Chapitre 15 : Le nouvel Eden parisien ?
- Elle est bien ? Tu me trouves comment ?
- Vous êtes... Parfaite.
Roxane regarda Cyril, souriante, puis se reconcentra sur son reflet dans le miroir.
- Merci... Tu sais, tu peux m'appeler Roxane et me tutoyer sans aucun problème.
- Même si j'le voulais, je n'pourrai pas... M'sieur Heilbronn veut absolument qu'on vouvoie nos clients...
- Heilbronn ?
- Winston Heilbronn, le berger du service.
- Ah ! Oui... Lui. Oui, je vois maintenant. Il n'est pas trop... strict ?
- Un peu... Un peu beaucoup même, parfois. Mais mes parents voulaient absolument qu'j'intègre les services... Soit disant que ça doit « m'apprendre les bonnes manières » comme ils disent.
- Tu étais plutôt le sale gosse de la Tour ? Le rebelle ?
- Rebelle ? Non. Sale gosse, peut-être. J'étais très... (Il fit une pause pour réfléchir) j'aimais pas sortir d'ma chambre. J'étudiais juste les devoirs qu'on m'donnait et après je préférai dessiner. Je sortais jamais, j'avais... pas d'amis pour faire simple. Les jeunes de mon âge sont tous des gamins en même temps... C'est à eux qu'il faut apprendre les bonnes manières !
- Tu n'as sûrement pas tort... Mais bon, je ne t'aurais jamais rencontré si tu n'avais pas fait les services !
Elle lui fit un clin d'œil. Le jeune garçon sourit.
- C'est vrai. Comment aurais-tu fais pour avoir des avis sur tes robes sans moi ?
Ils rirent.
- J'aurai sûrement demandé à mon autre valet... sauf si ce serait un horrible vieil homme aigri.
- Le vieil homme aigri, c'est M'sieur Heilbronn ?
- Je n'avais pas pensé à lui mais... C'est vrai que ça aurait pu ! Tu peux m'aider à resserrer le corset ?
Cyril se leva puis tira fortement les ficelles dans le dos de la jeune fille. Un instant, Roxane eut l'impression d'être étouffée, puis elle reprit sa respiration normalement. Elle ne pouvait que se tenir droite dans cette tenue : sa longue robe blanche trainant par terre était coupée à l'avant et laissait paraître ses jambes nues. Son corset de satin brun ne faisait que lui accentuer sa poitrine.
Le téléphone portable du garçon sonna.
- C'est lui d'ailleurs, Heilbronn. Il a besoin de moi. Bon, du coup j'vous... j'te laisse. Bonne chance pour la suite.
Il remit sa veste par-dessus sa chemise blanche. La porte ne claqua pas, ne grinça pas, il prit soin de la refermer avec douceur.
*
Il était déjà l'heure. Quelqu'un toqua à la porte.
- Entrez ! dit la jeune fille.
C'était Léopold.
- Tic-tac tic-tac ! Il est dix-neuf heure trente !
A la vue de Roxane il déclara la bouche entrouverte :
- Whoa... Tu es... Magnifique.
- Merci, toi aussi, répondit-elle avec un grand sourire.
Léopold portait un costume classique mais qui lui allait à merveille. Le foulard de soie bleu qui sortait de sa chemise était un peu la cerise sur le gâteau.
- On peut y aller ? demanda-t-il.
- Je te suis.
Ils sortirent de la chambre.
*
Quarante-huitième étage, Musset, bonne dégustation.
Le robot dans l'ascenseur était toujours aussi aimable.
- Merci ma p'tite dame, à vous aussi ! répondit Léopold.
- C'est ... une vraie personne ?
- Non, c'est une intelligence artificielle, une IA pour te donner le nom commun.
- Ah.
- Ne t'inquiète pas, je ne suis pas fou, j'ai l'habitude de lui répondre... c'était ma seule amie pendant longtemps tu sais !
Roxane ricana, mais Léopold, lui, non. Roxane pensa alors que ce que le vieil homme venait de dire était très sérieux. Il avait dû être seul pendant longtemps. C'était fou à quel point il semblait apprécier Roxane, c'était comme sa petite fille pour lui. Pour elle, c'était une personne de confiance, une personne qui ne pourrait que l'aider. Un grand-père ? Peut-être. Elle ne le savait pas encore.
La sortie de l'ascenseur donnait sur un couloir. De longs rideaux rouge cardinal drapaient le murs. Face à eux, des portes, qui ressemblaient à des portes d'une vieille armoire, s'ouvrirent. Les deux hommes, poignées dans la main, montrèrent le chemin avec leur seconde, sans un mot. Un accueil un peu trop silencieux au goût de Léopold.
- Pas très bavards les deux loustiques, hein ?
Au bout du tapis rouge, un homme était derrière un petit meuble.
- Bienvenue au Palais de Musset. Puis-je avoir votre nom ?
- Nous sommes des amis de Rosalind, elle nous a sûrement mise dans sa réservation.
- Hum... Il n'y a que vous, monsieur, sur sa réservation, je ne vois pas la trace d'une dame.
Roxane baissa les yeux.
- Oh, je vois ! s'écria Léopold. Cherchez au nom de Mademoiselle Musset.
L'homme regarda Roxane d'un air stupéfait.
- Mademoiselle... Musset ?
- Oui, Musset, comme Edgard Musset. C'est d'ailleurs son arrière-petite-fille. Vous comprenez ?
L'homme n'en croyait pas ses yeux. Le débit de ses mots était hésitant et le son de sa voix semblait étranglé. Il regarda dans la liste.
- Oh, oui. Vous êtes table... trente-six.
- Merci beaucoup, monsieur. Ajouta Roxane.
Il continuait à balbutier, mal à l'aise.
Léopold poursuivit son chemin, Roxane le suivit. Un homme vint les chercher.
- Trente-six, s'il vous plaît.
L'homme s'inclina puis les dirigea vers leur table. Rosalind y était déjà assise, pensive.
- C'est tellement drôle de les voir aussi mal à l'aise devant toi, bavardait Léopold, j'y prends vraiment plaisir !
- Donc... Je suis l'arrière-petite-fille d'Edgar Musset... Qu'est-ce que mon ancêtre à fait de si exceptionnel ?
- Une cuisine qui est restée au palais de tous les critiques de l'époque. C'était - soit disant - meilleur cuisinier qui n'est jamais existé.
Ils s'assirent à table. Rosalind était toujours dans ses pensées, regardant la piste de danse au centre de la salle. Toujours ce style art-déco des années vingt : tapisseries, vitraux qui servaient de murs de séparation, sculptures ornementales... Une décoration riche, simple et chic. Sur l'un des vitraux, une représentation de la Tour Montparnasse, des murs de la Cité, et de deux déesses ouvrant leurs bras à la Tour, s'inclinant devant elle, comme si Montparnasse était le paradis promis. Au-dessus de la représentation de la Tour scintillante, un texte :
le nouvel Eden parisien
MONTPARNASSE
Cité des Arts et de la Culture.
Dans un monde détruit par l'Homme
la Tour résiste, résistera, et se dressera toujours à
PARIS
Capitale de l'ex-France, de la mode, de la gastronomie et de la justice.
Comment ne pas faire plus vendeurs ? Comment ne pas croire, avec un tel message, que Montparnasse est un lieu splendide ? La Tour Montparnasse était en fait loin d'être le lieu aux mille merveilles et Roxane ne l'avait malheureusement pas encore compris.
- Qu'est-ce que tu regardes Rosalind ? Tu as le coup de foudre ? demanda Léopold en riant dans sa barbe.
Au grand étonnement de Roxane, et de Léopold qui s'attendait à se faire égorger par la rousse, Rosalind ne bougea pas d'un cheveu, regardant toujours dans le lointain de la salle.
- Hé-ho, Rosa ? Ça va ? continua Léopold, presque inquiet.
- Je regarde la chaise vide où mon frère aurait dû être, déclara-t-elle sèchement, quelque chose que ne va pas, je le sens.
- Comment ça ? Pourquoi ça sent tellement le roussi ? questionna le vieillard, Et pourquoi Néo n'est-t-il toujours pas là ?
Rosalind ne répondit pas.
Léopold et Roxane se regardèrent sans savoir que faire.
- Restez là, ordonna Rosalind en se levant. Je vais voir dans sa chambre.
Elle se leva et se dirigea vers la sortie, déterminée.
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