Partie I. La Fin : l'Ordre des Roses noires
1998...
Ça y est, c'est fini. J'inspire un grand coup, le regard perdu dans les lumières du château, seul phare dans la nuit tombante. Totalement fini. L'éclat de lumière verte surgit à travers vitraux de la Grande salle a désormais disparu. Il est mort. Cela doit bien faire au moins cinq minutes. Je le sens, il n'existe définitivement plus, sous quelque forme qui soit. La respiration haletante, je fixe l'endroit où le mangemort que je combattais s'est évanoui dans une fumée noire suite à cet évènement, marquant la fin du règne des Ténèbres. Je ne parviens toujours pas à réaliser, à y croire, je suis plus choquée qu'autre chose.
Un calme incroyable plane maintenant sur le champ de bataille de Poudlard, envahi il y a quelques instants à peine par des créatures en tout genre, des géantes et géants emprunts de brutalité, des détraqueurs assoiffés de sentiments, des sorcières et sorciers enragés, des cris de douleur ou de triomphe et des jets de lumière colorée fusant de partout. La violence semble avoir fait place à la paix. Après tant d'années de lutte, tant d'années de souffrance, tant d'années de tant de choses...
« Voldemort n'est plus. »
Le dire à voix haute le rend encore plus fort, plus réel. Je sors de ma stupéfaction teintée de soulagement, pour laisser l'allégresse s'emparer de moi. Relevant la tête, je me tourne vers Camilla, ma meilleure amie. Je lui souris, puis éclate de rire. Elle me regarde un instant, incrédule. Même son apparence témoigne de ce sentiment, avec sa chevelure brun caramel ébouriffée, de laquelle s'échappent quelques cheveux s'accrochant aux cils de ses yeux marrons écarquillés. Les rides d'expression de ses paupières disparaissent dans sa peau métissée, qui contraste peu avec l'atmosphère sombre, s'installant avec la venue de la nuit. Sa bouche reste entrouverte un instant, avant qu'elle ne se joigne à ma bonne humeur. Je suis si heureuse, nous allons enfin pouvoir réaliser notre rêve et tout recommencer à zéro. Même sans terminer notre sixième année ni diplôme, un nouveau départ sur un nouveau continent est possible. Dans un élan de joie, je me précipite pour la serrer dans mes bras. Mes genoux se plient et se déplient, mes muscles se contractent et mes pieds martèlent le sol. Je cours vers elle, comme jamais je n'ai couru vers quelqu'un, au ralenti, comme si elle était inaccessible, comme si mes jambes épuisées avaient eu un regain de vigueur et me propulsaient par de légers bonds en l'air. Et alors que je vais enfin l'atteindre, un bruit de froissement d'air, comme celui qui suit un transplanage, me coupe dans mon ardeur.
« Flipendo ! »
Immédiatement, alors que je commençais à peine à me retourner, je m'écroule. Une étrange sensation m'enserre la poitrine, partant de mon dos, là où le sort m'a percutée, des frissons me parcourent le corps, ma vue se trouble et je m'effondre par terre, d'un coup. Mon corps touche le sol avec un bruit sourd, tandis que je heurte l'allée qui mène au château. J'ai juste le temps d'entendre Camilla crier, sentir quelqu'un agripper ma cheville et la chaleur des graviers quitter ma joue avant que tout ne devienne noir. La dernière pensée qui me vient est : pourquoi moi ?
•✵•
Je sens une vive lumière taquiner mes paupières avant qu'elle ne s'estompe presque aussi soudainement qu'elle m'a réveillée. La dureté du sol contre mon visage, l'odeur de l'herbe sur mon nez et le poids de mon corps sur mon bras droit me font reprendre conscience rapidement. Incapable de me relever, tétanisée par la peur, je reste immobile. Je suis toute tremblante et respire difficilement. Que va-t-il m'arriver ? Ce n'est pas pour rien que je n'ai pas été envoyée à Griffondor, je n'ai jamais été très courageuse. Tentant de faire abstraction de mes craintes, j'essaye de comprendre la situation. Privée de ma vue par l'obscurité, mes autres sens en sont décuplés, me permettant ainsi de capter plus clairement l'environnement qui m'entoure, mais surtout, de rendre distincts les chuchotements que je perçois. Même pétrifiée de terreur, en tendant attentivement l'oreille, je parviens enfin à comprendre ces incessants bourdonnements.
« ...vraiment une bonne idée ? termine de déclarer une voix hésitante aux tonalités aiguës, m'indiquant qu'il s'agit probablement d'une femme.
— Crois-tu vraiment que nous ayons le choix ? s'oppose une voix plus forte et agressive, qui lui confère des accentuations de basse, mais non moins féminine.
— C'est tout de même un peu excessif, non ? Et si ce n'était pas elle ? reprend la première voix.
— Mais c'est elle ! insiste la seconde, imposante.
— Comment peux-tu en être aussi sûre ?
— Ouvre les yeux ! Après tout ce temps où tu l'as côtoyée, tu dois te souvenir de son visage, non ? Moi, j'ai encore sa face gravée derrière mes paupières. Et je te dis que cette fille a les traits d'Aline ! »
Cette dernière phrase me fait un choc, Aline, comme ma mère ? Que vient-elle faire dans cette histoire ? L'Aline que j'ai connu, douce et protectrice, aurait fréquenté ces personnes odieuses ? Je peine à y croire. Malgré cette révélation, j'entreprends de me reconcentrer sur la conversation, ou plutôt le débat qui s'apparente à une dispute sororal.
« Nous ferions mieux d'abandonner, suggère la première sorcière.
— Quoi ? Maintenant ? Alors que nous venons à peine d'enfin retrouver sa piste ? s'emporte l'autre. Tu veux vraiment piétiner tout ce travail de recherche qui nous a pris des années ?
— Non, mais je pense qu'il y a une autre solution...
— Assez ! » siffle soudainement une troisième voix, froide et tranchante, qui fait remonter une brise glaciale le long de mon échine.
Elle obtient instantanément le silence, sans pour autant avoir crié. La conscience de sa présence que je n'avais décelée jusque-là me terrifie et accentue même mes tremblements.
« Nous allons poursuivre le plan prévu, reprend-elle, lentement, en savourant chaque mot, nos consœurs comptent sur nous. Et nous allons récupérer ce qu'Aline nous a volé. »
Après un silence mesuré qu'aucun bruit ne brise, un frémissement provoqué par l'autrice même de ce mutisme le rompt.
« Pour toujours et à jamais, l'Ordre des Roses noires », murmure la voix polaire, dans un souffle sifflant de serpent.
À ces mots, ma main saisit instinctivement mon bracelet dont je sens le pendentif en cercle, avec ses mystérieuses lignes qui s'entrecroisent pour rejoindre la perle au centre, s'enfoncer dans ma paume. J'ignore quelle symbolique je peux décrypter dans ce geste, hormis le fait que je sens un besoin impératif de le protéger. Un sentiment nouveau laisse place à la peur, je ne saurais l'expliquer, ni même le définir, je sens simplement que mes membres tétanisés cessent de trembler et que mon esprit confus recouvre de sa lucidité. Le cœur battant, réfléchissant à peine, je repère ma baguette qui traîne dans l'herbe, non loin de là, seulement éclairée par la lueur que produit une boule de lumière flottant au-dessus du trio qui m'a attaquée. Je distingue à peine leurs trois silhouettes, mais les oublie vite, me reconcentrant sur ma baguette.
Je rampe lentement, ou plutôt avance par à-coups, en soulevant le haut de mon corps, puis mes jambes pour me retrouver en position de gainage et me déplacer en crabe avant de reposer ma masse corporelle, dans le soucis de faire le moins de bruit possible. Je suis tellement concentrée que les seuls sons que j'entends sont ceux des battements de mon cœur, qui résonnent fortement dans ma poitrine et le léger bruissement des feuilles sur mon passage, me semblant produire un vacarme assourdissant. Lorsqu'enfin j'atteins mon but, j'ai presque envie de pousser un hurlement de joie, mais cette placidité qui m'a saisie est trop présente pour laisser place à un quelconque autre sentiment. Bien que je sente l'allégresse se propager dans mon être tout entier, je suis incapable de l'exprimer. C'est ainsi que refermant mes doigts sur ma baguette en olivier, alors que le bonheur de nous retrouver irradie à travers ma chair, je ne m'y attarde pas et me remets déjà sur pied.
En me relevant, je manque de m'étrangler avec mon écharpe jaune et noire, et également de jurer, ce qui m'aurait trahie. Fort heureusement, cela a légèrement coupé mon souffle, empêchant ma réaction à l'instant que même mon flegme soudain n'aurait pu contenir. Malgré cet incident, je ne regrette pas de porter cet habit encombrant, je lui accorde une importante valeur sentimentale, étant donné qu'elle symbolise non seulement ma maison, mais appartenait également à ma mère. Cette pensée, qui m'a détachée de l'état d'impassibilité, me motive encore plus et c'est elle qui me pousse à franchir le pas.
Je bondis d'un coup, passant de ma position semi-accroupie à celle d'après un atterrissage de portoloin, courbée avec les jambes prête pour le départ d'une course. Presque immédiatement, sans un regard en arrière, je me mets à courir, titubant à moitié au début, avant de me stabiliser. Mes agresseuses semblent avoir remarqué ma fuite, car une lumière rouge me frôle le bras, suivie d'une jaune que j'évite de justesse, mais à laquelle l'écorce derrière mon dos n'a dû survivre.
« Ne la tuez pas, nous avons besoin d'elle ! » prévient la sorcière glaciale, dont les paroles sont vite emportées par le vent.
Je poursuis mon périple, accompagnée de mon manteau bleu pastel virant au gris, de par son vécu, qui me bat les hanches, et mon écharpe tantôt plaquée contre ma poitrine, tantôt virevoltante au vent et parfois pendante à mon cou. Des éclairs de lumière multicolores fusent un peu partout en tentant de m'atteindre, tandis que je slalome entre les arbres, les oreilles engourdies par les frottements de l'air qui me rendent presque sourde.
N'entendant plus rien, ne me préoccupant plus de mon environnement, je cours. Je cours sans m'arrêter. Mes pieds frappent le sol avec force, mes mains moites battent l'air et le souffle de ma respiration haletante créé de petits nuages de buée qui me reviennent en plein visage. Imperturbable, poussée par l'adrénaline, je me transcende et vois à peine défiler les arbres sur mon chemin, les yeux rivés sur la terre, tantôt meuble, tantôt dure, sur laquelle je me bats pour continuer de me tenir debout, de respirer, de vivre. J'ai le corps lourd, mes muscles me pèsent, l'air glacial printanier me fouette le visage tandis que mes yeux s'embuent, au contact du vent provoqué par ma vitesse.
Alors que mon rythme cardiaque est à son paroxysme, que des courbatures me guettent, que mes genoux menacent de ne plus se mouvoir, que ma vue se trouble et que l'obscurité de la nuit qui tombe commence à avoir raison de moi, j'entrevois avec peine, à travers mes paupières, de faibles lumières. Rassemblant mes dernières forces, dans un semblant de revitalité, je profite du soudain regain que me procure l'espoir et pousse de mes pieds le sol, le plus que je le peux, jusqu'à presque faire de petits bonds d'une légèreté porteuse de lourdeur.
La vision peu claire et floue, la tête tournante et les membres au bord du supplice, j'atteins ce qui me semble être un village. Je traverse une grande rue à la route cahoteuse, sur laquelle je manque de justesse de tomber lorsque mes pieds se prennent dans les jointures des pavés. Boitant à moitié et sentant mon énergie me quitter, je rejoins une vaste étendue à ciel ouvert et contourne une masse blanche informe qui doit être une statue ou une fontaine, avant de m'écrouler devant un vieux bâtiment qui a l'air en bois. La seule chose que je distingue avant de ne sombrer pour la deuxième fois, c'est une gravure de mouton affublé d'un tutu.
•✵•
Lorsque je reprends conscience, ce qui me frappe en premier est l'odeur de feu de cheminée, la chaleur des couvertures sur mes jambes et la brise fraîche qui vient me caresser le visage. Où suis-je ? Je tente de me relever, mais un mal de crâne horrible me prend, telle une douleur provenant de l'intérieur, comme si ma tête était sur le point d'exploser. Avec un grognement, j'entreprends tout de même de m'asseoir sur le bord du lit. Que s'est-il passé ?
Mon esprit embrumé s'éclaircit peu à peu et je me rends compte que je suis accoutrée d'une espèce de vieille chemise de nuit de grand-mère blanche à col en dentelle. Où est donc passée mon écharpe ? Et mon bracelet, je ne le sens plus ! Un coup d'œil furtif à mon poignet confirme ce que je soupçonnais, je ne le vois pas. Paniquée, je me relève brusquement pour chercher mes affaires et mes pieds nus glissent sur le carrelage froid, emportés par mes talons à la peau lisse. Manquante de tomber, je me rattrape à temps sur la table de nuit en bois au chevet du lit, l'avant-bras entier appuyé contre celle-ci, tandis que l'autre est posé sur les draps, auxquels mes mains tentent désespérément de s'accrocher, et que mon postérieur se tient à quelques centimètres du sol, retenu par mes seuls orteils dont leur course a été interrompue par une lourde armoire d'ébène.
C'est dans cette position peu glorieuse que me surprend une femme assez jeune aux cheveux blancs frisés, coupés en carré, et au style démodé avec son pull en laine vert pomme, sa jupe bordeau et son châle à carreaux. Celle-ci me tend la main avec un sérieux déconcertant, alors que je m'attendais à une explosion de rire.
Et c'est ainsi que je me retrouve quelques instants plus tard, au bord du lac Arnold, mes genoux repliés et mon manteau serré contre moi. Ma vieille écharpe aux couleurs de Poufsouffle me rassure et le regard perdu dans les eaux troubles par ce matin frais, je ne peux m'empêcher de repenser à ce que Rosalind et Mike, mon hébergeuse et mon voisin de chambre, m'ont raconté.
À cette remémoration, des vagues d'images d'hier commencent à me submerger. Le bruit de mes pas sur les feuilles mortes, mes bottines qui frappent le sol, ma voûte plantaire qui souffre, mes muscles, le froid m'envahissant...
Je m'arrache à ces sensations désagréables tant bien que mal. Repenser à hier soir a dû déclencher mes souvenirs... Il faut dire que jusqu'ici je n'ai pas vraiment eu le temps d'y repenser. Je me suis juste remise sur pieds et ai surtout écouté ma gentille hôtesse et son frère. Celleux-ci m'ont chaleureusement proposé un petit-déjeuner bien fourni, à l'américaine, durant lequel iels m'ont expliqué dans quelles circonstances iels m'auraient découverte.
Je me serais effondrée devant la porte de leur auberge Le Mouton dansant et selon leurs dires, je l'aurais échappée belle, car iels m'auraient sauvée à temps. En effet, Mike, le cuisinier de la taverne et cadet de Rosalind dont j'ai fait la connaissance en premier, se serait trouvé dans la cuisine à ce moment-là, car il aurait eu un petit creux et m'aurait alors entendue. Il se serait précipité dehors, m'aurait ramenée à l'intérieur, et quelques instants plus tard à peine, trois silhouettes à l'aura menaçante auraient traversé la place du village. J'ignore comment il a fait pour savoir qu'elles en avaient après moi, vu que ce charmant jeune homme aux cheveux roux bouclés et aux yeux noisettes rieurs est moldu, mais j'imagine qu'il y a des choses qui sont discernables peu importe la communauté à laquelle nous appartenons.
C'est ainsi que je me serais retrouvée dans un petit village de Woburn, au Canada, non loin de la frontière avec les États-Unis. Le fait de me retrouver ici, même si je suis secouée par tous ces événements, me paraît être un signe de l'univers, alors même que je projetais un voyage en Amérique avec Camilla pour tout recommencer et fêter notre victoire. Victoire qui ne me paraît plus si victorieuse, puisqu'il semble qu'une menace pèse toujours sur le monde magique.
Je porte inconsciemment la main à mon bracelet dont le cercle d'or luit faiblement dans la lumière du matin. Je suis sûre qu'il a un rapport avec ces personnes qui me poursuivaient et cet étrange ordre. L'Ordre des Roses noires. À cette pensée, ma prise se resserre autour du fermoir du bijou et je sens sa perle bleutée s'enfoncer au dos de ma main. Je décide de chasser ces émotions négatives, ayant peur que d'autres souvenirs ne s'emparent de mon esprit.
Lentement, je me lève pour accomplir ce pour quoi je suis venue ici, à part profiter de la sérénité du lieu et mettre de l'ordre dans ma tête. J'ai une personne à prévenir au plus vite. Pointant ma baguette sur l'eau, le message se forme peu à peu dans ma tête et lorsque je suis prête, je me lance.
« Spero patronum ! »
Mon patronus jaillit telle une fusée, formant une masse indistincte, comme une prolongation de ma baguette aux rameaux d'olivier s'enroulant autour du manche avant de s'arrêter à mi-chemin. Puis, cette boule informe révèle son apparence en s'élançant par petits bonds sur l'étendue d'eau. Face au lac, je regarde mon cheval ailé argenté disparaître de plus en plus rapidement avec grâce au dessus des collines, en quête de Camilla.
La fin n'est en réalité que le commencement.
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