Chapitre 2

Journal de Lester - 12 août :

Les temps sont durs, et nous ne sommes même pas arrivés en hiver.

Déjà, nous avons dû changer d'emplacement. Le Camp Jupiter nous a rejoint il y a quelques semaines mais, malheureusement, nous avions surévalué la taille de notre logis. Alors, grâce à Nico et son amitié avec les troglodytes, nous avons pu trouver d'autres cavernes. Cela fera bien l'affaire pour le moment, en tous cas on l'espère.

Ensuite, toujours en lien avec la venue du Camp Jupiter, nous avons dû ouvrir une infirmerie. En effet, la belle légion est maintenant un ensemble de blessés, certains étant même aux portes de la mort. Les relents d'infection intoxiquent d'ores et déjà chaque recoin des grottes, des tissus aux maigres aliments que nous possédons. Il y a trop de patients pour pas assez de matériels ou de médecins. Même en faisant des choix, mes enfants sont débordés et sont déjà aux bords du burn out. Je les aide un maximum, soignant grâce aux plantes que Mr.D. et les Déméter font pousser, mais c'est dur sans mes pouvoirs. Au moins, ça m'empêche de trop penser.

Également, nous manquons de ressources. Niveau eau, nous avons accès à une source souterraine potable. Par contre, pour le reste... C'est compliqué. Nous avons l'aide de certains parents de demis-dieux, notamment de Sally, mais ça ne suffit pas, cela ne suffira jamais. Nous avons bien évidemment un petit potager, mais ça reste primaire. Pour nourrir une centaine de bouches, voire plus car de plus en plus de demi-dieux nous rejoignent pour leur sécurité, ce n'est pas assez. Là aussi nous faisons des choix, mais même les prioritaires ne mangent parfois qu'une tranche de pain rassie. Dionysos fait de son mieux pour générer de la nourriture, mais ça l'épuise à vue d'œil. Il essaye de ne pas le montrer mais encore aujourd'hui il a fini totalement désorienté et aussi crevé que s'il avait couru 15 marathons à la suite. Honnêtement, ça me fait peur. Ce n'est pas censé être possible pour un dieu. Si nous ressortons victorieux de cette guerre, j'en parlerais à Zeus. Pourtant, il y a toujours des demis-dieux qui lui en veulent de ne pas faire assez donc mon frère tente d'en faire encore plus. Bizarrement, ça ne finit jamais bien.

Nous avons parfois des nouvelles de dehors, quand nous osons réaliser des expéditions. Par exemple, de nombreux demis-dieux ont été mis en esclavages, soit en tentant de nous rejoindre, soit dans l'attaque du Camp Jupiter, soit dans la bataille au Triumvirat Holdings. La plupart travaille maintenant dans la construction de temples à l'honneur du Triumvirat, bien que certains soient des gladiateurs ou des serviteurs au sein même de l'infâme building. Il y en a pour lesquels nous n'avons pas de nouvelles, comme par exemple mon petit Austin. Mes dieux, si ces monstres lui ont fait le moindre mal, je leur ferai regretter au centuple. Si je ne l'avais pas laissé distraire les associés de Néron, peut-être qu'il serait avec ses frères et sœurs aujourd'hui. Aussi, les Empereurs ont mis en place un étroit système de surveillance, nous diabolisant comme si nous étions les vilains de l'histoire. D'après un journal que m'a rapporté Travis, tous les acteurs de la vulgarisation de l'histoire antique ont dû jurer fidélité aux Empereurs, les empêchant de dire la vérité tels que le véritable scénario du meurtre d'Agripinne la Jeune ou à quel point Caligula était un dépensier pire que Marie-Antoinette. Il y a bien eu des manifestations mais ceux qui ont été arrêtés sont devenus des esclaves, ce qui a freiné les révoltes. L'UE a mis la pression sur les États-Unis mais je sens que ça va mal se terminer. Rien ni personne ne résiste bien longtemps à la volonté du Triumvirat.

Puisse l'avenir nous apporter la victoire.

The New York Times - 1er septembre de l'an 1 de l'ère impériale :

Aujourd'hui est un jour spécial pour nous tous. En effet, le New York Times a pu interviewer en exclusivité notre bien aimé Empereur Néron quant à ses projets pour ce début d'année scolaire. Voici ce qu'il nous a dévoilé :

- Quels sont vos projets ?

"Mes projets ? Oh, j'en ai une myriade ! Déjà, j'ai le plaisir de vous informer que mes équipes et moi-même travaillons sans relâche sur une loi concernant l'indemnisation totale des soins relatifs aux menstruations des femmes. J'ai moi-même eu une compagne, et je peux vous assurer que les méthodes antiques ne l'ont jamais soulagée. J'ai cru que vous auriez très vite trouvé des solutions, sans femmes, aucun humain ne serait ici après tout, mais j'ai eu le malheur de m'apercevoir que ce secteur est totalement délaissé. Dès lors, les protections hygiéniques telles que la cup, les serviettes, les tampons et les culottes menstruelles, en plus de la pilule, seront totalement remboursés. J'ai d'ores et déjà relancé la recherche sur l'endométriose et les ovaires polykystiques. Aussi, j'ai cru comprendre que l'anciene Cour Suprême des États-Unis avait prohibé l'avortement. Di immortales, cela est censé représenter la florissante culture occidentale ? J'ai donc décidé de refaire bientôt voter notre nouveau Sénat. Je peux déjà vous assurer que la plupart sont d'accord."

-Que pensez-vous de la situation de l'Union Européenne ?

"Peut-être que certains croient que je m'en réjouis mais ce n'est guère le cas. Ils ont refusé de se soumettre à l'autorité de mon Triumvirat, ils ont donc dû payer un tribut à la hauteur de leur offense. Leur économie est en train de chuter à une allure phénoménale. Si j'étais le président de leur soi-disant bienfaisante union de pays, je ne ferais pas vivre ça à mes concitoyens. J'espère qu'ils vont bientôt se ressaisir et réaliser l'étendue de leurs opportunités en se joignant à moi."

-Vous avez organisé des cérémonies à l'honneur de votre ancêtre, Auguste, et votre partenaire, l'Empereur Caligula. D'autres sont-elles à l'honneur ?

"Ces cérémonies ont été un franc succès. J'ai toujours adoré organiser ça de mon temps et j'ai senti le bonheur de mes citoyens durant celles-ci. Vous faites bien de vous interroger là-dessus. En effet, j'ai entendu parlé des fameuses fêtes de Louis XIV au beau temps de la France et j'ai décidé de relancer des célébrations de ce genre avec mes plus fervents partenaires."

-Quelle est la situation de votre noble combat contre les demis-dieux ?

"Malheureusement, ces brigands continuent leurs méfaits. Encore hier, la police m'a rapporté une dizaine de vols commis par ceux-ci. Mes agents font de leur mieux pour les attraper avant que des incidents graves arrivent mais ils sont aidés par le célèbre dieu de la folie, Dionysos. Cependant, la plupart des demis-dieux ayant été attrapés expient d'ores et déjà leurs fautes dans des travaux d'intérêts généraux comme la construction de temples. Je rêve d'un monde où cette espèce retourne à sa place, c'est-à-dire à nos pieds."

Vous pouvez retrouver l'interview et bien plus sur notre site.

Rien qu'une dernière peinture - 10 octobre :

Mes doigts parcouraient la toile, ajoutant les dernières touches à cette immense œuvre. Enfin, dire que cette chose était une œuvre était un peu abusé. Même Monet à la fin de sa vie peignait mieux que moi alors que son œil droit était affaibli par une cataracte. Est-ce que se faire posséder par un serpent était une raison pour peindre comme une merde ? Je l'espérais, sinon les fourmis encombrant mon bras gauche et mes jambes, tous les trois ligotés, étaient vaines.

Tu perds ton temps, mortelle. Je t'ai déjà épargnée trop longtemps.

Ses paroles sifflèrent dans mon esprit, s'immisçant au plus profond de ma raison pour en retirer quelques bouts. Non, il me restait encore des détails à régler. Je devais signer et régler la luminosité par exemple. Je devais laisser une trace compréhensible à Apollon pour le tenir au courant de l'infection rongeant mon cerveau. Déjà que le Triumvirat m'avait confiné dans une des demeures de mon père sans possibilité de contacter l'extérieur... Ma main libre se leva subitement, indépendamment de ma volonté, et racla la surface de la toile pour écrire en grand, en plein milieu, mon prénom. J'essayai de la retenir mais c'était impossible. Mon temps était écoulé. Je sentis un léger pincement dans ma poitrine et puis je fus comme éjectée de mon cerveau, placée à la place passager de mon propre corps. Celui-ci se leva et prit du recul. Apollon ne comprendra rien à ce que j'ai dessiné. Va-t-il voir que cette boule rouge était mes cheveux et que l'énorme sillon aux yeux jaunes était Python ? C'était impossible. Alors que j'aurais voulu rester à contempler ma toile, mon corps se dirigea vers une assiette de rats visiblement cuits au barbecue et, avec la minutie d'un gourmet, ma main piqua un des rongeurs et le porta à ma bouche. Mes dieux, ce goût... Si j'avais été en pleine possession de mes capacités, j'aurais vomi. Même la merde de chien avait un meilleur goût, j'en étais sûre. Une voix retentit dans la pièce, qui semblait la mienne mais qui était en même temps déformée par un timbre dissonant, comme si deux pierres tombales s'étaient frottées l'une contre l'autre.

- Je sens que je vais bien m'amuser avec ce réceptacle, merci Rachel.

Le rêve - 23 octobre :

J'étais dans le noir. Bien, tout avait commencé par le chaos après tout. Et puis, comme si le film commençait, je me retrouvai dans une grotte. Beaucoup moins bien. Elle était identique à mes souvenirs, il n'y a pas moins de 4 000 ans : elle puait le renfermé et il y avait une sorte de toxicité dans l'air propre à cet endroit. D'énormes stalactites et stalagmites se dressaient de part et d'autre de la caverne comme les dents d'une bête monstrueuse, enterrés sous plusieurs mètres d'exuvie. Leur propriétaire se tenait fièrement en plein milieu de son hébergement, regardant un petit humain roux agenouillé devant lui étant possiblement son prochain repas. Je me tenais je-ne-sais-où au-dessus d'eux, comme si j'étais suspendu dans le vide tel un trapéziste au sang froid.

- Oh, mais qui voilà ? Ne serait-ce pas le petit Lester venu rendre visite à son plus grand fan ?

Sa voix retentit dans la grotte comme une marée d'eau glacée, me figeant sur place. Tandis qu'il parlait, je remarquai deux choses : premièrement, il savait que j'étais là (ce qui est relativement normal dans les rêves des demis-dieux, je n'ai jamais compris pourquoi) et, deuxièmement, la voix ne venait pas du reptile mais de l'humain. C'était bel et bien le timbre de mon vieil ennemi Python mais, en même temps, une sorte d'écho curieusement familier s'entendait. C'est alors que le mortel releva la tête, me dévoilant son identité. Rachel. Un poids douloureusement lourd tomba sur mes épaules. Non, ce n'était pas possible, je refusais cette vérité, je refusais d'admettre que nous étions tous perdus, peu importe ce qu'on pourrait faire. Il avait gagné. Je tentai de regarder mon ancienne oracle dans les yeux mais cela m'était impossible : la voir signifiait défier son regard reptilien et je savais que je perdrais cette bataille. Rachel... Non, je ne pouvais plus appeler cette créature comme ça... Python me sourit à pleine dents, savourant la tête effarée que je devais sûrement faire.

- Tu veux quelques prophéties Lester ? Je sais que tu adores ça : Dionysos ne sera plus jamais un Olympien. Tous ceux proches de Lester dépériront. Le Triumvirat sera éternel.

- NON !

- Rien ne contredit la volonté du destin, rien ni personne. Tu t'en fichais pas mal, à l'époque, non ?

Avant que je ne puisse répondre quoi que ce soit, son visage vieillit d'une dizaine d'année et ses cheveux se raccourcirent et brunirent. J'eus du mal à reconnaître cet individu mi-Python mi-je-ne-sais-qui jusqu'à ce qu'un horrible collier de barbe ne lui pousse et qu'un peignoir de bain ne le couvre. La pièce se métamorphosa sous mes yeux : les stalactites devinrent des colonnades chryséléphantine, les peaux se transformèrent en un tapis plus décoratif que chaleureux et le serpent lui-même devint un trio de "simples" trônes copiant sans remords ceux des dieux. Mon ennemi me détailla de haut en bas, un air moqueur marqué sur le visage. Une aura divine semblait l'entourer à un point que je me sentais ridicule face à lui. Rapidement, la honte me brûla les joues, si bien que mes yeux dérivèrent d'eux même vers le sol, me plongeant dans la contemplation des motifs floraux. Je l'entendis se lever et s'approcher de moi doucement, comme un prédateur qui cherche les points faibles de sa proie. Si j'avais pu, j'aurais d'ores et déjà pris mes jambes à mon cou mais la peur m'avait congelé sur place. L'Empereur se figea devant moi, me relevant mon menton pour m'imposer son regard vénéneux.

- Lester, que pourrais-je bien faire de toi ? Tu as manipulé ma petite Meg et maintenant tu crées une révolte contre moi avec ton stupide frère. Enfin, tu as entendu Python. Tu as toujours apporté le malheur à ton entourage. Si tu m'avais gentiment donné tes pouvoirs, on n'en serait pas là. Tu t'en rends compte j'espère ?

- Je ne suis pas le pantin d'un serpent, comparé à toi. Ta mère, ton oncle et maintenant Python... tu as l'art d'être un pion, "grand Empereur Néron".

Il resserra sa poigne sur ma mâchoire, essayant peut-être d'extraire l'audace de mon corps. La rage étincela dans ses yeux à la mention d'Agrippa la Jeune mais le bruit de l'ouverture d'une porte se répercuta soudainement dans la pièce, interrompant notre discussion. L'Empereur regarda derrière moi tandis que les pas se rapprochaient et un franc sourire illumina son visage. Ce fut la première et sûrement la dernière fois que je le vis être vraiment heureux.

- Mon Empereur, votre bain est prêt. Des nymphes m'ont chargé de vous le préparer. J'espère que cela sied véritablement à vos désirs.

Cette voix... Je rêvais d'en entendre le timbre délicat depuis maintenant 4 mois, bien que quelque chose semblait maintenant brisé. Mon fils, mon talentueux et si altruiste enfant, que t'était-il donc arrivé ? Avant d'en émettre ne serait-ce que la pensée, Néron me retourna vers lui.

- Mon am-

Mon fils s'interrompit subitement, semblant seulement remarquer ma présence. Il me détailla d'une extrême prudence, comme pour graver mes traits dans sa mémoire, ce que je fis également. Il avait l'air vachement plus fatigué que la dernière fois que je l'avais vu, autant à l'extérieur qu'à l'intérieur, comme si quelque chose s'était rompu en lui. Austin était paré de vêtements sophistiqués puants le luxe, dont une chemise laissée volontairement ouverte sur son torse où apparaissaient des tâches ressemblant à des bleus. Mais le pire restait son cou, cerclé d'un anneau d'or d'où émergeait une série de cicatrices claires. Les larmes me vinrent et je n'éprouvais même pas de honte à les laisser couler.

- Austin, je suis tellement désolé.

Il me regarda dans les yeux avec une froideur qui ne lui ressemblait pas, me plantant un couteau dans le cœur.

- Tu t'effaces. Je- tu as fais ton choix je suppose. Ne reviens plus jamais, j'en ai marre d'être ton fils que quand tu en as besoin.

Avant que je ne puisse réagir, je me sentis être aspiré en dehors de la scène, tout se floutant progressivement jusqu'à ce qu'il ne reste que le regard méprisant de mon fils qui, lui aussi, s'effaça au bout de quelques secondes. Je ne comprenais pas le sens de ses paroles. Quel choix aurais-je fait ? Je savais que je n'étais pas le meilleur des pères mais jamais j'aurais choisi entre mes enfants, si c'était ce qu'il sous-entendait. La seule chose que je savais, c'était que Néron avait sûrement un lien dans cette affaire. Comme avec Meg. Oh Meg, qu'est-ce que j'aurais fait pour la revoir, pour être sûr qu'elle n'était pas redevenue comme avant. Cependant, Morphée ne sembla pas de cet avis car je me réveillai en sursaut, trempé de sueur comme si j'étais en plein désert et non dans une grotte vaguement illuminée. J'entendais les ronflements occasionnels de quelques demis-dieux, les échos me rapportant ce doux bruit qui me confirmait qu'il était encore nuit. Je commençai à m'inquiéter quand je ne discernai pas, même après une dizaine de minutes, ceux de mon frère. Je regardai donc à mes côtés et, en une demi-seconde, mon sang se glaça entièrement :

Dionysos n'était plus là.

La vigne - 23/26 octobre:

Le chaos régnait autour de moi, seul maître de cet endroit avant si plein de vie. Il y a quelque temps, j'aurais fuit cet asile aussi vite que possible. Maintenant ? J'aurais tout fait pour revenir à cet équilibre vacillant me semblant aujourd'hui si idyllique. Je ne savais même pas pourquoi je me tenais ici, j'en avais juste senti le besoin le plus profond alors que je dormais, comme si mon âme était appelée à y aller. C'était peut-être pour me rappeler à quel point j'avais merdé. Mes dieux, de toute mon immortalité, je n'avais jamais aussi bien foiré. J'avais aidé la destruction d'un des seuls endroits sûr pour les demis-dieux et les satyres, j'avais aidé un monstre à atteindre ses plus doux rêves. Je me dirigeai vers la vieille coquille qui était avant ma magnifique maison. Il n'en restait quasiment rien mis-à-part des ruines brûlées, comme tous les bâtiments de la colonie. Même la forêt avait été en partie carbonisée, coûtant la vie à des amies, à des sex friends et même parfois à ce qui se rapprochait le plus d'une vraie famille. Je m'attendais à ne rien retrouver dans les décombres de ma résidence mais, étrangement, une dizaine de cartes étaient éparpillées au sol. C'était celles du jeu que Chiron m'avait offert quand j'étais devenu Mr.D. : trois rois, un valet au bras brûlé, deux as et un joker, ironique au vu de la situation. Avant que je ne puisse les prendre, un raclement de gorge retentit derrière moi, me faisant sursauter et me retourner comme un enfant prit en train de commettre une bêtise. Je ne fus pas surpris de voir Néron mais je le fus un peu plus en voyant que la couche intérieure de son costume était du léopard, à croire qu'il voulait m'imiter, et je fus totalement éberlué à la vue de mon fils à ses côtés, ses poignets et ses chevilles entravées et semblant à moitié conscient. Mon cœur rata plusieurs battements le temps que je vérifie s'il comportait la moindre trace de blessure, ce qui n'était, heureusement, pas le cas.

- Dionysos ? Ça fait plaisir de se revoir en dehors d'un combat. Cela fait maintenant un peu moins de 2000 ans que l'on ne s'est pas parlé d'adulte à adulte. Enfin, à présent nous discutons de dieu à dieu...

- Que veux-tu, Néron ? Me demander en mariage ? Avoir en otage mon fils ne va pas me faire accepter.

L'Empereur rit de bon cœur, comme s'il venait d'entendre la blague de l'année. Je ne comprenais pas comment j'avais un jour pu fondre devant son rire qui maintenant ne m'inspirait que la folie des mégalomanes.

- Oh, mon cher Dionysos, j'ai toujours aimé ton sarcasme. Ta présence à mes côtés me manque, tu m'aidais toujours à prendre les meilleures décisions pour l'Empire après tout. Nous aurions pu avoir le monde à nos pieds si tu avais fait le bon choix, tu t'en rends compte j'espère ?

- Je ne suis pas intéressé par ta tyrannie.

- Ah bon ? C'est pourtant toi qui disais que j'allais être un Empereur mémorable si je m'écoutais. En soit, tu n'avais pas tort. Tu peux encore réparer toutes tes erreurs et ce en un seul geste. Donne-moi ta divinité et je te laisserai partir en toute tranquillité avec ton fils. Je te laisserai le luxe d'aller sur Naxos, là où la guerre ne détonnera jamais. Cela m'étonnerait que tu veuilles la mort de ton seul et unique enfant.

Sa proposition était alléchante. S'enfuir avec mon fils, être sûr qu'il soit en sécurité, fonder avec lui la famille que mon immortalité nous avait toujours interdit. Ce serait le paradis. Je laisserai Lester, Chiron et tous les autres demis-dieux mais ils se débrouilleront sûrement mieux sans moi de toute manière. Je ne leur étais d'aucune utilité après tout. En plus, ma divinité n'était qu'un pauvre fil aussi tranchable que l'air, cela n'allait pas impacté les pouvoirs de Néron. Je fus à deux doigts d'accepter quand mon fils prit la parole :

- Papa, ne l'écoute pas, il te ment ! Il va me tuer quoi que tu fasses. Il deviendra trop puissant si tu lui donnes tes pouvoirs. Tu DOIS m'abandonner, c'est une question de bon sens. Je ne t'en voudrais pas, je te le jure.

- Je suis le dieu de la folie, je suis l'antonyme du bon sens.

- On s'en fout si ta famille Olympienne n'est pas fière de toi car je le serai et Castor aussi. Peut-être même Dakota. Maman le sera également.

"Maman"... Cela faisait des années qu'il n'avait plus prononcé ce mot. Je vis dans son regard à quel point ça lui coûtait de le dire. Non, Sylvia ne serait pas fière de moi. Je l'avais laissée mourir, pour ensuite abandonner nos enfants. Je la voyais à travers Pollux, dans la manière qu'il tentait de me convaincre comme un général de guerre qui essayait de conclure un traité de paix ou dans la façon dont ses cheveux volaient au vent comme des rayons de soleil. Je devais bien leur obéir, surtout après tous les malheurs que je leur avais créés. Je pris une grande inspiration, calculant les tenants et aboutissants de mes actions, avant de déclarer :

- Je refuse. Je ne te donnerai pas mon immortalité.

- Bien.

L'Empereur ne piqua pas de crise de colère, étrangement. Il resta étonnamment calme, fouillant une de ses poches. Et puis, à une vitesse inouïe, il en sortit un je-ne-sais-quoi et se retourna sur Pollux de sorte à ce que je ne vois pas ce qu'il trafiquait. Je m'approchai pour l'éloigner de mon fils quand une explosion retentit. Néron se décala, un sourire plaqué sur le visage comme s'il s'agissait d'un masque. Je ne perdis pas une seconde, recueillant mon fils qui s'écroula dans mes bras. Je posai ma main sur sa poitrine, m'attendant à la voir se soulever au rythme de ses respirations mais rien ne se passa outre le sang qui s'écoulait à un débit irrégulier de sa plaie. Je n'y connaissais pas grand-chose en anatomie humaine mais je savais que ce n'était pas normal. C'était comme si le fil de sa vie s'était soudainement rompu, avant même qu'il ne vive ses derniers instants, que la destinée avait décidé de... Python. Et, alors que j'entrevoyais la maigre vérité, Néron ricanna, me fixant comme si j'étais un divertissement pitoyablement hilarant.

- "Quand le son du canon retentira, Pollux, fils de Dionysos, mourra avant même d'apercevoir l'ombre de Thanatos". Mes dieux, qu'est-ce que j'adore cette prophétie. Ça rajoute tellement de drama !

- Pardon ? Tu as tué mon fils et tu en rigoles ? Comment oses-tu espèce d'ordure ? As-tu oublié à qui tu parles ?!

Je posai mon fils au sol pour ensuite me redresser et m'approcher de Néron jusqu'à la limite du respectable. Je le regardais un instant dans les yeux, les contemplant comme je l'avais fait tant de fois auparavant. Mais, à la différence de cette époque, j'abattis ma main sur sa nuque pour l'enserrer de toutes mes forces. Dans un premier temps, il ne réagit, toujours plongé dans la contemplation de mon regard et puis il m'imita, plaquant sa main sur ma nuque comme lors de notre dernière rencontre. À son instar, je sentis mon pouvoir doucement irriguer vers lui. Je ne pouvais pas le laisser gagner. Je devais partir et prévenir Lester de ce qu'il venait de se passer. Alors, je fis la seule chose possible de le déstabiliser : je l'embrassai. Pendant un court instant, l'Empereur répondit au baiser puis, comme s'il se rendait enfin compte de la situation, il me rejeta loin de lui avant de s'essuyer frénétiquement les lèvres. Je ne savais même pas pourquoi ça le dérangeait autant, ce n'est pas comme si nous ne l'avions jamais fait. Il était devenu si délicat en vieillissant, il n'était pas comme ça quand il avait 22 ans... Je m'arrachai à mes pensées et me jetai sur Pollux, tentant de nous téléporter quelque part, peu importe où tant que c'était loin de ce monstre.

- Je te retrouverai, peu importe où tu iras. Nous sommes irrémédiablement liés, Dionysos. La prochaine fois, je m'incrusterai dans votre petite cachette en tuant tous ceux qui se dresseront sur mon chemin pour avoir ce qui m'est dû. Ce n'est qu'une question de temps.

Je redressai mon regard sur lui une dernière fois, me sentant déjà partir. Il me regardait furieusement, bien que le rougissement de ses joues trahissait ses réelles pensées. Et puis il s'effaça, comme s'il avait été emporté par la brise, suivant les décors nous entourant. Je reconnus l'endroit se dessinant autour de nous rien qu'à son odeur iodée. Nous étions chez Sylvia, chez "maman". Cependant, je n'avais pas la force de me relever pour explorer les environs. Je me sentais juste vide, terriblement vide. Pourquoi devrais-je continuer à me battre quand la chose la plus importante était décédée ? Je savais qu'il y avait d'autres demis-dieux à protéger, que j'étais le seul dieu prêt à les aider, mais je ne voulais plus rien faire. J'étais figé, regardant désespérément son cadavre sur lequel tombaient mes larmes. Mes dieux... Il était si pâle, si fade, comparé à l'étincelant enfant qui courait entre mes jambes avec son jumeau il y a quelques années. Il ira sûrement aux Champs Elysées pour rejoindre ses frères. Ce sera mieux pour lui, il aura enfin une vraie famille. C'était un autre truc que j'avais foiré. Peut-être que, si je restais ici, plus personne ne serait blessé... Non, ce n'était pas vrai. C'était juste un stupide mensonge destiné à cacher ma propre faiblesse. Je blesserais forcément des gens, pour la simple et unique raison que j'étais un putain d'Olympien. Il n'y avait qu'une seule solution pour stopper ce cercle infernal, quelque chose qui aurait dû être fait dès ma naissance...

Avant de partir, je cueillis une pelle dans l'abri de jardin à moitié effondré et creusai un trou assez profond pour y enterrer mon enfant, comme un simple mortel. Une fois fait, je ne perdis pas de temps et m'envolai vers un endroit que j'aurais souhaité ne plus jamais revoir.

***

La forêt prit place autour de moi, m'entourant de toute sa splendeur. Les arbres me surplombaient de leur hauteur et même les plus basses fougères frôlaient mes genoux, toutes et tous préservés des torts des hommes. Le camaïeu de vert reposa quelques instants mes yeux mais je n'étais pas là pour admirer le paysage. Je m'avançai doucement à travers les bois, retrouvant facilement le chemin vers sa tombe. Je profitai du calme pour savourer mes derniers instants. Cependant, la tranquillité laissa cours à mes pensées, ce qui entraîna la chute de quelques larmes avant même d'arriver à ma destination. J'entrai dans la fameuse clairière, ce qui créa un étrange nœud d'appréhension dans mon estomac. Pourtant, je n'avais rien à craindre : je savais exactement à quoi m'attendre. Malheureusement, quand je vis son cadavre, je sus que je n'étais en fait pas du tout prêt. Pendant un court instant, je crus même le voir dans ses derniers instants, la nuque tournée dans un angle improbable tandis que son cœur diminuait son si doux tempo et que sa peau se recouvrait d'ores et déjà d'une couleur blanchâtre. J'avais oublié à quel point la vigne originelle, celle en laquelle il avait été transformé, lui ressemblait. Je passai mes doigts sur chaque partie du végétal, me remémorant la texture de sa peau parfaite ou de ses cheveux terreux. C'était le premier d'une série de mauvais choix, coûtant forcément plus aux mortels qu'au dieu que j'étais. Mais j'allais enfin en finir.

Avant tout, je réglai quelques dernières affaires : une lettre apparut sur le lit d'Ariane, lui demandant de m'oublier et de faire sa vie avec un meilleur compagnon que moi ou que Thésée, une protection flambant neuve entoura nos grottes, assez solide pour résister au Triumvirat cette fois-ci, et des stocks illogiquement imposant de nourriture apparurent dans nos réserves, de sorte à ce qu'un adulte n'aurait pu circuler sans ramper. Rien qu'avec ces maigres actions, je me sentais terriblement fatigué. Chaque muscle de mon corps criait au repos, sensation plus que désagréable pour un dieu censé être tout puissant. Je tentai de reprendre ma respiration, en vain car je me pliai aussitôt en deux de toux, ce qui rajouta un peu plus de sang à ma chemise. Je comprenais enfin ce que Lester voulait dire par "problèmes de santé majeurs". Au moins, il n'aura plus jamais à se soucier de ça. Je fermai les yeux, rien que deux petites secondes, et, quand je les rouvris, mes forces me semblèrent revenues. Je fis tout d'abord apparaître une canette de coca light, sûrement la dernière que je boirai avant un long moment, et puis je me concentrai pour moduler mon apparence. Je pris une forme un peu plus jeune mais y retirai tout ce qui pouvait paraître au-delà du commun des mortels. Au revoir peau parfaite, cheveux toujours bien coiffés et yeux violets, vous me manquerez. Finalement, je posais ma main sur le cœur de mon cher Ampélos. J'hésitai une dernière fois avant de continuer mais la raison l'emporta, ironiquement. Alors, à chacune de mes inspirations, je fis irriguer un peu plus mon pouvoir vers la vigne. À chaque millilitre de divinité perdu, je me sentais cent fois plus vieux et usé malgré mon apparence de jeune adulte. Bientôt, il ne me resta qu'une simple goutte de l'ancien moi. Enfin. J'aurais toujours dû être comme ça : un simple mortel, un vigneron inconnu des grands mythes. Cependant, même si ça aurait dû être une libération, je me sentais étrangement vide. Je n'entendais plus les échos des gens prononçant mon nom, je ne devais plus contrôler une autre version de moi en train de jouer au poker dans un bar, je ne captais plus de la même manière les doux sons des bois. Malheureusement, ce vide se remplit par un sentiment que j'essayais avant d'annihiler, ce qui marchait plutôt bien quand j'étais encore un dieu. Maintenant, je n'avais plus rien pour le cacher et mon corps semblait me le faire payer. Je n'arrivais même plus à aligner deux pensées sans penser à l'alcool. Je rassemblai mon courage à deux mains et me levai, faisant face à plus de vertiges que prévu. J'embrassai une dernière fois la forêt du regard, m'arrêtant un peu plus sur le magnifique visage de mon premier amour et puis je partis.

J'atterris douloureusement sur le sol en pierre, à croire que mon nouveau corps n'était pas habitué aux voyages de plusieurs milliers de kilomètres. Comme s'il avait encore ses capacités prophétiques, mon frère apparut au détour d'un couloir. Lester courut d'abord vers moi, me reconnaissant sûrement de par ma magnifique chemise léopard mais, plus il se rapprochait, plus il ralentisait. Il se figea finalement devant moi, ses sourcils froncés ombrant ses yeux mi-paniqués mi-joyeux.

- Dionysos, c'est vraiment toi ? Que s'est-il passé ? Ils t'ont capturé, c'est ça ? Mais comment ont-ils fait pour-

- Ils ne m'ont pas attrapé, enfin pas vraiment.

- Pourquoi es-tu aussi humain alors ? Depuis quand tu as des yeux bruns déjà ?

- J'ai enfoui mon immortalité là où ils ne la trouveront pas. C'est mieux pour tout le monde.

L'incompréhension paralysa son visage, comme si pour lui c'était impossible qu'une si grande perte puisse être bénéfique dans notre situation. Moi qui croyais qu'il m'aurait compris grâce à ses travaux, je m'étais foutu un doigt dans l'œil. Au final, ce fut la colère qui le remit d'attaque. Je la vis enfler avant même qu'il ne parle et je sus instinctivement que cela ne servait à rien de l'imiter. La rancœur était une solution plus attirante et atteignable que la compréhension, je l'avais compris au fil des millénaires.

- Mais pourquoi ? Tu étais le dernier dieu de notre côté, qu'allons-nous faire maintenant ? Avec deux ex-dieux et une armée affamée et blessée, on ne va jamais gagner la guerre.

- J'ai mes raisons, Lester.

- L'hiver n'est même pas à nos portes et on est déjà dans la merde. Tu n'aurais pas pu faire ça après ? Nous avons besoin de tes pouvoirs pour nos récoltes, ou pour aider ceux qui deviennent déjà fous. Tu vas me dire que tes raisons sont plus importantes que ça ?! Tu es juste égoïste, ou fou, au choix.

- Néron a tué mon fils. Ça te suffit ou il faut que je t'explique plus en détails, ô généreux et humble Lester ?

- Quoi ?

- Je... Je ne sais pas ce qu'il a fait à Austin mais, je t'en supplie, laisse-moi seul.

- Je suis désolé Dionysos, je ne voulais pas.

Quelque chose de faux sonnait dans sa voix, comme s'il avait dit cela sans se rendre compte qu'un pardon représentait beaucoup plus qu'une simple interjection.

- Je ne veux pas de ta pitié.

Et je partis donc, prenant soin de le contourner tandis que je remontais le couloir qu'il avait emprunté quelques minutes plus tôt. J'entendais de l'agitation dans la salle commune, ce qui ne changeait pas vraiment de d'habitude. J'essayai d'écouter ce qu'il se passait quand quelqu'un me fonça dedans. Je voulus le gronder mais je me rappelai que je n'avais plus la même crédibilité en temps que directeur maintenant que je ressemblais à un doctorant en manque et que ma voix n'était plus aussi bourrue. La personne se décala aussitôt en murmurant dans sa barbe, me révélant aussitôt son identité :

- Putain, on doit vous apprendre à marcher ou quoi ? Les jeunes de nos jours...

Nico releva le regard et, quand il comprit qui j'étais (à croire qu'il était plus habitué à mes métamorphoses que mon propre frère), son visage se décomposa. Se rendait-il compte qu'il était maintenant cent fois plus puissant que moi ? Avant qu'il n'avale une mouche, je me décidai à parler :

- Je crois que tu me fréquentes de trop, tu commences à parler comme un vieux.

- Et mettre à terme nos séances de psy ? Vous êtes fou. En parlant de ça, je vous cherche depuis 3 jours. J'ai eu de nouvelles visions et je dois vous en parler.

- Pas de souci, je suis là pour ça. Au fait, j'ai un service à te demander. Comme tu le vois, je suis devenu mortel et j'aimerai que tu m'apprennes à combattre.

- C'est donc pour ça que vous sentez la mort... Je vous aiderai du mieux que je peux mais je ne vous promets rien, je ne suis pas un très bon prof, surtout pas pour les ex-dieux.

Malgré sa modestie, je sus qu'il était le plus qualifié pour m'entraîner. Je l'entraînai ensuite dans ma grotte-chambre et l'écoutai parler de ses, ô combien terrifiants, rêves. Et c'est ainsi que débuta ma vie de mortel.

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