23. Louise

Ce chapitre étant relativement court (1332 mots) je le publie aujourd'hui pour réserver le suivant dimanche et réserver la semaine prochaine pour les trois chapitres les plus importants du livre. Je vous souhaite une excellente lecture ;)


Elle se retourna dans son lit pour la millième fois. Ses yeux s'ouvrirent sur une obscurité aussi complète que si elle les avait maintenus fermés. Seul le petit point rouge de la boîte wifi dans le fond de la chambre transperçait les ténèbres. Elle se força à se rendormir, sans plus penser à rien, se centrant uniquement sur sa poitrine qui se soulevait et se baissait en un rythme lent. Ce fut peine perdue. Une minute plus tard, elle songeait à Thimothé. A la manière dont ses doigts s'étaient enroulés autour de sa main quand ils s'étaient retrouvés au Flamboyant. A ses pommettes qui avaient jailli de ses joues sous un sourire, le genre qui murmurait "je suis heureux parce que tu es là." Thimothé avait mille raisons de s'enfermer dans une chambre et pleurer jusqu'à rendre ses yeux secs. Il avait perdu son frère, sa soeur et sa mère en moins d'un an. Et pourtant, il avait dédié sa journée à rire en sa compagnie. Entre les plantes des jardins du complexe, ils s'étaient mis à jouer les experts et offrir une visite guidée improvisée de végétaux dont ils ignoraient absolument tout. Si un botaniste les avait écoutés, il les aurait sûrement frappés.

Il disait qu'il était l'ombre, elle la lumière. Mais d'eux deux, c'était lui qui, sous le soleil printanier, scintillait le plus.

Dors, se souffla-t-elle à elle-même. Il était trois heures du matin. Ce n'était pas le moment pour visionner le film de sa vie. Une vibration écarquilla en grand ses paupières. Elle se retourna et attrapa son téléphone posé sur la table de nuit.

Tu dors ?

C'était Thimothé. Elle tapa rapidement sa réponse.

Non. Je pense tout le temps à toi, s'en est fatiguant.

Les trois petits points durèrent plusieurs secondes.

Je croyais que Louise Scott n'était jamais fatiguée.

Louise Scott est une humaine, répondit-elle.

Je ne savais pas, tiens. Je pensais qu'elle était une étoile.

Il allait la tuer.

Tu réalises qu'il y a seulement une chambre de séparation entre nous ?

Le message s'afficha comme vu mais aucune réponse ne lui parvint. Elle poussa un soupir frustré. Il faisait souvent ça. Ignorer les messages récents et faire attendre son interlocuteur pendant plusieurs minutes. Voire plusieurs heures. Son interlocuteur étant principalement elle. Au moment où elle s'apprêtait à reposer son téléphone d'un air défait, la porte de sa chambre s'ouvrit. L'écran du téléphone de Tim éclairait faiblement son expression amusée. Il referma derrière lui et resta devant, ou bien il s'appuyait contre, elle ne sut le dire. Et il tapa. Son téléphone se mit à vibrer dans sa main. Sérieusement ?

Plus maintenant :)

Il éteignit son écran et la chambre entière plongea à nouveau dans l'obscurité. Elle se redressa, alerte.

— Tu es où ?

— J'avais prévu de m'avancer en mode mystérieux, l'entendit-elle parler dans la masse sombre, mais en fait je ne vois rien. Je vais me ramasser, ça va être monumental.

— Allume la lumière de ton téléphone, lui conseilla-t-elle en ravalant son rire. Mais pas vers m...

Trop tard. Un flash l'aveugla. Elle porta une main face à elle, mais des points noirs apparaissaient déjà et obstruaient sa vue. Il écarta la lampe aussitôt, l'abaissant jusqu'au sol.

— Désolé.

Elle l'entendit étouffer un rire. Il aurait mérité qu'elle le renvoie dans sa chambre. Cependant, sa mauvaise humeur s'estompa à l'instant où il se glissa sous ses propres draps, la lumière levée vers le plafond.

— Attends, fit-elle, je vais allumer la lampe de chevet.

— Tu ne pouvais pas l'allumer avant ?

Une lueur orangée se diffusa entre les larges murs tapissés.

— Ça n'aurait pas été drôle sinon.

— C'est toi qui va finir aveugle, pas moi.

Elle se tourna dans sa direction mais posa ses mains partout autour d'elle, plongeant son regard dans un vide cosmique imaginaire.

— Oh mon dieu, je ne vois plus rien ! s'écria-t-elle d'un air paniqué.

— Je suis là, prononça-t-il avec un calme olympique.

— Où ça ?

Elle leva ses yeux, les descendit jusqu'à apercevoir ses jambes repliées, sur la droite, la gauche, partout où il n'était pas. Puis le mouvement fut très rapide. Furtif. Elle n'eut pas le temps de laisser échapper une autre exclamation qu'il enveloppait son visage de ses mains et l'embrassait. Il la caressa doucement avec sa langue, avant de s'introduire en elle de manière impulsive. La fièvre qu'il lui glissa entre les lèvres la rendit démente. Elle n'avait jamais autant voulu faire partie de l'âme d'un autre. Devenir sa raison de vivre, d'exister, de respirer. Se fondre entièrement en lui et se perdre. Leur baiser eut ce goût de désespoir qu'avaient les promesses impossibles à tenir. Elle le poussa jusqu'à ce qu'il repose son crâne contre l'oreiller. Il avait initié la danse, mais c'était elle qui la menait véritablement.

Son tee-shirt se souleva. Il effleura sa taille, dessina ses courbes. Puis il monta discrètement vers sa poitrine. Ses mains laissèrent derrière elles des filaments ardents. Sa peau crépita. Son corps se réveillait peu à peu, comme sortant d'une transe dont elle n'avait jamais eu conscience.

— Louise, murmura-t-il contre sa bouche.

Elle ouvrit les yeux. Il s'était invité dans son regard et la possédait. Toute entière. Physiquement, elle se trouvait au-dessus de lui ; mais au fond, c'était lui qui décidait de chacune de ses inspirations. S'il partait et l'abandonnait, elle mourrait. Coupée de la vie qu'il lui insufflait.

— Je te vois maintenant.

Il sourit.

— Dans l'Odyssée, dit-il avec cet éclat éternel dans les yeux, quand Télémaque rend visite à Ménélas et Hélène, il se met à pleurer quand il entend les récits de son père absent. Alors Hélène jette une potion dans un cratère. Une potion pour empêcher quiconque de pleurer, peu importe s'il avait vu trépasser devant ses yeux son frère, son fils ou son père. J'ai toujours voulu d'une potion ainsi.

— Cette potion n'existe pas.

Il se redressa suffisamment pour toucher à nouveau ses lèvres ; pour l'embrasser avec plus de fermeté. Elle y répondit avec une force similaire. Puis il rompit leur échange et se laissa retomber sur l'oreiller, le souffle entrecoupé.

— Si. Je l'ai devant moi.

C'était si niais. Mais le sentiment qu'il propageait en elle valait amplement cette niaiserie apparente.

— Je n'ai jamais lu l'Odyssée.

— J'aime son histoire. L'Iliade est le poème de la force, de la guerre. Il est sombre, complexe. Mais l'Odyssée, c'est le poème du retour. Et j'ai envie d'un retour, moi aussi. J'ai envie de rentrer sur une Ithaque paisible et calme. J'en ai marre de lutter.

Elle colla son front au sien. Sa respiration se cogna contre sa lèvre supérieure, mais il su résister à un nouveau baiser. Ils restèrent juste là, immobiles sur un lit défait, enveloppés d'une douce lumière orangée.

— On retournera à Ithaque ensemble, souffla-t-elle.

Il s'accrocha à sa promesse et renouvela leur baiser. Puis le baiser se transforma en fusion. Leur corps brûlèrent. Leur esprit se vidèrent et il ne resta que cet instinct animal de posséder l'autre, non plus par le regard, mais par le physique. Le peu de tissus qui les recouvraient tombèrent au sol. Aucun des deux n'arrêta l'autre ; lancés dans leur fièvre amoureuse, ils s'étaient élevés dans les cieux pour se retrouver pleinement et rien ni personne, pas même leurs inquiétudes, ne furent capables de les redescendre. Rapidement, elle se retrouva sur le dos. Il maniait son corps comme s'il l'avait appris par cœur auparavant, et que cette nuit-là n'était qu'un exercice pour confirmer sa connaissance. Il l'embrassa. Son cou. Son épaule. Sa poitrine. Son ventre. Ses mains glissaient sur sa peau, nées pour la toucher et la façonner. Avant même qu'il n'introduisit son corps, il avait introduit son âme. Il y mettait feu. Son être entier s'embrasait sous ses caresses. Il entrouvrit ses jambes et s'y plaça, complétant le vide qui l'habitait, ne faisant qu'un avec elle. Mais elle ne le voulait pas contre. Elle le voulait en elle. Ses baisers se firent plus véhéments. Suppliant. Promettant. A toi, pour toujours.

Puis la braise se transforma en incendie.

Tout explosa.

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