Chapitre 8

Rangement - 23 octobre :

/!\ Cette nouvelle contient des thèmes pouvant heurter la sensibilité des plus jeunes tels que le viol et la pédophilie. Si vous êtes sensibles à ces sujets, évitez de lire cette nouvelle /!\

La lumière s'infiltrait dans la pièce, projetant mon ombre sur le tas de cartons se dressant devant moi. J'étais installé sur mon ancien lit, fixant le vide et me balançant au rythme de la mélodie. Du Queen, venant d'une cassette fournie par Mr.D. avec un vieux walkman. La musique m'aidait à ne pas penser, à me calmer dans les heures les plus dures et, quand je n'avais pas mon saxophone sous la main, le baladeur faisait l'affaire. J'en ai eu énormément besoin, ces derniers mois. "Good Old-Fashioned Lover Boy" se termina, "Edge of Seventeen" se lança et je me levai. Après tout, il restait encore quelques bricoles que je devais régler au Triumvirat Holdings, notamment dans le bureau de Néron. J'y arrivai sans y faire attention, simplement transporté par mon corps comme si j'étais en mode automatique. J'aurai voulu rester dans cette transe mais, à la vue de la pièce, je me figeai et revins à la réalité. Son odeur hantait les lieux et semblait s'accrocher à mes habits, me replongeant dans des vieux souvenirs. Sur cette commode, il m'avait plaqué. Sur cette table, il m'avait allongé, sans considération pour sa paperasse écrasée sous mon poids. À cette fenêtre, il laissait couler ses doigts sur mon dos et bien plus loin. Dans ce tiroir se trouvaient des menottes pour certaines de ses envies les plus tordues. Derrière ce miroir se cachaient mes "relaxants". Tout semblait avoir changé mais était profondément pareil à avant : il ne restait plus aucun de ses livres et ses étagères étaient vides mais la poussière dessinait les contours des objets anciennement présents. Seul son bureau était encore rempli de ses affaires, que je balançai rapidement dans la poubelle. Je fis de même avec chacun des tiroirs jusqu'à rencontrer une caisse recouverte d'une couche de saleté non-négligeable. Depuis combien de temps n'avait-elle pas été touchée ? Sûrement depuis que Néron était mort. Intrigué par celle-ci, que je n'avais jamais vue jusqu'à présent, je l'ouvris.

Il y avait plein d'images, tellement que je me demandais comment la caisse avait pu se fermer dans un premier temps. Les décors changeaient d'une photo à l'autre, passant d'une pièce sombre à un jardin d'intérieur lumineux. Les personnes étaient toujours allongées et se ressemblaient toutes. Peut-être car c'était le même individu. Parfois il souriait bêtement avec des larmes quadrillant ses joues et des yeux rougeâtres. Parfois il avait les sourcils froncés, sûrement à cause de la lumière illuminant seulement son visage. Parfois, il était simplement inconscient. Quand l'homme était comme ça, on aurait dit un cadavre. Un mort qui me ressemblait étrangement. Une vague de chaleur me traversa et je me mis à respirer plus difficilement. Mon cœur battait à la chamade, si bien que, même avec la musique, chacun de ses battements résonnait cent fois dans ma tête. J'eus descendu la tour sans m'en rendre compte, simplement porté par le besoin d'aller le plus loin possible de cette caisse. Je déboulai dans la rue en furie et cavalai à travers les avenues de New-York sans aucune considération pour les autres piétons. Je ne savais même pas où aller ni où j'allais. Je courus, aussi simplement que ça. Soudain, en plein milieu d'une rue, je me figeai. Un homme au costume pourpre se tenait là, lisant le journal avec un café en main, comme si de rien n'était, comme si sa présence parmi les vivants était normale. De mon côté, je me sentais brûler de l'intérieur : ma gorge était un brasier de douleur sans nom et chacun de mes os semblait sur le point de rompre. Paralysé, je tombai et le businessman se retourna, attiré par la venue de sa prostituée.... ou pas. Ce n'était pas Néron mais un individu lambda. Effrayé par son regard dédaigneux, je me relevai difficilement, malgré la douleur assaillant mon corps, et m'écroulai contre le mur d'une ruelle proche, entre deux poubelles et un rat mort. Je tremblais comme pas deux, secoué par des pleurs mêlés à des rires nerveux. Je revoyais sans cesse les photos que j'avais trouvées et, même en mettant la musique à fond, je ne pus stopper le flot de mes pensées. Je n'avais nulle part où aller à présent. Je ne voulais pas que mes frères et sœurs me voient dans cet état. En plus, peut-être que toute la colonie avait déjà vu ces photos et en rigolait à l'instant même. Je ne pouvais pas invoquer Mr.D. de peur qu'il me mette à l'asile. N'était-ce pas là qu'on emprisonnait les fous ? Ceux qui, comme moi, voyaient des personnes mortes et qui ressentaient des douleurs impossibles. Je ne voulais pas voir la pitié dans le regard de mon père et jamais je n'oserais me remontrer à ma mère. Elle devait avoir honte de moi, c'était sûr. Peut-être qu'elle riait aussi de mes photos avec ses élèves. N'ayant nulle part où aller, je restai en compagnie du rat mort. Au moins, lui n'allait pas se moquer ou avoir honte de moi. Je m'endormis sans le vouloir, laissant Morphée m'emporter loin, dans mes enfers personnels.

Échos du passé - 23 octobre :

La forêt était magnifique.

Je n'arrivais pas à penser à autre chose, subjugué par sa magnificence. Un faible bourdonnement hantait mes oreilles mais je n'y faisais pas plus attention que ça. Parfois, je sentais que quelqu'un prononçait mon nom, étincelle dans la marée de nuisances, mais je ne m'en souciais pas. Une main se posa sur mon épaule et le visage inquiet de Chiron apparut devant moi, me sortant de ma torpeur.

- Dionysos, tu n'es pas obligé de rester ici si tu ne te sens pas bien. Tu as divorcé ce matin, c'est normal si tu n'es pas au top. En plus, je suis autant le directeur que toi.

- Tu es seulement le directeur des activités, ni plus ni moins. En plus, je ne vais pas mourir de tristesse parce que j'ai coupé un ruban. Je n'ai même pas pleuré quand nous avons rompu. Je suis le dieu de la fête et celle-ci est à l'opposé des lamentations.

Avant qu'il ne puisse me répondre, je le repoussai et me dirigeai vers le ruban qui liait les deux colonnes d'entrée de la colonie. Je fis apparaître des ciseaux et, sans plus attendre, je le coupai. Contre toute attente, personne n'applaudit. Je me retournai sur une foule d'adolescents semblant attendre quelque chose. Voulaient-ils vraiment que je leur fasse un discours ? Ne recevant aucune réponse à ma question mentale, je vins à la conclusion que c'était sûrement le cas.

- Chers demi-mortels, car vous êtes trop minables pour être appelé "demi-dieux" à mon goût, bienvenue à la nouvelle Colonie des Sangs-Mêlés. J'espère que vous dégagerez le plus rapidement possible dans les jupons de vos mamans ou de vos papas car je ne saurais pas vous supporter plus d'une seconde et que ce temps est déjà écoulé. Les activités aux programmes sont mort, mort, mort et mort. Je vous souhaite un bon, et très court si vous êtes censés, séjour ici.

Bizarrement, ils applaudirent. Je ne savais pas que ma mauvaise humeur était aussi agréable à entendre mais il le semblerait. Je m'écartai et, ce faisant, je permis aux morveux de foncer dans la colonie tel un troupeau de boeufs. Ils avaient tous hâte, et besoin, de la fête de ce soir. Étrangement, je ne me sentais pas d'humeur à m'enjailler. Sûrement parce que les ados ne savaient pas s'amuser correctement de nos jours. Ou pas. Chiron avait raison en disant que je devais me reposer mais je ne pouvais pas. Se lamenter ne servait à rien. La dernière fois que j'avais pleuré était à la mort de mon fils et ça ne l'avait pas ramené. Je me dirigeai alors vers la Grande Maison, prêt à déboucher une nouvelle bouteille de pinot noir. Après tout, un monde idéalisé par l'alcool était cent fois mieux que la réalité. Le vin faisait revivre les morts, pas la nature. Et, au point où j'en étais, revoir Ampélos ou mes enfants, même sous les effets de ma boisson, était aussi doux que si je les voyais en vrai. Un jour, j'arriverai à les ramener. Je l'ai juré sur le Styx. Avant tout, je passai devant le champ de fraise pour le calmer. Durant ma dispute avec Ariane, je m'étais peut-être un peu trop emporté et les plantes avaient suivi ma rage. J'étais en train de les enchanter pour diminuer leur croissance quand quelque chose apparut dans mon champ de vision. Je regardai donc qui m'avait rejoint dans mon incroyable contre-soirée quand je tombai sur nul autre que Pollux. Ça, c'était nouveau. Je n'avais pas bu, alors que faisait mon fils ici ? Il était mort. La copie courut vers moi et sembla sauter dans mes bras mais elle ne réussit qu'à me traverser. C'était une sensation étrange, comme si une âme avait croisé la mienne pendant un dixième de seconde. Est-ce que cela voulait dire que... Je me retournai sur le fantôme, qui semblait tout aussi perturbé que moi. Son image se brouilla pendant quelques secondes mais elle revint rapidement à la normale. C'était lui. Cette posture, ces cheveux en bataille, ce regard,... Ce ne pouvait qu'être lui.

- Pollux ?

- Papa ! Saints dieux, j'oublie parfois que les fantômes ne peuvent pas toucher les vivants... Après un an à ne voir que des esprits, on l'oublie vite.

- Qu'est-ce que tu fais là ? Ne devrais-tu pas être aux enfers ?

- Dis tout de suite que tu ne veux pas de moi, p'pa. Mais suis-moi, j'ai une surprise.

Il s'engagea dans la forêt, traversant tous les arbres qui coupaient son chemin. C'était étrange, très étrange même. Cela faisait un an jour pour jour qu'il avait disparu et le voilà qui marchait à mes côtés, bourdonnant d'excitation. Avant que je ne puisse me demander où il me conduisait, le paysage s'ouvrit sur une petite clairière où deux autres fantômes nous attendaient, assis sur des rochers. Je les reconnus en un clin d'œil. Castor et Dakota. Mes dieux, depuis combien de temps je ne les avais plus vus ? Trop longtemps si on ne comptait les illusions que je me créais. J'aurais voulu les prendre dans mes bras mais je ne pouvais. Alors, je m'assis sur le rondin de bois en face d'eux, les contemplant pour graver chacun de leurs traits dans ma mémoire. J'étais trop choqué pour parler et, même si j'avais pu, je ne l'aurais fait par crainte de briser la belle chimère dans laquelle j'évoluais. Mes fils se regardèrent, l'air gêné, avant que Castor ne prenne la parole :

- Papa, ça va ? Tu as l'air... perdu.

Sa voix m'ébranla au point où je dus me retenir pour ne pas pleurer.

- Je- Je vais bien. C'est moi qui devrais vous poser la question. Comment allez-vous les garçons ?

- Oh, tu sais, l'au-delà n'est pas si horrible. En plus, maman était contente de nous revoir, Pollux et moi, et j'ai pu rencontrer Dakota. Tu aurais dû me dire qu'on avait un demi-frère romain !

- Yep, moi qui me sentais relativement seul au camp, je me suis trouvé deux frères, dont un aussi addict que moi à une boisson. En plus, maintenant que je sais que ces connards d'empereurs sont en train de moisir au Tartare, je ne regrette pas vraiment d'être mort. J'ai servi la légion et c'est tout ce qui compte. Bien-sûr, j'aurais aimé vivre ma vie d'adolescent, faire des soirées, aller à l'unif ou fonder une famille mais, de toutes manières, je ne peux plus rien y faire.

- Nous avons tous des regrets. C'est normal, la vie est quelque chose de si brillant que la perdre ne peut qu'être triste. Cependant, la mort nous permet de rejoindre des proches outrepassés depuis longtemps ou de rencontrer des nouvelles personnes. J'ai perdu mon petit-ami mais j'ai regagné ma mère, aussi douloureux que ça soit. Oh et, papa, tu peux transmettre le bonjour de ma part à Peuko ? Il me manque énormément.

- Non.

Pollux me regarda d'un air choqué, surpris de ma réponse.

- Je ne vais pas le faire moi, tu le feras. J'irai chez Hadès et je lui demanderai d'échanger ma vie contre les vôtres et celle de Sylvia et de Natalie . L'âme d'un dieu aussi pourri que moi en vaut bien cinq, moins. Le monde n'a plus besoin de Dionysos, et j'ai déjà vécu trop longtemps, alors que vous... Vous devez vivre.

Leurs trois regards émergèrent sur moi, tous plus surpris les uns que les autres. Je baissai les yeux, ne pouvant pas supporter les ouragans d'émotions se reflétant dans leurs iris.

- Papa, non.

- Si Castor, si. Ma grandeur est fondée sur des meurtres ou sur des vies gâchées. Je dois mourir, pour le bien commun. Je vous ai tous les trois tués et un infanticide est l'un des pires crimes. Le Tartare a bien une petite place pour moi et la Terre en a bien une pour vous. Justice serait rendue.

Cette fois-ci, je ne pus retenir mes larmes. Je ne savais pas pourquoi mais le barrage que je m'étais imposé depuis un an, cette fine barrière qui m'empêchait de sombrer, venait de s'effondrer, laissant couler un océan de tristesse. Pourquoi pleurais-je alors que je devrais être heureux de revoir mes fils ? Pourquoi j'avais toujours le don de tout gâcher ? Pourquoi Thanatos refusait de me faucher, malgré toutes mes prières ? Je sentis comme une brise m'englober et, quand je regardai ce qu'il se passait, j'eus la surprise de voir que mes trois enfants me frôlaient au point de me traverser, dans ce qui ressemblait à un câlin. Pourquoi faisaient-ils ça ? Ne voyaient-ils pas que j'étais un criminel, leur tueur ? Avant que mes sanglots ne s'apaisent, à croire que je pleurais toute l'eau présente sur Terre, Pollux prit la parole :

- C'est Nico qui a demandé à Hadès de nous faire revenir. Il a dit que... Comment dire ça ?

- Il t'a retrouvé ivre mort, où tu pensais que nous étions là et tu avais ton thyrse en main, dirigé vers toi. Nico a dit que, s'il ne t'avait pas empêché tu l'aurais utilisé contre toi. Il a donc paniqué et est venu nous voir.

- Dakota, un peu plus de pincettes aurait été bienvenu. On parle quand même de... Papa ? Ça va ?

Dire que c'était le cas aurait été mentir, je le savais, et pourtant j'acquiesçai par automatisme, plongé dans mes souvenirs. Je me souvenais trop bien de cette soirée, beaucoup trop bien. L'illusion était si parfaite, si idyllique. Hadès avait accepté mon sacrifice et il ne me restait plus qu'à commettre le geste. Nico avait contrecarré mes plans. Alors que je sentais presque la chaleur des flammes du bûcher de Néron sur mes membres ou le flot de la rivière où le vieux Tantale se dressait m'emporter, j'étais revenu à la Grande Maison. J'ai honte de ce moment, encore plus que mes fils en connaissent l'existence. Mais au fond, j'avais raison. Pourquoi personne ne comprenait mes actions ? Pourquoi personne n'écoutait les plaintes d'un père privé de ses enfants ? Pourquoi m'en empêchaient-ils ?

- Papa, tu dois vivre. Nous sommes déjà mort, nous faire revivre ne servirait qu'à créer des tensions car chacun voudrait faire revivre sa tante ou son grand-père. En plus, tu comptes pour beaucoup de gens. Austin et Nico ont besoin de toi, Estelle et les demis-dieux ayant vécu les sales coups de Néron aussi. D'une certaine manière, la colonie ne serait plus la même sans toi. Peu importe ce que tu penses, tu es important.

- Mais ce n'est pas juste...

- La vie est injuste mais nous la vivons toutes et tous. Nous devons déjà partir, malheureusement, mais nous essayerons de venir te revoir. Tu ne peux pas laisser tomber p'pa. Considère ça comme notre dernière volonté commune.

- Tu vas nous manquer, Mr. Bacchus.

- Ça m'a fait plaisir de te voir après autant de temps, vieux père.

- Non, attendez, cela fait même pas dix minutes que-

Avant que je ne puisse finir ma phrase, une lumière bleuâtre rayonna et, quand elle disparut, mes enfants n'étaient plus là. Ce soir-là, je ne bus pas, étrangement. Loin de la fête dont je n'entendais que de faibles échos, je m'abandonnai à la contemplation du paysage qui m'entourait.

La forêt était magnifique. 

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