Chapitre 6 - Plus faible que soi

Nicolas relève la tête du lavabo. L'annonce de son père l'a peut-être un peu plus travaillé qu'il n'aurait voulu. Un peu beaucoup. La tension des derniers jours aide sûrement, mais comment ne pas être insensible à l'idée que ses parents se séparent ? Il n'avait jamais réfléchi aux conséquences que ça pourrait avoir, où va-t-il vivre par exemple ? Chez son père ? Sa mère ? Sa mère d'ailleurs, est-ce qu'elle va... bien ? Question stupide. Elle avait l'air normal ces derniers temps pourtant.

... Non ?

La première sonnerie résonne dans l'école. Il faut qu'il aille en anglais. Il se sèche rapidement le visage et se dirige vers la salle. Une bonne partie de sa classe attend déjà dans le couloir avec le calme que se doit d'avoir des jeunes de 14 ans.

- "Allez tous crever !"

Cette phrase le tire de ses pensées. Il reconnaît son commentaire de la veille, mais il a été dit avec une voix exagérément aiguë. Ça vient du p'tit rigolo de la classe, y'en a toujours un, celui qui considère qu'énerver un prof est un défi personnel et une satisfaction sans précédent.

- "Oh, tu te reconnais la ?

- C'est bon, ferme-la.

- Toi ferme là, c'est à cause de toi si mon pote est renvoyé.

- T'as vraiment des super potes."

Toute la cours personnelle de ce monsieur pousse des cris et les reproches pleuvent.

- "Mec t'es trop grave dans ta tête, pourquoi tu l'as emmerdé Henry ?

- Boloss, casse-toi de là sérieux.

- Tu vas venir avec un gun au collège ? T'es trop bizarre en fait."

Nicolas ne prend même pas la peine de répondre et se dirige vers l'arrière de la file d'élèves. Heureusement, la prof arrive à ce moment-là.

En bon dernier, il entre dans la classe. Il est accueilli par des "allez tous crever" à peine chuchotés, mais trop occupé qu'il est à faire semblant de ne pas se sentir concerné, il ne remarque pas le croche patte qui lui barre la route. Il s'étale de toute sa longueur sur le sol et sous les rires hystériques de la classe.

- "OH, ON SE CALME ! TAISEZ-VOUS !"

Le soutien de la prof aidant à peine, il se relève vite et va s'assoir à sa place, rouge comme une pivoine. Il a chaud, il a honte, il est tellement en colère qu'il en tremble. Il déteste ce sentiment d'être observé sous toutes les coutures comme une bête de foire. Il aimerait avoir de la répartie comme cet abruti de clown qui fait rire tout le monde, juste pour leur clouer le bec au moins une fois. Mais non, sa timidité, son manque de confiance l'oblige à ressasser dans sa tête les innombrables choses qu'il aurait pu dire et faire mais sans jamais l'oser.

Il lève les yeux vers Adrien, le deuxième silencieux de la classe. Quand on est relégué dans le camp des asociaux comme l'est Nicolas, on a tendance à se rapprocher des personnes de son clan. Ils n'ont rien en commun mais la nécessité de ne pas être seul est plus forte que tout. Sauf que là, Nicolas remarque qu'il esquisse un sourire. Leurs regards se croisent mais il baisse les yeux. Il a l'air gêné.

L'acte de trahison suprême se fera plus tard pendant le cours. Quand la prof interroge Nicolas mais qu'il n'arrive pas à répondre, un petit "blaireau" timide s'entend au fond de la classe. C'est Adrien. Toute la classe est tellement surprise qu'on n'entend plus rien pendant quelques secondes. Puis c'est l'hilarité générale et les claques dans son dos.

- "Ça y'est Adrien, t'as enfin compris la vie !

- Grave, t'es un bon en fait !"

Son visage rayonne devant tant de reconnaissances, chose qu'il attendait depuis si longtemps ! Il aura même l'honneur de manger avec ses nouveaux "amis", c'est pas génial ça ?

Adrien ne le regarde même plus dans les yeux, il n'ose pas. Trop honte. Il a joué au poker, il a trouvé plus faible que lui et à gravi l'échelle sociale. Les pires coups de poignard ne viennent jamais de nos amis. Bien au contraire.


Le repas se passe donc dans la solitude absolue, au fond de la cantine. C'est le coin des parias, où il est normal de recevoir des boulettes de pain de la part des tables voisines. Jusqu'à maintenant il avait au moins le soutien d'Adrien, l'illusion de ne pas être tout seul. Il le trouve entouré par tout le gratin de sa classe, riant comme jamais et les yeux criant de reconnaissance. Quand comprendra-t-il qu'il n'est qu'une attraction temporaire ? Mais au fond, une amitié creuse, temporaire et basée sur la trahison vaut-elle mieux qu'une autre basée sur la solidarité et surtout, le manque de choix ?

Un projectile tombe dans son verre d'eau et l'éclabousse. C'est bon, ça suffit, il en a marre, il prend son plateau et quitte la cantine. Va crever aussi, Adrien.

On pourrait croire qu'au bout d'un moment, on s'habitue à la solitude. Certainement pas. Chaque jour est une lutte pour savoir avec qui on va travailler, manger, discuter pendant les pauses. La honte qu'on ressent quand on se retrouve seul vous attrape les entrailles, elle se colle à votre peau, vous vous sentez indésirable à la face du monde. Cette panique quand il faut travailler à 2 ne devrait pas exister. La solitude vous forge un masque qu'il faut porter à chaque instant, et vous n'avez même pas le droit de pleurer en dessous.

Il existe tout de même un refuge pour les rejetés, la bibliothèque. Nicolas ne la supporte plus, Il déteste devoir s'y cacher avec ses semblables. Pourquoi ne pourrait-il pas avoir une existence normale dans cette école ? Depuis quand être discret et peu bavard est-il devenu une tare ? L'important c'est d'être vu, qu'on fasse parler de soi, qu'on fasse le buzz, et ceux qui ne jouent pas le jeu doivent être punis.

Nicolas s'installe à une table, sort ton téléphone et lit les messages de Benoît.

[23h34 : Mec, c'est quoi cette photo ?]

[23h34 : Tu te fais péter les couilles par quelqu'un ? Te laisse pas faire hein, lui montre pas que t'as peur.]

[23h35 : T'as prévenu quelqu'un ? Fais pas le con, OK ?]

[00h12 : Nicolas ?]

Nicolas sourit puis soupire. Il aimerait tellement qu'il soit avec lui. Ces deux-là étaient toujours fourrés ensemble, la nouvelle de son départ lui a fait un sacré choc. Cette tristesse fait qu'il a eu du mal à se faire de nouveaux amis, et tout le monde sait que tout se joue les premiers jours. Il lève à nouveau les yeux sur son portable.

[12h46 : T'inquiète mec, je gère.]

Le portable vibre pratiquement tout de suite.

[12h47 : Tu gères que dalle, ouais.]

Il a tellement raison. Non, il ne gère rien du tout, tout s'effondre autour de lui. Alors lui aussi s'effondre, le front sur la table et profite de ces quelques minutes de répit avantla reprise des hostilités cet après-midi.

Ah, et la grande discussion avec ses parents ce soir.

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