Chapitre 5
Ok, ça c'était la première grosse surprise. Que Rogue ne lave pas secrètement à la javel l'argenterie après chaque repas maintenant que Harry était out. Quand lui et Ginny avait rompu, c'était en quelque sorte 'c'est un secret mais en vrai tout le monde est au courant'. Il avait été surpris du nombre de personnes le traitant comme un lépreux et de l'identité des personnes le traitant normalement. Sa relation avec Ron ne fût plus jamais la même. Le connaissant, la première chose qui fusait dans sa tête quand il voyait son (ex) meilleur ami était : 'j'avais ma bouche autour de la bite de ce mec !' puis la seconde 'salut Harry'.
La deuxième surprise était que Rogue se révéla être un mordu de films noirs* et de romans policiers hard-boiled*. Harry comprenait maintenant d'où lui venait son vocabulaire parfois anachronique ; il devait l'avoir glané dans ses films des années quarante. Ça expliquait aussi certainement le vieux poste de télévision : on avait pas besoin d'un écran 4k pour regarder une bande de voleurs se faire courser par des enquêteurs.
Quand Harry s'aventurera à demander pourquoi les films noirs, Rogue lui répondit : "C'est visuellement magnifique, et inévitablement des gens se font tuer, s'ils ne se font pas tuer ils se font trahir, et s'ils ne sont pas morts à la fin du film, ils l'auraient ardemment souhaité."
"Un peu comme les trente dernières années de votre vie ?"
"Exactement Monsieur Potter." Severus Rogue leva un sourcil. "Vous vous attendiez à ce que je regarde des Disneys ?"
"La mère de Bambi se fait tuer."
"Tant mieux, je n'aime pas les chevreuils." (NdT : je sais que c'est une biche mais bon avec Lily et tt j'ai préféré laisser ce que l'auteur.e avait mis 🤷♀️)
Et puis il y avait les romans policiers. Après avoir fouiné dans la bibliothèque de Rogue, Harry fut choqué de voir que la majorité des livres ne traitaient pas de magie noire comme il l'aurait supposé, mais bien de hard-boiled.
"Vous aimez les romans policiers ?" demanda un vendredi soir Harry, brisant le silence confortable.
"Il y a un magasin de thrillers à Scottsdale qui m'envoie une boîte de livres chaque mois. Les plus lugubres sont les meilleurs. Si ça vous intéresse, je vous suggère de commencer avec les dieux de ce genre : Hammett et Chandler, puis faites vous votre bonhomme de chemin à travers la bibliothèque."
Donc Harry s'exécuta. C'était une situation étrangement agréable. Ils faisaient la longue route du diner jusqu'à la maison de Rogue en silence, Harry s'allongeait alors sur le canapé pour une heure ou deux de sieste, il se levait généralement vers 17h, là Rogue préparait les fruits, la salade ou les yaourts puis Harry faisait la vaisselle. S'ils ne regardaient pas de DVD, ils s'installaient dans un silence confortable pour bouquiner jusqu'à huit heures où ils éteignaient les lumières et s'endormaient.
Pour recommencer la même routine, jour après jour.
Le deuxième après midi, Harry suggéra de placer les chaises inutiles en cercle autour des chiottes et de les recouvrir de draps. "J'aimerais juste un peu d'intimité quand je... ok ?"
"Ça me va."
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Plus les jours passaient, plus les courbatures du jeune sauveur s'estompaient pour laisser place à de discrets muscles. Ou du moins c'est ce qu'il se dit car le dimanche il se sentait en pleine forme. Lui et Juan venaient juste de finir la plonge quand Juan ouvrit légèrement la porte et y passa la tête. Il fit ensuite signe à Harry de s'approcher et de faire le gué.
"Il est encore occupé. Mec faut que j'aille m'en griller une. Je meure ici. Garde un œil sur lui. Il me tuerait s'il me voyait."
Harry se contenta de rester près de la porte pendant que Juan alla se cacher derrière la benne à ordure pour allumer sa clope.
"Il m'avait bien enculé la dernière fois qu'il m'a prit en flag. Je ressens presque encore la brûlure de mon cul."
Harry hocha de la tête, il savait ce que ça faisait.
"Vous vous connaissez d'avant avec l'patron?"
"Euh, ouais." Harry ne savait pas ce que Rogue avait raconté - ou pas - sur son ancienne vie, donc il préféra ne pas développer.
"J'avais r'marqué. Vous parlez bizarrement, tous les deux. No offense, il parle bien plus bizarrement que toi. En plus t'agis comme si t'savais ce qu'il voulait. Curly avait été malade l'année dernière du coup on l'avait remplacé. Putain le mec était tellement paresseux. J'ai bien cru que Smith allait le tuer. Donc ça fait longtemps que tu le connais et tu travailles quand même pour lui ?"
Harry grimaça. "Ouais je suis ce genre de personnes stupides."
"Eh eh, c'pas c'que j'voulais dire." dit il en levant les mains, puis il réalisa que sa cigarette était alors dans les airs donc visible en cas d'arrivée impromptue du patron, donc il les rebaissa rapidement.
"Ok, Mr Smith est un vrai bâtard. J'ai jamais eu de boss aussi pire que lui. Mais à sa façon - étrange certes - il est juste... et c'était le seul à être prêt à me laisser une seconde chance. Dans ce sens, Mr Smith est un bon gars. Pour moi, Hector, Carlos, Curly. Les cholos* comme nous ne reçoivent pas de seconde chance. Et il nous paye vraiment bien. Avec ce salaire on peut vraiment vivre, on a pas besoin d'un second job, plus ou moins légal. Quand j'ai postulé ici, la première chose que mon contrôleur judiciaire a fait fut d'appeler Mr Smith et de lui raconter à quel point j'étais un loser. Que je serais de retour derrière les barreaux dans moins d'une semaine. Mr Smith me raconta ça et ajouta avec son ton 'M. Perez vous allez me prouver qu'il a tort.' Juste comme ça. Comme se je pouvait prouver ça. Et j'l'ai fait. Trou du cul. Quand le vieux Lee à côté partira à la retraite l'année prochaine, on va lui racheter son magasin et ouvrir une boulangerie. Mr Smith et moi on va être collaborateurs. J'me débrouille en cuisine, mais je suis un putain de génie quand il s'agit préparer des pâtisseries et des tartes. On va réactiver le marché de la tourte dans c'bled." Il avait raconté tout ça en faisant des grands mouvements de bras.
C'était tellement satisfaisant d'avoir eu raison. Raison sur le fait que chaque membre du personnel était un ancien taulard. Tellement satisfaisant qu'il aurait préféré avoir eu tort. Mais l'idée que Rogue tienne une sorte de maison de la seconde chance pour les détenus était ahurissant. Enfin peut-être pas tant que ça. Rogue savait que les gens faisaient souvent des choix stupides. Plus le fait d'avoir été un Mangemort. Le cuistot les considérait sûrement aussi inoffensifs qu'une bande de gamins de trois ans.
"C'est quoi un 'Nazi des frites' ?" demanda Harry.
"Tu sais... Seinfeld. Le nazi d'la soupe. Le Nazi des frites. Tu l'as ?"
Harry secoua la tête.
Les yeux de Juan s'écarquillèrent, complètement incrédule. De la même manière que Ron s'insurgeait que Harry ne connaisse pas les coutumes de base de la société sorcière. "Harry te fout pas d'ma gueule. Tu n'as jamais regardé Seinfeld ??"
Ils avaient eu la télévision, bien sûr, mais il n'avait pas vraiment eu l'occasion d'en profiter et de toute façon il doutait que Vernon accepte de regarder quoi que ce soit en provenance des États-Unis. Oncle Vernon se méfiait des étasuniens, par principe ; il disait que ce n'était qu'un pays de voyous.
"J'ai été élevé par mon oncle et ma tante. Ils n'étaient pas trop branchés télé. Ils... C'étaient des conservateurs, vraiment des fanatiques religieux." Ce n'était pas si éloigné que ça de la vérité. Ce qui est sûr c'est que c'était des fanatiques anti-Harry.
"Ouais j'en ai eu deux-trois dans ma famille aussi. C'te façon d'parler que d'ça, c'est juste putain de dingue. Limite faudrait les faire enfermer. Ils sont comme ça ?"
Harry acquiesça parce qu'effectivement l'oncle Vernon devrait être placé dans un asile ; au vu de ce qu'il lui avait fait subir.
"Putain de culs bénis. Bon, bref, dans cet épisode de Seinfeld y'a un gars qui tient un ptit resto, un peu dans ce genre, et il sert de la soupe. C'est un vrai connard, il engueule ses clients à longueur de journée, mais les gens continuent de venir parce que la soupe est vraiment divine. Pareil que tu sais qui." Ce fût dit avec un petit geste en direction du diner.
Harry sourit. Pas besoin d'avoir un doctorat en pop culture pour comprendre la référence.
"La voie est toujours libre ?" Harry hocha, il pouvait toujours entendre le faible clic clic clic de la calculatrice du patron. Juan prit une dernière longue taffe, écrasa sa cigarette et jeta le mégot dans la benne à ordure.
Pendant que Harry se penchait pour attraper un set de table, Juan agita ses mains dans les airs. "J'dois détruire les preuves. Je t'aide dans une seconde. Allez, ramassons des putains de set de table avant qu'on se fasse..."
"M Perez vous étiez en train de fumer." La voix désincarnée de Rogue passa l'embrasure de la porte.
"Non, Mr Smith." soutint Juan. Harry et Juan partagèrent un regard entendu.
"Vous mentez, M Perez. Et j'aimerais bien rentrer chez moi avant la fin du siècle, Potter."
Juan roula des yeux et fit signe à Harry de venir depuis les bennes à ordure. "Ah et je voulais te dire... Ne te retrouve pas sur la liste noire de Carlos. Okay ? Genre je sais que j'ai fait pas mal de conneries. Des choses dont je ne suis pas vraiment fier, mais ce que j'ai fait c'est du catéchisme à côté. Ils n'ont juste jamais retrouvé les corps. Tu m'suis ?"
Harry acquiesça.
"Il a vraiment fait des choses horribles, n'est-ce pas ?" murmura Juan, en regardant en direction de la porte. Le jeune sorcier baissa les yeux et ne répondit pas. Comment traduire 'Mangemort' en moldu puis en étasunien ?
"C'est ok. Je comprends. J'peux le voir dans ses yeux. Il a les mêmes que nous. Durs au milieu. C'est pour ça qu'il comprend les secondes chances. C'est vraiment dur de se retrouver après des merdes pareilles. Vraiment dur." Juan marqua une pause. "Mais toi, Harry, j'arrive pas à comprendre mec. C'est à toi qu'il est arrivé des merdes. Jpeux le voir aussi. Qu'est-ce que tu fous là ?"
Harry roula un dessous de table et le coinça sous son coude. "Parfois quand de la merde t'arrive à toi, t'as aussi besoin d'une seconde chance."
Juan secoua la tête. "C'est absurde, mec."
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Harry était un peu nerveux à la pensée du weekend qui arrivait, parce qu'ils seraient ensemble pendant deux jours complets. Non pas qu'ils ne soient pas ensemble tout le temps de toute façon, mais avoir un grill et un évier entre eux six heures par jour était une sorte de mise à distance. Comme visiter un zoo tout en ayant des grilles en métal qui nous protégeaient du tigre-mangeur-d'humains.
Mais ça s'est bien passé. Ils dormirent jusqu'à huit heures puis prirent tranquillement une tasse de thé en lisant le journal de la veille. En attendant que la machine à laver finisse de tourner pour aller étendre le linge dehors, Harry fit un brin de ménage dans la "salle de bain". Rogue, quant à lui, faisait la poussière, passait le balai et la serpillère, en silence. A treize heures ils avaient fini le ménage.
"Il faut que nous fassions un saut en ville pour acheter de la nourriture. Au passage nous nous arrêterons à la pépinière." l'informa Rogue pendant qu'ils finissaient de déjeuner.
"Bien-sûr. Pourquoi ?" demanda Harry pendant qu'il galérait à attraper un croûton avec sa fourchette.
"J'ai prévu de brasser une potion pour M Vasquez demain. Il sort de l'hôpital aujourd'hui. Contre toute attente les médecins ne l'ont pas tué, mais ce n'est qu'une question de temps. Ils sont – sans aucun doute – en train de le gaver de médicaments qui lui font plus de mal qu'autre chose. Je vais lui brasser quelque chose qui aidera son cœur sans détruire son foie au passage."
Harry savait que c'était le comble de la folie de poser cette question, mais il n'était plus à ça près.
"Rogue ?"
"Mr Smith."
"Smith. Ne pensez-vous pas que vous devriez... peut-être... écouter les médecins ?"
"Des médecins étasuniens modlus, Monsieur Potter."
"Ok, si vous l'dites. Quand voulez-vous partir ?"
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Le jour suivant ils firent de nouveau la grasse matinée. Après le petit déjeuner, Rogue tendit à Harry les clés du camion avec une seule parole "Partez explorer. Il y a une ville à une petite centaine de kilomètres au bout de cette route." C'était la façon de Rogue de lui dire "Je veux un peu d'intimité."
Harry trouva un Walmart. Il acheta un paravent bon marché pour remplacer les actuelles chaises qui délimitaient la salle de bain, un perchoir pour Hedwige, un set de serviettes de toilette pour qu'il n'ait pas à utiliser celle de Rogue, un set de torchons en rétribution de celui qu'il avait déchiré, un pack de bières, un nouveau set d'assiettes, parce que malgré les talents désastreux de Harry en matière de ménage, ils auraient toujours besoin de plus de deux assiettes. Il prit avec tout ça une bonne centaine de chandelles. Une erreur de parcours le fit atterrir sur le parking d'un traiteur où il put acheter une bouteille de vin français et un peu de pain et de fromage pour le dîner.
Il entra dans donc l'allée de l'école vers dix-huit heures, mort de faim.
Quand il passa le pas de la porte, il vit Rogue en train de verser délicatement une potion dans des petites fioles, chacune étiquetée soigneusement avec un jour de la semaine.
"Tout va bien ?" Cela lui valut le regard. "Scusez, je sais pas à quoi je pensais. Vous avez faim ? J'ai acheté un peu de pain et de fromage." Cela lui valut un hochement.
Le paravent et les sets de serviettes et torchons rencontrèrent un regard approbateur. Rogue bugua un instant quand il vit Harry commencer à disposer des bougies un peu partout dans la pièce.
"Elles me manquent."
L'ancien professeur ne dit rien et se retourna pour trancher la baguette de pain.
Il fallut à Harry près de quinze minutes pour allumer toutes les bougies au vu de leur nombre démesuré - décidément la magie était bien pratique. Puis ils s'installèrent pour le repas. Le pain et le fromage présentaient une délicieuse alternative à la traditionnelle salade et son yaourt.
Harry versa la fin de la bouteille de vin dans leurs verres, prenant mentalement note de leur trouver des verres à vin décents pendant sa prochaine excursion. A la lueur des chandelles, les imposants meubles victoriens n'avaient plus l'air si menaçants. La douce lumière adoucissait les angles et mettait en valeur les nombreux reliefs. C'est à cet instant qu'Harry réalisa qu'ils avaient probablement été pensés pour être vu à la lueur d'une bougie ou d'une lampe à gaz, et non à la lumière crue et agressive du soleil d'Arizona.
"Les chandelles me manquent." répéta Harry
Rogue acquiesça. Pas besoin d'un talent en Occlumancie pour comprendre que Rogue pensait lui aussi aux bougies magiques de Poudlard qui avaient l'habitude de flotter aux dessus de leurs têtes dans la Grande Salle.
L'homme renchérit d'une voix calme. "Saviez-vous que pendant les dernières années de leur mariage, l'impératrice Joséphine, qui était bien plus âgée que Napoléon, ne le laissait jamais la voir au dehors d'une pièce éclairée à la bougie ? Elle avait peur d'apparaître vieille et ridée. La lueur des chandelles cache de nombreux défauts. Il est certain que le Seigneur des Ténèbres avait étudié les campagnes Napoléoniennes. Imaginez ça, le Grand Seigneur des Ténèbres qui étudiait le génie militaire d'un chef d'armée moldu. Il y a de quoi rire. Il y avait bien trop de similitudes dans ses tactiques pour que ce soit une simple coïncidence. Prenez par exemple..."
Pendant que Rogue continuait de lui expliquer comme Voldemort avait appris des défaites de Bonaparte en Russie et en Égypte, Harry, pour la première fois, réalisa à quel point la voix de l'homme était belle. Le jeune héros n'avait - en y réfléchissant - jamais entendu la voix de Rogue sans son éternel ricanement méprisant ; que ce soit lorsqu'il leur lisait la recette d'une potion bien trop compliquée pour eux, quand il leur disait directement à quel point ils étaient ignorants, quand il distribuait des retenues à tour de bras, ou quand il retirait des points pour quelque maladresse imaginaire. Cette voix, nouvelle, était basse et douce, presque sensuelle, pourtant chaque mot était articulé avec précision.
Harry posa une question ou deux, puis le vin prit le dessus et il s'endormit sur la table. Sans qu'il s'en rende vraiment compte, Rogue l'aida à se lever, à s'allonger sur le canapé puis le recouvrit d'une couverture. Une légère odeur de cannelle envahit l'air quand Rogue souffla les flammes des bougies. Le noir envahit la pièce et Harry commençait à retomber dans les bras de Morphée. Il était sur le point de se laisser enlacer, quand il entendit un discret 'Merci, Monsieur Potter.'
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film noir* : genre cinématographique policier apparut dans les années 40, s'inspirant du hard boiled
harboiled* ou roman noir : sous genre du roman policier apparu dans les années 20 aux états unis. Il est caractérisé par un discours critique - voire contestataire - une ambiance violente, tragique et pessimiste (trop fun).
cholos* : terme d'argot étasunien pour désigner les personnes pauvres latino-américaines (souvent mexicain.es). A l'origine péjoratif, il a été repris et positivé par les luttes des années 60.
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were baaccckkkk !!! Je vais essayer de reprendre un rythme d'une publi par semaine (mais jpromets rien mddrrr)
Bonnes vacances à tous et à toutes !!
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