Venir au monde - Jour un (Prologue)

Qui peut se rappeler les sensations qui frappent un nouveau-né à peine sorti du ventre de sa mère ? Qui se souvient de l'impression d'être arraché à un cocon chaud et accueillant, et du sentiment d'être poussé inexorablement vers le monde froid, que l'on entrevoyait depuis longtemps mais auquel on osait espérer pouvoir échapper ?

Assurément, les Éveillés sont les seuls à s'en rappeler ici-bas.

C'était au crépuscule, au cœur des forêts d'Arekor, dans les terres sombres du nord d'Azan, qu'Elle naquit. Là, entre deux arbres plusieurs fois centenaires, l'air se troubla quelques instants, et les bois semblèrent retenir leur souffle pour accueillir un nouvel enfant du néant. S'il y avait eu quelqu'un pour observer sa naissance, il aurait senti l'espace se tordre, puis se déchirer, et le sol trembler. Mais il n'y avait personne. Il n'y avait jamais personne. Comme tous ceux de son espèce, Elle vit le jour dans la solitude et la sérénité.

Sa vie nouvelle dépendrait maintenant de sa capacité à y rester.

Jetée nue sur le sol humide de la forêt, Elle eut le réflexe de protéger son visage de ses mains. La peau diaphane de ses membres, fragile, s'écorcha en plusieurs endroits. Un sang nacré perla des plaies, et une douleur diffuse s'ajouta à la morsure du froid. Recroquevillée, effrayée, Elle n'osait ouvrir les yeux, ni relever la tête.

Mais au bout de ce qui aurait pu être une minute comme une éternité, ses oreilles, alors engourdies, devinrent soudain sensibles au chant de la forêt. Puis son nez, et sa bouche, s'éveillèrent au parfum ambiant. Elle entendit le vent dans le feuillage, les insectes vrombir, et les pas des petits animaux résonner sur l'humus. Elle sentit l'odeur des conifères, de la pluie, et l'effluve plus subtil des fleurs sauvages. Elle goûta enfin l'amer mucus qui s'attardait sur ses dents cristallines.

Et Elle ouvrit les yeux.

S'il y avait eu un spectateur à cet événement, il aurait pu observer ses iris blancs devenir de plus en plus foncés, jusqu'à atteindre la teinte, moins inhabituelle, d'un ciel d'orage. Il aurait observé sa peau, presque translucide, se colorer peu à peu, à mesure que son sang rougissait dans ses veines.

Il se serait étonné de voir son corps de couvrir d'une fine fourrure brune.

Comme tous ceux de son espèce, Elle s'adaptait. Elle s'adaptait en observant le monde, dont elle comprenait instinctivement le fonctionnement. Ou étaient-ce, plus que de l'instinct, les réminiscences d'un savoir perdu après sa renaissance ? Qui pouvait le dire...

En proie au froid et à la douleur, Elle imitait le pelage chaud de la souris sur laquelle elle avait posé les yeux. Et Elle se sentit mieux. Elle se releva en chancelant, et ses pieds se renforcèrent d'une corne dure pour la protéger de la piqûre des aiguilles de pins et de la griffure des pierres saillant sur le sol.

La nature et ses merveilles, avec toute l'inspiration qu'elle apportait, s'offrit à ses sens en éveil. Ce monde, qui semblait l'attendre depuis toujours, lui murmurait ses conseils, comme une mère qui tend les bras à son enfant qui apprend à marcher.

Se lançant dans l'inconnu, Elle fit son premier pas.

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