CHAPITRE TROIS

Rédacteur : @Benhau

Le maire décida alors de réunir de nouveau la population à l'endroit prévu pour toute réunion : le bar, voulant faire avancer les choses et n'ayant pas confiance en Loïc... et voulant surtout s'imposer comme celui qui ferait progresser toute l'enquête pour en tirer une part de gloire. Il s'y rendit, fit tinter une petite cloche. Après que tous furent entrés, ils remarquèrent l'absence de Loïc et de Joaquim. Des rumeurs commencèrent à se répandre, quand le maire apparut et frappa de son poing droit la table, centrant sur lui l'attention. Il commença :

« Mes braves, cela fait bien une bonne journée que notre Prune a disparu. Je me dois de savoir tout ce que vous savez. Celui qui a fait ça... est des nôtres, ça ne fait pas de doute. Il fallait savoir où étaient les feux d'artifice et que nous allions en faire sauter, et aussi où était Prune... Quoi qu'il en soit, cette personne, ou cette chose, ce brigand, se joue de nous, et nous connait bien. Le coquin. Mais avant tout, buvons ! In vino veritas ! »

Alors, tous burent un premier verre, puis un deuxième, puis un troisième, et ainsi jusqu'au sixième. Le maire, vacillant, se retint par plusieurs fois de tomber, puis se ressaisit :

« Bien, effectivement... maintenant que nous y sommes, je veux que vous tous, vous me disiez ce que vous savez. Dites-moi ce que vous savez.

-Mais, *slurp*, M'sieur le maire, appela Sixtin D., un hyperactif aimant voir les oiseaux souffrir, Les aut' hier ils ont d'jà d'mandé à tout le monde ce qu'y savaient »

Il but encore plusieurs gorgées, puis reprit :

« -Y z'ont rien eu, personne sait rien »

Le maire resta figé, le regard vide au loin. Il devait penser à autre chose. C'est alors qu'arriva Edouard J., un sourire malicieux à la bouche, qui venait de quitter le comptoir :

« Si ! Moi je sais quelque chose, couille molle. Vous avez pas remarqué Loïc ? Il était le seul à pas être là quand on a vu Prune se faire sortir du tonneau. En plus, Prune, c'était un légume. Elle était toujours chez eux. Or, puisque Loïc était chez lui au moment de l'incident, il aurait déjà dû s'en rendre compte qu'elle était plus là. Et comme par hasard, il ne voit rien, et comme par hasard, il fait une entrée fracassante, et comme par hasard, il pleure comme il ne l'aurait jamais fait avant, il crie, il pleure, il fait sa scène, et évidemment, il dirige l'enquête, et évidemment, il y a rien ! Et puis, pourquoi il la pleurait ? Il la regardait pas, il regardait les autres. Vous avez vu le télescope et ce qu'il en faisait ? C'est louche. La vie de son grand père le roturier, je lui en claquerai une vous allez voir ! Il est trop bizarre pour ne pas être bizarre. Si Joaquim il meurt, je vais l'enfourcher et l'écarteler ! »

Un blanc s'ensuivit, avant d'être rompu par Amande A., la plus commère du village, qui clame voir tous les soirs dans les champs ce qu'elle appelle vaguement son « secret » :

« C'est vrai. Il a raison. Il est trop bizarre pour pas être bizarre.

-Chopons- le ! Il est si coupable qu'il a pas osé venir le lâche ! Lança un homme quelconque.

-Brûlons- le ! Lança un autre »

Tout ceux du fond (donc ceux qui manquent de personnalité) approuvèrent unanimement l'avis de la majorité. Le maire frappa de nouveau la table, avec une vigueur nouvelle sans paraître trop saoul, comme s'il était assez habitué à consommer autant de bière par minute qu'il en avait bu à l'instant pour ne plus en subir que les effets d'un verre et demi :

« Silence ! Tout est dit, tout est fait, il est le premier coupable, il faut maintenant l'aller chercher. »

Il but un dernier verre cul-sec, et la cohorte se mit en quête de Loïc à travers tout le village.

Au même moment, Loïc et Joaquim, exténués après leur longue marche, étaient arrivés dans les marais situés à environ deux kilomètres de Gribourg. Ils virent un homme nu, nageant paisiblement sur le dos. C'était Alban T., un misanthrope et anthropophobe notoire rongé par des tics et de fréquents spasmes d'origine inconnue qui, vivant à l'écart, a progressivement été oublié de l'essentiel du village, mais dont les autres disent de lui qu'il sait tout et qu'on ne sait rien de lui, qu'il voit tout, et qu'on ne le voit pas. Les remarquant, il sursauta, et les interrogea :

« Mais que faites-vous sacs de merde ? Ça va ? On vient déranger les autres comme ça ? Dit-il exhibant fièrement sa peau nue et putride.

-Ma Prune... pleura doucereusement Loïc en s'effondrant lentement sur un rocher.

-Quoi ?

-Elle est morte ! Elle est morte fichtre !

-Et alors ?

-C'était la mienne !

Alban se suça le pouce, mais comme il avait l'impression de l'avoir mal fait, il recommença une dizaine de fois, puis, se grattant et riant comme s'il était chatouillé de toute part par une force obscure avec laquelle il eût sympathisé, il reprit :

« C'est bien les hommes... dit-il en se curant les trous de nez avec deux doigts. Méfiez-vous d'eux... Un jour, ils viendront, ils vous feront croire que vous avez besoin d'eux, et ils vous momifieront ! Ne leur faites pas confiance... je déteste les hommes... j'aimerais beaucoup voir leur race s'éteindre entièrement, et avoir le plaisir de m'occuper du dernier spécimen...

-En parlant d'hommes, peux-tu me dire qui a tué ma Prune ?

-C'est une personne ?

-Oui ! Et elle est morte !

-C'était, du coup.

-Elle a été tuée, et je veux que tu me dises si tu sais qui l'a fait.

-C'est un homme.

-Comment le sais-tu ?

-Ils sont partout.

-Hein ?

-Ils vous prennent dans leurs griffes, et là, ils vous mangent ! Je le sais, je m'y suis pris à plein de fois !

-Mais lequel ?

-Qu'est- ce que j'en sais ! Je me fiche de savoir qui de ces deux cafards que tu vois s'accoupler sur ce caillou à droite est Louis et qui est Louise. Ce sont les mêmes... des cafards ! Et est-ce qu'il sort d'un cafard ce qu'il ne sort pas de mille autres ? Non, car ce sont des cafards ! Tu ne les nommes pas, tu ne les différencies pas ! Lui en est un, et lui aussi, tu ne fais pas de différence ! Même chose avec les hommes... sauf qu'eux sont mauvais... Les hommes vivent pour nous torturer, et les femmes, pour s'assurer que le châtiment dure.

-Dans ce cas, nous nous en allons.

-Très bien... et n'oubliez pas... les hommes sont mauvais... j'en ai déjà tué vous savez... d'ailleurs, il y a pas si longtemps j'ai...

-On ferait mieux de ne plus perdre notre temps, Loïc, s'enquit Joaquim.

-Tu as raison, ça ne sert à rien de perdre notre temps avec ce fou...

-Et n'oubliez pas... ils sont mauvais ! On se reverra... »

Loïc et Joaquim partirent bredouilles. Sur le chemin, chacun rejetait la faute sur l'autre, le second accusant le premier d'avoir eu l'idée sordide de voir en un fou qui s'est lui-même oublié la solution de l'affaire, l'autre lui rétorquant qu'il n'avait pas refusé l'idée, et qu'il avait participé, et qu'il eût très bien pu l'avoir lui-même eue, cette idée. Quoi qu'il en fût, ils arrivèrent bien vite au village, et le virent vide. Marchant à travers la première allée, ils entendirent progressivement des bruits de commérage et de discussion intensifs. Comme si toute l'attention était attirée en un point donné.

Ils avancèrent donc, et virent toute la population du village tournée vers un même bâtiment, lorsqu'un homme se retourna et hurla :

« Regardez, c'est lui ! Le voilà ! »

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