La Guirlande | 15 décembre
Aubin se figea instantanément, et derrière lui ses compagnons firent de même. Le petit flocon faillit basculer en avant et se rattrapa in extremis au cadre de la porte.
C'était un piège, un piège cruel et pourtant terriblement efficace. Les flèches enflammées n'étaient pas tournées vers eux - et en un certain sens c'était pire, eux au moins auraient pu éviter les traits brûlants s'ils avaient été lancés -, non, elles étaient dirigées vers Odélia, qui se tenait emprisonnée au centre de la pièce, au centre des flammes.
Si Aubin avait fait un pas de plus, il aurait trébuché dans un fil d'araignée, déclenchant ainsi un mécanisme subtil qui aurait mis en marche les arbalètes.
La température avoisinait les 0ºC, l'atmosphère était étouffante. Les pleurs que les jeunes flocons avaient cru entendre de l'autre côté de la porte était en réalité le bruit terrible que faisait Ophélia alors qu'elle fondait a vu d'œil. Aubin aperçut une larme glacée couler sur la joue de l'Éminence et son cœur se serra. Il n'y avait pas de sort plus cruel que celui-ci. Comment osait-il ! S'il parvenait à sauver Ophélia, Aubin se promit qu'il le ferait payer au Général Gelé ; si n'y parvenait pas... Aubin préférait ne pas y penser, il ne voulait envisager un monde sans elle, un monde où la Reine des Cieux serait déçue et triste.
– Faites attention au fil, les amis. Et faites aussi très attention aux flammes. Pour Odelia, pour le Royaume ! chuchota Aubin avant de rajouter, comme pour lui-même : je n'arrive pas à croire qu'il soit tombé si bas. Utiliser le feu ! La Convention de Geneige l'interdit pourtant...
– Oui elle l'interdit ! gronda une voix grave et gelée derrière lui.
Aubin frissonna en la reconnaissant et se retourna calmement, très calmement. Comment...
– Elle l'interdit et pourtant cela n'a pas empêché ton ami Monsieur le Vent tout à l'heure de passer outre ! Il a fait fondre mes glaçons ! Mes garçons...
Les épaules du Général Gelé s'affaissèrent un instant – quelques secondes à peine où Aubin vit dans ses yeux le reflet de toute la misère du monde – avant qu'il ne se redresse superbement.
– Je ne vous laisserai pas faire ! Plus jamais !
Il brandit son sabre glacé et Aubin esquiva prestement, sortant lui aussi son arme blanche. Les autres flocons, apeurés et terrifiés par la rage destructrice du Général, s'esquivèrent et s'enfuirent dans une bourrasque enneigée.
– On va chercher du renforrrrrttt.... transmis l'écho des escaliers alors que l'épée d'Aubin s'entrechoquait contre celle du Général.
Les étincelles argentées, petites billes de grêle, virevoltaient dans les airs à chaque coup donné par l'un et dévié par l'autre. Le soldat de glace avait repoussé Aubin dans la pièce où se trouvait Ophélia, et le petit flocon peinait à surveiller à la fois les attaques du général et l'emplacement de ses pieds afin de ne pas déclencher les arbalètes.
Les flammes brillaient, renvoyant mille et un reflets ensoleillés sur leur peau de glace. Aubin sentait ses cheveux fondre et l'eau lui glisser dans les yeux. Il l'essuya d'une main rageuse et tenta une feinte mais le Général la balaya d'un revers. Son front à lui aussi luisait sous l'effort et, malgré tous ses entraînements, on voyait que la fatigue commençait à peser sur son bras, que ses blessures le ralentissaient et le brimaient de ses forces habituelles.
Les ombres s'étiraient sur les murs et démultipliaient leur duel en un combat d'armées jumelles. Aubin fatiguait lui aussi, ses mouvements se faisaient plus hésitants, moins précis. Paradoxalement, alors qu'il était entièrement concentré sur la joute qui l'opposait au Général Glacé, ses sens s'étaient affutés. Il lui semblait remarquer chaque détail avec une acuité nouvelle. Chaque couleur, chaque lumière, chaque frémissement. Le goût du sang dans sa bouche et le souffle haletant et froid du Général sur sa peau. Les pleurs d'Odelia et les bruits étouffés de l'extérieur. Tiens ? Il n'entendait plus le vent, il n'entendait plus la neige tomber ni les glaçons ennemis s'entrechoquer et grelotter. Il n'entendait plus les hurlements déchaînés de Jade, il...
Un instant de déconcentration et Aubin ripa en essayant d'éviter le coup tranchant de l'épée gelée. Il se rattrapa tant bien que mal, cheville tordue et parvint in extremis à parer l'arme mortelle qui filait vers sa gorge. Le flocon déglutit. Il allait devoir ruser s'il souhaitait vaincre le Général Glacé.
– Comment... haleta-t-il, comment avez-vous fait pour vous débarrasser de Jade la Grimacière ? Elle...
Le soldat avança à nouveau vers lui. Il ricana en déviant la lame d'Aubin.
– C'était facile, je lui ai offert des gaufres et du chocolat, elle s'est immédiatement rendue ensuite !
Le cœur d'Aubin rata un battement. Il avait espéré pourtant mais... non, il n'aurait jamais dû lui faire confiance, elle les avait trahis ! Il laissa la tristesse le submerger, ses larmes couler et, quand le Général Gelé le crut aveuglé par ses pleurs, il se jeta en avant, glissant le long de l'épée glacée sans s'y empaler avant de pousser le soldat à terre.
Le petit flocon posa la pointe de son arme sur la gorge du Général.
Un cri perçant le retint cependant de porter le coup fatal.
Sans cesser de surveiller le Général, Aubin jeta un regard rapide à Odelia. Son beau visage de stalactite était déformé par la chaleur et ses yeux brillaient de tristesse.
– Aubin non ! Je t'en prie ! Je t'en prie laisse ! Laisse-le partir ! Pour l'amour de moi Aubin, laisse-le tranquille je t'en prie !
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