Chapitre 7 - Remise à l'ordre
La journée se passe lentement, très lentement. Nicolas essaye de ne pas faire attention aux remarques qu'on fait dans son dos. Ou même juste devant lui d'ailleurs, les gens ne se gênent plus pour le dire dans le blanc des yeux. Il espère n'être qu'un effet de mode, le bouc émissaire de la semaine, celui qui est dans la lumière le temps d'un flash puis plus rien.
Mais non. Pas de repos pour les parias, les rejetés, ceux qui ne rentrent pas dans les codes établis de la jeunesse. Surtout pas pour ceux qui font virer les autres pendant un mois, même si ce sont des tortionnaires connus et reconnus.
Nicolas rentre à pieds. Il n'a plus envie de côtoyer qui que ce soit, la rage palpite dans ses veines. Il a besoin d'être seul. Sauf que c'est à ce moment-là qu'un gros bruit de mobylette va déchirer le silence de la rue, puis s'arrêter à son niveau. C'est l'ours obèse, un des acolytes de Henry. Si Nicolas ne le détestait pas autant, il chercherait à comprendre comment un gamin aussi enveloppé que lui arrive à tenir en équilibre sur une mobylette.
- "Mais c'est le p'tit Nicolas !"
Toujours cette grosse voix de baryton. Nicolas rassemble l'ensemble de ses forces pour ne pas trembler mais c'est sa voix qui le trahit.
- Qu'est-ce que tu veux ?
- Hey, pourquoi tu me parles comme ça mec, on est potes non ? Après tout ce qu'on a vécu ensemble !"
Impossible de déceler de l'ironie dans sa voix. Le pire, ce sont ses yeux : vitreux, sans émotion, rien. Un bel aperçu du contenu de son cerveau. Nicolas ne répond pas, mais ça importe peu à la grosse bourrique.
- "Tu sais quoi, je viens juste de croiser ton pote !"
Il descend de sa mobylette, s'approche doucement de lui et sort son portable calmement de sa poche. Avec ses doigts boudinés, il a l'air d'y chercher quelque chose. Nicolas n'attend pas qu'il le trouve et se remet à marcher, mais une image brandit devant ses yeux va le figer sur place.
- "Il est pas beau comme ça ?"
C'est le gamin de 5ème. Merde, il est méconnaissable. Les lèvres éclatées, le nez enfoncé, les yeux gonflés, mais y'a du sang partout putain ! Soudain, le gros type l'attrape à la gorge et le lève devant ses yeux fous.
- "OK, c'est ton pote qui avait cafté, on a merdé. Mais si l'un de vous recommence, j'te jure que je vous saigne à mort. PIGÉ ?"
Nicolas n'arrive plus à respirer. Il panique, sa vue se trouble. Il essaye de hocher la tête mais sa poigne est trop forte. Ce mec est si sadique qu'il sert le poing, encore et encore, jusqu'à qu'il perd presque connaissance. Puis la brute l'envoie voler sur le trottoir où il rebondit en s'écorchant de partout. Il n'entend plus grand chose tellement il est sonné, mais il sent très bien un coup de pied lui couper le souffle. Pour finir, c'est un crachat qui finit sur son visage. C'est de la part de Henry, qu'il lui dit. Puis son visage furieux disparaît aussi vite qu'il n'est apparu.
- "Deux mecs à terre en même pas un quart d'heure, je pète des records moi !"
Sur ces mots, le gorille enfourche sa mobylette en dandinant son arrière train et part au loin en pétaradant sans casque.
Nicolas se relève doucement et sort un mouchoir pour s'essuyer le visage avec dégoût. Il marche quelques mètres puis... des hauts le cœur. L'image du gamin le hante, ce visage juvénile aux yeux exorbités par la peur. Il se penche au-dessus de l'herbe mais rien ne sort de lui, et sûrement pas son sentiment de honte et de culpabilité.
Attends, il a dit "deux à terre en un quart d'heure" ? Donc la photo est récente ? Il est sûrement au collège encore ! Mais il est beaucoup trop loin maintenant...
Que faire ? L'adrénaline le rend confus, il a du mal à réfléchir. Puis il sort son téléphone et compose un numéro.
- "Vous avez demandez les urgences, quel est le problème ?
- Y'a euh... quelqu'un s'est fait violemment frappé au collège, y'a du sang partout et je pense qu'il est tout seul, y'a...
- Calmez-vous monsieur, on parle de quel collège ?
- Victor Hugo.
- Très bien, est-ce que vous avez appliqué les premiers soins ?
- Quoi ? Non, j'y suis plus là, faut envoyer une ambulance monsieur, s'il vous plaît...
- Votre nom ?
- Je... envoyez juste une ambulance !"
Puis il raccroche. Il a paniqué. Et s'ils pensent que c'est une blague ? Malgré tous les sentiments qui le rongent, il n'a pas pu rattacher son nom à l'affaire. Trop peur des représailles s'ils l'apprennent.
Mais s'ils apprennent quoi ? Qu'il a sauvé une vie ? Ils sont vraiment allés trop loin. Merde, il aurait du dire son nom. Si l'ambulance n'arrive jamais, il s'en voudrait toute sa vie. Une peur bleue lui paralyse les jambes, l'estomac, tout son être. Il va pas mourir quand même ? Tout est de sa faute. Tout. TOUT ! QUEL CON !
Nicolas rentre chez lui pour constater que ses parents sont tous les deux assis à la table du salon. Sa mère a les yeux gonflés, comme si elle avait pleuré toute la journée. Son père a le visage figé, dur, froid, mais ses mains tremblent.
- "Nicolas, tu viens t'assoir s'il te plait ?"
La voix tremblante de sa mère agit en lui comme un électrochoc. C'est la goutte d'eau de trop, il avait complètement oublié la séparation de ses parents. Tout s'écroule dans sa tête, la panique l'envahit.
- "Non, NON, NOOOOON ! J'EN AI MARRE, DEMERDEZ-VOUS SANS MOI !"
- Nicolas, reviens ici s'il te plait...
- NON ! RAS LE BOL DE VOS CONNERIES !"
Il court dans sa chambre et la verrouille. Son père cogne à la porte et le supplie de sortir discuter calmement mais non, il ne sortira pas. Pas ce soir, c'est trop d'un coup, impossible. Il essaye de calmer sa respiration saccadée mais trop de choses se bousculent dans sa tête. Machinalement, il sort son portable et va sur Facebook. Plusieurs statuts d'élèves évoquent un gamin qui serait sorti de l'école en titubant et se serait effondré sur le parvis, le visage en sang, mais une ambulance l'aurait vite embarqué aux urgences.
Nicolas respire un peu mieux. Au moins, il est sauvé.
Il faut que ses connards paient. Il faut qu'ils connaissent la souffrance. Le gamin sera vengé, Nicolas s'en fait la promesse.
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