Le Noël des Soldats Wattpadiens

 Ah, Noël. Une fête d'origine chrétienne, une religion terrienne, mais pourtant inscrite dans les mœurs au point de traverser les univers jusqu'à atteindre celui de Wattpadia. Cela avait quelque chose de beau, de voir un évènement d'apparence anodin et strictement réservé à une communauté traverser de cette manière les univers jusqu'à se démocratiser, se banaliser, et perdre son aspect de base, son aspect religieux, pour ne devenir plus qu'une tradition familiale. Quelque chose de beau, ou de blasphématoire, qui sait.

Si cette démocratisation était arrivée à la Genesis Circa, ou cercle de la Genèse, qui racontait selon le Conte des Temps Anciens de la religion créationniste le cycle de destruction puis de création donnant naissance à l'univers de Wattpadia, Lina, fervente croyante, aurait sans aucun doute fait un scandale et exigé l'arrêt des blasphèmes. Mais la Genesis Circa n'avait rien de festif et pénitence était de mise durant ce jour de juin ou chacun s'infligeait privation pour aider les autres. Tout le contraire des bombances et de la réception de cadeau en ce joyeux jour de décembre.

La guerre avançait bien, enchaînant victoires et défaites à un tel rythme qu'il était difficile de s'extasier ou de s'apitoyer sur un quelconque fait d'armes. Et ce jour était le premier depuis très longtemps ou Lina s'autorisait du repos, en compagnie de ses trois compagnons.

L'assistante générale traînait derrière elle une caisse entière de bouteilles de vins, de grands crus des Plaines Blanches, la zone agricole la plus fertile du continent wattpadien. Elle se fichait bien des regards des autres soldats du camp, qui bavaient sur les bouteilles avec de grands yeux écarquillés. Sans doute certaines des créatures pouvaient humer le léger fumet de l'alcool fin à travers le bouchon de liège, ce qui les mettait sans le moindre doute encore plus en joie. Mais ce vin n'était pas pour eux. Il était réservé aux quatre chefs et il y avait peu de chance qu'il en reste après son passage, pouffa Lina en tirant sur un des pans de sa tente pour signaler sa présence.

Derrière les pans, Erin et Corbeau accrochaient des guirlandes avec un sourire, quoiqu'un peu forcé pour ce dernier. Le tissu orange et blanc qui les protégeait du vent et abritait leur intimité était désormais paré de rouge et d'or, et quelques aiguilles traînant dans un coin témoignaient d'une pitoyable tentative pour y avoir fait pousser un sapin, sans réussir à contrôler quoi que ce soit si on en croyait la déchirure grossièrement recousue du tissu et l'air exaspéré de Corbeau à chaque fois qu'il passait dans ce coin, les mains remplies de boules de Noël.

Poussant la précieuse vinasse dans un coin, Lina salua avec enthousiasme les deux autres d'un « joyeux Noël! » qui claqua dans l'espace et attira aussitôt leur attention. Erin rendit son salut à la jeune femme avec un sourire, mais Corbeau se contenta de grogner. La vue des bouteilles lui ôta tout juste une ride entre les sourcils.

Lina fit craquer ses muscles endoloris par l'effort, avant de se diriger vers son lit et de s'y laisser tomber, faisant se promener son regard tout autour de la tente, s'arrêtant sur chaque détail. Ses amis avaient bien travaillé, sourit elle en constatant leur avancée. Des guirlandes ornaient tous les coins, du gui pendait de partout. Quelques boules de Noël ajoutaient à l'ensemble une touche de brillance et les tables elles même étaient ornées de flocons et autres ornements de petite taille, au lieu des cartes et des figurines de stratégie qui encombraient d'ordinaire le meuble branlant. Corbeau et Erin apportaient la dernière touche à l'ensemble en nouant quelques guirlandes et rajoutant des dorures çà et là, avec plus ou moins d'enthousiasme. Il ne manquait à l'appel que Sky, partie on ne sait où.

Les touches finales furent bientôt apportées, Et Corbeau retourna s'asseoir en soupirant contre la bêtise de célébrer une fête dont on ne croyait pas les fondements. Les deux autres filles échangèrent un regard lassé devant son baragouinage, mais se mirent bien vite à l'ignorer et à partager leurs propres souvenirs de fêtes entre elles sans s'occuper du faux papi ronchon dans son coin. La conversation atteignait son point d'orgue, Lina détaillant avec animation ses pèlerinages et le dernier Noël qu'elle avait fêté avec des gens à une Erin qui ne connaissait, dans son village, que les rares célébrations autorisées et instaurées par le Haut Conseil de son monde d'elfes, lorsque les pans de la tente s'écartèrent en coup de vent et qu'un immense cri retentit dans l'espace étriqué, attirant l'attention des trois compères vers l'entrée de leur refuge.

« – Ho ho ho! Joyeux Noël! »

Lina ne put s'empêcher de pouffer. Il y avait en effet quelque chose de cocasse à voir dans cet épais costume rouge orné de blanc si reconnaissable pour une terrienne comme elle sa chef, qui avait même pensé à la barbe de coton immaculé, et dont on ne pouvait reconnaître que les yeux bruns qui pétillaient sous le costume et sa peau sombre qui ressortait fort au milieu de ces couleurs vives. Erin elle, se contenta de fixer la générale en chef avec de grands yeux fascinés, tandis que Corbeau se tournait vers elle en grinçant des dents.

« – Sky, personne ne croit plus au Père Noël ici, personne. C'était vraiment pas la peine de ressortir ce truc.

– Rabat-joie! » Lui lança Lina, un rire perçant dans sa voix. Il se contenta de grogner et de sortir un livre avec un soupir, mais avant qu'il ne dissimule son visage derrière l'ouvrage en question la métamorphe eut le temps de voir un sourire. Il cachait décidément bien son jeu.

Pendant ce temps, Sky avait ôté son bonnet et sa fausse barbe, libérant ses boucles noires qui aussitôt sans aucune entrave se répandirent autour de son visage rond, dans tous les sens possibles et inimaginables. Elle aussi souriait, sourire qui s'élargit lorsqu'elle aperçut le vin. Le flop de sa petite apparition oublié, elle se pencha vers la caisse et en sortit une bouteille, qu'elle fixa avec un regard appréciateur.

« – Du Burberobrun de 3646 ? Décidément Lina tu t'es surpassée! »

L'intéressée releva la tête avec fierté. Trouver pareil grand cru n'était pas à la portée de tout le monde, mais ses contacts à l'église lui avaient permis de s'en procurer cette caisse pleine. De quoi pimenter la soirée.

Pas de cadeaux dans l'armée de Wattpadia, les quatre généraux passèrent au repas sans perdre de temps supplémentaire. À peine la dinde fourrée aux marrons, un classique auquel n'avait pas voulu renoncer Lina, posée sur la table, les compagnons lui firent un sort et la conversation fu ponctuée de bruits de mastications alors que chacun y allait de sa petite anecdote.

« – Et à ce moment là, riait Lina en attrapant la troisième bouteille de vin, le Chef s'est retourné et nous a vus, et il a été pris d'une telle frayeur qu'il en a oublié de maintenir sa robe de druide! Quand tu fais le poirier, c'est pas terrible...

– Il faisait le poirier? Pour quoi faire?

– Tu vois Erin, le Chef vénère Nature. Et plusieurs de ses rituels impliquent de ne faire qu'un avec les arbres... Donc poirier, et crois moi t'as pas envie de voir ça. Ses slips sont juste dégueulasses, une horreur! »

Et un fou rire reprenait la jeune femme à l'évocation de ce souvenir où elle avait vu le chef de son ancienne confrérie la tête en bas et le slip à l'air, en compagnie des deux compagnons avec qui elle adorait faire les quatre cents coups. Pendant ce temps, Corbeau expliquait comment un des siens avait demandé la main de celle qu'il poursuivait depuis longtemps, pour essuyer le refus le plus mémorable de toute l'histoire de sa confrérie à lui, avec force sourires et gestes de la main qui chez l'inexpressif chevalier étaient une marque évidente d'excitation.

Les souvenirs filaient en même temps que le vin, et bientôt chacun d'entre eux se sentit envahi par la douce torpeur de l'ébriété. Sky finit par cesser à son troisième verre, se tenant le crâne avec le plus de discrétion possible : En effet, un général d'armée, de plus féminin, ne pas tenir l'alcool? Cela serait une vraie disgrâce pour ses subordonnés, bien que la brisure du stéréotype avait quelque chose de positif dans l'histoire. Mais lorsque tu comparais à Lina qui à peine pompette faisait son sort à la moitié de la caisse, ou à Erin qui paraissait parfaitement en forme après en avoir vidé une, bien qu'elle ne le fasse que pour suivre ses trois compagnons et pas par simple plaisir de boire, cela avait quelque chose de pathétique.

Mais le plus atteint était sans conteste Corbeau, dont la diction commençait à être lourde tant il balbutiait, les pommettes rougies par l'ébriété. Lina ne pouvait s'empêcher de rire en le fixant s'emmêler les pinceaux dans ses histoires, et se félicitant d'avoir réussi à le faire boire plus que de raison au point de complètement le bourrer. Surtout lorsque, pris par un soudain élan d'alcoolique, il se leva et fit claquer son verre encore à moitié plein sur la table, en marmonnant des mots inintelligibles. La jeune femme pouffa.

« – Pardon? Parle plus fort, on a rien capté! »

L'autre se tourna vers elle en reniflant, la voix pâteuse et les joues de plus en plus rouges.

« – Jdisais qu'Kikoolol on avait intérêt à lui mettre sa patée viteuf avant qu'il nous la flanque! Passque c'est pas que j'dirais pas non à un bon coup d'domination d'sa part mais dans ce contexte là c'est pas la joie vois voyez? »

C'était le grand silence autour de la table. Erin fixait avec réprobation son compagnon d'armes tandis que Sky écarquillait les yeux. Quant à Lina, eh bien, elle riait. Son dernier reste de cerveau lucide lui disait que cette phrase était censé la choquer mais tout ce qui sortit de ses lèvres fut un :

« – Mais t'étais pas hétéro toi? »

Suivi d'un petit rire auquel le chevalier répondit par un reniflement.

« – Sur que si. Mais putain il est sexy ce con. Salopard mais sexy. »

Avant de s'effondrer sur Lina partie dans un rire hystérique. La seule façon pour elle d'assimiler l'information.

Décidément, il n'y avait rien de tel qu'une bonne cuite pour en apprendre davantage sur les gens.

La soirée se prolongea longetmps, très longtemps, et il était facile d'assumer que personne n'avait dormi ce soir-là. Avec les rires qui émanaient de la tente durant très longtemps, et les cris de protestation amusées des seules à peu près sobres de la soirée, Erin et Sky, qui à plusieurs reprises ont dû empêcher Lina ou Corbeau de sortir mettre le bordel. La tente suffisait.

Les deux protagonistes n'ont pas gardé grand souvenir de cette soirée. Mais la rougeur des pommettes du chevalier et le silence de Lina le lendemain, lorsque leur gueule de bois se fut dissipée, valait tout l'or du monde pour les deux filles. Même si Lina s'était enfermée ensuite dans un mutisme profond, refusant de toucher à sa montre en apprenant qu'elle avait tenté d'appeler un de ses anciens camarades, et même si les paroles de Corbeau, transmises à ce dernier par une Sky hilare, l'avait mis de fort méchante humeur durant une semaine avec interdiction d'en reparler ensuite, cela avait été un bon moment.

Un moment entre eux quatre comme il n'y en aurait plus souvent.

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Alors recette pour un Noël réussi :

Un peu de foreshadowing, de l'alcool, du bonheur et une révélation surprise sur un personnage avec une touche d'insouciance et de détachement!

Qu'en dites vous?

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