas inaperçu, en plus. Comment font les Loups de l'Air pour vivre ici ? songea-t-elle. Le vent était désagréable et la percutait en la désarçonnant, ce qui la déviait de temps à autre de son objectif.
Elle atteignit enfin un bosquet d'arbres, et leur protection qu'elle convoitait ! Elle se réjouit de trouver l'odeur forte de Bershkir au pied de l'un d'eux. Elle tourna autour du conifère mais ne comprenait pas car sa trace s'arrêtait là. Son regard se leva vers les branches de l'arbre et elle discerna sa silhouette familière. Ce dernier, allongé sur un branche haute pouvant supporter son poids, se léchait la patte avec prestance.
Dois-je vraiment grimper là-haut ? Kaala appela le Bêta pour qu'il daigne à redescendre.
« Bershkir ? »
Le mâle grogna en redescendant doucement de l'arbre, patte après patte. Sur la terre ferme, il s'ébroua en soupirant longuement.
« J'appréciais beaucoup ce temps de répit, pesta-t-il. Tu m'as dérangé, Kaala. »
L'interpelée fulmina intérieurement. Mais ne rétorqua rien, au risque de se faire sermonner. Elle emboita le pas au mâle à travers les prés. Elle allait devoir supporter le trajet avec ce grincheux, en plus du vent !
Le silence s'éternisait alors que la forêt était encore lointaine. Kaala se demanda pourquoi il s'était caché si loin de la forêt, et surtout, hors de leur territoire. Elle posait difficilement une patte devant l'autre, lorsqu'une voix la surprit derrière elle.
« Tiens tiens, mais que vois-je ? »
En se retournant au même instant que Bershkir, elle tomba truffe à truffe avec de grands loups, hauts-sur-patte et à la silhouette famélique. Des loups de l'Air ! Son pouls s'accéléra en comprenant qu'elle et Bershkir ne leur échapperaient pas. Ils étaient deux contre cinq. Que font-ils sans le reste de la meute ? s'étonna la petite louve noire.
« Je vais vous faire regretter d'être venus au monde, bande de vermines ! », cracha une femelle brune pâle, dont du blanc comme neige s'étendait le long de son museau jusqu'au ventre de manière irrégulière. Sa voix était chargée d'animosités et sa queue se balançait rageusement.
Elle dévoila ses canines et son haleine fétide fit grimacer Kaala. Le regard vert de la louve brune et blanche brillait de manière haineuse, et elle se serait littéralement jeter sur eux, si un loup au poil blanc extrêmement long, ne s'était pas avancé et avait demandé d'une voix formelle, dénuée de sentiments quelconques.
« Que faites-vous sur nos terres ? La meute du Feu n'a pas assez des forêts pour se nourrir ? »
Bershkir, dont la position était détendue, avança d'un pas vers lui. Son regard scintillait d'une lueur si mauvaise que Kaala crut que l'autre allait s'en prendre à lui, mais ce dernier n'y fit pas gare et attendit sa réponse calmement, mais le regard pas moins étincelant de colère.
« Nous faisions que passer, Arctic. Inutile de s'énerver, n'est-ce pas Bly ? », fit le Bêta en glissant un regard arrogant à la femelle dont l'échine s'hérissait.
Bly cracha. Arctic, ne voulant pas augmenter la tension, posa sa queue sur son dos en lui lançant un regard qui désapprouvait ses agissements. Malgré sa colère, Bly obéit et fit part de sa soumission en baissant le regard et en rentrant la queue entre les pattes. Un loup, au poil roux clair rayé de blanc uniquement sur ses pattes, intervint.
« Vous n'avez rien à faire ici. » En échangeant un regard avec les deux autres loups à ses cotés, ainsi qu'Arctic, il poursuivit :
« Retournez chez-vous, avant qu'on ne change d'avis.
— Et ne vous avisez plus de revenir, ou je ne ferai qu'une bouchée de vous ! » lança Bly, ravivant les tensions, les crocs dévoilés.
Bershkir gronda avec opposition. Kaala se fit toute petite, pétrifiée par la peur. Partons, tant qu'il est encore temps ! pensa-t-elle. Mais le Bêta se jeta sans hésitation sur le corps de la femelle, les griffes en avant. Kaala ne sut quoi faire et recula, tremblante de peur. Les deux loups qui n'avaient pas parlé se joignirent également à Bly et Bershkir. Le loup, même s'il se battait avec la force de deux individus, ne faisait pas le poids face aux trois autres et était rué de coups. Pourtant, à aucun moment son sourire méprisant ne s'effaça de son faciès.
Kaala vit alors le grand mâle blanc, Arctic, s'approcher d'elle de sa démarche impérieuse. Elle couina de façon si pathétique qu'elle pesta en son for intérieur. Sois digne ! Tu fais honte aux Loups du Feu, Kaala ! se rabroua-t-elle. Elle voulut s'aplatir face au loup de l'Air mais celui-ci lui ordonna en la poussant du bout de la patte :
« Fuis, petite tant qu'il est encore temps pour toi ! »
Elle n'eut pas le temps de le remercier et déguerpit. Jamais elle n'avait couru aussi vite, aussi rapidement que ses pattes le lui permettaient. Son souffle était court et elle n'avait pas encore atteint la forêt lorsqu'elle entendit des pas derrière elle. En y jetant un œil, elle vit l'ombre de Bly et cela se confirma quand elle entendit sa voix haineuse lui tancer :
« Reviens-là, sale boule de poils ! Tu ne m'échapperas pas ! »
Kaala accéléra l'allure mais elle n'avait plus beaucoup d'énergie et il lui restait encore une longue distance à parcourir avant d'atteindre les bois.
« Je vais te réduire en charpie ! »
Le coeur de la louve s'emballa. Je peux y arriver ! Sois courageuse, Kaala... mais qu'est-ce qu'un loup du Feu ferait dans ce cas là, à part courir autant qu'il peut ?
L'épouvante de tomber entre les griffes de Bly fit hérisser son échine, et l'aida à redoubler d'efforts. Malheureusement, elle n'était qu'un louveteau et Bly, une louve expérimentée... Kaala ne vit pas la pierre entre les herbes tant elle essayait de sauver sa peau, et se tordit la patte dessus. Elle tomba en avant et heurta le sol avec tant de violences que des étoiles brillèrent devant ses yeux.
Mais ce n'était pas la douleur qui l'inquiétait, c'était la louve de l'Air. Bly allait certainement la rattraper, et ce serait fini pour elle.
Kaala cligna des yeux pour chasser le voile rouge qui l'empêchait d'y voir clair, mais impossible pour elle de se repérer et peu après, elle ressentit une profonde douleur irradier de son arrière-train et comprit que Bly lui avait sauté dessus.
En moins de temps qu'il ne fallait pour le dire, la grande louve plaqua Kaala au sol et sa gueule effleura le visage de la femelle noire. Paralysée, la petite du Feu fut incapable de réfléchir ou de bouger.
« Par quoi devrais-je commencer ? T'arracher la peau ou te vider de ton sang ? » susurra Bly d'une voix doucereuse en griffant lentement la joue de Kaala.
Lorsqu'elle retira sa griffe de sa peau, Kaala sentit la douleur l'étourdir et du sang gicla de sa blessure sur les griffes déjà sanguinolentes de la louve de l'Air.
« Laisse-moi tranquille ! » hurla la femelle noire en tentant — vainement — de repousser son assaillante.
Bly ricana de manière cruelle. Ses yeux brillaient d'un éclat malicieux.
« Oh, mais je viens à peine de commencer ! »
Kaala, le souffle haletant, vit le paysage tourner autour d'elle. Bly se mit à mordre dans son cou, pas très profondément au début, puis elle s'apprêta à broyer ses os de sa puissante mâchoire lorsqu'une ombre la projeta à terre.
L'ombre était en réalité Arctic, le visage grondant, une blessure sanguinolente dans le flanc.
Kaala sentit son coeur se décrocher de son poitrail. Elle vit avec horreur le mâle blanc griffer violemment le visage de Bly avec tant d'ardeur que Kaala eut soudain extrêmement peur de lui.
« Je commençais seulement à m'amuser ! » s'écria d'une voix mielleuse Bly.
Arctic feula.
« On ne tue pour son propre plaisir ! Tu devrais le savoir ! » s'indigna ce dernier, exultant de colère.
Kaala vit la femelle brune et blanche cracher du sang en même temps qu'elle rétorqua :
« Les Lois de la Vallée n'interdisent pas de punir les intrus !
- Tuer et torturer sont deux choses bien différentes selon moi. » répliqua Arctic en feulant.
Bly se lécha les babines. Ses yeux brillaient d'un intense éclat mauvais.
« Tu aurais bien tort de t'en prendre à moi, Arctic, feula-t-elle. À moins que tu ne préfères trahir ta propre meute ? »
Arctic gronda, les yeux étincelants.
« Epargner ne veut pas dire trahir, dit-il, la voix empreinte de colère.
- De quoi voudrais-tu l'épargner, voyons ? Nous sommes les plus puissants, imbécile ! »
Le mâle blanc sourit d'un air méprisant.
« De ta folie, Bly ! » Il se tourna brusquement vers Kaala. « Enfuis-toi, petite ! Et ne me fais pas regretter de t'avoir sauvée ! »
Sur-ces mots, la petite femelle noire se leva dans un élan d'effroi en entendant derrière elle les grognements rageurs du combat entre les deux loups tandis que les paroles d'Arctic résonnaient encore dans sa tête.
________________________
Coucou ! J'espère que ce premier chapitre vous a plu. N'hésitez pas à me dire votre ressenti, et à me faire remarquer les fautes s'il y en a 😊❤️
A plus ❤️
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top