Chapitre 20 : Sauter ou se battre

Dans l'ascenseur, Roxane était encore tremblante. La descente à Montesquieu fut silencieuse. Les quatre compagnons retrouvèrent ensuite le vacarme incessant des machines et des armes à feu de l'étage. Mais pour la jeune fille, encore en pleine réflexion, ces sons n'étaient que des bruits sourds. Elle avait eu réponse à toutes ses questions, mais maintenant, elle en avait des nouvelles.

Mais qui a dessiné ça sur le mur ? se demandait-elle. C'est exactement ce que Léopold m'a dicté ! Est-ce... Les Rôdeurs ?

Alors qu'ils s'apprêtèrent à se diriger vers la salle de réunion, Rosalind prit la jeune fille par le bras et se dirigea vers l'autre ascenseur.

- Viens avec moi, lui dit la rousse, j'ai une surprise.

*

Roxane attendait Rosalind dans un couloir. Elle regardait, sans bouger d'un pas, dans la direction opposée par laquelle la femme était partie, attirée par les rires de femmes au loin. Le silence revint finalement.

Elle attendait, sans un mot. Puis elle ferma les yeux. Elle entendait des pas, ses pas. Ses mains se posèrent en face de ses yeux. Elle reconnut son parfum, sa respiration... Elle sut que c'était lui.

- Devine qui c'est !

La jeune fille sourit. Mais elle joua le jeu.

- Hum... Es-tu anglophone ?

- Yeah, I am ! lui approuva la voix de l'homme avec son accent américain.

- Portes-tu, au poignet, un bracelet de la même couleur que tes yeux ?

- Oui.

- Ton manteau est-il toujours bordeaux ?

- Toujours autant !

- Ton prénom commence-t-il par un J et ton nom par un W ?

- C'est exacte. Je suis ?

- Jayce Whirter, l'homme que j'aime.

Elle se retourna. Il n'avait pas changé... le goût de ses lèvres non plus. Il la prit dans ses bras.

- Qui t'a fait rentrer ? Comment tu...

- C'est moi, déclara la rousse derrière le jeune homme, les bras croisés et le sourire aux lèvres. Je crois qu'il a un petit quelque chose pour toi.

Jayce prit le sac qu'il avait sur le dos et sorti l'instrument en ébène. Le violon de la jeune fille était enroulé dans un bandeau blanc. Il lui tendit.

- Il y a une crue ce soir. Je pense que tu devrais l'annoncer.

Roxane prit l'objet. Un frisson la parcouru. Jayce regarda sa montre.

- Je dois y aller.

Roxane baissa les yeux. Il lui prit les mains.

- Fais-le, fonce.

*

Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent.

Terrasse, bienvenue.

On se trouvait au-dessus des nuages. La brume épaisse tapissait le sol de béton et on aurait pu croire marcher sur un de ces cumulus à l'aspect cotonneux. L'horizon paraissait se perdre à travers ce blanc immaculé. Roxane ne distinguait plus rien autour d'elle. Tout semblait s'éloigner d'elle, le sol, le ciel. Elle était seule désormais. Ses cheveux ondulaient au gré du vent et ses oreilles sifflaient. A combien de mètres du sol se trouvait-elle ?

Roxane s'approcha timidement du bord. Elle eut tout d'abord un sentiment de vertige, puis en reprenant confiance, une bouffée d'énergie s'empara d'elle.

La brume se dissipa peu à peu. La Tour semblait s'élever mais c'était en fait le brouillard qui s'effondrait. Au bout de quelques minutes, elle vit enfin le haut des cheminées, les toits des bâtiments haussmanniens, puis les détails des rues, la verdure du parc du Champ-de-Mars abandonné et enfin, l'immensité des murs qui entouraient la Cité encore à demi-plongée dans les nuages épais.

La zone de survie était silencieuse, il n'y avait personne dehors. Roxane déposa son menton sur la mentonnière et attrapa son archet avec sa main droite pour le déposer sur les cordes. Elle prit sa respiration, une, deux, trois fois, pour calmer son souffle saccadé. Elle avait l'impression que c'était la première fois qu'elle jouait : elle avait les mains moites, le poignet crispé et les doigts trop tendus. Elle respirait l'air, le grand air d'altitude qui descendait dans sa trachée jusqu'à ses poumons ; un air pur dans ses fosses nasales et dans le fond de son pharynx. Dès qu'elle ouvrait un peu la bouche, son palais s'asséchait et sa luette frémissait. Elle souleva son archet, ferma les yeux puis commença à jouer ce fameux morceau, celui qui voulait tout dire : Le murmure de la pluie. Les notes semblaient repousser le brouillard. L'horizon devint enfin clair.

Quand elle ouvrit les yeux, elle se raidit, figé par ce qu'elle avait sous les yeux. Ses pupilles se dilatèrent et son teint pâlit. Son débit de respiration qui s'était calmé reprit son reprit un rythme irrégulier. Elle lâcha son archet et son violon qui tombèrent au sol. Le blanc de ses yeux était noyé dans ses larmes. Elle mit une sur sa bouche ; la seconde cinglait son cou. Elle semblait s'étouffer. Elle était affolée, accablée, déchirée, abattue, de ce qu'elle avait sous les yeux. Ce qu'elle voyait à l'instant, elle n'aurait jamais voulu le voir ; elle n'aurait jamais voulu savoir ce qu'il restait du monde derrière les murs, mais elle le vit : cet océan sans fin. La Cité était perdue dans une mer qui semblait infini dans l'horizon.

Les vagues s'agitèrent. L'alarme retentit : la crue commençait. Roxane vit, de là-haut, un épisode de désolation, impuissante. L'eau glissait de tous les côtés sur les parois des murs, comme dans une cuvette, comme dans un gouffre.

Quand l'eau avait fini d'envahir les rues et que l'alarme s'était arrêtée de retentir, Roxane s'approcha un peu plus du bord, elle vit le pied de la Tour sous les eaux. Elle relâcha ses bras le long de son corps et se questionna :

« Il n'y a donc vraiment rien derrière ces murs ? Il n'y a donc pas d'avenir possible ? Pas d'Eden promis ? Tous nos espoirs sont... perdus ? Alors, quoi que je fasse, rien ne changera...»

Elle s'approcha encore un peu plus du bord, le bout de pieds dans le vide.

« Et si je saute, tout ça s'arrêtera ?»

...

« Non, rien de tout ça s'arrêtera.» C'était Léopold, bras croisés, derrière elle. «Rien de tout ça ne s'arrêtera un jour. Et malheureusement, il faudra vivre avec... ou mourir. C'est sûr que, avec cette vue, il est difficile de trouver un quelconque espoir... mais ne t'es-tu donc jamais demandé d'où venait cette nourriture, ces ressources inépuisables, mais aussi, ces humains, d'autres humains que nous, les passeurs, qui vivent à l'extérieur ? Je suis sûr que si, et plus d'une fois même je pense. Alors maintenant, il ne te reste plus qu'à faire un choix parmi deux options: sauter et perdre la vie depuis le haut de cette tour maudite, ou reprendre espoir et tout simplement, se battre pour sortir de cet enfer.»

Roxane réfléchit tout en regardant le vide. Elle leva les yeux vers l'horizon. Il y avait une tempête un loin.

La terre commença à trembler. Un bruit explosion raisonnable dans la Cité. Une énorme fissure de plus de vingt mètres de long se forma sur le mur. L'alarme reprit. Roxane avala sa salive, puis affirma avec sérieux :





«C'est décidé, je vais me battre.»

σ σ σ σ σ

Découvrez plus encore avec...

SIGMA


2099 - Kim avait une vie tout à fait normale. Elle n'avait pas les yeux bleus, elle ne mesurait pas 1m70, elle n'était pas blonde... Kim était une eurasienne de 19 ans et vivait à Tokyo avec ses parents. Sa vie était tout à fait banale jusqu'à ce soir où elle fut témoin et victime d'une scène peu ordinaire... À son réveil, Kim découvre un étrange signe tatoué dans son cou. Elle ne se doute pas que ce signe a une signification particulière et qu'il va bouleverser sa vie.

Retrouvez les aventures de Kim dans Sigma, roman écrit par la talentueuse Yusuchine, oeuvre étant en lien avec Le murmure de la pluie.

Sigma© de Yusuchine, tous droits réservés.


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top