Chapitre 3 - Ne t'arrête pas

Il y a un bref moment quand on émerge du sommeil où on ne se souvient de rien, de qui nous sommes, de notre récent rêve. Se redresser dans son lit suffit pour que Nicolas se rappelle que ses côtes lui font extrêmement mal. Pas des petites courbatures d'après sport, non, une vraie douleur interne qui lance à chaque mouvement. Heureusement qu'il n'a pas été touché à la tête, ça lui épargne des explications à ses parents.

Ses parents, justement. Il entre dans la salle à manger, s'assoit devant un bol de céréales. Sa légère grimace n'échappe pas à sa mère quand il s'assoit de façon rigide.
- "Mal dormi, Nicolas ?
- On va dire ça.
- Pas cool, tu dormirai mieux ce soir. C'est parce que t'as un examen ?"

Merde, le contrôle de math. Avec toutes ces conneries hier, Nicolas a complètement oublié de réviser.

- "Exact.
- Tu vas y arriver Nico. Bon faut que je file moi, à ce soir poussin."

Elle pose un baiser sur sa joue. À partir de quand a-t-elle commencé à jouer le rôle de la mère cool ? Qu'elle le considère déjà comme mâture et responsable a des avantages, mais il aurait parfois besoin de structure. Qu'elle n'agisse pas uniquement comme une amie avec lui, comme s'il fallait prendre des pincettes quand on est face à un pré-ado. Ne parlons pas de son père qu'il ne voit jamais à cause de son travail. Il part tôt, il rentre tard, c'est un coup de vent dans la vie de Nicolas. À 14 ans, il se sent parfois bien seul. Si les adolescents ont toujours l'air de snober leurs parents, il y a toujours une part d'eux qui hurle pour qu'on les considère encore comme des enfants fragiles, mais jamais ils ne l'avoueront. Cette zone de transition entre l'enfant et l'adulte est difficile, et encore plus sans dialogues avec ceux qui devraient être un modèle à suivre dans cette longue étape.

Sauf que là, Nicolas a surtout l'impression de vivre avec deux collocs.

Sans surprise, son contrôle de math se passe de façon catastrophique. Il se maudit intérieurement de ne pas avoir réviser, mais il a beau se gratter la tête, rien ne lui revient. Ça ne sera pas là bulle, mais on s'en approche tout de même. Il n'a vraiment pas besoin de ça, ses notes ne sont pas spécialement terribles en ce moment. C'est la mine renfrognée qu'il rend sa copie en premier et part de la salle de cours, son sac sur l'épaule. Personne dans les couloirs, on est en fin de journée, Nicolas peut rentrer chez lui. Ça reste une maigre consolation à côté de l'échec mathématique. Et soudain, Henry.

Les trois compères sont adossés contre le mur du couloir. Les regards se croisent. Mais comment il a fait pour rentrer dans l'école ? Il est pas renvoyé encore quelques jours ? Henry commence à se rapprocher doucement, le visage exprimant une colère noire, mais Nicolas n'attends pas qu'ils se rencontrent. Il rebrousse chemin et se met à courir comme jamais il n'a couru.

- "CHOPEZ LE !"

Les pas des 4 élèves résonnent dans le couloir. Cours Nicolas, cours. Son premier réflexe est de se diriger vers la vie scolaire, là où sont tous les surveillants. Personne ! Mais ils sont où, putain ? Pas le choix, il faut qu' il remonte. Il grimpe les marches deux par deux, ses cuisses brûlent. Son souffle est haletant, saccadé, il est mort de trouille.

- "REVIENS ICI, FUMIER !"

Son esprit est en ébullition, il faut qu'il court, ne t'arrête pas Nicolas, arrête toi et t'es mort. Il n'en peut plus, ses jambes avancent toutes seules. Il les sème un peu, il tombe sur une impasse. Il ne peut pas reculer, les toilettes sont ses seules issues. Peut-être qu'ils tourneront à gauche ?

Nicolas déboule dans une cabine et verrouille la porte. Il baisse la cuvette et grimpe sur la toilette. Le silence de la salle est une torture, silence uniquement rompue par sa forte respiration. La peur est à son paroxysme, ses yeux se brouillent de larmes qu'il essuie rapidement. Il attend, guettant le moindre bruit. Les secondes passent, l'une après l'autre, et il essaye d'étouffer le bruit de son souffle avec sa manche.

Puis c'est l'explosion. La porte s'ouvre brutalement. Nicolas ne peut retenir un faible gémissement qu'il regrette instantanément en se mordant la lèvre jusqu'au sang.

- "La lumière automatique est allumée. Tu es la, Nicolas ?"

C'est une chasse à la souris, et il a perdu. Henry s'approche doucement, cogne à une porte et regarde par en dessous.

- "T'es pas laaaaa ?"

Il a l'air de beaucoup s'amuser, de même que ses deux sbires qui gloussent comme des abrutis. Nicolas fait tout pour se retenir d'éclater en sanglot. Il a si peur, ses jambes tremblent, il n'arrive plus à retenir sa respiration.

- "T'aurais pas du me kafter une deuxième fois, p'tit Nico ! Renvoyé un mois de plus, t'es content ?"

Hein ? Une deuxième fois ? Mais il n'a rien dit à personne ! Qui c'est l'enfoiré qui...

- "Tu es la !"

Nicolas baisse les yeux. La tête de Jean dépasse de sous la porte, un sourire pervers étirant tout son visage. Il ne peut s'empêcher de lâcher un cri. La porte vibre de plus en plus fort, puis un coup de pied va la déloger. Nicolas tente de s'accroupir pour se glisser sous le mur de droite mais Henry l'attrape par les cheveux.

- "Non non non, tu restes avec nous !
- Je te jure que j'ai rien dit, j'ai rien fait putain !
- C'est ça, ouais. Ça reste ta faute quand même hein.
- Mais lâche moi !
- Arrete de te débattre, le poids plume. Tu sais que t'as très bien choisi ton endroit ?"

Henry soulève la cuvette et plonge la tête de Nicolas sous l'eau. Pris par surprise, il n'a pas eu le temps de prendre sa respiration, très vite il suffoque. Tout son être est réduit à l'état primal, il se contortionne dans tous les sens, gigote violemment pour tenter d'en sortir mais la poigne du bourreau est beaucoup trop forte. Puis c'est la délivrance. Il prend une grosse bouffée d'air frais, mais ça recommence encore. Dans sa tête, c'est la panique absolue. Il alterne entre des moments sous l'eau où il n'entend que ses pensées d'angoisse, et d'autres où il tente de supplier entre deux haut le coeur.

Soudain, une petite voix fluette résonne dans la pièce.
- "Cassez vous bande de cons, quelqu'un arrive !"

La torture s'arrête. Nicolas essaye de reprendre son souffle tant bien que mal. Comme un grand final, la poigne sur ses cheveux se ressere pour faire voler sa tête contre le mur. Le choc le sonne un peu et il tombe, allongé sur le sol. Il entend vaguement trois paires de jambes qui partent en courant, et une autre qui s'approche doucement. Il se recroqueville sur place et pleure doucement.

- "Ça va ?"

C'est le gosse de 5ème qu'il a sauvé la veille.

- "Je suis vraiment désolé je pensais bien faire en parlant au pion, je pensais pas pas que tu...
- Tu as quoi ?"

Le visage du gamin blémit.

- "J'pensais pas que tu te ferais emmerdé encore, j'suis trop désolé je..."
- CASSE-TOI !
- Quoi ?
- CASSE-TOI, PUTAIN ! DÉGAGE !"

Le p'tit part sans demander son reste. Nicolas sanglote de plus en plus fort, puis lâche un hurlement déchirant.

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