Le mystère de la voiture.
Est-ce qu'elle a avancé ou est-ce que la voiture ne l'a pas vue?
Dans son sac à main il y avait du gloss, un stick à lèvres, un portefeuille rose et blanc un peu sale, un parapluie noir à pois blancs, une pochette grise, une carte de bus, une photo de couple à moitié déchirée, une enveloppe pas timbrée et des clefs.
Au début je me suis dit que c'était le contenu d'un sac normal, de celui de quelqu'un qui part mais qui ne sait pas qu'il ne va jamais rentrer.
Que c'était une fille qui était là à 21 heures pour aller faire les courses... mais en fait, les magasins ne sont-ils pas déjà fermés ?
Alors j'ai pensé qu'elle allait retrouver ce garçon sur cette photo. Je croyais que c'était peut-être son frère ou son ami, parce qu'il avait une alliance, mais pas elle. Puis, j'ai songé au fait qu'elle pouvait ne pas l'avoir mise. Mais qui ne met pas son alliance pour aller voir son petit ami? Son mari, finalement.
Cet instant capturé me donnait quelques frissons le long de la colonne vertébrale. Il me semblait faussement enjoué. Si on s'approchait, on voulait presque croire que c'était un moment heureux, peut-être un peu trop pour être vrai. Les pliures sur le papier glacé racontaient des nuits longuement passées à la regarder. Des jours à l'emporter partout où elle allait. Jusqu'à la fin, elle l'avait gardé près d'elle, mais lui... lui, pourquoi n'était-il pas là?
Peut-être était-ce ça qui l'amenait. Sans trop comprendre, une rancœur me chatouilla, je devais quitter cet homme des yeux. C'est elle qui importait. Etendue sur la route, aux yeux de tous. Elle avait quitté un monde mais resterait présente à jamais dans l'esprit de tous ces figurants de sa fin d'existence.
Le ciel était couvert, le soleil avait fui le lieu du crime. Un dernier filament rouge le traversait au loin, comme si lui aussi il avait été blessé.
La Clio blanche saignait de son pare-brise, et tout le monde avait mis les warnings.
Des chuchotements allaient bon train, d'abord les gens n'avaient pas osé s'arrêter, ne s'attendant pas à voir quelqu'un se faire renverser. Puis, pris de curiosité et de surprise, ils se sont sidérés.
D'un côté, on entendait que la fille n'avait pas regardé. De l'autre, que des freins avaient crissé. Le moustachu avait rajouté que son sac à main s'était envolé avant de s'éventrer sur la route. Une brune a dit à son amie que tout ça était bouleversant, qu'elle l'avait vue s'y jeter. Une petite dame déplorait le bruit douloureux que ça avait produit. Un autre demandait ce qui avait bien pu se passer.
Moi, j'ai eu l'impression qu'elle avait soupiré. Avait-elle regardé à droite et à gauche comme on nous l'a toujours répété? Dans mon corps j'entendais la réponse, mais surtout d'étranges pensées.
Son chemisier couleur terre cuivrée était un peu déboutonné, ses bras autour de sa tête et ses jambes semblaient vouloir repartir. Elle avait été figée dans ce mouvement qui lui avait coûté la vie. Peut-être pourrait-elle continuer son chemin dans d'autres lieux ? Malgré tout, moi, je ne savais plus bouger.
A force de réfléchir, je me suis demandé qui emmène une photo à moitié déchirée de deux personnes? Il ne pleuvait pas, pourquoi avoir pris un parapluie? Et cette enveloppe, personne ne devait l'ouvrir?
Le ciel était couvert mais aucune averse ne semblait menacer nos soirées avant que le marchand de sable ne vienne retirer cette préoccupation de nos esprits.
Jamais elle ne le quittera, ce sommeil. Jamais plus elle ne se réveillera. Et j'ai eu envie de pleurer sans même savoir de quoi il s'agissait. Je la sentais encore si confuse, brisée, trahie.
Avait-elle vraiment fait un pas de plus en tout état de conscience? N'était-ce pas la nuit, les buissons, et un passage mal éclairé qui était la cause de cette tragédie?
Ses chaussures noires vernies portaient des rayures et sur son visage, le repos.
Des sirènes se sont élevées, et des bandeaux jaunes ont été tirés. Des uniformes bleus et d'autres, noirs, ont demandé à s'écarter. Personne ne l'avait approchée, on savait tous que son dernier souffle avait été poussé. J'étais sur le trottoir d'en face, au milieu de cette grande intersection. Je la regardais, comme on découvre un ciel couvert. Soucieuse. Je reconnaissais bien ses yeux.
Son jean s'est déchiré au niveau de son genou, et je ne l'ai pas senti crier. J'ai entendu un fracas, j'ai cru que le ciel venait de s'écrouler.
Ils sont partis avec elle, les passants sont passés, les voitures ont roulé sur un sable qui s'empourprait. Je suis restée au milieu du trottoir, parce que j'attendais de la voir traverser. On ne m'a pas dit de circuler. Je ne pouvais pas, de toute façon, parce qu'on ne s'est pas croisées.
Tout ceci me semblait tellement familier. L'avais-je déjà vue? Son regard éteint me rappelait quelqu'un. L'image floue dans ma mémoire semblait danser au fur et à mesure que je la fixais. Ses ongles en bleu étaient peints, et au fond je savais qu'il n'y avait pas qu'eux. Un sentiment étrangement ancré, me disait que son coeur aussi l'était.
Je me demandais si c'est elle qui avait choisi son destin. Est-ce que celui sur la photo allait la pleurer? Le gloss n'avait pas été ramassé, les voitures continuaient à l'écraser. Même si elle était partie, un morceau de sa vie ne cessait de trépasser. Je voulais aller le récupérer, parce que je devais le remettre dans la trousse de toilette.
Mais j'étais figée. L'ambulance était partie, je me sentais comme aspirée par un sentiment qui ne cessait de m'appeler.
J'ai mis du temps avant de faire demi-tour. Je ne voulais plus rejoindre l'autre rive, parce que j'étais persuadé que la mort m'y attendait.
C'est seulement en voyant mes mains aux bouts bleus et mes chaussures cirées que j'ai compris.
Où allais-je déjà ?
J'ai oublié.
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