21. William

Les barreaux de fer coulissèrent dans un grincement strident. Mme Alméras se tenait de l'autre côté, les mains jointes face à elle et l'expression trahissant sa grande satisfaction. Le gendarme lui fit signe de sortir. William récupéra sa veste et rejoignit son avocate côté couloir. Il avait cru un instant qu'il resterait croupir dans cette cellule pour le restant de sa vie. Une avocate était alors apparue de nul part, prétendant être la sienne, et une demi-journée plus tard, on le libérait. Cette même femme qu'il avait acceuilli à l'aéroport de New York et qu'il avait traité mentalement de conne parce qu'elle n'avait fait aucun effort pour converser.

— Comment allez-vous ? s'enquit-elle.

— Fatigué.

Il n'avait pratiquement pas dormi. Elle hocha la tête comme si elle comprenait.

— Quelqu'un de votre famille vous attend à l'extérieur.

— Quelqu'un de ma famille ?

Il n'avait plus de famille, songea-t-il en premier lieu. Puis il sut. La seule personne qui lui restait de son sang en ce monde. Ne l'avait-elle pas abandonné depuis longtemps ?

— Je dois m'en aller, mais j'insiste sur ma disponibilité. N'hésitez pas à m'appeler s'il se passe quoi que ce soit. Je serai présente le jour du procès. Mais ne vous préoccupez de rien, je contrôle tout, compris ?

— Très bien. Comment je rentre ?

— Les Voseire ont envoyé leur chauffeur. Lui aussi vous attend à l'extérieur.

Alexandre. Il réprima un sourire.

— Merci.

Elle tendit sa main. Il la serra, exerçant une petite pression en guise de reconnaissance. Elle n'avait pas voulu dire qui la payait pour le défendre, mais la réponse restait évidente. Alméras était l'avocate des Voseire, une bête féroce dans le monde judiciaire, en parfaite capacité d'endosser toutes les peines qu'aurait pu prendre Voseire en plusieurs années. Alexandre avait dû convaincre son père de le prendre comme client. Elle aurait pu refuser ; mais elle était là, à défendre un pauvre perdu du monde contre des affaires de stupéfiant.

— Un plaisir.

Ils marchèrent ensemble jusqu'à la sortie. De là, elle partit d'un côté. Il prit du temps pour avaler une grande goulée d'air frais. Peu de personnes réalisaient la chance qu'elles avaient d'être libres avant de se retrouver enfermer derrière des barreaux. Lui le premier. Mais à présent qu'il avait connu la sensation des menottes froides contre sa peau, il verrait de manière différente la nature, ses paysages et toutes les possibilités d'action qu'elle offrait.

— Tu n'as pas passé assez de temps dans cette brigade que tu restes encore devant ?

La voix émanait de sa gauche. Il aperçut une femme enceinte, ses cheveux courts se soulevant sous les légères bourrasques de vent. Soudain, sa poitrine prit feu. Il descendit les trois marches d'escalier et plissa les yeux, comme pour s'assurer qu'il s'agissait bien d'elle. Aussi magnifique qu'auparavant, même avec des joues un peu plus rondes. Chloé.

— Qu'est-ce que tu fais là ?

— Je ne voulais pas manquer ta première garde à vue.

Elle écarta en grand ses bras et l'accueillit contre elle dès qu'elle put. Son parfum de roses fraîches. Ses enlacements jamais trop vigoureux ni trop légers. Sa sœur, celle qui aurait pu baisser les bras et l'oublier mais qui avait lutté jusqu'à son dernier souffle pour rendre sa vie mieux que ce qu'elle n'était censée être. Son ventre rond semblait vouloir s'imposer entre eux. Aussi s'écarta-t-il pour le contempler.

— Prévu pour quand ?

— Dans trois semaines, annonça-t-elle fièrement. C'est une petite fille.

A peine quelques heures auparavant, il s'imaginait passer sa vie incarcéré, et maintenant, il se voyait déjà prendre entre ses bras sa future nièce.

— Et si on allait s'asseoir pour parler un peu ? proposa-t-elle.

Sa main s'était réfugiée dans le bas de son dos. Elle tentait de dissimuler son mal être, mais ce fut vain.

— Bien sûr.

Ils s'assirent sur le banc le plus proche. La brigade se dressait face à eux. Un gendarme passa les portes sans leur jeter un seul regard. Un oiseau se posa sur le toit et se mit à gazouiller gaiement.

— Tu as appris ce qui était arrivé à Liam ?

— Oui. Ils m'ont dit.

Liam ne goûterait plus jamais à l'air libre. Quant à son fils, on l'avait placé en hôpital pour cause d'une maladie que les gendarmes ne purent nommer. Il ne sut vraiment quoi ressentir face à ces nouvelles. S'il était inquiet ou soulagé. S'il se préoccupait du sort de son cousin, ou s'il voulait juste tracer une croix sur cette histoire et aller de l'avant.

— Tu sais, il a fait en sorte d'effacer toutes les traces de mon implication dans le trafic, jugea-t-il utile de l'informer.

Elle plongea son regard dans le vide face à elle, une main gracieusement posée sur la courbe de son ventre.

— Tu étais impliqué ?

Sa gorge s'assécha. Elle avait su pour sa consommation. Pas pour son rôle dans le trafic.

— Il avait promis de protéger Emma en échange de mon aide. J'ai choisi Emma.

— Je suis désolée pour elle. Elle ne méritait pas une telle chose.

Pour éviter ce sujet de conversation, il revint à sa question.

— Un des hommes à qui j'avais vendu de la came a affirmé m'avoir identifié. Ça a été le seul. Mon avocate m'a assuré que ce n'était pas assez pour me condamner à de la prison ferme.

— Tu vas avoir du sursis tu crois ?

— Oui. Sûrement.

Une portière de la Rolls Royce noire garée à quelques mètres s'ouvrit. Le chauffeur lui fit un signe de la main avant de s'appuyer sur la carrosserie, le téléphone en main.

— Et est-ce que...

Elle fut dans l'impossibilité de finir sa phrase. Pas que ce soit nécessaire.

— Oui, j'ai arrêté la drogue. Je suis encore en phase de sevrage mais c'est bientôt la fin.

La nouvelle parut la réconforter. Il la vit même ébaucher un petit sourire. Il y avait de quoi. Elle s'était tellement battue pour le débarrasser de la drogue. Même si auparavant, il l'avait insulté pour cela, aujourd'hui il lui en était reconnaissant.

— Il ne pourra plus te faire de mal, souffla-t-elle. Ni à toi ni à personne.

Il s'appuya sur ses genoux et fit craquer ses doigts un à un, incertain de ce qu'il devait répondre.

— Tu sais... avec le recul, je me dis que ce n'est pas vraiment lui qui m'a fait du mal. C'est plutôt moi qui voulait m'en faire.

Elle ferma les yeux. Cette vérité la blessait. Elle aurait préféré qu'il culpabilise Liam de tous ses malheurs plutôt qui admette une telle chose. Mais ce n'aurait pas été juste. Ni pour Liam, ni pour lui.

— Peu importe ce qui s'est passé. C'est fini maintenant.

— Ouais. C'est fini.

Le grand soleil qui se déployait au-dessus de leur tête semblait affirmer la même chose. Sa tragédie s'arrêtait là. Aujourd'hui, il devait aider ses amis à sortir de la leur. Duvois n'était pas encore mort. Il rôdait. La différence résidait dans le fait qu'il pouvait agir consciemment et les protéger du mieux qu'il pouvait.

— Je pense que je vais y aller, annonça-t-elle.

Il aurait aimé qu'elle reste un peu plus longtemps. Plusieurs heures. Plusieurs jours. Il avait besoin d'elle. Seulement, elle avait sa propre vie. Et il devait accepter le fait qu'il n'en était plus le centre. Il la serra étroitement contre elle, profitant de ces dernières secondes. Lui dire au revoir n'avait jamais été aussi difficile. Enfin, il l'embrassa sur le front.

— Merci.

— Merci pour quoi ? s'étonna-t-elle.

— Pour tout. Absolument tout.

Elle comprit où il voulait en venir.

— Tu es mon petit-frère. C'était mon devoir de prendre soin de toi.

Son demi-frère. Elle ne mentionnait jamais cette réalité-là.

— Papa serait fier de nous voir ensemble, reprit-elle.

Puis elle s'en alla. Ce mot résonna plusieurs fois sous son crâne. Papa. Depuis combien de temps n'avait-il pas entendu ce mot ? Depuis quand n'avait-il pas pensé à lui ? Il se retourna pour la voir s'engouffrer dans sa voiture. Celle-ci démarra. Ce fut quand elle tourna qu'il l'aperçut, derrière le pare-brise. Elle séchait ses joues. Elle souriait aussi. Inconsciente qu'il l'observait, elle continua de frotter ses yeux jusqu'à ce que la voiture s'engage sur la route et qu'il fut incapable de la voir. Il inspira profondément. Ceci n'était pas la fin. Cet au revoir n'en était pas un. C'était le début d'une nouvelle vie. Une vie dans laquelle au lieu de cracher sur ceux qui l'aidaient, il leur en serait reconnaissant. Une vie qu'il passerait à réparer ses erreurs. Il était prêt.

— Monsieur ?

Le chauffeur attendait.

— J'arrive.

Arrivé chez les Voseire, il sonna. La porte s'ouvrit aussitôt sur la personne qu'il attendait le plus. Une vague de soulagement déferla sur Alexandre. Il se jeta immédiatement autour de son cou. Son élan le percuta mais il tint bon. Erwin et Lucas apparurent tous deux derrière lui, échangeant un sourire des plus sincères. Alexandre l'étreignit une dernière fois avant d'accepter de le lâcher. Lui aussi était resté malgré toutes les difficultés qu'il lui avait imposées. Pourtant, c'était la dernière chose qu'il méritait.

— Ma tristesse a été consolée, dit Lucas.

Il s'apprêtait à lui demander d'où il sortait une phrase si romanesque quand il se souvint de cette scène mélodramatique qu'ils avaient imaginée à New York.

— J'avais dit que je reviendrai.

Lucas étouffa un rire qui s'approchait quelque peu de l'épatement.

— Madden ! appela Erwin.

Il se souvint de ses pleurs lorsque la gendarmerie l'avait emporté. Ça lui avait brisé le cœur. Elle arriva calmement, ne cachant aucunement sa joie. Il fit face à une femme droite et fière ; une femme qu'il avait cru voir mourir à petit feux mais qui renaissait de ses cendres aujourd'hui.

— Je l'ai peut-être déjà dit, fit-elle avec un véritable orgueil dans le regard, mais je te le répète. Bienvenu chez toi.

Elle ne parlait pas du lieu. Elle parlait d'eux. Ses amis. Sa famille.

— Merci.

Ce mot était bien faible pour exprimer toute la gratitude qu'il ressentait. Il se tourna vers Alexandre.

— C'est toi qui a convaincu ton père pour mon avocate ?

— C'est lui qui a proposé.

Il n'aurait jamais suspecté un tel geste de la part d'Olivier Voseire.

— Où est-il ? J'aimerais le remercier.

— Dans la véranda.

Il partit le trouver. Olivier était assis sur le sofa aux côtés de Diane, sa femme. Les deux étaient plongés dans une conversation complice lorsqu'il annonça son arrivée. Olivier, n'exprimant ni surprise ni joie, lui fit signe de s'asseoir en face. Diane se contenta de lui sourire. C'était d'elle qu'Alexandre avait hérité ses traits si fins. Leur ressemblance ne trompait pas.

— Merci pour mon avocate, commença-t-il.

Olivier avait un bras posé le long du dossier, un autre tendu vers une petite table en verre qui portait un verre de vin blanc. Son expression demeura illisible. Personne ne savait vraiment les effets qu'avaient les mots sur lui. Il ne les ressentait pas ou il ne les montrait pas ; dans les deux cas, son impassibilité était souvent crainte.

— Ce n'est pas pour toi que j'ai fait ça.

— Je sais.

Olivier arracherait la lune du ciel si cela pouvait contenter son fils unique.

— Je n'ai jamais compris ce qu'il pouvait admirer en toi, honnêtement. Même après que tu lui aies brisé le cœur, il a continué à te suivre. Je ne l'en ai pas empêché. J'aurais pu.

William fut incertain de la réponse qu'il devait lui fournir. Devait-il le remercier pour cela ? Olivier continua avant même d'avoir le temps d'ouvrir la bouche.

— J'ai confiance en son jugement. Cependant, je vais tout de même te donner le mien. Je trouve aberrant de ta part de revenir sur lui seulement après la mort d'Emma. Ça prouve que tu ne le considères que comme une deuxième option, alors qu'il mérite d'être bien plus que ça.

— Je n'ai jamais prétendu me remettre avec lui après être sorti avec Emma. Et jusqu'à preuve du contraire, nous ne sommes pas ensemble à l'heure qu'il est.

— Ce n'est qu'une question de temps, parla Diane. Il t'aime. Il t'a toujours aimé.

Et il l'avait aimé en retour. Plus qu'ils ne se l'imaginaient.

— Même si je voulais sortir avec lui à nouveau, je ne pourrai pas.

— Au moins une chose sur laquelle nous sommes d'accord, affirma Olivier.

— Pas moi.

Alexandre avait l'épaule appuyé contre la cloison, les mains à demi enfoncées dans les poches de son jean. Depuis combien de temps il écoutait la conversation, William n'en eut aucune idée. L'extrême confiance de son père s'effaça. Il attrapa son verre à pied pour occuper ses doigts nerveux.

— Alex, tu ne peux pas sortir avec quelqu'un qui t'a traité aussi...

— Ce n'est pas à toi d'en décider.

L'air doux que lui voua Diane parut caresser ses joues. Alexandre n'en fut pas insensible, mais il ne changea pas de position pour autant.

— Est-ce que tu lui as dit ? Pour Paris ?

— Ce n'est pas le moment.

— Pourquoi Paris ? interrogea William.

Il poussa un long soupir.

— Je pars à Paris l'année prochaine. Après le dernier concert que j'ai donné, le Conservatoire National a accepté ma candidature.

L'expression de Diane brillait d'un éclat supérieur. Son mari maîtrisait les déclarations directes, mais elle, c'était les sous-entendus qu'elle contrôlait le mieux. Alexandre s'en irait et le laisserait seul. Il n'y aurait aucun avenir pour eux deux.

— Mais ça ne change rien, reprit Alexandre.

— Non, t'as raison. Ça ne change rien.

Et puis, il l'avait dit lui-même : il ne pouvait pas ressortir avec lui. Ce ne serait pas correct. Il le dépassa et s'enfonça à l'intérieur de la villa. Entre les ombres que projetaient les statues de marbre, il s'éparpilla dans ses pensées. Il songea aux soirées où le sevrage lui donnait des sueurs froides et qu'Alex restait assis à l'autre bout de la chambre, le vigilant attentivement. A ces silences qu'ils avaient partagé à Briarcliff Manor, par faute de vérités à s'avouer. Cette envie toujours plus pressante de demander sa présence. Alex possédait une stabilité nécessaire pour William. Il était la promesse d'une vie plus calme et réfléchie. Juste parce qu'il avait besoin de lui ne le mettait pas en droit de l'empêcher de partir.

— William ?

Il l'avait suivi. William s'arrêta en face d'une grande toile, dont les coups de pinceaux formaient la cité d'Avignon d'il y avait deux siècles. Un rayon de lumière s'infiltrait entre deux pans de rideaux rouges et glissait au sol jusqu'aux pieds d'Alex.

— Tu as visité Paris avant ?

— Non.

Chloé n'avait jamais eu les moyens pour l'emmener en vacances.

— Ce sera l'occasion.

Il aurait pu considérer ses propos comme une blague s'il n'assistait pas à l'air sérieux qu'avait pris ses traits.

— Je ne peux pas te suivre.

Pas après ce qu'il avait fait. Qu'ils passent leur journée ensemble, très bien. Que leur lien se fortifie jusqu'à atteindre une amitié absolue, parfaite. Mais ça devait s'arrêter là. Alexandre adopta une expression presque amusée.

— Il y aura largement la place dans l'appartement pour deux personnes.

— Ce n'est pas ça le problème, c'est...

Comment expliquer ?

— Il y aura deux chambres séparées.

L'expiration qu'il lâcha s'apparenta à du soulagement. Alexandre baissa le regard. Le rayon glissant au sol accapara l'attention de ses yeux, mais son esprit se trouvait autre part.

— On a toute une vie pour décider de ce que l'on veut faire ensemble.

Ce n'était pas la timidité qui l'empêchait de prononcer cette phrase le menton relevé. C'était l'appréhension du lendemain. L'incertitude de ce qui les attendait. Il leur restait peut-être des décennies à vivre. Ou seulement quelques semaines. Quelques jours. La mort n'avait jamais attendu que deux jeunes personnes planifient leur avenir pour s'empêcher d'agir.

Si Duvois projetait de les tuer, de la manière qui soit, il le ferait. Et leur départ pour Paris rejoindrait tous ces vieux rêves que des milliers d'âmes avaient un jour prononcés et qui flottaient dans les cieux depuis des siècles, sans jamais avoir eu la chance d'être réalisés.

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