Chapitre 2
Dans une rapide succession de mouvements, Harry fut plaqué contre le mur, Rogue sortit la baguette de Harry de sa poche, puis Monsieur Morales le hissa, de sorte à ce qu'il soit retenu par le mur d'un côté et par la main de l'employé sur son cou de l'autre.
"Il commence à tourner au violet, vous pouvez le lâcher. Et laissez-nous."
"Vous êtes sûr, Mr Smith ?"
Tout en luttant pour respirer, Harry put noter la pointe de déception dans la voix de Monsieur Morales. Il n'y avait pas de cassage de gueule prévu ce jour-là. Le presque étranglement convenait à peine.
"Il est sans défense. Que messieurs Perez et Vasquez rangent les cuisines comme d'habitude. Je reviendrai après que Monsieur Potter et moi-même ayons eu un petit échange. Je ne serai pas long. Et soyez gentil, apportez-nous un pain de glace. J'ai l'impression que la gorge de Monsieur Potter est en train d'enfler. Vous n'y êtes pas allé de main morte."
"Tout de suite, Mr Smith."
Harry se laissa glisser contre le mur. Il était certain qu'il ne pourrait plus jamais respirer correctement après ça. Il était condamné à haleter comme un poisson hors de l'eau pour le restant de sa vie.
"Allons, allons, Monsieur Potter. Vous avez toujours eu un penchant certain pour le mélodrame."
"J'avais la m..." Harry toussa. "la main de cet homme autour de ma gorge et vous osez me dire que..." Il toussa à nouveau, puis sembla retenir une seconde toux, comme si son déjeuner menaçait de remonter.
Il avait dû tourner au vert parce que Rogue l'informa : "Vomissez sur mon sol et vous le regretterez."
Le repas resta bien en place.
Après encore quelques respirations laborieuses et sifflantes, on lui enfonça une poche de glace dans la main, puis on prit sa main pour l'amener à sa gorge.
"Où dormez-vous ?"
"Au Motel Vernon."
"Les gens du coin l'appellent le Motel Vermine. J'espère que vous n'avez même pas ne serait-ce qu'envisagé de vous asseoir sur le lit. Les poux seront alors les derniers de vos soucis. Vous conduirez jusqu'à là-bas. Je vais vous suivre."
Il n'y eut pas de 'La vache, mon serveur a failli vous tuer, vous vous sentez en capacité de conduire ?' 'Vous semblez avoir des difficultés à respirer. Vous voulez prendre quelques minutes pour vous remettre ?' Non. C'était typique de Rogue ça. 'Vous vous êtes ouvert une artère ? Tss, Tss. Cessez de faire l'enfant et mettez-vous au travail'.
Harry réussit tant bien que mal à conduire d'une main tout en tenant sa poche de glace comprimée sur sa gorge avec l'autre. Il ne prit pas la peine de vérifier que Rogue le suivait bien quand il passa la porte du motel. Harry était certain qu'il était là ; il pouvait sentir la discrète odeur de beurre et d'oignons frits. C'était la seule façon pour lui d'affirmer la présence de l'homme, parce que Rogue se déplaçait silencieusement, comme toujours.
Au début de leur sixième année, Harry avait murmuré à ses amis que leur professeur semblait glisser dans les couloirs, qu'il serait même capable de marcher sur l'eau à ce qu'on disait. Hermione et Dean avaient été les seuls à comprendre la référence, mais étrangement ce sujet était revenu régulièrement dans les conversations de la salle commune des Gryffondors : si Rogue avait, ou non, des pieds.
Ron avait toujours soutenu que l'homme était trop diabolique pour en avoir. 'Bien sûr qu'il a des pieds, Ronald. Qu'est-ce que tu racontes ?' soufflait Hermione. Ce à quoi Ron répondait : 'Est-ce que tu les as déjà vus ? Je parie que le bâtard graisseux n'a pas de pieds du tout. Ce sont probablement des longs sabots noueux, de vingt centimètres, sur lesquels il met des chaussures pour nous faire penser qu'il a des pieds.' 'N'importe quoi.' répliquait alors Hermione en levant les yeux au ciel. 'En plus, même avec des sabots il ferait du bruit.' Et là, pour stopper l'inévitable bagarre, Harry soulignait que de toute façon ce qu'il cachait dans ses chaussures n'avait pas vraiment d'importance, le fait était qu'il glissait.
Il n'avait aucune raison de penser qu'après cinq ans passés en Arizona, ses capacités de glisse auraient diminué - sabots ou pas sabots.
Arrivés dans sa chambre, Harry s'écrasa sur la seule chaise de la pièce, sans se soucier de savoir si Rogue en avait besoin. Il ferma les yeux et relâcha un peu la pression de la glace sur sa gorge. Peut-être qu'il ne mourrait pas d'asphyxie après tout.
"Je pourrais avoir ma baguette, s'il vous plaît ?" croassa-t-il.
"Ne soyez pas ridicule, Monsieur Potter." répondit Rogue d'une voix traînante.
Harry ouvrit les yeux. Rogue se tenait dans la position ne-me-cherchez-pas-Potter, la baguette du jeune sorcier tenue fermement dans sa main droite.
"Ça n'a pas d'importance, espèce de connard, je suis presque un Cracmol maintenant."
Il déjà aperçu un joli panel des émotions de son ancien professeur, sa rage, son mépris, son dédain, mais il n'avait jamais vu la stupéfaction peindre ses traits.
"Ouais, un Cracmol." répéta-t-il, pour qu'il n'y ait pas de doutes. "Plus ou moins. Harry Potter n'est plus Le Garçon Qui a Survécu. Il est devenu Le Garçon Qui Ne Peut Plus. J'ai les capacités magiques d'un enfant de trois ans. Et ça ne va même pas durer, donc putain rendez-moi ma baguette. J'ai calculé qu'il me restait environ trois semaines de magie, et ce qu'il me reste c'est le fond du fond des sorts les plus basiques. Un Accio pour la récupérer c'est probablement déjà trop pour moi."
"Un Cracmol."
Harry laissa le pack de froid tomber sur le sol. Qui s'inquiéterait que le tapis soit un peu humide ? C'étaient probablement les premières gouttes d'eau qu'il voyait depuis des années.
"Comme vous. Comme tous les Mangemorts quand j'ai tué Voldemort. Vous ne trouvez pas ça ironique ? Ahah, putain de merde. Ça a juste pris plus de temps à s'installer chez moi. Je n'ai pas été démagifié tout d'un coup. Ça s'est juste en quelque sorte... écoulé progressivement hors de moi. Comme une coupure qui ne se refermerait jamais et me viderait progressivement de toute magie. Un peu comme se vider de son sang."
Exactement comme se vider de son sang.
"Votre cicatrice ?" Rogue fronça les sourcils.
"Hermione pense que oui. Ça marchait plus ou moins comme la Marque. Donc quand je l'ai tué, j'ai tué ma propre magie. Jolie fin." Il ferma à nouveau les yeux. A quoi avait-il pensé ? C'était une mission vouée à l'échec. Prendre un billet d'avion et penser que Rogue pourrait avoir les réponses à ses questions était vraiment la chose la plus stupide qu'il ait jamais faite.
Il entendit le lit grincer.
Rogue s'était assis, le fixant, les lunettes dans sa main. Ses pupilles étaient toujours les mêmes ; noires, indéchiffrables.
"Pourquoi vous n'avez plus de cheveux ? Si je n'avais pas entendu votre voix, je n'aurais jamais pu deviner que c'était vous. A part pour les mains. Et les grognements."
Rogue passa sa main sur son crâne et sourit, un peu. Un vrai sourire. "Les Aurors m'ont rasé la tête dans l'espoir inutile de m'humilier quand ils m'ont enfermé à Azkaban. Je me suis rendu compte qu'en fait je préférais (NdT : non). C'est libérateur (NdT : true story c'est incroyable d'être chauve). Encore un autre symbole du monde sorcier que je devais abandonner, même si j'en étais reconnaissant cette fois-ci. Et puis, au bout d'un mois dans le désert d'Arizona vous comprendrez mieux mon choix."
Harry pouvait déjà le comprendre. Ses propres cheveux, qui descendaient jusqu'à sa taille maintenant, étaient inconfortables et poisseux malgré la clim omniprésente. Il les lavait à peine qu'ils étaient déjà sales. Ça devait être à cause du continuel vent poussiéreux qui soufflait sur l'Arizona. Sans compter qu'il faisait trente-putains-de-degrés en avril. Qu'est-ce que ça serait en aout ?
"Comment m'avez-vous retrouvé Monsieur Potter ? Et que pensez-vous que je puisse faire pour vous ?"
"Professeur McGonagall..."
"Je devrais tuer cette femme..."
"Non, non, attendez. Laissez-la de côté. J'étais, hum, assez mal. J'ai traversé une période... difficile..."
Période difficile. Oui, on peut appeler ça comme ça. Être au département psychiatrique de Sainte Mangouste pendant six mois pour dépression sévère. Être tellement au bout qu'on passe ses journées recroquevillé en position fœtale, qu'on se lève uniquement pour aller pisser, et même ça, ça nous demande un effort monumental. Refuser de parler à la moindre personne, ne même plus pouvoir répondre aux questions les plus simples. Jusqu'au jour où McGonagall avait débarqué dans sa chambre en lui annonçant : 'Le professeur Rogue est toujours en vie, aux Etats-Unis, dans un endroit appelé l'Arizona.' Et soudainement, tes doigts serrés en poings depuis des jours et des nuits se relâchent un peu.
"Oui, difficile."
"Je ne peux pas vous aider, Monsieur Potter." Rogue se leva et tendit à Harry sa baguette.
Harry refusa de la prendre. "Vous saviez que c'était moi !" s'exclama-t-il. "Comment avez-vous pu le savoir ? Avez-vous réussi à récupérer votre magie ?" Harry savait qu'il avait l'air désespéré. Hystérique même. Mais c'était pour ça qu'il était venu, pour ça qu'il était prêt à se mettre à genoux devant un homme qu'il méprisait, un homme qu'il avait presque autant haït que Voldemort. Si quelqu'un savait comment inverser le processus, comment l'arrêter, comment faire pour retrouver sa magie, ça ne pouvait être que Rogue, lui seul.
Rogue secoua la tête. "Je n'ai pas de miracle à vous offrir, Monsieur Potter."
Harry commença vraiment à paniquer, parce que l'homme ne l'engueulait pas. En fait il parlait même d'une voix calme, détachée. "Comme vous avez pu l'apprendre à mon procès, ma magie s'est évanouie à l'instant même où vous avez tué le Seigneur des Ténèbres. De même que pour tous les autres Mangemorts, et vous, apparemment. Cependant je peux toujours sentir la magie. J'ai su à l'instant où vous avez passé la porte du diner que vous étiez là. Votre magie est particulière. Elle l'a toujours été. J'ai passé les trois derniers jours à craindre qu'un Avada Kedavra m'atteigne dans le dos."
Harry poussa un grognement de contestation.
"Epargnez-moi ça, Monsieur Potter. Vous me haïssez à ce point. N'essayez pas de le nier."
Le jeune sorcier haussa les épaules. Il avait raison. Ça ne servait à rien de mentir. "Je ne vous aurais pas AK dans le dos, par contre."
"Je vois que votre sensibilité Gryffondorienne ne vous a pas quitté. Vous n'êtes donc pas revenu me tuer ?"
"Non. Et même si je le voulais je n'aurais pas pu. Pas avec..." Il fit un geste en direction de sa cicatrice.
A cette réplique, Rogue leva un sourcil. Il n'y avait que cet homme pour être amusé quand quelqu'un lui admettait ouvertement qu'il pourrait l'assassiner. Oui, Harry lui en avait voulu à mort, et un peu plus chaque année. L'assassinat de Dumbledore avait été la goutte qui avait propulsé la haine de Harry à une rage certaine qui rivalisait avec celle qu'il entretenait pour Voldemort.
Harry avait cru mourir de frustration quand la Pensine du Directeur avait révélé l'innocence de Rogue. Quand il avait vu que Dumbledore avait supplié Rogue de le tuer, afin d'éviter à Malefoy de devenir un meurtrier. Qu'il l'avait supplié parce que le vieil homme était déjà en train de mourir.
Cette découverte avait laissé Harry profondément dépité. Rien ne pouvait ramener Dumbledore à la vie et en plus il n'avait plus de raison valable de transformer sa tristesse en violence envers Rogue.
"Je vais vous dire ce que je sais. Je vis comme ça depuis que le Seigneur des Ténèbres est mort. J'imagine que c'est une sorte de statut quo. Ça n'a pas évolué en sept ans. Quand votre magie disparaitra complètement, vous serez toujours en mesure de vous balader au Chemin de Traverse, du moment que quelqu'un ouvre les briques pour vous. C'est ce qui m'a permis de vider ma chambre à Gringotts et de quitter l'Angleterre une bonne fois pour toutes. Vous pourrez toujours voir les endroits magiques, ce qui m'a permis d'admirer la crasse et la moisissure de ma cellule à Azkaban. Poudlard ne vous sera pas fermé, ce qui m'a permis de récupérer mes quelques possessions à ma libération. Les Portoloins fonctionneront toujours sur vous, c'est de cette façon que je suis arrivé aux États-Unis. Vous serez en mesure de détecter la magie, la présence d'autres sorciers, c'est comme ça que je vous ai senti entrer dans mon diner. C'est à peu près tout. Je ne cache aucun miracle dans ma manche. Reprenez votre baguette. Rentrez chez vous."
Rogue remit ses lunettes et tendit à nouveau sa baguette à Harry.
"C'est tout ? C'est ça vos précieux conseils ?"
Rogue lui lança sa baguette, Harry fit un mouvement brusque pour l'attraper au vol. Bizarrement, ses capacités d'Attrapeur n'avaient pas disparu, elles.
"Oui, c'est tout, sale petit ingrat." cracha Rogue. "Qu'est-ce que vous voulez de plus ? Un bonbon au citron ? Je vous ai dit ce que vous vouliez savoir, maintenant rentrez chez vous. Si vous ne me croyez pas, vous pouvez aller confirmer mes propos auprès de vos anciens camarades de classe à Azkaban. Ou alors à ceux qui ont été suffisamment chanceux pour avoir une peine courte. J'ai cru comprendre que Pansy Parkinson avait reçu seulement trois ans. Allez lui demander, allez..."
"Il n'y a plus personne, pauvre con !" s'écria Harry. "Il n'y a plus que vous. Vous et moi. C'est tout."
Rogue eut un sursaut et le fixa, les sourcils froncés. "Personne n'a survécu ?"
"Un seul. Michael Corner est à Sainte Mangouste où il passe ses journées à reproduire Poudlard en miniature avec des cure-dents. Il n'a rien dit d'à peu près cohérent en cinq ans. Tous les autres sont..."
Il s'arrêta là. Malefoy avait ouvert les mâchoires d'un rat mort et avait utilisé ses crocs pour s'entailler les veines et se vider de son sang dans sa cellule. Goyle avait fait une tentative d'évasion pour que les gardes puissent le AK. La première chose que fit Pansy Parkinson en sortant d'Azkaban fut de se jeter sur les rails d'un train. Theodore Nott... "Il n'y a personne à qui je puisse demander. Personne ne pourra me répondre. Soit ils sont devenus fous, soit ils se sont suicidés. Vous êtes le dernier survivant. Vous ne saisissez pas ? Vous ne pensez pas que je ferai appel à vous qu'en tout dernier recours ?"
Le locataire de la chambre voisine frappa contre le mur. Ce fut suivit par un étouffé : "Parlez moins fort là-dedans."
Il avait dû crier sans s'en rendre compte. En levant ses mains pour frotter ses yeux, il fût surpris de constater qu'il avait pleuré.
"Calmez-vous, Potter." exigea Rogue. "Draco Malefoy ?"
Harry secoua la tête. Il lui raconta ce qui était arrivé à Malefoy.
"Gregory Goyle ?"
Harry secoua à nouveau la tête. Il lui raconta ce qui était arrivé à Goyle.
Ils dressèrent ainsi une liste de ses camarades de Poudlard, de leurs parents et de leurs destins respectifs. Tous les Serpentards de son année étaient partis, tout comme quelques Serdaigles et Poufsouffles. A part Michael Corner, tous les Mangemorts – hommes et femmes confondus - étaient morts.
Même dans la pénombre du motel, Harry put voir le visage de Rogue perdre peu à peu toute couleur au fur et à mesure qu'ils avançaient dans le compte des morts. Même Rogue ne pouvait passer des années dans le désert sans bronzer un peu, et toute cette couleur disparut. Il se retrouva d'un coup aussi pâle et cadavérique que lorsqu'il vivait dans ses cachots.
"Vous voyez ?" croassa Harry, en essuyant ses joues avec ses paumes. Il avait arrêté de pleurer il y a des années, ça n'avançait pas à grand-chose avait-il décidé, mais ça, cette confirmation orale du nombre de victimes, énoncer à voix haute la façon dont elles étaient mortes, c'était trop. Harry comprenait plus que quiconque ce que ça faisait de perdre sa magie, et de vouloir en finir à cause de ça. Il ne pouvait pas les blâmer. Ce n'était plus qu'une question de temps avant qu'il ne les rejoigne, ce qui le poussait à faire ce dernier et ultime effort.
Quand ils finirent de cataloguer la complète destruction de la majorité des familles de Sang-Pur, les deux hommes s'assirent en silence.
A la fin de la guerre, Harry avait noté, d'un petit air suffisant, que l'obsession maladive de Voldemort pour éradiquer les moldus avait finalement conduit à la destruction de tout ce en quoi il croyait. Mais à ce stade ça n'avait même plus d'importance, Harry n'en tirait plus de satisfaction. Il ne pouvait plus sourire de triomphe. Il ne pouvait pas dire "Vous voyez ? Vous voyez ? On avait raison depuis le début." Parce qu'avoir raison ne ramènerait pas Charlie Wealsey, et avoir raison ne ramènerait pas Kingsley Shacklebolt, et avoir raison ne voulait pas dire que Michael Corner retrouverait un jour toute sa tête, et avoir raison n'enrayerait pas la perte de sa magie. Parce que c'était inévitable maintenant. Et si Rogue ne pouvait pas lui donner un putain de guide de vie, ou n'importe quoi, il allait soit devenir complètement cinglé, soit se suicider. Il n'avait pas d'autre option.
Quelques minutes plus tard, Rogue ôta à nouveau ses lunettes et fit face à Harry. "Je vois."
"Ouais..." marmonna le jeune homme, ce qui lui valut un roulement d'yeux.
"J'imagine que c'était stupide d'avoir espéré qu'avec les années écoulées vous auriez appris à former des phrases, Monsieur Potter. Servez-vous un verre d'eau. Rincez le verre avant, je doute qu'il soit propre. Buvez le verre en entier. On devient vite déshydratés avec cette chaleur. Passez-vous un coup d'eau sur le visage. Quand vous avez fini, revenez vous asseoir et posez-moi vos questions. Vous n'allez pas aimer mes réponses - vous ne les avez jamais aimées - mais je n'y peux rien."
Harry se retint de répliquer qu'il n'aurait pas été dérangé par les réponses de Rogue si elles n'avaient pas été à chaque instant emplies de sarcasme et de mépris. Il laissa couler, pour une fois.
Quand il sortit de la salle de bain, il vit que les couleurs étaient revenues sur le visage de Rogue. Il s'était approprié le fauteuil, ne laissant à Harry pas d'autre choix que de s'asseoir sur le lit.
"Allez-y."
A présent qu'il avait toute l'attention de Rogue, Harry ne savait plus par où commencer.
Oh Merlin, allez, autant plonger la tête la première. "Comment est-ce que vous réussissez à ne pas devenir fou ? Comment est-ce que vous réussissez à vous lever chaque matin..." sans vouloir vous foutre une balle. "Elle doit vous manquer autant qu'à moi. C'est obligé. Vous étiez brillant. Un putain de connard, mais brillant. Le plus renommé des Maîtres des Potions d'Angleterre. Comment ?"
Harry sentit les larmes couler à nouveau. Tout ça avait été une terrible erreur. Tout ce mur de déni qu'il avait construit au fil des années - sachant parfaitement que sa magie allait disparaître, qu'elle s'effaçait un peu plus à chaque sort qu'il prononçait - ce mur était en train de s'effondrer. Il avait devant lui un des sorciers les plus puissants qu'il ait jamais rencontré, et il ne pouvait même plus accio une cuillère s'il le voulait.
Rogue croisa les mains. Des magnifiques mains aux longs doigts. Des mains qui n'étaient plus tachées par les potions maintenant.
"Si je peux me permettre un conseil, Monsieur Potter, n'insultez pas les personnes dont vous requérez un service. Vous n'allez pas vouloir le regarder en face, mais en fait nos situations sont assez similaires. Nous avons tous les deux été à la merci de deux hommes toute notre vie. Le Seigneur des Ténèbres et Albus Dumbledore -"
"Vous n'avez pas intérêt à dire quoi que ce soit sur Dumbledore ! Vous n'avez..." Harry se leva du lit, prêt à frapper Rogue, prêt à casser quelque chose.
"Stop. Asseyez-vous." siffla l'ancien Mangemort. Harry s'interrompit. "Vous me l'avez réclamé, donc maintenant vous feriez mieux d'écouter." Harry se rassit. "Vous avez été la victime des deux souhaits les plus chers au Seigneur des Ténèbres : vivre pour l'éternité et dominer un monde sorcier débarrassé de tout sang moldu. C'était une question de pouvoir, de son pouvoir, et il aurait fait n'importe quoi pour parvenir à ses fins. Les manipulations d'Albus étaient certes nettement plus altruistes, asseyez-vous Monsieur Potter, mais pas moins inexistantes. Ne niez pas que vous étiez parfois un pion, qu'un simple pion sur l'échiquier du jeu fatal entre Dumbledore et le Seigneur des Ténèbres. Toute votre cinquième année, vous n'avez été rien d'autre qu'un sale gosse se battant contre ça. Vous n'aviez aucun contrôle ni connaissance sur ce qui se passait. Pouvez-vous vraiment nier ça ?"
La voix de Rogue était plus tranchante que dans les souvenirs de Harry. Et évidemment il ne pouvait réfuter ce qu'il venait de dire. Mais il ne répondit pas. Parce que la réponse était trop...
"Et pendant votre sixième année, il a demandé à un adolescent de seize ans de le forcer à boire une potion qu'il savait mortelle -"
"Arrêtez !" supplia Harry.
"Qu'il savait mortelle, et pourtant il était prêt à abandonner ce jeune homme, un garçon qu'il considérait comme son petit-fils, il était prêt à lui abandonner ce fardeau sur les épaules -"
"Pour l'amour de Merlin, taisez-vous !" s'écria Harry, sans même plus essayer de retenir ses larmes.
"Très bien. Je voulais simplement attirer votre attention sur le fait que je n'étais pas le seul responsable de la mort d'Albus. Nous sommes unis par ce joyeux évènement. Vous et moi avons été des pions jusqu'à la fin. Il a été - à cause de la volonté malsaine de pouvoir du Seigneur des Ténèbres - obligé d'utiliser tous les outils à sa disposition, ce qui incluait vous et moi. Dumbledore était aussi impitoyable que Lord Voldemort, mais il avait plus de morale. Il détestait nous utiliser, mais il le faisait quand même."
"Oui..." admit Harry dans un murmure. Son estomac lui faisait mal. Parce que tout ça était vrai, et faites confiance à Rogue pour ne rien adoucir. Pour appeler un chat un chat. "Mais quel est le rapport avec la perte de votre magie et... ?"
Survivre ?
Rogue décroisa lentement les mains, et plongea son regard dans celui de Harry. "Je vous dis ça pour que vous compreniez quand je dis que je suis ici selon mes propres conditions. Que plus personne n'est mon maître à présent. Je n'ai peut-être plus de magie, mais là encore, il n'y a pas non plus le Ministère pour m'utiliser comme tête d'affiche du groupe des anciens Mangemorts reconvertis. Est-ce qu'ils vous ont tourné autour ? Pour vous traîner à toutes sortes d'évènements, comme un animal de foire ? Je vois à votre visage que oui. Je suis ici de mon propre chef. Pour la première fois depuis des années, Monsieur Potter, des décennies, je ne réponds plus qu'à moi-même."
"Je ne comprends pas." répondit simplement Harry.
"Je ne peux pas l'expliquer plus clairement. Je suis en vie aujourd'hui parce que j'ai trouvé mes propres conditions. Je ne vais pas nier que certains jours sont plus joyeux que d'autres. Malheureusement, Monsieur Potter, j'ai un fardeau supplémentaire que vous n'avez pas. Pendant des années j'ai utilisé ma magie d'une manière méprisable. Au début au service du Seigneur des Ténèbres, puis au service de Dumbledore. Vous pourriez argumenter que c'était nécessaire. Que je le faisais pour le plus grand bien. Albus l'aurait fait. Mais vous avez vu assez de batailles pour savoir que cet argument ne satisfait qu'un homme dans le genre du Directeur. Il était, je pense, une personne qui était convaincue qu'un acte profondément néfaste fait avec une intention profondément pure pouvait en quelque sorte équilibrer le péché. Je ne suis pas aussi optimiste, ce qui est abject reste abject."
Rogue se leva et s'approcha de la porte. "La magie est un don. Certains trouveront normal que je l'ai perdue après en avoir autant abusé. Vous n'avez pas ce réconfort, si je puis dire. Mais mon conseil tient toujours. Trouvez vos propres termes, Monsieur Potter."
"Être friturier, c'est ça vos 'propres termes' ?" demanda Harry, incrédule. Rogue ne pouvait pas vouloir dire ça ?
La main de l'homme était sur la poignée. "Oui, Monsieur Potter, aussi inconcevable que ça puisse vous paraître. C'est mon diner. Je sers ce que je veux, j'emploie qui je veux. Je contrôle même qui passe le pas de la porte. C'est une vie simple, mais je pense que vous serez d'accord avec le fait que j'ai vécu une vie très intense pendant longtemps. En quelque sorte, perdre ma magie fût le prix de ma liberté. Bonne journée, Monsieur Potter."
Et il sortit.
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