8. Alexandre

— Je t'en prie, entre.

Alexandre posa un pied dans le bureau du commissaire. Une table simple, avec des murs recouverts de pancartes de prévention ou de photos de groupe. Il n'y avait pas comme dans les films, cette table en acier avec ces murs gris, mais la manière dont le policier le regardait lui donnait presque l'impression d'être l'accusé principal. Sauf qu'il n'avait pas touché à Emma. Et pour la première fois de sa vie, il sentit la panique le saisir. L'inspecteur lui avait juste demandé de venir pour lui donner plus d'informations sur Duvois, pas pour participer à un interrogatoire.

— Assis-toi, lui demanda-t-il en présentant la chaise.

Il ferma la porte et le silence fut total. L'inspecteur s'installa face à lui et déposa des photos sur la table. Les yeux vides d'Emma. Sa peau blanche, presque translucide sous la lumière du flash. Le sang séché qui empoissait ses cheveux. Une chevelure blonde dont elle avait été fière autrefois.

Il détourna le regard.

— Je cite, commença le policier. Tu voulais la voir "disparaître".

— C'était il y a longtemps.

— C'était il y a trois mois.

Le temps, cette année, paraissait s'écouler à une lenteur agonisante.

— Vous croyez que je l'ai tuée ? répliqua-t-il avec un ton haineux. Je connaissais Emma depuis mon enfance. J'ai grandi avec elle, j'ai assisté à tous ses anniversaires. Je n'ai rien à voir dans ce meurtre.

— Nous avons récupéré des appels téléphoniques de son téléphone. Il y en a un qui date du 26 février.

Le soir du concert. Le moment où il lui avait expliqué tout ce qu'il venait de découvrir. La pochette. Sa gorge s'assécha.

— Le lendemain, Emma est arrivée chez elle avec une arme, puis après avoir...

— Je sais ce qui s'est passé, merci.

Il récupéra les photos une à une, les retirant de sa vue.

— Cet appel lui a fait comprendre certaines choses qui l'ont conduite à ces actes. Tout ce qu'il fallait, c'était compléter les informations qu'elle connaissait pour la pousser directement dans la gueule du loup.

Sa mâchoire se contracta. Il l'avait dit à William et il le répétait :

— Je voulais juste la protéger.

— Dans cet appel, reprit-il, tu as mentionné une pochette. Des documents que tu venais tout juste de découvrir dont des photos. Où est cette pochette à présent ?

Il demeura de marbre. Il l'entrevoyait déjà dans le tiroir de son bureau. Bien à l'abris, là où aucune autorité ne pourrait la trouver. Les documents à l'intérieur étaient des preuves de la supercherie du Flamboyant envers les Duvois. Si cette pochette aterrissait dans les mains de la police, ils étaient perdus.

— Je n'en sais rien. Je l'ai laissée là où elle était.

L'inspecteur le dévisagea durant des minutes qui parurent une éternité. Alexandre s'efforça pour ne laissait paraître aucune émotion. Pourtant, à l'intérieur, il étouffait. Que feraient-ils s'ils se rendaient compte qu'il avait menti ? Irait-il en prison avec ses parents ?

— Vraiment ?

— Oui.

— Tu n'as pas pensé que les documents qu'il y avait à l'intérieur pourraient être utiles pour notre enquête ?

— J'étais paniqué.

Il se mit à sourire, comme si toute cette situation avait quelque chose de drôle.

— Mais oui. Paniqué.

— C'est vrai.

L'inspecteur laissa passer un bref silence, comme pour lui donner l'opportunité de dire enfin la vérité. Alexandre avait vraiment été paniqué ce soir-là. Mais pas assez pour laisser l'équivalent d'une bombe atomique en liberté. Personne à part William n'était au courant. Et étrangement, il lui faisait confiance pour garder le secret.

— Je ne t'accuse de rien, Alex. Je veux juste faire avancer l'enquête.

— Alexandre, le rectifia-t-il.

— Pardon. J'ai entendu tes amis t'appeler Alex.

— Parce que ce sont mes amis, justement.

Il leva les mains en signe de paix avant de poser ses coudes sur la table, prenant un air plus sérieux.

— J'ai besoin que tu me parles de Liam Restrie, à présent. Sais-tu où il vit ?

Alexandre secoua la tête.

— Non.

— Et est-ce que tu savais si William maintenait un contact permanent avec lui ?

Il se remémora le soir où il était parti. La poudre étalé sur la table, la bouteille d'alcool posé à côté. Il s'était mis à vendre de la came après ça. Dans un costume neuf et saillant que le père d'Emma lui avait lui-même acheté. Un dealer de luxe.

— Je n'en sais rien.

— Vous sortiez ensemble non ?

— On a rompu.

— Pour quelle raison ?

Parce que William ne supportait plus la lumière du soleil. Il fit craquer ses doigts, tentant de chasser ces souvenirs de son esprit.

— Une dispute.

Le claquement de la porte cette nuit-là le hanterait toute sa vie.

— À propos de quoi ?

— Affaires personnelles, grinça-t-il. Pourquoi voulez-vous savoir tout ça ? La vie de William n'a rien à voir avec Emma.

— Ah non ? Ils ont fini ensemble à ce que je sais. Leurs noms sont encore peints sur le Mur. Emma a emmené ses frères chez Liam mais ni Thimothé ni Diego ne se rappellent du chemin. D'autre part, nous savons maintenant que l'identité qui se cachait derrière Gabrielle Torella a un lien étroit avec Liam. Cette fille a assassiné Sasha Rovel par ordre de Duvois. Alors si, la vie de William a un rapport avec toute cette affaire. Et il y a des choses que je ne sais pas et qui m'empêchent d'avancer.

— Je ne peux pas vous aider. Désolé.

Il s'apprêtait à se lever mais l'inspecteur leva la main pour lui ordonner de rester dans sa position. Alexandre obéit à contrecœur.

— J'aimerais parler directement à William. Où est-ce qu'il vit ?

— William est malade. Il n'est pas en état de répondre à qui que ce soit.

— C'est important.

Alexandre eut les oreilles bourdonnantes de colère. Il avança son torse et le fusilla du regard.

— Je vous déconseille de prononcer le nom d'Emma face à William. Même s'il vous parle, il ne dira rien sur elle. Tout ce que vous ferez, c'est perdre votre temps.

— William a été le dernier à avoir vu Emma avant sa mort. Je dois l'interroger.

— Il n'a rien de nouveau à vous apporter. Vous cherchez dans la mauvaise direction.

Il se leva sans attendre aucune autorisation.

— Interrogez Rovel à la place, reprit-il avant de gagner la porte. Je crois qu'il a beaucoup à vous dire.

Il ne rentra pas tout de suite à la villa d'Erwin et Madden. Toutes ses valises pour les États-Unis se trouvaient là-bas mais il devait faire un détour chez lui. Il fallut deux heures pour monter jusqu'à Avignon. C'était trop important pour ne pas faire le détour. Il entra chez lui et ne prit même pas la peine de vérifier où étaient ses parents. Cependant, il entendit sa mère l'appeler. Sans répondre, il s'inséra dans sa chambre et ouvrit le tiroir de son bureau.

La pochette. Il s'en empara et l'ouvrit pour vérifier que tout y était bien. Sa porte grinça légèrement.

— Qu'est-ce que tu fais ici ? demanda son père.

Alexandre referma brusquement le porte-document.

— Je devais juste récupérer quelque chose.

— Tu as fais deux heures de route pour ça ?

Il ouvrit la bouche pour l'informer que la police venait de l'interroger, qu'ils viendraient fouiller dans pas longtemps et que cette pochette ne pouvait être à l'abris que dans sa propre valise, mais il se retint au dernier moment. Moins de personnes le sauraient, mieux c'était. Il brûlerait ces documents. Les preuves s'envoleraient en fumée. Il n'y aurait plus aucun risque.

— Alex, tu dois tout me dire.

La seule personne capable de deviner ses intentions derrière son visage impassible était son père. Et il ne lâcherait pas le morceau jusqu'à ce qu'il le crache.

— La police m'a interrogé.

Un éclair de colère traversa ses iris vertes. Il avança d'un pas et referma la porte derrière lui.

— Que t'ont-ils demandé ?

Lui expliquer reviendrait à lui dévoiler ce qu'il avait fait après le concert. Ce qu'il avait découvert, la connerie qu'il avait commise. Une erreur fatale. S'il n'avait pas appelé Emma ce soir-là, elle serait peut-être vivante à l'heure qu'il était. Face à son silence, son père lui prit des mains la pochette. Il le laissa faire. Un voile se posa devant les yeux de son père quand il découvrit ce qu'il y avait à l'intérieur. D'abord les photos. Puis le contrat signé par Charles. Les terres vendues. Des lettres écrites pour s'accorder sur le mariage de Philippe et Lana pour seule condition le partage des terres avec Lana, une condition évidemment pas respectée.

— J'ai menti, avoua-t-il d'une voix étranglée. J'ai dit que j'avais laissé la pochette où je l'avais découverte.

Son père leva sur lui un regard alarmé.

— Où l'as-tu prise ?

— Chez les Duvois, après le concert. J'ai appelé Emma pour lui expliquer tout ce que j'avais découvert. Je voulais juste... juste la protéger putain.

Il posa ses deux mains sur son bureau et s'appuya dessus, comme pour reprendre son souffle. Une erreur. Il en faisait rarement. Mais souvent au mauvais moment. Elles étaient parfois fatales.

— Il vont venir fouiller, souffla-t-il. Je l'ai vu dans les yeux de l'inspecteur. Il ne m'a pas cru.

— Alors prends-la avec toi.

Son père la lui tendit. Mais Alexandre ne s'en empara pas immédiatement. Il chercha dans ses yeux une quelconque trace de déception. Quelque chose comme "tu aurais pu faire mieux". Il ne trouva rien.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

Alexandre se redressa et reprit la pochette sans pour autant lui répondre. Mieux valait garder le silence. Faire comme si tout était normal. Mais son père agrippa son menton avant qu'il n'ait pu prétendre quoi que ce soit.

— Emma était destinée à mourir depuis le début. Duvois serait arrivé à ses fins d'une manière ou d'une autre.

— Ou pas.

— Tu perdras ton temps à t'imaginer un futur différent. Il faut aller de l'avant et protéger ce qu'il nous reste à protéger. Et c'est ce que tu es en train de faire.

— Je mens, cracha-t-il avec dégoût.

— Et que crois-tu que j'ai fait pendant vingt ans ?

Il le lâcha enfin. Il souriait presque.

— Les Scott, les Layne et les Rovel sont menacés, reprit-il. Mais pas nous. Il n'y aucune preuve de notre implication dans tout ça. Il n'y en aura jamais.

— Comment ?

— Philippe aurait du acheter les terres des Duvois, mais Philippe possédait déjà le restaurant. Quand Charles s'en est rendu compte, il a été furieux. Alors je lui ai proposé une solution. Je lui ai dit que s'il signait l'achat à la place de Philippe, il pourrait y construire l'hôtel qu'il rêvait de posséder. Lana a immédiatement rejeté la faute sur Charles. Ils se sont tous battus entre eux. Et tandis qu'Henri jetait le corps par-dessus bord, j'ai promis à Philippe de l'aider.

Il avait fait croire à Charles puis à Philippe qu'il était de leur côté. En réalité, il n'avait fait que leur jeter de fausses promesses en l'air, riant à gorge ouverte lorsqu'ils se jetaient dessus pour les rattraper.

— Tous les trois sont dépendants l'un de l'autre, continua-t-il. Si un seul tombe, le reste suit. Mais moi, je n'ai jamais eu besoin d'eux pour obtenir ce que je voulais. Nous serons les seuls à sortir de toute cette affaire indemnes.

— Je ne les laisserai pas plonger dans la merde tandis que je m'en sors les mains propres, grinça-t-il.

La satisfaction présente sur ses traits s'envola.

— Ils ne sont pas ta priorité.

— Ils sont mes amis.

— Des amis jusqu'au jour où ils devront faire un choix.

Son père, Henri, Charles et Philippe n'avaient jamais été amis. Ils avaient crée le Flamboyant pour s'enrichir chacun de leur côté. Alors au moment où les choses étaient devenues plus difficiles, ils s'étaient montrés égoïstes. Et c'était ce qui les avait perdu.

— Nous ne sommes pas vous.

Il passa à côté de lui, ouvrit la porte et redescendit. Sa mère arbora un sourire quand elle l'aperçut. Il déposa un baiser sur sa joue, lui promettant de l'appeler quand il arriverait en Amérique. La pochette était collée contre lui. Aujourd'hui, il avait aperçut le côté sombre d'Olivier Voseire. D'une manière ou d'une autre, il s'était toujours dit que son père était quelqu'un de bien, qu'il faisait tout ce qui était en son pouvoir pour redresser le Flamboyant.

En réalité, il n'y avait que ses vins et son argent qui comptait. Il ne risquerait pas sa réputation pour aider Philippe à échapper à la justice. Il le laisserait juste couler. En souriant. Parce qu'être supérieur était ce qui lui conférait le plus de plaisir.

Il rentra à Cannes deux heures plus tard. La route l'avait épuisé. Le soleil disparaissait peu à peu, laissant place aux ailes ténébreuses de la nuit. Il retrouva Erwin et Madden à l'étage en train de terminer les préparatifs. Madden était particulièrement angoissée. Elle n'avait pas dormi depuis trois jours et prenait un café toutes les heures, ce qui la rendait particulièrement irritée et nerveuse. Alors devant ses reproches incessants sur des détails stupides, Erwin se taisait ou se contentait de soupirer.

— Je t'ai dit de mettre ma crème dans ma trousse de toilette ! l'entendit-il s'exclamer.

Sa voix sonnait si fragile qu'on aurait dit qu'elle était à deux doigts de pleurer.

— Ce que j'ai fait, répondit calmement Erwin.

— Dans la mauvaise !

Il n'y avait que Madden pour avoir plusieurs trousses de toilette. Il jeta un coup d'œil dans la chambre. La valise de Madden était ouverte mais tout était parfaitement plié. Erwin était assis sur le rebord du lit et la regardait faire des allés retours incessants entre la salle de bain et l'armoire. Il se retourna quand il remarqua sa présence.

— T'en a mis du temps.

— Ouais. Je suis juste allé à Avignon récupérer quelque chose.

Erwin hocha la tête, satisfait de son explication.

— Tu devrais aller voir William.

Il ne demanda pas pourquoi. Il déposa juste la pochette sur son propre lit, ignorant la crise nerveuve de Madden à l'autre bout du couloir. Puis il poussa la porte de William. Les écouteurs dans les oreilles, assis en tailleur, il dessinait. C'était le genre d'activité qu'il faisait quand il ne se sentait pas bien. Plusieurs fois après s'être réveillé en sueur d'un sommeil agité ou une crise d'angoisse, il l'avait surpris en train de dessiner. Et même s'il refusait de l'admettre, il avait du talent. Les expressions humaines qu'il dessinait avec beaucoup de contrastes donnaient froid dans le dos. Ce n'était pas joyeux, mais ça le soulageait.

La lumière de sa table de nuit était allumée et il remarqua que son visage brillait de façon anormale.

— William, l'appela-t-il.

Il releva la tête et enleva un de ses écouteurs. Une pellicule de sueur recouvrait sa peau. Alexandre s'approcha pour poser une main sur son front. Le réflexe de William fut de s'écarter, mais il se retint au dernier moment. Il le dévisagea juste.

Il était brûlant.

— Comment tu te sens ?

— J'ai froid.

Il percevait son tremblement.

— Je vais te préparer un ibuprophène, dit-il en ôtant sa main.

— J'en ai pris un il y a trois heures.

— Qui te l'a préparé ?

— Madden.

Erwin avait fermé à clef la pharmacie. Ils ne laissaient plus aucun médicament à découvert. William leur avait affirmé qu'il n'avait pas voulu se tuer. Une connaissance venant du cercle de Liam lui avait donné le Subutex pour l'aider à arrêter la drogue et dans un élan de désespoir, il en avait pris plusieurs pour avoir un effet immédiat, ne supportant plus le manque. Mais il avait complètement nié avoir bu de l'alcool. La bouteille venait pourtant d'être ouverte et il en avait pris une bonne portion.

Et pour avaler une plaquette entière de comprimés, il fallait vraiment être incensé. L'évidence était là, qu'il le veuille ou non.

— Tu pourras prendre un doliprane dans une heure dans ce cas.

Il remarqua dans le coin les valises fermées et debout, prêtes à être emportées. William suivit son regard.

— Erwin m'a aidé.

Madden lui avait dit qu'il était arrivé ici avec un simple sac. Les trois quart de la valises devaient être des affaires qu'ils lui avaient payés ces derniers jours. Il s'apprêtait à ressortir mais William l'arrêta dans son élan.

— Reste.

Un mot qu'il avait espéré entendre deux mois plus tôt. Il songea un instant à ignorer sa demande, juste pour lui donner un aperçu de ce qu'il lui avait fait vivre ce soir-là, mais il n'eut pas envie de se montrer cruel. Alors il s'installa sur le fauteuil près de la fenêtre. William se remit à dessiner. Il avait enlevé ses écouteurs.

— Où est-ce que tu étais ?

— Au commissariat.

— Est-ce qu'ils ont posé des questions sur moi ?

Même si tout le monde avait tenté de maintenir la police à l'écart, William savait qu'ils cherchaient à obtenir des réponses sur son cousin. Alexandre ne voulait pas lui mentir.

— Oui.

— Tu as répondu ?

— Oui, mais ils n'ont pas eu l'air satisfaits.

Le coin de ses lèvres remonta. Son poignée entreprit des mouvements secs et amples. Un silence plana pendant quelques minutes. Du moins, un silence relatif. Ils entendaient la dispute d'Erwin et Madden. La voix de Madden monta rapidement dans les aigus. Erwin commença à hausser le ton. Il craquait. William se tint la tête et grimaça.

— Ils sont chiants, grommela-t-il.

— Tu veux que je ferme la porte ?

— C'est bon, je peux le faire moi-même.

Mais au moment où il se leva, il dut se rattraper au meuble pour ne pas tomber. Alexandre se redressa, alarmé. Pendant quelques secondes, William se tint immobile, puis il avança vers la porte et la ferma.

— Je me suis levé trop vite, se justifia-t-il.

Il essuya la sueur qui perlait sur sa tempe puis s'assit de nouveau sur le lit. Mais il ne reprit pas le crayon. Son regard plongea dans les couvertures blanches, se noyant dans sa propre conscience.

— Pourquoi est-ce que tu m'aides ? finit-il par demander.

Puis ses yeux croisèrent les siens. Alexandre agrippa l'accoudoir avec force. Il ne sut que répondre. Toutes les phrases qui se formulaient dans son esprit n'étaient pas assez satisfaisantes. Elles n'exprimaient pas ce qu'il ressentait. C'était pour cette raison qu'il restait silencieux la plupart du temps.

— Tu devrais me haïr.

— Non.

Ce fut la seule chose qu'il fut capable de prononcer. Un "non" qui sembla électrifier William.

— Tu es difficile à comprendre, tu sais.

Il eut presque envie de sourire.

— J'imagine.

William observa son dessin d'un air vide.

— Tu méritais mieux, souffla-t-il. Je suis désolé. Je n'aurais pas du te laisser comme ça.

— Je n'ai jamais été en colère contre toi.

Il fit face à une expression déconcertée. William avait eu l'habitude depuis son enfance de se confronter à la déception. La culpabilité le rongeait depuis son plus jeune âge. Chloé avait fait en sorte que ses regrets soient plus forts que sa volonté de se droguer mais, au fond, ça lui avait fait plus de mal que de bien. Quand Leila s'était servi de lui pour obtenir le contact de Liam, il n'avait pas arrêté de rejeter la faute sur lui-même. Le soir où Emma était partie pour Memphis, il n'avait rien fait pour la rattraper. Il ne se prononçait pas sur ce souvenir, mais ça se voyait dans son regard. Il se sentait responsable.

— C'est pourtant moi qui...

— Tu étais drogué. Tu n'étais pas toi-même, tu n'as pas été toi-même depuis que tu as retouché à la cocaïne. La raison pour laquelle tu es parti, ce n'était pas Emma. Tu es parti parce que tu ne voulais pas entendre la vérité.

— Tu n'en sais rien.

— Je le sais. Je te connais.

Il détourna de nouveau la tête. Sa peau brillait mais ses yeux aussi.

— Je pensais que ça me ferait du bien. Que je serais de nouveau heureux, comme si c'était la solution miracle à tous mes problèmes.

Puis il éclata d'un rire douloureux.

— Quel con, échappa-t-il avec un regard tombant.

— Ce que tu as dit ce soir-là, c'était vrai. Je n'ai pas souffert autant que toi. J'ai toujours eu ma famille comme repère, tout ce que je demandais on me l'offrait, je n'ai jamais eu à me plaindre. Mais le fait de n'avoir pas connu une souffrance similaire à la tienne ne veut pas dire que je ne suis pas capable de t'aider.

— Je sais.

Il reprit son crayon mais se contenta de repasser les ombres pour les rendre plus obscures.

— J'avais pensé qu'avec Emma, ce serait plus simple, avoua-t-il. Mais deux désastres qui s'unissent ne produisent qu'un désastre plus gros encore. Les miracles n'existent pas.

— Est-ce que tu l'aimais ?

Pendant quelques secondes, il n'entendit que le grattement du crayons sur le papier.

— Je sais juste qu'elle me manque.

Il ne prononça plus rien après ça. William termina son dessin puis annonça vouloir prendre une douche. Une fois qu'il fut hors de la chambre, Alexandre s'empara du calepin. Une main était posée à plat sur ce qui semblait être une vitre transparante. Une silhouette flouttée hurlait.

Un homme de l'autre côté d'une barrière invisible, se demenant pour sortir de sa prison. Il observa l'endroit où William s'était tenu à peine quelques instants auparavant.

S'il n'arrivait pas à briser la vitre lui-même, songea-t-il, il la briserait pour lui.

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