Le Nouveau

Le dos courbé, la mine grise, les cernes profonds comme sous les yeux de chaque élève qui, après de longues semaines de vacances, reprennent enfin le rythme routinier et régulier de la monotonie scolaire, je marchai lentement, pour arriver le moins rapidement possible au portail du lycée.

Alors, c'était bel et bien terminé. Les vacances, le soleil, la mer, les apéritifs dans le jardin, les grasses matinées, tout cela était derrière moi à présent.

Dans la longue allée de mon lycée, les élèves étaient étalés un peu partout en groupe, la plupart étaient ravis de se retrouver. J'avais le droit à une parade d'accolades amicales, à des cris de joie perçants et à un festival de visages bronzés par les rayons chauds des pays méditerranéens.

_ Camélia !

Surprise, je me tournai. J'otai mes écouteurs, qui étaient profondément enfoncés dans mes oreilles. Je ne reconnus pas au premier regard le garçon qui s'avançait joyeusement vers moi. Ces longs cheveux dorés et bouclés, ce visage illuminé par un sourire parfait, qui ressortait encore plus sur une peau presque noirci par le soleil... Gaël !

_ Gaël ? m'exclamai-je, étonnée.

Arrivé à ma hauteur, Gaël m'attrapa par les hanches et me souleva du sol. Je poussai un petit cri de surprise. Je n'avais le souvenir que mon ami était aussi musclé.

_ Comment vas-tu, petite Camélia ?

_ Gaël, tu as... changé ! répondis-je.

Je n'en revenais pas. Gaël n'était plus le même, il avait grandi, il semblait plus épanoui. Avant, il ne laissait jamais pousser ses boucles blondes, car il en avait honte. Il gardait toujours ses cheveux très courts, et se précipitait chez le coiffeur dès qu'ils se mettaient à repousser. Là, ses cheveux, même s'ils étaient cachés sous un bonnet noir, dépassaient du couvre-chef. Normalement, il avait la peau claire, comme moi, mais là, il était plus bronzé que tous les autres. Il me dépassait d'une bonne tête au moins, alors qu'avant, de seulement quelques centimètres. Son torse s'était développé également, ainsi que ses bras. La seule chose qui n'avait pas changé, c'était son sourire drôle et charmeur, qui égayait son visage et qui faisait pétiller ses yeux bleus.

_ A peine, dit-il en riant. J'ai seulement laissé pousser ma tignasse.

A vrai dire, ce changement radical lui allait à merveille.

_ Depuis quand tu as des muscles, toi ? raillai-je.

_ Mais voyons, depuis toujours, petite Camélia. Ils étaient juste timides, et ils ne voulaient se montrer. J'ai réussi à les convaincre de sortir de leur cachette.

J'explosai de rire. Je ne me serai jamais doutée que retrouver Gaël après deux mois et demi m'aurait mise d'aussi bonne humeur.

Nous marchâmes tous les deux jusqu'au portail noir qui s'élevait devant notre grand lycée en pierre de taille, en nous racontant nos vacances un peu brièvement. Gaël était parti en Martinique, chez son père qui avait emménagé là-bas avec sa nouvelle fiancée. Au début, il n'avait pas du tout envie de partir, surtout que Fanny, sa grande sœur , ne partait pas avec lui et préférait aller en camping avec ses amis de la fac de droit.

_ Finalement, c'était cool, expliqua-t-il. Mon paternel a été vraiment sympa, il m'a payé des cours dans un club de surf, j'en ai fait tout l'été. Et toi, Camélia ? Comment étaient tes vacances ?

Mes vacances ? Elles avaient été tout simplement grandioses. C'est ce qui rendait le retour à la réalité encore plus difficile. J'étais partie en Espagne avec toute ma famille et cela faisait un bon bout de temps que nous n'avions pas tous été réunis.

_ Elles étaient bien, répondis-je en souriant.

Un surveillant s'avança alors et ouvrit le grand portail. Aussi rapidement, une foule d'élèves s'engouffra à l'intérieur du lycée, comme si l'effet excitant des vacances n'avait pas encore disparu et qu'ils avaient encore hâte de ce qui leur attendait.

Gaël et moi entrâmes tranquillement à l'intérieur, laissant le temps au mouvement de foule de diminuer. Nous nous rendîmes au panneau d'affichage des Premières, afin de voir dans quelle classe nous étions. Il était sûr que nous ne serions pas ensemble. Gaël partait en filière Scientifique, tandis que j'avais opté pour la filière Littéraire.

_ Première S 2 ! s'exclama Gaël. Cool, je suis dans la même classe qu'Agnès Blondin. Apparemment, pas toutes les jolies filles ne partent en L !

Je cherchai désespérément mon nom sur les listes des trois classes de Premières de ma filière, quand je le trouvai situé entre Jonathan Kadosh et Léa Lecocq.

_ Camélia Lacand, je suis en Première L 1, informai-je mon ami.

_ Cool, on se retrouve à la cafet ?

Nous nous séparâmes. J'eus un petit pincement au cœur en voyant Gaël s'éloigner. Nous avions passé toute l'année de seconde ensemble, il était mon seul ami, ou du moins, l'ami avec lequel je me sentais le mieux. Je n'étais pas quelqu'un de très sociable, j'étais très timide et renfermée, et la plupart du temps les gens m'évitaient ou m'ignoraient, car je n'étais pas intéressante. Les rares fois où quelqu'un venait me parler, c'était pour me demander de faire ses devoirs. Au début, j'acceptais, je pensais que peut-être cela pouvait m'aider à me faire des amis, mais Gaël m'avait rapidement remise sur le droit chemin.

J'empruntai les escaliers qui menaient à la salle dans laquelle je devais me rendre, bousculée par les autres qui montaient en même temps que moi et qui ne faisaient pas attention à moi. Lorsque j'arrivai à celle-ci, je pris place au fond, à une table où, pour le moment, j'étais seule. J'observai les lycéens entrer petit à petit dans la classe. J'en connaissais certains, que j'avais déjà aperçu dans les couloirs, mais d'autres étaient nouveaux et semblaient un peu perdus.

C'est alors qu'un garçon entra. À ce moment-là, je sentis que tout le monde avait les yeux rivés sur lui. Ce n'était pas un beau garçon, comme Gaël par exemple, ni un garçon avec une allure de garçon populaire des films américains. C'était un garçon, pas plus grand qu'un mètre quatre-vingt, mince comme un fil de fer, avec une démarche si légère qu'on ne l'entendait pratiquement pas marcher. Ce que je remarquai en premier, c'était qu'il était vêtu de noir de la tête au pied, mais que ce qu'il portait, aussi simple soit la tenue, tombait à merveille sur lui. Sa peau était, contrairement aux autres élèves de la classe qui revenaient de vacances, blanche et pure. Son visage fin était percé de deux grands yeux noirs, et ses cheveux étaient naturellement décoiffés, et de couleur foncé. Sa bouche était pulpeuse. Il avait un long et fin cou gracieux, qui rendait son port de tête presque trop parfait.

Je suivais au moindre détail ses mouvements. Ils étaient rapides et agiles, aussi bien quand il passait sa main dans ses cheveux que quand il la mettait dans sa poche.

Il s'approcha de moi, et prit place sur la chaise à côté de la mienne. Il ne me jeta pas un regard et ne me dit pas un mot. Il se contenta de sortir un petit bloc-notes et un stylo, qu'il faisait danser habilement sur ses longs doigts fins.

Les conversations reprirent de plus belle lorsqu'il s'était installé.

Quelque chose chez lui me laissait perplexe. Peut-être était-ce son expression, si indescriptible, ou encore l'aura attirant qui s'émanait de lui. Mais je n'arrivais pas à détacher mes yeux de lui.

Regarde autre part, Camélia, pensai-je, il va te trouver bizarre.

Le professeur, un petit homme trapu et qui se présenta comme professeur de littérature étrangère et professeur principal, entra dans la salle et fit rapidement l'appel.

_ Jonathan Kadosh ?

_ Présent, répondit quelqu'un dans la salle.

_ Camélia Lacand ?

_ Ici, répondis-je si doucement que le professeur se mit à me chercher du regard.

Il cita encore quelques noms, jusqu'à :

_ Zachary Prat ?

Le garçon à côté de moi se contenta de lever la main. Le professeur s'arrêta sur lui, et le sermonna rapidement.

_ Vous êtes priés de répondre par des mots, Monsieur Prat. Vous êtes en filière Littéraire, je tiens à vous le rappeler, et en Littéraire, on s'exprime. Ne profitez pas de votre notoriété pour vous permettre de faire ce que vous souhaitez. Cela ne marchera pas avec moi, ni avec les autres professeurs de cet établissement.

Le garçon qui s'appelait apparemment Zachary se contenta d'hausser les épaules.

De quelle notoriété le professeur voulait-il parler ?

Je me contentai de me concentrer sur les explications qu'il nous donnait à propos de l'organisation de l'emploi du temps tout en prenant des notes, quand je sentis Zachary approcher son visage du mien. Il se pencha vers moi. Sa proximité me mit mal à l'aise, et son souffle mentholé et chaud me parcourut l'échine et me fit frissonner. Il me chuchota à l'oreille :

_ Alors comme ça, tu ne sais pas qui je suis ? Je l'ai compris à la manière que tu as de me regarder. Cela tombe bien, tu sembles être la seule ici à l'ignorer.

Sa voix était si chantante, si douce et mielleuse que j'aurais préféré qu'il parle encore plus longtemps, pour encore pouvoir l'écouter.

Je ne voyais pas de quoi il voulait parler, qui était-il ? Je ne l'avais jamais vu nulle part, et je n'avais jamais entendu son nom. Zachary Prat. J'avais beau me répéter son nom plusieurs fois, il ne me disait toujours rien, à part celui d'un nouveau camarade de classe.

_ Qui es-tu ? demandai-je. Pourquoi serai-je censée te connaître ?

Zachary sourit. Il sourit sans dévoiler ses dents, d'un sourire si différent de celui de Gaël, ni chaleureux, ni amical. Juste mystérieux.

_ Tu le sauras tôt ou tard, de toutes façons, répondit-il. Je préfère profiter du peu de temps qu'il me reste avec toi avant que tu ne le découvres.

_ De quoi tu parles ?

Je compris que j'avais parlé un peu trop fort quand le professeur s'interrompit et nous jeta un regard noir et bourré de sous-entendus.

_ Laisse tomber, Camélia Lacand, dit Zachary en ayant jeter un rapide coup d'œil à l'étiquette qui se trouvait sur ma pochette. Soyons amis pendant cette heure. Après, ne m'adresse plus la parole. En sortant de cette salle de classe, quand la sonnerie retentira, tu iras demander aux autres qui je suis, ou tu chercheras sur Internet, et alors, je ne pourrai plus te faire confiance.

Zachary me regarda droit dans les yeux, comme pour me demander si j'avais bien compris ce qu'il avait dit. Or, ce n'était pas le cas. Je n'avais pas compris. Il était vraiment très étrange. Son regard sombre ne se détachait pas de mes yeux, et je n'arrivais moi-même pas à les bouger, comme si j'étais hypnotisée. Qu'est-ce qu'il m'arrivait ?

_ Mademoiselle Lacand, Monsieur Prat ! s'exclama le professeur. Parviendrais-je à vous intéresser ne serait-ce que pendant les vingt minutes restantes ?

Zachary se détourna de moi, et je repris enfin le contrôle de moi-même, que je semblais avoir perdu pendant quelques secondes.

J'essayais d'écouter le professeur, mais je n'y parvenais pas. Je sentais que mon voisin avait une seconde fois posé son regard sur moi, mais j'essayais tant bien que mal de l'ignorer. Je ne m'étais jamais sentie aussi mal à l'aise de ma vie. 

_ Tu es plutôt jolie, dit-il alors. Dommage que je ne puisse plus te parler après le cours.

Je sentis alors le rouge me monter aux joues, et le malaise reprendre le dessus. Je tentai d'essayer de le dissimuler, mais j'entendis Zachary lâcher un petit rire discret.

_ Je ne voulais pas te faire rougir, lança-t-il.

_ Je ne rougis pas, parvins-je à articuler. Tais-toi, maintenant, j'aimerais écouter.

_ Serais-tu Poisson ? demanda-t-il alors.

_ Je te demande pardon ?

_ Ton signe astrologique, c'est Poisson, n'est-ce pas ? répéta-t-il.

Je restai une seconde étonnée. Comment pouvait-il savoir ?

_ C'est exact, affirmai-je. Comment tu sais ?

Un sourire tout aussi mystérieux que le précédent se dessina sur ses lèvres pulpeuses.

_ Tu as tendance à être sur la défensive, tu es timide, tu n'aimes pas être complimentée et tu es solitaire, énonça-t-il. Tu es le profil parfait du Poisson dans toute sa splendeur.

Zachary avait lu en moi comme dans un livre ouvert. En à peine cinq minutes,  il avait défini qui j'étais, et le plus épatant était que tout ce qu'il avait dit était vrai.

Je ne répondis rien, et me contentai de lui tourner le dos.

_ Tu dois te demander comment je sais tout cela sur le profil du Poisson, dit-il.

_ Pas vraiment, répondis-je. Tu es peut-être un féru d'astrologie, mais moi, ça ne m'intéresse pas.

_ C'est parce que je suis également un Poisson, me coupa-t-il. Et les Poissons sont faits pour s'entendre entre eux.

La sonnerie aiguë (qui ne m'avait pas manqué pendant ces vacances) retentit, et tous les élèves de la classe se levèrent en même temps pour sortir manger. Zachary fit de même, tandis que je restai assise pour ranger mes affaires.

_ Ce fut un plaisir de passer cette heure avec toi, dit-il en me faisant un clin d'œil.

Je le regardai qui sortait de classe, derrière tout le monde.

J'étais rongée par la curiosité, je voulais savoir qui était Zachary, ce garçon si mystérieux qui attirait l'attention, et que tout le monde semblait connaitre sauf moi.

Je sortis alors également de la classe, et je fus prise par un embouteillage d'élèves dans les escaliers qui descendaient à la cafétéria.

_ Zachary, Zachary ! entendais-je crier. Un autographe !

_ On peut prendre une photo ensemble ? demanda quelqu'un.

Surprise, je tentai de me faufiler entre les personnes, qui semblaient faire la queue pour autre chose que pour accéder à la cantine. C'est alors que j'aperçus mon étrange partenaire de table en train de signer des carnets et des bouts de papier à toutes les personnes qui en demandaient.

Je vis alors Gaël, tentant lui aussi tant bien que mal de passer à la cantine. Je le rejoignis. Il était avec deux garçons, que j'avais déjà vu auparavant.

_ Eh, Gaël ! m'exclamai-je.

Quand il me vit, Gaël me sourit.

_ Tiens, Cam ! dit-il. Alors, elle est comment ta classe ? Je te présente Elliot et Damien.

Les deux garçons me saluèrent rapidement, et je fis de même.

_ Bof, répondis-je. Dis-moi, Gaël, tu connais ce garçon, Zachary Prat, qui signe des autographes à tout le monde ?

Gaël me regarda avec de grands yeux étonnés.

_ Si je connais Zachary Prat ? répéta-t-il. Evidemment que je le connais, pour qui tu me prends ?

_ Il était assis à côté de moi, en classe, expliquai-je. Mais qui est-il ?

Damien et Elliot étouffèrent un fou rire. Gaël se tourna vers eux, comme pour leur dire de se taire.

_ Tu n'as jamais entendu parler de Zachary Prat ? demanda Damien.

_ C'est l'un des plus jeunes et célèbres mannequins du moment, continua Elliot. Il a été repéré à quatorze ans, et depuis il a posé et défilé pour les plus grands.

Je restai clouée sur place. J'étais si surprise par cette révélation, que je n'arrivais pas à parler. Je ne bougeais plus, j'avais la bouche grande ouverte, les yeux écarquillées. Zachary était une star. Zachary était un mannequin célèbre. Zachary était une célébrité et il m'avait parlé, à moi. La fille la plus banale et inexistante que l'on puisse rencontrer.

Je parvins tout de même à tourner la tête vers lui, et c'est alors que je remarquai qu'il me regardait. Toujours de son regard sombre et hypnotisant. Il me sourit rapidement, d'un sourire qui semblait dire "C'est bon, tu as compris ?"

_ Il te regarde, remarqua Gaël.

Je ne répondis pas. Je le regardais aussi.

C'était donc la raison pour laquelle il ne voulait plus me parler après que je découvre son identité. Il pensait qu'être une star l'empêchait d'avoir des amis. Il pensait que j'allais être comme tout les autres, que j'allais lui adresser la parole juste parce qu'il était célèbre.

Zachary détourna alors le regard quand une fille vint l'aborder et le prit au dépourvu en prenant une photo inattendue avec lui.

Il semblait agacé. Il ne semblait pas ouvert aux autres, il ne faisait pas d'effort pour paraitre sympathique aux yeux des autres. La seule chose qu'il semblait vouloir, c'était qu'on le laisse tranquille. C'était un solitaire. Qui n'aimait pas être complimenté.

_ Il n'a pas l'air très agréable, signala Damien.

Je souris alors quand Zachary leva une seconde fois la tête vers moi. Je lui fis un clin d'œil, qui parut le désarçonner, mais il répondit par un grand sourire, qui n'avait plus rien de mystérieux. C'était un sourire joyeux, moqueur, amical.

_ C'est normal, répondis-je. C'est un Poisson.

FIN

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top