15. Louise
Thimothé s'était mis à transpirer mais il ne s'arrêtait pas. Louise l'imitait en souriant, heureuse de le voir heureux, tout simplement. Ses yeux se remplirent d'allégresse quand il croisa son regard. Et il ne décrocha pas. Il dansait en la contemplant, elle dansait en rigolant. Il y eut soudain une musique dont ils connaissaient les paroles, alors ils se mirent à chanter en hurlant, leurs voix se mêlant à celles de centaines d'autres. Dans cette masse de corps et de sueur, ils n'étaient plus rien. Disparus dans l'euphorie, invisibles entre les fous de la vie. Plus personne ne pouvaient les menacer de quoi que ce soit. En ce moment même, rien ne pouvait leur arracher la vie, ces âmes si jeunes qu'elles méconaissaient le visage de la mort. Ils ne virent autour d'eux qu'une promesse, celle d'un monde où tout était possible, même l'inimaginable.
Sa gorge brûlait à force d'hurler. Elle n'entendait même pas sa propre voix. Transportée dans la masse humaine, elle avait l'impression de s'élever au-dessus du sol. Les cheveux de Thimothé volaient dans tous les sens, rythmés par les basses sourdes des enceintes. Ils riaient ensemble. Ils chantaient ensemble. Ils étaient heureux ensemble.
Louise n'avait besoin de rien d'autre pour se satisfaire de la vie.
Une demi-heure plus tard, ils rejoignirent leur salle privée, à moitié dégoulinant de sueur. Thimothé plaqua ses cheveux humides sur son crâne, dévoilant entièrement ses traits élégants. Elle l'observa pendant quelques secondes mais détourna immédiatement la tête.
- Je ne suis jamais sorti en boîte jusqu'à maintenant, mais j'ai eu tort, déclara-t-il sans parvenir à cacher sa joie.
- Tu as aimé parce que j'étais là, affirma-t-elle en balayant ses cheveux derrière son épaule.
- Mais oui, bien sûr, pouffa-t-il.
Dans l'encadrement de l'entrée privée, ils s'engagèrent ensemble sans le vouloir. Leurs mains se cognèrent entre elles. Elle recula d'un bond, son cœur battant à un rythme exagéré. Ce devait être le rythme effréné de la soirée.
- Passe.
Mais il ignora son ordre et désigna d'une main l'intérieur.
- Après toi.
Un sourire narquois retroussa ses lèvres.
- Quel gentleman.
- Toujours.
Ils retrouvèrent à l'intérieur Madden et Raven, cette dernière en train de pianoter sur son téléphone. Madden portait un verre de champagne dans sa main, l'air las. Face à elle se trouvaient des anciens amis à eux, Taylor et Adam. Louise les connaissait depuis longtemps. Combien de fois les avait-elle accompagné, eux et sa sœur, pour leurs escapades de gamins. C'était à une époque déjà révolue, mais elle s'en souvenait comme si c'était hier.
- Des roses ? demanda Raven en levant le menton vers Madden.
- Non, pas des roses, refuta sa sœur. C'est niais.
Louise s'installa sur le canapé, juste à côté de Taylor. Celui-ci échangea quelques mots avec Adam puis lui adressa un sourire.
- Les fêtes américaines t'ont manqué ? demanda-t-il en anglais.
- Elles n'arrivent pas à la cheville des fêtes françaises.
Il éclata de rire. Madden la foudroya du regard, avec un air de "tu n'as pas intérêt de les draguer".
- Quelles fleurs alors ? soupira Raven qui semblait s'appitoyer sur son sort.
- Attends, vous êtes en train d'organiser le mariage ou je rêve ?
Madden avala une gorgée de champagne dans un silence tranchant. Seigneur. Elle comprenait que la mort d'Emma puisse la déprimer, mais il était urgent qu'elle retrouve sa bonne humeur.
- C'est le seul moment où elle a accepté de collaborer, expliqua Raven. C'était soit ça, soit je finissais par enfoncer la porte de sa chambre.
- J'aurais pas hésité à choisir la deuxième option, avoua-t-elle en haussant les épaules.
- Oui, on sait tous combien tu aimes faire du bruit, s'amusa Thimothé.
Elle faillit crier scandale mais se contenta d'ouvrir en grand la bouche, choquée qu'il ait osé dire une chose pareil. Il ravala son rire. Mieux valait pour lui.
- Hey, l'interpela Taylor. Vous parlez de quoi ?
Il ne comprenait pas le français, c'était légitime. Elle lui raconta dans les grandes lignes la conversation. Visiblement, Madden lui avait déjà annoncé son futur mariage, parce qu'il n'eut pas l'air surpris quand elle prononça le mot "mariage".
- Et toi ? finit-il par demander.
- Quoi moi ?
- Tu ne vas pas te marier ?
- T'es sérieux là ?
Adam se mit à rire mais Taylor continua simplement de la regarder, droit dans les yeux, un air moqueur s'agitant dans ses pupilles. Il désigna du menton Thimothé.
- C'est juste un ami.
- Ah. Juste un ami.
Que s'imaginait-il, qu'ils sortaient ensemble ? Il s'adossa de nouveau contre le dossier du canapé, l'air satisfait. À ce moment-là, Erwin et Lucas firent leur entrée, des boissons dans les mains. La joue de ce-dernier paraissait teintée de violet, légèrement gonflée. Il s'était rendu à l'hôpital récemment. En vue des continuels vertiges et de ses maux de tête, en plus d'une joue endolorie, Erwin avait voulu s'assurer qu'il ne souffre de rien de grave. Il se sentait tellement responsable que quand le médecin lui avait annoncé qu'il n'y avait rien d'anormal, il n'y avait pas cru et avait demandé à le faire voir une deuxième fois. Louise trouvait cela mignon. Outre le fait que ce soit lui qui l'ait frappé, bien entendu.
- De la vodka, des bières, du Coca, annonça Lucas en posant le tout sur la table.
- Du Coca ? Pour qui ? s'étonna-t-elle.
Adam s'empara du seul verre de la boisson gazeuse.
- Moi. Je reconduis Taylor ce soir.
- Et pour toi aussi, annonça Lucas en s'adressant à elle.
Elle lui fit deux doigts d'honneur, auxquels il répondit par un clin d'œil.
- On a rien pris pour toi, indiqua Erwin en prenant place aux côtés de Madden. On ne savait pas ce que tu voulais.
- Quelles fleurs tu veux ? répéta pour la énième fois Raven, son regard noir d'agacement.
Madden leva les yeux au ciel.
- Des marguerites, dit-elle au hasard.
Raven sembla vouloir l'assassiner. Lucas tendit un verre de bière à Thimothé, son attention cependant dirigée vers sa petite-amie.
- Bébé, laisse tomber, au pire on lui mettra des chrysanthèmes.
- Même pas en rêve, grogna Erwin.
Louise regarda tour à tour Lucas et Thimothé, le détail ne lui ayant en rien échappé malgré la conversation.
- Donc tu n'as rien pris pour moi parce que tu ne savais pas ce que je voulais, mais à Thimothé si, alors qu'il était avec moi ?
- Parce que je le lui ai demandé avant de partir, expliqua ce-dernier en retenant son sourire.
Elle le haïssait. Comme si, en demandant une boisson pour lui, il ne pouvait pas devancer son choix à sa place. Il connaissait déjà ses goûts. Il aurait dit "vodka" sans hésiter parce que c'était ce qu'elle buvait tout le temps, mais non, trop difficile. Elle soupira et se leva.
- Faut toujours faire les choses soi-même ici, râla-t-elle.
- Je t'accompagne si tu veux, proposa Taylor en s'étant déjà mis sur pied.
Elle n'eut pas le temps de dire "ne t'en fais pas" qu'il avait déjà atteint la sortie. Super. Pourquoi avait-il ajouté un "si tu veux" si c'était pour imposer son propre choix ?
Elle le rejoignit dans la salle principale. Il marchait vers le comptoir du bar, mais d'un pas si rapide qu'elle dut courir pour le rattraper. Il était beaucoup plus grand qu'elle, les muscles de ses bras saillant comme s'ils allaient exploser. Néanmoins, sa carrure restait gracieuse. Sa peau paraissait juste sèche, laissant apercevoir les veines de ses bras.
Un des tabourets était libre. Elle l'occupa et s'accouda sur le marbre du bar. Taylor resta debout, un seul coude appuyé sur la surface, l'autre main portant son verre de vodka. Il appela le barman pour prendre sa commande, puis ils attendirent l'arrivée de son verre.
- Tu as changé depuis la dernière fois qu'on s'est vus, fit-il remarquer.
- J'avais seize ans. Heureusement que j'ai changé entre-temps.
- Tu vois, j'ai toujours dis à Adam que tu ferais une magnifique femme. Je ne me suis pas trompé.
- Ah ouais ?
Elle coinça une mèche de cheveux derrière son oreille, puis détourna aussitôt le regard. Il draguait. Elle savait Adam gay, mais pas lui. Ça se voyait rien qu'à son regard dévoreur.
- Tu restes ici combien de temps ?
Elle haussa les épaules.
- J'en sais rien. J'espère jusqu'à la fin de l'été.
Même si sa sœur décidait de rentrer avant, elle voulait rester ici un peu plus longtemps. Profiter de cette gigantesque maison et reconnecter avec la culture américaine. Même si elle n'était pas née ici, c'était une partie d'elle, un héritage de son père dont elle avait toujours été fière.
- Cool. On aura le temps de se voir un peu plus.
Fantastique. Elle remercia le barman quand son verre arriva. Avant même qu'elle n'ait pu retirer les billets de la coque de ton téléphone, Taylor la devança et présenta les dollars.
- Je t'invite.
- Merci.
Elle voyait clair dans son jeu. L'opportunité de le faire remarquer par une blague stupide lui traversa l'esprit, mais elle abandonna l'idée. Peut-être qu'au fond d'elle, elle avait envie de remplir son rôle. Occuper la barque qu'il lui présentait et se laisser mener au large. Sa présence lui résultait confortable, ses mots sonnaient justes, alors pourquoi pas ? Elle s'arrêta sur les détails de son visage, ses mèches brunes coiffées en arrière et les côtés de son crâne rasés. Il avait de beaux yeux verts, elle devait l'admettre. C'était ce qui le différenciait de loin des autres.
- Tu fais quoi maintenant ? questionna-t-elle, assez curieuse de connaître son parcours.
- J'étudie à Princeton, mais je travaille aussi comme mannequin.
- Oh, vraiment ?
Il avait la carrure parfaite pour ça. Un corps sec mais assez musclé à la fois, un équilibre harmonieux embelli par sa peau lisse et blanche. Et puis il avait ce typique regard supérieur qu'ont tous les mannequins, un "je suis plus beau et plus important que toi" luisant dans ses yeux. Pas que cela la dérangeait, elle s'en amusait juste.
- Et toi ?
- Je finis mon année de Terminale et j'étudierai à Memphis.
- Je pensais que tu étais déjà rentrée en université.
- J'ai redoublé mon année de sixième.
Il réhaussa un sourcil.
- Trop dissipée, expliqua-t-elle simplement. Disons que mes amis du collège n'étaient pas une très bonne influence.
Elle avait quand même continué de traîner avec eux malgré leurs séparations. Elle avait appris à rire et se moquer de la vie avec eux. Ils avaient commis des folies, tout bons pour se tuer au mauvais faux pas. Des 300km/h sur la route, à minuit, avec un des frères bourrés de sa meilleure amie au volant. Des sauts de deux mètres dans une piscine, avec le toit de la maison comme trampoline. Elle n'avait jamais autant frôlé la mort de sa vie. Et pourtant, ces années-là restaient gravées comme étant les meilleures de son existence.
Au lycée, ils étaient tous partis à des endroits différents. Ils avaient promis de rester en contact, mais leur amitié n'avait pas autant de sens sans des paris fous et des soirées endiablées. Ils étaient le genre d'amis à vivre, pas à parler.
Au moins, elle avait pu se redresser académiquement et devenir une des meilleures de sa promotion.
- Memphis, répéta-t-il en prenant une gorgée de Vodka. L'école maudite.
- Comment tu sais ça ?
- Madden m'a raconté.
- Vous parlez souvent ?
Elle n'avait jamais mentionné une quelconque conversation avec Taylor ou Adam, mais après tout, sa sœur aimait garder sa vie secrète.
- Des messages de temps en temps. Nos conversations se sont intensifiées juste après le suicide de leur amie, Lola, Lily, un truc avec un L je crois.
- Leila.
- Ouais, voilà. Elle était séparée d'Erwin donc elle s'est rabattue sur moi, même si ça restait virtuel.
- Elle n'est pas le genre à partager ses sentiments pourtant.
- Non, elle n'a jamais exprimé clairement ce qu'elle ressentait. Mais je suppose que nos conversations lui faisaient penser à autre chose.
Elle se demanda si Erwin était au courant. Taylor se trouvait ici aujourd'hui, cela voulait dire que même après la réconciliation de son couple, Madden avait continué à lui parler. Quoique Taylor n'avait jamais fait d'avances à sa sœur. Mais à elle... c'était une autre histoire, visiblement.
- Tu fréquentes quelqu'un ? reprit-il.
Qu'est-ce qu'elle disait ?
- Non.
- Et t'aimerais ?
Elle faillit s'étouffer avec sa propre salive. Heureusement, la vodka dissimula son agonie.
- Sans plus. Je tiens à mon indépendance, fit-elle après avoir reposé son verre.
- T'as raison. Mieux vaut profiter d'être libre tant qu'on le peut.
Puis il dessina le genre de sourire bien trop grand pour être innocent. Elle savait ce qu'il s'apprêtait à dire. C'était la réplique typique pour...
- Mais il n'y a pas besoin d'être en couple pour profiter de certaines nuits.
Et voilà. On la lui avait déjà faite, à plusieurs reprises de plus. Certains arrivaient à être plus originaux. Elle leur répondait à tous de la même manière : un doigt d'honneur et un "au revoir". Mais elle ne sut si c'était l'alcool, l'ambiance de la boîte de nuit ou simplement lui, elle ne fit ni l'un ni l'autre. Elle avala juste une autre gorgée de Vodka, comme si boire allait tout arranger.
- Certes.
Elle se traita de folle intérieurement, mais ne laissa rien paraître. Elle avait envie d'aventure ce soir. Et il n'était pas non plus le genre d'inconnu à l'aborder juste parce qu'il la trouvait sexy. Elle le connaissait. Madden avait confiance en lui. Et sa présence lui était agréable. Elle n'avait donc aucune crainte à ce sujet.
Il pencha sa tête sur le côté.
- Tu le penses aussi ?
- J'en sais rien. Je...
Les mots s'étranglèrent dans sa gorge.
- Quoi ?
Elle avala une grande gorgée, laissa l'alcool brûler son œsophage. Son regard creusait en elle, en quête de la réponse qu'elle n'arrivait pas à donner.
- Tu quoi ? insista-t-il.
- Je ne l'ai jamais fait.
Elle se prépara à le voir rire, ou porter cet air moqueur qui lui allait si bien. Mais son visage resta impassible. Ce fut à son tour de chercher en lui une quelconque réponse.
- Il y a un début à tout, non ?
Il n'avait pas ri. Sa déclaration ne lui faisait ni chaud ni froid, et il ne cherchait pas non plus à la fuir comme certains l'auraient fait.
- Je suppose.
Alors il tendit sa main. Vers elle. Il l'invitait à la prendre, pour ensuite la conduire dans une chambre où il lui enseignerait l'art le plus ancien de l'humanité. Elle parcourut du regard ses bras dessinés, ses yeux verts foncés, sa mâchoire carrée. Elle imaginait ses mains puissantes sur elle. Parcourant sa peau, saisissant ses membres les plus délicats. Elle en avait envie. Elle voulait tenter.
Alors elle entremêla ses doigts aux siens. Sur pieds, ils traversèrent la foule dansante ensemble, la tirant vers une direction qu'elle ignorait. Dans son esprit, plusieurs images l'assaillirent. Son baiser sur ses lèvres, dominé par une force bestiale. Ses bras entourant sa taille. Ses doigts se glissant en elle. Sa respiration s'alourdit. Ils se trouvaient toujours dans la salle de danse, à marcher en direction des escaliers.
Soudain, une figure leur bloqua le passage. Louise reconnut immédiatement le visage arrondi de Thimothé, ses grands yeux bruns la dévisageant de manière inquiète.
- Je te cherchais partout. Je pensais que vous alliez revenir dès les verres commandés.
Il ignorait Taylor de manière volontaire.
- Désolée, on est restés pour parler.
- Ok, t'inquiète. Vous venez maintenant du coup ?
Leur salle privée se trouvait de l'autre côté. Il savait qu'ils ne prévoyaient pas de retourner là-bas. Elle le supplia silencieusement de ne pas poser de question et de partir, mais il se fit passer pour l'idiot qui ne comprenait pas le silence. Taylor perdit patience.
- Nous planifions autre chose. Retourne-y sans nous.
- Ta sœur t'attends.
Ses yeux, fixés droit sur elle, ne semblaient pas lui laisser de choix. Son attitude l'agaça.
- Je te rejoindrai plus tard.
- Loui...
- Laisse-moi.
Elle avait dix-neuf ans, elle pouvait faire ses propres choix. Et il n'était personne pour l'empêcher d'expérimenter certaines choses. Juste son ami. En tant que tel, il devrait la soutenir et la laisser partir tranquillement. Taylor la tira en avant et elle dut se décaler sur le côté pour ne pas se cogner contre lui. Après l'avoir dépassé, elle n'osa pas regarder en arrière.
Elle savait quel genre de regard elle allait croiser.
Ils s'introduisirent dans une chambre libre, à l'étage. La décoration était modeste : un lit, des rideaux rouges et un tapis couleur bordeaux. Le cliquetis de la porte et l'éloignement soudain de la musique lui rappela qu'elle se trouvait à présent seule. Avec lui. Beaucoup de choses pouvaient se passer. Tellement de cho...
Il écrasa ses lèvres, glissa sa langue dans sa bouche. La force entreprise la fit reculer d'un pas. Il suivit son mouvement de manière naturelle, la poussant vers le rebord du lit. Le creux de ses genoux cognèrent le matelas. Un moment, elle hésita à tomber tragiquement sur les draps et le laisser faire le reste, mais elle voulut garder encore un peu de contrôle. Sa main appuya sur son torse tandis qu'il enroulait ses doigts autour de sa nuque. Elle ferma les yeux et se laissa porter. Ses mains. Sa respiration cognant contre sa peau. Ses grognements de plaisir. Le bas de son ventre se tordit. Son dos se courba instinctivement, en recherche désespérée d'une chose pouvant la satisfaire. Tous ces nouveaux sentiments lui donna le tournis. C'était comme plonger dans une piscine de paillettes et nager les yeux ouverts, aveuglée par les éclats de lumière qui l'inondaient.
Le tissu de son tee-shirt se releva. Elle retint sa respiration. Il touchait sa taille et remontait lentement vers sa poitrine. Puis, tout à coup, elle se retrouva face à Adrien, son regard luisant d'une lumière dangereuse. Le bruit de son tee-shirt se déchirant entre ses mains provoqua un élan de panique. La force qui la poussa en arrière. Elle échappa un cri et se débarrassa de tout contact étranger. Son dos se cogna contre le rebord d'un meuble. Taylor la dévisageait, ses mains encore en l'air. Et merde. Merde, merde, merde.
- Je... balbutia-t-elle, je suis désolée. Vraiment.
- Pour quelqu'un qui est vierge, tu as l'air d'avoir vécu certaines choses.
- Je suis vierge, je t'assure, souffla-t-elle en recouvrant sa main de sa bouche.
Elle ferma un instant les yeux pour se hurler à elle-même "pauvre idiote". Toujours à tout gâcher. Pour un tee-shirt déchiré, pour quelques minutes de panique face à Adrien, cette nuit-là où elle l'avait assommé avec une lampe parce qu'elle avait peur qu'il ne se jette sur elle pour la violer. Elle avait raconté les faits à ses amis en rigolant. Ils avaient ri aussi. Mais son corps, lui, ne paraissait pas le prendre aussi légèrement.
- Excuse-moi, répéta-t-elle.
Quand elle rouvrit les yeux, il se trouvait contre elle. Ses deux bras l'emprisonnaient de chaque côté, appuyés sur la commode. Il plongea son regard vert dans le sien.
- Je ne te ferai pas de mal.
- Je sais.
Il relâcha un bras et toucha l'intérieur de sa cuisse. Un frisson la traversa. Pas celui de la peur, mais celui du désir. Elle avait confiance en lui. Il n'était pas Adrien, il ne la forcerait à rien. Relax. Sa main s'était déjà engouffrée sous sa jupe. Soudain, il appuya sur sa partie intime. Elle hoqueta et agrippa son biceps. Seigneur. Et ce n'était que le début, n'est-ce pas ?
- Tu aimes ? murmura-t-il à son oreille.
Il connaissait la réponse. Mais elle la lui fournit tout de même.
- Oui.
- Tu veux que j'aille plus loin ?
Une chaleur singulière envahit son corps.
- Oui.
Sa réponse ne fut qu'un chuchotement, à peine perceptible. Mais il l'entendit. Et lentement, comme si les secondes s'étaient tout à coup convertis en minutes, il déplaça le tissu de sa culotte et glissa ses doigts en elle. Sa poitrine se bloqua. Une vague de plaisir remonta du bas de son ventre, jusqu'à faire éclater de petites étoiles devant ses yeux. Seigneur. Seigneur. Seigneur.
- Je continue ?
Il s'était arrêté bien rapidement, elle n'avait qu'une envie : le sentir plus profondément.
- Oui.
Mais à peine bougea-t-il à nouveau ses doigts qu'un bruit sourd résonna contre la porte. Et la voix de Madden, stridente dans son insulte anglaise, résonna entre les murs.
- Taylor ! You motherfucker !
La colère enflamma le regard de Taylor. Il retira ses doigts rapidement et remit lui-même sa jupe en place.
- Je reviens. Reste là.
Cependant, il n'eut pas l'occasion de prendre Madden à part pour l'apaiser. Elle s'invita elle-même dans la chambre aussitôt la porte ouverte. Louise se reçut le pire regard noir inimaginable mais n'esquissa aucune réaction. Sa sœur ne lui faisait pas peur.
- On s'en va, lui annonça-t-elle d'une voix sèche.
- Nous n'avions pas fini.
Elle releva le menton, déterminée à lui tenir tête. Un bref silence passa au travers de la chambre. Si Madden avait un couteau, elle l'aurait assassinée. Ou peut-être qu'elle se serait d'abord jeté sur Taylor et lui aurait réservé la deuxième place. Taylor s'avança pour se placer entre les deux sœurs.
- Si tu veux bi...
- La ferme. Mais vraiment. Tu t'éloignes d'elle et tu lui fous la paix.
- Tu te prends pour qui exactement ? s'insurgea Louise.
Mais avant qu'elle ne puisse laisser l'agacement l'envahir, Madden s'approcha assez près pour pouvoir lui toucher la joue, et remplacer sa colère par une infinie tendresse. Ce changement soudain la déconcerta.
- Il ne te touchera pas, prononça-t-elle en français. Ni lui, ni personne. Tu es trop précieuse pour ça.
Surréaliste. Elle jeta un coup d'œil vers Taylor pour une quelconque explication, mais il semblait tout aussi perdu. Et il la regardait même avec un semblant de méfiance. Madden était dans son monde. Ses yeux s'étaient remplis de larmes, comme si elle venait de la sauver d'un incendie.
- Ils finissent toujours par nous briser, tu sais, reprit-elle avec une respiration tremblante. Tous. Mais pas toi. À toi ils ne te feront rien, je m'en assurerai.
- Il ne m'a rien fait.
- Il était sur le point.
Elle n'osa pas insister. Rien ne pourrait la convaincre du contraire. Elle portait cet air de certitude qu'aucun mot ne saurait ébranler. Taylor ouvrit la bouche pour répliquer quelque chose mais l'arrivée des jumeaux l'arrêta net dans son intention. Erwin attrapa Madden par la taille et la tira en arrière. Elle se débattit de manière si faible qu'on aurait cru qu'elle avait perdu toute son énergie. Il lui murmura quelque chose à l'oreille.
- Je veux qu'elle vienne avec nous, dit-elle comme réponse, à voix haute.
- Elle va venir. Laisse-lui un peu de temps pour se remettre.
Et avant qu'elle ne puisse protester, il la tira vers la sortie. Lucas resta, regardant Taylor et Louise tour à tour. Celui-ci passa une main dans ses cheveux et poussa un long soupir. Si elle avait pu bouger, elle aurait fait la même chose. Soupirer, d'irratation et de peur. Mais ses membres étaient paralysés d'horreur. Elle n'avait jamais vu sa sœur ainsi. Elle avait eu l'horrible impression de faire face à une étrangère.
- C'est quoi ce bordel ? s'entendit-elle demander.
- On ferait mieux de partir, se contenta de répondre Lucas.
Alors elle craqua.
- Non, déclara-t-elle en avançant d'un pas. Je veux savoir ce qui se passe. J'en ai marre de vos silences, de tous vos petits secrets. Elle est ma sœur. J'ai le droit de savoir ce qui se passe.
Il secoua lentement sa tête.
- Je t'assure, tu n'as pas envie d'entendre la réponse.
- Tu crois que je ne le supporterai pas, c'est ça ? Que je suis trop fragile pour accepter la dure et cruelle vérité ? C'est vraiment ça que vous pensez de moi ?
- Non, ce n'est pas ça.
- Alors c'est quoi ? Vas-y, dis-moi !
Il se tut. Son regard la fuya. La même chose, encore et encore. Elle demandait une explication et elle ne recevait que de l'indifférence. Ça avait toujours été ainsi. Leila s'était suicidée, elle ne l'avait appris que quand ils avaient reçu l'invitation de l'enterrement. Madden et Erwin s'étaient séparés, elle ne l'avait su que des mois plus tard. Elle avait menti à Erwin. Elle n'avait pas été présente quand sa mère était partie.
Elle ne s'était rendue compte de son absence que quand elle l'avait cherchée partout dans la maison pour demander son aide sur un devoir.
Toujours en retard sur les autres. Toujours à part, repoussée par la vérité. Louise Scott, la petite ignorante.
Taylor lui jeta un dernier regard d'excuse et s'en alla. Au final, ça ne la dérangerait pas de vivre sans rien connaître du monde autour. Si seulement cela ne détruisait pas ses chances de vivre quelque chose de bien.
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