Chapitre 4

Monstre - 29 mars :

/!\ Cette nouvelle contient des thèmes pouvant heurter la sensibilité des plus jeunes tels que le viol, l'administration de drogue et la pédophilie. Si vous êtes sensibles à ces sujets, évitez de lire cette nouvelle /!\

J'ouvris les yeux difficilement, comme si mes paupières pesaient milles tonnes. La lumière m'agressa la rétine, m'obligeant aussitôt à les refermer. Après quelques minutes, je les rouvris, plus lentement cette fois-ci, pour contempler le décor autour de moi qui n'était visiblement pas celui de ma chambre habituelle. Cependant, un léger flou m'empêchait de discerner ce qui m'entourait. Mon crâne semblait rempli de coton et chacun de mes mouvements semblait le broyer, si bien que, en quelques secondes, j'eus l'impression que mon squelette allait imploser. Je me concentrai sur la table de chevet dans l'espoir de trouver des indices quant à ma localisation mais je fus vite déconcentré par un verre d'eau semblant m'appeler. Je tendis ma main pour l'attraper mais, alors que je croyais l'atteindre, je ne cueillai que le vide. Je réessayai plusieurs fois mais chacun de mes essais était couronné de défaite et me rendait un peu plus vaseux. Alors que, découragé, je m'effondrais dans le matelas, une main se posa sur ma taille, me hérissant les poils. Je voulus la retirer mais mes bras étaient trop fatigués suite à mes multiples tentatives. Une voix retentit, résonnant mille fois dans ma tête :

- Qu'y a-t-il mon amour ? Il est encore trop tôt pour se lever, les cuisiniers n'ont même pas commencé à préparer le petit-déjeuner.

J'essayai de répondre mais ma voix resta coincée au fond de mon être, bloquée par ma gorge semblant aussi sèche que le Sahara. Après une série de grognements indistincts, je formulai enfin une phrase correcte :

- Je veux boire.

La personne déposa un baiser dans le creux de ma nuque avant de sortir du lit. J'aurais voulu regarder où elle allait mais cela m'était impossible ; mon corps refusait de se mouvoir, enfoncé si confortablement dans ce matelas si moelleux. Quand l'individu, incontestablement masculin au vu de sa morphologie, se présenta devant moi, il m'offrit le fameux verre d'eau. La fraîcheur de la coupe entre mes mains me fit reprendre un peu mes esprits et le doux liquide calma le feu qui me consumait de l'intérieur. Une fois que j'eus fini mon somptueux hydromel, une main vint reprendre le gobelet et confectionna un dossier de coussin me permettant de me relever. L'inconnu souleva alors mon menton pour que je croise son regard. Au début, je ne le reconnus pas. Et puis, doté d'une divine intelligence similaire à celle d'Athéna, je compris qui il était. Néron. Comme si je venais d'être réanimé, ma poitrine commença à se soulever à un rythme discontinu et je me rendis compte de où j'étais. J'aurais voulu fuir à l'autre bout du monde mais j'en étais incapable : j'étais condamné à revivre cette nuit humiliante. Impitoyable, une vague de souvenirs me traversa.

Il avait demandé à des nymphes de venir me chercher, comme d'habitude. Cependant, au lieu de directement me charger de m'occuper de telle ou telle partie de son corps, souvent les plus "délicates", il avait ordonné à ses servants de m'apporter un rafraîchissement, que je bus pour tenter d'éviter le malaise. Cependant, quand je l'eus fini, je n'eus plus d'excuses pour l'éviter. Alors, je me retournai et découvris son regard presque animal posé sur moi. Il s'était ensuite approché de moi et avait effleuré ma silhouette du bout des doigts.

- Tu sais, cela fait quelques mois que nous tenons notre petite routine. Je l'adore, certes, mais j'aimerais passer à une autre vitesse, si tu vois ce que je veux dire.

- Que voulez-vous dire par là, Empereur Néron ?

À son nom, il fronça les sourcils. Comprenant mon erreur, je me repris, bien que cela me coûta toute ma dignité :

- Mon... amour.

- Et bien, comme tu le sais, aujourd'hui est mon anniversaire et j'aimerais que tu m'offres un cadeau des plus exclusifs. Bien-sûr, obéir à ma demande te permettra peut-être de ressortir. Cela fait des mois que tu n'as plus été dehors. Que serait-il doux pour toi de regoûter aux rayons du soleil, n'est-ce pas ?

- Je ne vois pas ce que je peux vous offrir que vous n'ayez déjà.

- Je ne m'inquièterais pas de ça si j'étais à ta place.

Il avait franchi les quelques centimètres qui nous séparaient et avait passé sa main dans mes cheveux , l'air aussi heureux que si je lui avais offert la tête de tous les Olympiens sur un plateau d'argent. Après cela, je ne me souvenais de rien.

Je revins dans le présent, ou plutôt dans l'étrange présent qu'était ce rêve. Néron abordait une expression faussement inquiète, me tendant un verre où flottait un léger dépôt blanchâtre.

- Qu'est-ce que vous avez mis dedans ?

- Juste un petit remontant, rien de très fort. Tu as l'air si mal au point, je m'en voudrais si tu tombais malade.

Et je bus. Je bus avec l'innocence d'un bambin ma boisson, ne me doutant pas une seconde de ce qu'était véritablement ce remontant. Il avait l'air si sincère et j'étais si endolori qu'un poison m'aurait apporté du réconfort. Dès que j'eus fini, il m'arracha le verre et s'approcha de moi comme un prédateur sur sa proie. Avant qu'il ne commence, je fermai les yeux et je me sentis tomber à une vitesse fulgurante, comme si je dévalais la distance entre la chambre de l'Empereur et la salle où Python résidait. J'atterris sans douleur, selon les lois anti-gravitationnelles qui régissaient les rêves. Cependant, j'attendis quelques minutes pour voir si mon ennemi m'avait suivi avant de regarder où j'étais arrivé. Ne sentant ni sa main dans la mienne, ni son corps pressé contre le mien, j'ouvris les yeux pour me retrouver face à une dizaine de Néron qui me regardaient l'air éberlué, comme si j'étais le méchant de l'histoire. Je me levai, convaincu qu'en confronter un allait stopper mon rêve, et je fus heureux de constater que cette fois-ci je n'étais pas drogué. Je me trouvais dans une salle hexagonale, délimitée par des arches où se tenait à chaque fois un Néron, imitant chacun de mes faits et gestes. Quel plaisir ce monstre prenait-il à agir de la sorte ? Je m'approchai de l'un d'entre eux, qui marcha également dans ma direction, et tentai de le prendre par le col. Cependant, ma main rencontra une surface glacée m'empêchant d'aller plus loin et il me sembla qu'il rencontrait le même problème. Que se passait-t-il ? Devais-je résoudre une énigme pour débloquer les murs invisibles et les combattre un à un ? Or, un truc clochait : ce n'était pas son genre de rester aussi muet ou d'être aussi étonné. Je regardai ma main pour tenter d'apercevoir la possible limite entre nos deux cellules quand j'aperçus qu'elle n'était pas normale : ma peau était maintenant d'un blanc presque transclucide et chacune de mes veines semblait être chargée d'or pur. Une chevalière ornait mon annulaire, pourvue d'une gravure que je ne connaissais que trop bien pour l'avoir vue des milliers de fois : un "N" majuscule inscrit sur un soleil et entouré d'un serpent. Refusant la vérité, je passai ma main sous mon cou mais j'y trouvais de la barbe. Alors, je mis ma main sur mes cheveux, mais ils étaient maintenant courts et incontestablement gras. Néron imita mes gestes à la perfection, me confrontant à la réalité. Je reculai jusqu'à heurter la barre qui soutenait ma chaîne et contre laquelle j'étais installé quelques minutes plus tôt. Si j'étais lui, pourquoi étais-je enchaîné ? Ça n'avait aucun sens.

- Qu'est-ce qui se passe putain ? Je ne suis pas lui, je ne peux pas être lui.

Et pourtant, malgré mes protestations, c'était bien sa voix qui était sortie de ma bouche. Quelqu'un me répondit, une personne qui avait exactement le même timbre que moi, ou plutôt que mon ancien moi :

- Tu ne peux nier la vérité.

- Je ne suis pas un monstre, je suis un gentil pas un méchant !

- Tu es si dichotomique... Es-tu vraiment gentil ? Ton rôle est censé protéger chaque individu de la douleur et, pourtant, tu as blessé Néron quand tu es parti.

- Il m'a mis dehors !

- Ça lui a coûté tu sais. Tu étais un peu son seul compagnon. Bon, je dois avouer qu'au début tu n'étais qu'un simple divertissement mais ça a changé. Il voulait juste ton bien en te gardant ainsi prisonnier.

- C'est faux, tu mens ! Tu ne le connais pas, tu ne me connais pas.

- Je te connais très bien, je suis toi après tout. Mais si tu ne veux pas reconnaître la vérité, peut-être qu'ils y arriveront.

Les Nérons se métamorphosèrent en des duos de Will, de Kayla et de Lester, aborant tous une expression dégoûtée. C'était sûrement parce que je ressemblais à l'Empereur, jamais ils ne me détesteraient à ce point après tout.

- Je ne pensais pas un jour donner naissance à une telle honte. Si j'avais su, jamais je ne serais sorti avec ta mère. Qui aurait délibérément voulu offrir la vie à un avorton pareil ? Je comprends maintenant ce qu'a ressenti Agrippa la Jeune quand elle a accouché de Néron. Vous êtes faits l'un pour l'autre : monstre et monstre, cela ne peut que fonctionner. J'espère que tu seras heureux avec lui.

- Papa, qu'est-ce que tu racontes ? Tu as dit que tu ne me détestais pas, que ce n'était pas de ma faute.

- Ça ? C'était un ordre de Dionysos pour accélérer ta guérison. Je ne l'aurais jamais dit de mon plein gré.

Sous la prochaine arcade se tenait Kayla, qui me dépassait maintenant d'une tête et sur qui je me retournai :

- Kayla, dis-lui que c'est faux ! Tu me connais, tu sais bien que jamais j'aurais fait ça !

- Est-ce que je t'ai un jour connu ? Je t'ai cherché durant des mois, j'ai prié Hermès pour que tu nous retrouves et j'apprends maintenant que tu t'es tapé Néron sans jamais penser à nous. Comment ai-je pu être si aveugle que je n'ai jamais vu ton vrai visage ?

- J'ai pensé à vous durant chaque minute de mon emprisonnement ! Je te promets-

- Austin, arrête de la déranger, elle a trop souffert.

C'était Will qui m'avait interrompu, l'air sombre.

-Tu sais, je soutiens à fond les relations homosexuelles, je suis moi-même avec Nico donc bon, mais là ? Tu aurais pu me le dire, nous t'aurions cherché un chouette garçon. Tout sauf ce criminel. En plus, au vu du nombre de fois où tu nous as suppliés de te conduire auprès de lui, il doit vraiment te plaire.

- Putain mais vous m'écoutez ? Je le déteste ! Jamais je n'aurai- jamais je-

- Tellement enfoncé dans son mensonge qu'il ne sait plus quoi dire...

- Il- il m'a- je- j'ai été- violé.

Ils commencèrent tous à ricaner. Malgré mes sanglots, leurs rires étaient omniprésents, comme les insultes qui me pleuvaient dessus. Pourquoi riaient-ils? Étais-je vraiment si répugnant que ça ? S'ils me le disent, c'est que c'est sûrement le cas. Est-ce pour ça que Néron m'avait emprisonné ? Car j'étais de son espèce ? Peut-être valait-il mieux pour tout le monde que je parte, que je m'enfuie loin de ceux que j'aime pour arrêter de les faire souffrir. Il y aura peut-être un petit coin pour moi au Tartare. Je voyais le sol se rapprocher de moi et, quand je relevai la tête, même papa semblait aussi grand que l'Empire State Building. La honte brûlait mes joues suite à ma déclaration. Mr.D. aurait été content que je l'assume à ma famille mais je regrettais profondément ma décision. Je devais sûrement être encore plus répugnant à leurs yeux. Tout était de ma faute. Peut-être que si j'avais été un bon esclave je n'aurais pas subi ça. Oui, c'était sûrement pour ça, j'avais juste été trop con pour le comprendre. C'était sûrement pour ça que j'avais l'apparence de l'Empereur, pour me prouver que j'étais comme lui, voire pire. Aussitôt je pensai à lui, aussitôt il arriva, grand comme un Titan. Le calme, si doux à mes oreilles après les rires et les insultes dont j'avais été couvert, vint et me couvrit de sa bienfaisance. Mes pleurs sonnaient si faux dans ce paradis auditif. Néron s'abaissa et me ramassa, bien que j'étais aussi petit qu'un papillon ainsi posé dans ses mains. Je vérifiai si j'étais encore lui et j'eus le plaisir de voir que j'étais de nouveau moi, bien que ce bonheur avait un goût amer.

- Austin ? Tu vas bien mon cher ? Tu as l'air terrifié.

Sa voix résonna dans la salle, comme s'il m'avait parlé directement dans l'oreille avec un micro et de grosses caisses de son. Cela m'étourdit quelques secondes avant que je reprenne mes esprits.

- J'irais mieux si vous n'étiez pas là, monstre.

- Encore avec cette dénomination à ce que je vois... Tu verras, un jour, tu me comprendras comme je te comprends, mon aède. Et puis, si j'en étais un, ton frère ne serait jamais venu demander mon aide.

- Quoi ?

- Will ne te l'a pas dit ? Il a enfin compris que j'étais le vrai "gentil" de cette histoire et va donc gentiment se livrer à moi.

- Vous mentez... Jamais Will ne se serait associé à vous.

- L'amour pousse les hommes vers bien des vices. J'espère que tu le rejoindras, ta place est à mes côtés, serve. Viens avec lui le matin du 29 mars, à la Colonie des Sangs-Mêlés.

- Je suis dans un rêve, ce que vous dites est faux.

- Vas-tu tenter le diable ? Le choix est tien, mea meretrix.

***

Je me réveillai en sursaut, cognant un truc relativement dur qui se mit à gémir. Je mis du temps à m'habituer à la luminosité du lieu, encore emmailloté dans mes fragments de rêve. Avant même de revoir, tanguant comme un alcoolique un samedi soir, je me dirigeai vers la sortie de la grotte, ou du moins j'essayai car la gravité me rattrapa plus vite que je ne l'avais imaginé. La chose que j'avais cogné, qui se révéla être un Mr.D. saignant abondamment du nez, m'aida à me relever tout en grognant, comme à son habitude. Son habituelle lenteur m'énerva en une demi-seconde : je n'avais pas le temps, je devais sauver Will. Me voyant partir précipitamment, il m'attrapa le poignet. La peur m'inonda, portée par le souvenir que j'avais revécu. Heureusement, le directeur le relâcha mais il se mit entre la porte et moi, me bloquant l'unique sortie.

- Je suis désolé, je sais que tu n'aimes pas être touché mais c'était le seul moyen de te rattraper.

- Laissez-moi partir et j'oublierai l'incident.

- Où comptes-tu aller, jeune homme ?

Son ton m'irrita fortement. Pour qui se prenait-il ? Pour mon père ?

- Will est en danger, Néron va le capturer à la Colonie, je dois le sauver. Donc, si vous me permettez, je vais y aller, clair ?

Ne lui laissant pas le temps de répondre, je le bousculai et courus à toute vitesse dans le dédale menant à la colonie. Cependant, après seulement quelques secondes, je l'entendis me courir après. Malheureusement pour lui, je n'avais pas de temps à perdre, donc j'accélèrai l'allure, le semant. J'arrivai vite à la trappe menant au Poing de Zeus, aidé par la magie des restes du Labyrinthe. Là, plongé dans l'obscurité brisée par de faibles rayons de soleil s'immisçant à travers les lattes, j'hésitai. Et s'il m'avait menti ? Qu'il avait dit ça pour me capturer et refaire de moi son serviteur ? Ou alors, est-ce que je l'avais tout simplement imaginé et que ce que je prenais pour un message n'était qu'une chimère ? Mais, si c'était en réalité vrai et que je partais par peur, mon frère serait condamné au même sort que moi et je ne pouvais le tolérer. Personne ne méritait de vivre ça, surtout lui. Alors, suite à une grosse inspiration, j'ouvris la trappe et sortis des souterrains, soudain ébloui par l'astre radieux dessinant un arc parfait dans le ciel. Cela faisait si longtemps que ses rayons n'avaient plus effleuré ma peau que j'eus la tentation de rester ici jusqu'à ce que la nuit tombe mais je ne pouvais le faire. Pour le moment, il y avait bien plus important. Je me dirigeai donc vers le centre de ce qui restait de la colonie, bien qu'on aurait plutôt dit une vieille ferme abandonnée et livrée à elle-même. Sur ce qui était avant le terrain de volley-ball se tenait une voiture devant laquelle quatre personnes se tenaient. Reconnaissant parmi elles mon père, ma soeur et mon grand-frère, j'accourus et me dressai entre ce dernier et la Porsche, ne faisant même pas attention au reste de ma famille. La Bête se tenait là, me jaugeant d'un air victorieux. J'étais partagé entre l'envie de me jeter à ses pieds pour implorer sa miséricorde envers ma famille, scène à laquelle il avait tant de fois adoré assister, et celle de prendre les armes et de mettre fin à son existence. Au final, ce fut une terreur sans pareille qui prit le dessus, m'empêchant de faire le moindre mouvement.

- Austin, je savais que tu te joindrais à notre petite réunion. Enfin, tu arrives un peu tard si tu veux mon avis. Will ? Tu viens ? Les adieux ont déjà trop duré. Austin ? Tu nous accompagnes j'espère.

- Laissez mon petit-frère en dehors de ça, cela se joue entre vous et moi et personne d'autre.

- Will, tu ne peux pas t'allier avec lui. Tu ne sais pas de quoi il est capable.

- Il est le seul à pouvoir sauver Nico.

Il eût du remue derrière moi. Du coin de l'œil, je crus voir mon père agripper Will qui s'était tout de suite dégagé.

- Dionysos l'aidera, comme il l'a toujours fait.

- Bons dieux papa, cela fait des mois que sa santé se dégrade malgré les tentatives de ton frère ! Seul le destin peut m'aider à présent.

- Will, il te ment. C'est un manipulateur, pas un ange. Je t'en supplie, n'y va pas. Le prix est trop élevé. Il va... Il va...

- Que vais-je faire, mon aède ? Dis-le nous, je suis sûr que ta famille adorerait savoir de quoi tu parles.

Ses mots furent pires que le poison du serpent le plus venimeux. Je me tournai vers Will, vers Kayla et puis, finalement, vers mon père. Leurs regards interrogatifs furent pour moi une myriade de flèches me transperçant de toute part. Je me rappelai mon rêve, leurs rires, leurs insultes, leur scepticisme. Non, je ne pouvais pas leur dire. Ils allaient me détester et me chasser. Je reposai mon regard sur Néron mais le sien était tellement cru que je me mis à contempler l'herbe. Mon frère me contourna et rentra dans la voiture de l'Empereur, sans broncher et sans un au revoir.

- Tu sais Austin, il y aura toujours une place dans mon lit pour toi. Tes ambitions deviendront réalité que si tu te joins à moi, et tu le sais. Jamais mes gardes ne t'empêcheront de venir me voir, à contrario de ta famille.

Il eut un claquement de portière, le démarrage du moteur et puis j'entendis la voiture s'éloigner, le tout alors que j'étais toujours plongé dans ma contemplation du sol. J'entendis également mon père et ma soeur partir et m'enjoindre à les suivre mais leurs paroles me semblèrent aussi insignifiantes que des murmures face à mon échec.

Car bientôt mon frère allait subir la torture que moi.

Impôt, communication et petit nouveau - 29 mars :

Pour ceux n'ayant pu lire le chapitre précédent, Will s'est rendu à Néron pour sauver Nico malgré les protestations de sa famille.

Les piles de paperasse s'élevaient tout autour de moi, tours du seul palais auquel j'appartenais à présent. Enfin, "à présent"... Cela faisait maintenant 1969 ans précisément que ce "à présent" résumait toute ma vie, ou plutôt mon après-vie. Par Auguste, et dire que je pourrais être en train de me relaxer avec les autres Empereurs en sirotant des Pinã Colada si mon imbécile de neveu ne m'avait mis en esclavage. Au moins, je faisais ce que j'aimais, bien que l'administration ait fortement changé depuis la Rome Antique. Qu'est-ce que la beauté des correspondances grecques me manquait ! Maintenant, les demandes d'alliance sont crues, sans poésie ou figures de styles, allant à l'essentiel comme si écrire un alpha ou un epsilon allait les tuer. Tout cela remplacé par des foutus nombres... La comptabilité était si dure à réaliser aujourd'hui, avec ces frais de transports calamiteux et les travailleurs à rémunérer correctement. En plus, avec les quelques manifestations ayant lieu une fois toutes les six lunes, une levée des impôts est impossible, bien qu'elle aurait été bien utile au vu des dépenses de mon neveu ou de mon beau-fils... Enfin, au moins, j'avais réussi à inventer une taxe impériale assez légère pour ne pas inquiéter la Plèbe mais assez grande pour remplir les coffres du Triumvirat, sans compter la somme que la police ou nos services impériaux récoltent via les arrestations des sceptiques.

C'était pendant que j'étais ainsi plongé dans mes pensées que mon neveu me trouva, accompagné d'un charmant jeune homme.

- Je ne te dérange pas j'espère, Claude. Tu as l'air si... occupé.

- Empereur Caligula, mon petit et si jeune prédécesseur Caius Julius Caesar Augustus Germanicus, qu'est-t-il bon de vous voir à l'administration de votre Empire ! Jamais vous ne me dérangerez, mais puis-je vous demander ce que vous faites ici pareillement accompagné ?

- Ce jeune homme est un demi-dieu que nous avons secouru, Lumen je crois. Il parle grec. Tâche de lui trouver une place à l'administration car tu seras dorénavant son pédagogue. Il dormira en face de la chambre du fils de Biden et tu le garderas tout le reste du temps, même aux dîners et aux réceptions. Ceci est un ordre, serve.

- Bien, mon Empereur.

Il partit sans plus de discussions, allant sûrement se laver après avoir traîner dans ce qui ressemblait à ses yeux à de la politique. S'il avait passé autant de temps à celle-ci qu'à passer sa jeunesse dans des camps militaires, peut-être aurait-t-il pu être un bon Empereur. Mais bon, le passé est passé. Je me reconcentrai sur le jeune homme, semblant totalement désorienté.

- Έλα εδώ, Λούμεν.*

Il prit la chaise d'un bureau laissé vide et s'assit à côté de moi, me permettant de le regarder plus en détail. Tels l'aube après des siècles d'obscurité, ses cheveux miroitaient grâce aux leds couvrant le plafond, si bien qu'on les aurait crus lumineux. Ses yeux azurs vagabondaient d'objet en objet, cherchant un je-ne-sais-quoi qui était tout sauf ma personne. Cet adolescent faisait tâche parmi toute cette paperasse malgré sa tenue d'expert-comptable bleu outremer, dégageant l'aura des vagabonds en quête de liberté. Qu'est-ce que je pourrais bien faire de lui ? Ce serait comme éduquer Néron : un calvaire sans nom.

- Το όνομά μου είναι Κλοντ. Μπορείς να μου συστηθείς και να μου πεις σε τι είσαι καλός, ώστε να ξέρω πού να σε τοποθετήσω.*

- Je m'appelle Will Solace et je suis un fils d'Apollon. Je suis plutôt bon en soin, je crois. Pouvez-vous m'expliquer comment marche cet endroit ? Je ne suis pas sûr de comprendre. Néron m'avait promis un antidote, pas de la paperasse.

Je ne pus me retenir de ricaner à sa dernière phrase, prononcée avec un accent texan poussé.

-Néron ? Tenir ses promesses ? Mais dans quel monde vis-tu petit ?

-Mais je lui ai juré mon allégeance éternelle à condition qu'il guérisse mon petit-ami. Il tenait ses promesses à mon frère.

-Et qui est ton frère ?

-Austin Lake.

Toute hilarité sortit de mon corps. Austin Lake... C'était un pauvre garçon qui avait trop souffert. Mon fils adoptif lui avait pris beaucoup plus que sa V-card, et le petit ne s'en était jamais rendu compte. Je me rappelle encore de son regard vide le matin du 16 décembre, fixant tout dans la plus grande neutralité comme s'il s'agissait d'une fenêtre menant au vide abyssal. Et sa blessure... Non, je ne voulais plus jamais revoir ça de ma vie. Pourquoi ce Will espérait recevoir les mêmes traitements que son frère ? Personne ne devrait subir cette honte déguisée en honneur.

-Petit, n'espère jamais subir la même chose qu'un esclave. Ta liberté te semble peut-être dérisoire en ces lieux mais accroche-toi à elle comme si c'était une planche salvatrice en pleine tempête.

-Oui Monsieur.

-Bien. Sais-tu parler français ou allemand ?

-Je connais les bases du français.

-Tu travailleras donc avec moi sur l'accord que nous essayons de mettre en place avec l'Europe. J'espère que tu aimes la comptabilité par contre car, au vu de leur situation financière, ils ne vont dire oui qu'aux nombres. Ce soir, je te montrerai la cantine du personnel. Ce sera sûrement là que tu mangeras, sauf contre-indication. Clair Will ?

-Oui Monsieur.

Et c'est comme ça que j'eus un nouvel assistant, d'un hellénisme et d'une compagnie agréables.

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* "Viens ici, Lumen" (C'est du grec actuel, il ne faut pas abuser des bonnes choses)

* "Je m'appelle Claude. Peux-tu te présenter et me dire en quoi tu es compétent pour que je sache où te placer ?" (Ici aussi)

Dans cette nouvelle, je fais référence à une satire de Sénèque (le philosophe stoïcien et précepteur de Néron) selon laquelle Claude n'aurait été déifié et que Caius (Caligula), son neveu et prédécesseur, l'aurait mis en esclavage dans l'administration romaine (que Claude avait performée lors de son règne). (Source : "SPQR : Histoire de l'ancienne Rome" de Mary Beard)

Derrière les caméras - 5 avril :

J'étais de nouveau dans le studio, le même où j'avais vu pour la dernière fois mon père. Beaucoup de temps s'était passé depuis et pourtant je m'en souvenais comme si c'était hier. Enfin, au vu du nombre d'événements vraiment intéressants auxquels je participais, ce n'était pas bien compliqué. Quelques détails ont changé depuis ce jour funeste : mon père a été remplacé par mon voisin de chambrée et les soldats ont déserté. D'autres n'ont pas évolué, comme la cruauté imprimée sur le visage de l'Empereur ou les menottes m'entravant les poignets. Au moins, cette fois-ci, je n'étais pas celui sur qui les caméras étaient tournées, lors de mes "discours de paix". Enfin, j'aurais encore préféré répéter l'un de ces monologues que de supporter l'humeur déplorable des deux autres.

- Je ne dirai pas cet amas de conneries ! Vous n'avez qu'à prendre mon apparence si vous souhaitez vraiment que je dise ça.

- Non. Je veux que tu le dises. J'ai donné leur pitance à tes amis donc récite ce discours. Les conséquences seraient très néfastes si tu refusais. Tu ne voudrais pas que ton ami souffre, n'est-ce pas ?

C'était donc pour ça que j'étais là, pour servir de carotte aux plans de l'Empereur... Le garçon me regarda dans les yeux et je vis dans son regard que jamais il sacrifierait quelqu'un pour son bien. Tout doucement, il acquiesça et tout autour de nous le personnel s'activa, allumant telle ou telle caméra ou faisant une dernière retouche maquillage aux blondinet. Finalement, les spots lumineux se réglèrent et on commença à filmer.

- Bonjour à toutes et à tous, je suis William Andrew Solace, un fils d'Apollon, l'ex-dieu du soleil. Vous vous demandez sûrement ce qu'un demi-dieu fait sur vos écrans alors que nous sommes recherchés par les autorités. Tout cela est dû à la miséricorde de notre bon Empereur. En effet, quand je me suis rendu, il m'a pardonné mes torts et m'a généreusement octroyé une place dans son administration. C'est pour cela que je vous parle aujourd'hui. Si vous voulez un bel avenir, demis-dieux, rendez-vous aux autorités. C'est le seul à pouvoir nous donner une place dans la société que nous avons souillée de par notre existence. Merci de m'avoir écouté et au revoir.

La caméra s'éteignit sur le sourire de Will, qui se décomposa en moins de deux secondes. L'Empereur, par contre, était aux anges. Il me détacha et m'envoya reconduire le garçon dans sa chambre pour qu'il se repose avant la réception du surlendemain. Cependant, quand je le regardai en profondeur, je compris que la trahison allait lui coûter le repos.

Intrusion dorée - 07 avril :

Le hall était bondé, semblant chryséléphantin à cause du flot de personnes entrant et sortant en continu des ascenseurs et la file attendant d'être authentifiée par les videurs. Voyant le temps défiler, je présentai ma carte membre, durement gagnée à force de lécher les pieds des sénateurs, à un des portiers, qui me conduisit directement dans la salle. Je sentais d'ores et déjà le stress monter en moi, comme à chaque fois que je m'introduisais à une de ces réceptions. J'avais beau être le dieu de la fête, ce genre d'événement purement stratégique me faisait fuir bien loin. Et dire que maintenant je me forçais à y aller... Enfin, au moins, cette fois-ci, je ne le faisais pas pour en apprendre plus sur le Triumvirat. Je palpai une dernière fois mon corset pour vérifier si ma livraison était bien en place. Soudain, juste quand j'eus fini, les portes de l'ascenseur s'ouvrirent et, suivant le mouvement de foule, j'entrai dans la salle de réception. Un air de violoncelle s'éleva, plantant le décor. La salle de marbre ressemblait à un coffre au trésor avec ses profusions d'or, venant autant des invités que des décorations en elles-mêmes. En même temps, avec comme thème "or", je ne devrais pas être surpris de tout ce cirque. Des colonnades corinthiennes s'élevaient vers les cieux, supportant une coupole en verre à travers laquelle j'entrevoyais les étoiles, si pâles face à cette salle. Au bout de la pièce, sur une mezzanine, trois trônes se dressaient, occupés par leurs propriétaires qui guettaient la foule comme un trio de caméras prêtes à remarquer la présence d'un intrus. Sachant que ma supercherie ne tenait qu'à un fil, je me dirigeai vers le banquet, là où une foule s'agitait comme des mouches autour de toasts au caviar ou d'autres entrées puants le luxe. Faisant mine de rien, je me servis une assiette avant de rebouger pour me mettre à un des angles nuls des Empereurs. Faisant semblant de participer à la conversation qu'avaient l'ex-première ministre et le représentant du Grand Duché du Luxembourg, j'arpentai la salle du regard en espérant trouver ce pour quoi j'étais venu. Après une très longue dizaine de minutes, je vis à ma droite, glissant comme une ombre, la personne en question. Je la suivis, tentant de ne pas attirer l'attention. J'arrivai alors dans un couloir heureusement vide, sans compter mon destinataire et moi. Je ne mis pas longtemps à le rattraper et, faisant semblant de trébucher, je lui tombai dessus et l'aspergeai du verre de jus de canneberge que j'avais piqué en chemin, éclaboussant sa chemise nacrée d'un rouge vif.

- Par le costume pourpre de Néron, je suis désolé mon bon Monsieur ! Y a-t-il une salle d'eau pas loin pour que je vous aide à essuyer cette vilaine tâche ?

Will se retourna enfin vers moi, semblant exaspéré. Quand il me reconnut, ses yeux s'exorbitèrent mais, avant qu'il ne puisse dire le moindre mot, je continuai à parler :

- Oh mais vous êtes le demi-dieu du témoignage ! William, c'est ça ? Je suis Henry McPenny, à votre service.

- Euh, suivez-moi, Henry.

L'enfant d'Apollon ouvrit simplement la porte qui se trouvait à notre gauche et, une fois celle-ci fermée à double tour, il me dévisagea. Cette fois-ci, malheureusement, il parla avant que je ne puisse réaliser ma mission :

- Mr... Henry. Qu'est-ce que vous faites là bordel ?

- Je participe à quasiment toutes les réceptions. La vraie question est : qu'est-ce que TU fous là ? Ton spot publicitaire a sûrement été vu par tous les demis-dieux de cette planète et une bonne moitié d'entre eux te haït d'ores et déjà. Je mérite peut-être des explications. Nico en mérite également. En parlant de lui, j'ai-

Des bruits de pas retentirent dans le couloir et s'arrêtèrent juste devant la porte. Quand des clés s'entrechoquèrent dans un tintement qui ne signifiait rien de bon, j'empoignai Will et le mis dans le placard dans lequel, à sa suite, je me cachai. Je fermai la porte tout juste, celle des toilettes s'ouvrant.

- Encore un esclave qui a oublié d'éteindre la lumière. Mes dieux, ça se voit que ce ne sont pas eux qui payent la facture d'électricité.

Bien évidemment, c'était Néron qui allait pisser. Ne pouvait-il pas aller dans une autre toilette ? Cependant, deux autres personnes le suivirent, me provoquant des sueurs froides. Devinant qui était là, je récitai une prière silencieuse à Tyché. Heureusement, ils ne semblèrent pas se soucier de l'imposante armoire et continuèrent leur discussion.

- Bon, Caligula, tu te remaquilles ou pas ? Car au vu de la couche de peinture que tu t'étales sur chaque partie de ton corps, cela va prendre mille ans.

- Tais-toi Commode. Peut-être que, si tu te coiffais, tu comprendrais pourquoi je prends autant de temps.

- En attendant, la moitié des personnes les plus influentes de notre pays ne me mate pas la bite, magna meretrix.*¹

- En attendant, la moitié des personnes les plus influentes de notre pays ne suffoque pas dans mon sillage tellement mon odeur est forte, foetidus canis.*²

- Qu'est-ce que tu as dit, mini-Tibère ?

- Mooh, le petit Marc Aurèle se fâche ? Même pas un descendant d'Auguste...

Un objet percuta violemment ma cachette, la faisant trembler. Pendant deux secondes, je crus qu'ils nous avaient trouvés. Pendant deux secondes, ma respiration se coupa et je maudis mon cœur de battre aussi fort. Pendant deux secondes, je priai mon demi-frère, le divin Hermès, de me prêter sa légendaire discrétion. Et puis, comme une claque me faisant revenir à la réalité, la voix de Néron retentit :

- Vous allez arrêter, imbéciles ? Nous sommes dans une réception, vous réglerez ça en privé. Caligula, si tu voulais bien continuer de te couvrir d'or, ce serait incroyable.

Le concerné dut faire une tête choquée car son neveu se reprit.

- Je veux bien-sûr dire par là que les invités ne peuvent perdre une miette de ta magnificence augustéenne que la nudité mais en valeur.

- Je préfère ça.

Le silence s'abattit sur la pièce, si bien que j'aurais pu croire qu'ils étaient partis si le léger bruit d'un pinceau ne venait pas rythmer mon attente. Will était tout à fait tranquille, ne semblant pas se rendre compte de la précarité de notre situation. Enfin, si, comme la rumeur le raconte, il était bien au service de Claude, sa sérénité n'était pas surprenante*³. La conversation reprit comme si aucun silence n'avait eu lieu.

- Mon neveu, es-tu de mauvaise humeur car il n'y a plus personne que tu veux vraiment baiser ou car cela fait plus de cinq mois que tu n'as pas de nouvelles de Dionysos ?

- Arrête de te moquer de moi.

- Je ne me moque pas, je me pose sincèrement la question ! Je me soucie de ma famille tu sais. Donc... le cul ou le dieu du cul ?

- Ou alors le cul de l'expert en environnement et écologie, ne l'oublie pas, aureus culus*⁴

Mon cœur recommença à tambouriner dans ma poitrine. Je ne connaissais qu'un seul expert en cette matière et, si Néron lui matait le postérieur, c'était un très, très, mauvais signe.

- Je ne vois pas du tout ce que vous insinuez. Bon, tu as fini Caligula ? Ce serait dommage de rater les danses, n'est-ce pas ?

- Nie le poisson autant que tu voudras mais tu ne pourras jamais le noyer, à l'instar de ta défunte mère.

Et les Empereurs partirent sous cette réflexion des plus contrariantes pour Néron. Après quelques minuscules secondes, Will sortit de notre cachette, dépourvu de la moindre discrétion. Voyant qu'il ne se faisait ni tuer ni disputer, je le suivis. Avant qu'il ne parle, à contrario de quelques minutes plus tard, je lui donnai la lettre qui m'avait coûté tant de risques. Pendant un petit instant semblant s'étirer indéfiniment, le demi-dieu resta impassible. Et puis, quand il vit qui lui avait écrit, son masque d'exaspération se fissura pour laisser entrevoir le Will si émotif que je connaissais avant qu'il ne se rende. Peut-être que ça en valait le coût, au final.

- Ne la lis pas avant de rentrer dans ta chambre ou dans n'importe quel endroit où tu es sûr de ne pas être dérangé. La situation des demis-dieux est déjà trop précaire pour risquer tout pour une lettre.

- Est-ce que Nico va mieux ?

- Avoir un repas complet l'aide mais cela reste précaire. Nous nourrir valait vraiment ta liberté ?

- Il m'a promis de convaincre Python de le soigner. Au moins, lui en a le pouvoir.

Je reçus sa remarque comme un couteau dans le cœur. Ne voyait-il pas que, dans ma condition de dieu en exil, mes pouvoirs étaient limités et que, même si je redevenais vraiment une divinité, les impacts d'une telle entreprise seraient considérables ? La folie ne se traite que rarement pour une raison. Je mis sa connerie sur sa jeunesse et passai à autre chose.

- Tu as des infos sur les prochains plans des Empereurs ?

- De ce que j'ai compris, ils prévoient de faire fléchir l'Union Européenne en une seule fois dans un mois, d'où la présence de nombreuses délégations aujourd'hui. Quand elle sera tombée, ce sera une question de mois avant d'avoir le continent africain et océanien, et il leur faudra maximum deux ans pour avoir l'Asie. Vous devez intervenir avant. Sinon, nous sommes finis.

- Cela va être chaud... Peux-tu essayer de retarder un maximum l'échéance ? Ne cours pas de risques inutiles, je t'en supplie. Bien, je crois que je vais devoir y aller : mon absence va provoquer des suspicions, surtout à l'approche des danses.

- Mr. Henry, prenez soin de ma famille. Ils ont tous trop souffert.

- J'essaierais petit, j'essaierais.

Je partis, me dirigeant directement vers la salle de réception pour ne pas attirer l'attention. Dès que j'arrivai, je fus surpris par le nombre de convives qui se pressaient les uns contre les autres dans des discussions sûrement fort ennuyantes, des coupes de champagnes aimablement servies dans leurs mains. J'étais en chemin vers la délégation belge, qui étaient en quelques sortes mes plus fidèles prêcheurs, quand quelqu'un se racla la gorge dans mon dos, me faisant sursauter et me retourner en un seul et même geste. Néron eut un léger ricanement, sûrement dû à mon expression. Je dus utiliser toute ma dignité pour ne pas réagir et m'incliner aussi bas que possible dans un sourire aussi faux que ma confiance. Il me présenta sa main et, dans l'art de la tradition, je la baisai. Je me relevai et, heureusement, grâce à ma condition de mortel, je pus éviter son regard. Cependant, je le sentis glisser et m'examiner sous toutes mes coutures jusqu'à ce que je sois convaincu qu'il avait trouvé l'imposteur qui se cachait sous le nom d'Henry McPenny. J'attendis qu'il hausse la voix pour déclarer ma vraie nature ou qu'il me passe les menottes ou le collier mais rien de tout cela ne se passa. Nous restâmes juste comme ça, dans un étrange silence si oppressant que je n'osais respirer, jusqu'à ce que les musiciens changent subitement de rythme. Ne faisant plus attention à l'Empereur, je regardai qui était la personne libre la plus proche mais, malheureusement, tous les autres convives étaient déjà en binôme, nous laissant tous deux malheureusement seuls. Avant que je ne puisse me désister, il m'agrippa la main et me conduisit jusqu'à lui. Néron posa la sienne juste au-dessus de mon bassin et commença à danser, menant, comme auparavant, nos pas. J'essayai une nouvelle fois d'éviter son regard mais c'était presque impossible dans une telle situation.

- Je suppose donc que vous serez mon cavalier, Monsieur McPenny.

- Comment connaissez-vous mon nom, ô Empereur ?

- Vous êtes mon invité, mon devoir d'hôte est de connaître au moins votre nom. La fête vous plait-elle ?

- En tant qu'écolo, cela me donne un peu le tournis mais je ne peux dire qu'elle ne me plaît pas.

- Si vous avez des recommandations, n'hésitez pas à m'en faire part. Je suis sûr qu'on pourrait trouver un terrain d'entente, Monsieur.

- Vous êtes trop bon, mon Empereur.

Et nous continuâmes à danser jusqu'à ce que la musique se finisse, me libérant de mon ex.

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*¹Magna meretrix : Grande prostituée

*²Foetidus canis : Chien puant

*³ À la mort de Caligula, son prédécesseur et neuveu, Claude se serait caché dans la peur d'être lui-même assassiné. Lorsqu'un garde le trouva, il eût la surprise d'être nommé Empereur. (Source : "SPQR : Histoire de l'ancienne Rome" de Mary Beard)

*⁴ Aureus culus : Cul doré

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