Partie 8

Nda: Heya! Comment allez-vous? (Quoi? Trois mois que j'aurais dû poster? Chhh-)
Voici donc ma dernière partie (enfin, pour ce qui aurait dû être un OS, il était largement temps-) 
Bref, je n'ai pas grand chose à raconter, mis à part que je suis en vacances, comme sûrement la majorité d'entre vous, que ce soit le début ou la fin :3 
Et on se retrouve tout de même dimanche prochain (sans retard promis juré!) pour l'épilogue ;) (d'ailleurs si vous voulez il n'empêche que je suis restée active sur le compte de la FSA, n'hésitez pas à aller voir ;))

~:~:~

La mer. L'immensité bleue et qui, à l'échelle si minuscule des hommes, semble infinie lorsque l'on s'y confronte, autant que le ciel. De l'eau à perte de vue, cachant pourtant de nombreux secrets ignorés par la majorité des Hommes.

Ils n'iraient jamais jusqu'à se douter le moindre instant de ce qui se déroule sous leurs pieds, leur cerveau étant bien trop étriqué pour le deviner. Certains rares élus avaient pourtant bien, à de nombreuses époques, su ce qu'il se passait loin, loin en dessous. Mais sans aucune preuve, seules des rumeurs, transformées au fil du temps en légendes, avaient réchappé à la bêtise des hommes.

D'ailleurs, ils n'iraient jamais jusqu'à imaginer que la direction prise par leurs âmes lorsque la vie les quittait était justement si proche. Ils étaient persuadés que leur esprit s'élevait dans les cieux, jusqu'au-dessus des nuages, ce qui serait pourtant complètement ridicule, car on ne peut strictement rien voir des cieux, êtres minuscules que nous sommes.

La mer acheminait doucement chaque âme égarée jusqu'en son sein. Elle les portait, les accompagnait comme une mère le ferait pour son enfant, doucement, tendrement.

Chuuya se sentait un peu comme ces âmes qui s'étaient longuement égarées avant de retrouver le chemin de leur première, et aussi dernière, demeure.

Il retrouvait son élément premier et se dirigeait vers le centre du tourbillon qui le ramènerait chez lui. Il avait véritablement l'impression d'avoir vécu une vie complète et d'être ensuite mort, seulement il savait que ce n'était pas le cas. Mais qui sait, dans un sens, si ça n'aurait pas été plus simple ? Au moins, ceux qui mouraient réellement oubliaient tout à chaque réapparition, lui n'avait pas et n'aurait pas ce luxe. Il devrait avancer avec, et sans espoir d'effacement.

Enfin, les habitants de sous la mer ne savaient jamais où leurs âmes se rendaient, ils n'avaient que le climat et les âmes des Hommes à gérer après tout, alors peut-être qu'ils se rendaient vers une entité plus puissante encore, ou tout simplement qu'ils disparaissaient, sans autre forme de procès. C'était quelque peu cruel.

Néanmoins être sous la forme d'un dauphin lui permettait de réfléchir presque plus posément, il se sentait plus calme qu'il ne l'avait été depuis une semaine. À moins que ce ne soit simplement le fait d'être entouré de toute cette eau limpide et de quelques-uns de ses congénères. Il ne le savait pas exactement.

Mais il rentrait enfin chez lui. Ruiné, détruit, complètement achevé, mais, comme on le lui avait souvent répété étant petit, « tant que l'on est vivant, alors rien n'est perdu ». Enfin, en l'occurrence, ce n'était pas tout à fait vrai, mais il faisait le choix de s'y raccrocher pour le moment.

Il fut le premier à arriver au niveau du village, et repéra au premier coup d'œil son père, tout au centre, en train d'effectuer la danse sacrée d'un rythme clairement non fluide, et sur l'une des plateformes son frère et Atsushi, qui semblaient guetter leur arrivée.

Il se dirigea vers ses deux derniers d'un grand coup de nageoire, et se retransforma en homme dès qu'il toucha la limite de l'eau. Il vit le regard des deux jeunes hommes s'illuminer en le voyant, tandis que Kôzô lui tendait un nouveau vêtement. Ils avaient drôlement grandi, et voulurent se jeter sur lui, probablement dans l'espoir de pouvoir l'étreindre après une si longue absence, leur air béat et surpris signifiant tout.

Seulement, le rouquin remarqua également, au coin de son champ de vision, Kensuke s'effondrer à genoux alors que seulement deux autres de ses camarades étaient revenus. Chuuya ne prit pas le temps de s'attarder, se soustraya à la tentative de câlins des deux plus jeunes tout en attrapant vivement l'habit qu'on lui tendait et en l'enfilant promptement, puis bondit par-dessus la rambarde entre le centre du bâtiment et le balcon où il se trouvait.

Il sourit en voyant les visages choqués des anciens qui mimèrent de l'arrêter, mais qui étaient beaucoup trop loin pour. Malheureusement il n'avait pas le temps de s'attarder sur leurs mines à la fois effrayées et énervées, il savait très bien qu'il avait besoin de sa concentration la plus intense pour pouvoir se réceptionner sans encombre d'une chute de cinq étages.

Il entendit d'ailleurs brièvement les cris apeurés -et frustrés?- d'Atsushi derrière lui, avant de totalement s'envelopper dans l'eau, suffisamment présente grâce au portail, et il atterrit comme s'il avait sauté une marche. Puis il fonça vers son père aussi vite qu'il put.

Ce dernier croisa son regard, et lui sourit tristement, avec une lueur qui signifiait clairement « ne t'approche pas », mais il fut bien vite obligé de baisser la tête, ployant sous sa charge tel Atlas sous le poids du Ciel.

Arrivé à sa hauteur, Chuuya lui arracha le masque permettant d'ouvrir le portail du visage. Il savait pertinemment que son geste était irresponsable et dangereux au possible. En faisant cela, c'était au déferlement de l'océan dans son entièreté auquel il s'exposait. S'il n'arrivait pas à maîtriser cette eau suffisamment rapidement, tout serait recouvert par cette dernière, il n'y aurait plus de village, il en avait parfaitement conscience, mais il n'avait pas de meilleure idée à l'heure actuelle, et pas non plus de temps pour y réfléchir.

Et puis il avait confiance en ses nouvelles capacités, alors il allait tenter le tout pour le tout.

Aussi vite qu'il l'avait arraché, il revêtit lui-même le masque. Il eut à peine le temps d'entendre les cris horrifiés de tous ceux qui assistaient, désemparés, à la scène, le temps de voir les mines apeurées de tous ceux qu'il connaissait, bien qu'il ne se rappelle plus de tous, de voir les yeux terrorisés des enfants encore dans le portail. Le seul regard qu'il capta parfaitement, ce fut celui de Ranpo, approbateur, qui venait d'arriver sur une des plateformes.

Il ressentit une immense décharge dans tout son corps, le moindre de ses organes, chaque fibre de ses muscles, comme s'ils étaient soudainement remplis d'eau, mais une eau sauvage, indomptée, prête à tout faire exploser. Comme si tous ses muscles allaient voler en éclats sous la pression, d'un seul coup.

Il mit une bonne seconde à se reprendre, temps qu'il fallut à son père pour s'effondrer face contre le sol, définitivement à bout, et à l'eau pour s'abattre tout autour de lui. Alors il ordonna immédiatement à celle-ci de se stopper, et, miraculeusement, elle obéit. Il n'avait même pas l'impression d'exercer un quelconque contrôle dessus, tellement cela semblait simple.

Il se sentait surpuissant et invincible. Il pouvait dompter l'océan tout entier. Il savait que le masque était puissant, mais pas à ce point. Il avait une impression de renouveau fort agréable.

Le rouquin prit alors le temps d'observer ce qui l'entourait désormais. Le temps semblait avoir totalement stoppé sa course. Il se trouvait qu'en effet, s'étant instinctivement baissé, il n'avait pas remarqué que le niveau de l'eau était relativement bas, et que nombre des habitants avait dû se baisser ou s'était retrouvé la tête et le haut du corps sous cette masse liquide en suspension à à peine un mètre du sol.

De plus, personne ne bougeait, visiblement trop choqués pour, écarquillant des yeux en soucoupes. Ils avaient eu la frayeur de leur vie, semblait-il. On entendait même plus aucun bruit, si ce n'était la respiration haletante de Kensuke, toujours au sol. Les anciens s'étaient brusquement arrêtés dans leur tentative de réprimande et gardaient la bouche ouverte.

Puis Chuuya décida enfin de se relever, et avec lui le niveau de l'étendue liquide au-dessus de lui. Tout sembla reprendre son cours, quelques dauphins arrivèrent encore. Il décida de ne pas s'attarder sur le regard de tous ceux qui l'entouraient, il en aurait tout le loisir plus tard.

Estimant que tous ceux qui devaient revenir l'étaient, il fit se retirer le portail, avec la simplicité qu'il avait eut à le stopper. Même s'il avait manqué de le diriger vers les anciens, qui avançaient désormais vers lui d'un pas lourd et presque effrayant.

Ils fixèrent leurs regards sur le jeune homme, qui le leur rendit avec une moue agacée qui lui était propre. Il n'avait pas envie de s'attarder avec eux, il voulait s'assurer que son père allait bien, et profiter des retrouvailles avec sa famille, mais il savait qu'il n'y couperait pas.

-Tu sais que tu as failli tous nous tuer, petit imbécile ?! Tu disparais pendant deux ans, et tu reviens pour semer la zizanie comme il y a douze ans ! Tu aurais mieux fait de rester croupir avec les Hommes là-haut, nous ne nous en porterions que mieux !

Les yeux de Chuuya s'écarquillèrent sous le coup de la colère tandis qu'il se retenait à grand peine de frapper celui qui venait de parler, Gide, le porte-parole du conseil des anciens. En plus de l'insulter alors qu'il venait de tous les sauver, l'autre se permettait de lui rappeler ce qu'il s'était autrefois passé ? Il serra les poings pour se retenir et allait tourner les talons, voyant que l'autre n'en avait pas fini et refusant de continuer à se faire insulter, quand un coup inattendu dans les côtes plia en deux l'ancien.

-Je crois qu'il ne s'agit pas de ce que nous avions convenu de lui dire, dit posément celle qui avait frappé, une ancienne aux cheveux encore blonds et aux yeux pétillants de sagesse. Ce que tu as fait était irréfléchi, enchaîna-t-elle, néanmoins tu nous as tous sauvés, et, pour cette raison, nous te remercions.

Ceci dit, elle attrapa le porte-parole par le col -il s'agissait de son mari si Chuuya avait bonne mémoire, mais il ne le jurerait pas- et s'éloigna avec tous les anciens, laissant le rouquin un peu désemparé.

Le conseil venait enfin d'admettre qu'il avait fait une bonne action ? C'était plus qu'il n'en aurait jamais attendu. Néanmoins la toux rauque de son père le ramena bien vite de son euphorie naissante. Il se précipita vers Kensuke, qui tentait de se relever. Il lui tendit sa main et le tira pour l'aider, avant de passer son bras par-dessus son épaule pour le soutenir.

-Chuuya... Je suis heureux de savoir... que tu n'as rien, murmura-t-il faiblement, mais d'un ton laissant tout de même transparaître tout son soulagement.

-Moi aussi, papa, répondit brièvement l'interpellé, ne souhaitant pas amplifier la fatigue du plus vieux.

Puis il le porta ainsi jusque chez eux, avant de l'allonger sur le lit. Il était parti pour aller lui chercher de l'eau chaude, quand une tête rousse lui fonça dessus et le serra de toutes ses forces sans préambule. Surpris, le manipulateur d'eau ne réagit d'abord pas, avant de protester lorsqu'il crut qu'une de ses côtes allait céder.

-Ohé, tu me fais mal, crétin !

-Hé hé, pardon grand frère ! s'excusa Kôzô en se relevant -car il s'était baissé pour étreindre son aîné- et en se passant une main dans les cheveux. Mais tu n'avais qu'à pas te défiler tout à l'heure, dit-il en tirant à moitié la langue.

Atsushi arriva derrière, et Chuuya les fixa tous les deux d'un visage impénétrable. Puis il baissa la tête tout en grinçant des dents, visiblement vexé.

-Qu... Qu'est-ce qu'il y a ? demanda timidement l'argenté, inquiet de l'aura que commençait à dégager le rouquin et qui n'augurait rien de bon.

-Vous préférez la tête ou les pieds les mômes ? demanda soudain Chuuya avec le ton le plus sérieux du monde et un regard effrayant au possible.

-Que... Quoi ? interrogea Atsushi, ne comprenant pas, tandis que Kôzô, lui, pouffait de rire.

-C'était donc ça ! Môsieur est vexé parce qu'on est plus grands que lui maintenant ! se moqua le cadet, absolument pas intimidé par l'aura meurtrière de son frère, qui détourna d'ailleurs le regard, encore plus énervé.

-Tss, vous allez voir un peu...

-Ne t'en fais pas, toi aussi tu as dû prendre quelques centimètres, juste... moins, se moqua encore effrontément le plus jeune.

Chuuya reporta son regard sur lui et lui lança une œillade meurtrière, avant de rire de bon cœur avec les deux jeunes hommes. C'est vrai qu'ils avaient grandi, en deux ans.

Néanmoins son bonheur fut de très courte durée, ses idées sombres refaisant subitement surface, lui rappelant son cœur en morceaux et le fait qu'il n'arriverait peut-être plus jamais à être pleinement heureux, refusant de lui laisser le moindre répit. Il serra les dents, et évita le regard interrogateur que lui lança alors Kôzô, suspicieux.

Il n'allait pas non plus se laisser abattre et montrer ses faiblesses, ce serait contraire à ses principes. Tout du moins en public.

-D'ailleurs, tu as fait tomber ça en arrivant, reprit Kôzô en tendant un pendentif à son frère. Un petit souvenir ? sourit-t-il encore un peu narquoisement.

Chuuya lui arracha de la main, ayant presque envie de se frapper lui-même pour avoir été négligent au point d'en oublier son deuxième objectif.

Il sortit de sa maison en indiquant aux autres s'il revenant dans un instant, ce qu'il ne pensait pas d'ailleurs si vrai car il tomba justement sur celui qu'il devait trouver devant sa porte.

Il serra les dents et lui tendit le pendentif, objet humain qu'il avait trouvé au fond de la mer juste avant son retour et qu'il avait manqué d'oublier.

-J'ai presque cru que tu allais m'oublier, commença plaintivement l'homme.

-Je sais ce que vous allez en faire, affirma le jeune homme, ignorant la première remarque du gardien des âmes.

-Oh, vraiment ? Je suis percé à jour en ce cas, quel dommage, sourit l'autre avec un rictus moqueur tout en récupérant à son tour l'objet.

-Et je m'en fiche pas mal, faites votre vie, mais laissez-nous tranquille. C'est tout ce que je veux.

Sur ces paroles, Chuuya tourna les talons et retourna chez lui, coupant court à toute potentielle autre conversation, tandis que Mori le regardait, d'un regard satisfait et victorieux, avant de lui aussi se détourner.

~

Chuuya s'affala dans l'herbe au bord de la mer, comme il le faisait si souvent autrefois, et poussa un énorme soupir. Cela faisait maintenant environ six mois qu'il était rentré, six mois qu'il faisait des pieds et des mains pour pouvoir récupérer le poste de son père. Et il sentait qu'il était enfin sur le point de voir céder le conseil, après sa petite démonstration le jour de son arrivée, sans compter les nombreux tests auxquels ils avaient consenti pour qu'il prouve ses progrès depuis deux mois, et qu'il réussissait haut la main.

Mais cela faisait également six mois qu'il se morfondait sur lui-même. Cela l'énervait, ce n'était pas dans sa nature de ruminer à ce point, il était du genre à toujours avancer et à foncer tête baissée, même dans un mur de cinquante mètres. Pourtant il n'y pouvait rien. Chaque moment de répit où il ne pensait plus à rien, il Le revoyait, L'entendait encore et encore lui répéter ces mots, un peu comme s'il les avait gravés au fer rouge dans sa peau.

Impossible à effacer.

Il avait d'ailleurs plusieurs fois confondu certains des habitants du village, un peu trop grands et bruns, et son cœur s'était alors maintes fois emballé pour rien. Il y était impuissant, il fallait faire avec, mais s'y habituer était extrêmement difficile et douloureux.

Il soupira, le bruit tranquille des vagues l'apaisant peu à peu et lui permettant de ne plus penser à rien. Il s'agissait de ce genre de moments de répits, rares et précieux où il pouvait se retrouver seul, qui lui permettait de tenir.

Mais aussi de parfois tout relâcher. Au début, c'est ce qu'il avait fait. Il avait crié à toute l'étendue bleutée s'étirant à perte de vue le fond de sa pensée avec tout son vocabulaire et ses jolis mots.

Evidemment, c'était vain, cela n'arrangeait rien, mais cela soulageait. Maintenant, il se vidait juste la tête -le fait d'avoir passé toute une semaine à devoir mentir sur le pourquoi du comment sa gorge était enrouée ayant sûrement joué- et profitait un peu du soleil. Les journées avaient fortement raccourcies, même chez eux, et il ne pouvait plus admirer un aussi beau coucher de soleil qu'en haut. Pourtant, cela ne l'empêchait pas de le guetter presque chaque soir en repensant à la surface.

Soudain, une tête apparue juste au-dessus de la sienne, le surprenant au point qu'il se releva et donna ainsi un grand coup à l'autre. Une douleur vive traversa son front tandis qu'il se retournait rapidement, prêt à incendier de noms d'oiseaux... Son frère?

Il soupira profondément. Il savait que ce moment devait arriver, un jour ou l'autre, mais il aurait préféré que l'autre oublie définitivement.

Chuuya avait effectivement monnayé sa tranquillité à son retour contre une promesse d'explications plus tard auprès de son frère, qui avait immédiatement remarqué son malaise et sa tristesse.

Et il était temps de payer ce qu'il avait promis, au vu du regard déterminé de Kôzô. Ce dernier s'assit à ses côtés, et commença à fixer la mer, lui aussi.

Un silence tranquille commença à s'installer entre eux, aucun des deux ne semblant prêt à entamer la conversation. Puis le plus jeune se lança finalement.

-Tu te rappelles de ta promesse, j'espère?

-Et je la redoute depuis que je te l'ai faite, confirma l'aîné. Il soupira un grand coup, décidé à se lancer, se disant que de toutes manières, repousser maintenant le moment fatidique serait simplement reculer pour mieux sauter. Puis il se commença enfin, après six mois de silence à tout garder pour lui.

Il raconta absolument tout ce dont il se rappelait, n'omettant aucun détail, s'arrêtant simplement de temps à autre pour calmer sa voix qui devenait tremblante par moment, enrouée par d'autre. Kôzô, lui, hochait la tête parfois, montrant qu'il écoutait. Chuuya peina à raconter la dernière fois où il avait vu Dazai, mais, arrivé à la fin de son récit, il sentit comme un poids s'ôter de ses épaules.

Il se tourna alors enfin vers son frère, et le regarda en face pour la première fois depuis qu'il était arrivé, le défiant de se moquer de lui. Il avait aussi un peu peur qu'il le juge par rapport à son orientation sexuelle, mais c'était actuellement encore le cadet de ses soucis.

Le plus jeune attendit un peu, comme perdu dans ses pensées et fixant le ciel. Est-ce qu'il réfléchissait à ce qu'il devrait dire pour rassurer son frère, se moquer de lui ou l'enfoncer?

-Tu sais, tu as quand même de la chance... Toi au moins, tu te souviens de maman... murmura-t-il finalement d'un ton très doux, le regard toujours tourné vers les derniers rayons de soleil de la journée, les heures ayant défilé vite.

Chuuya écarquilla les yeux, ne comprenant pourquoi il en parlait subitement et sans préambule, surtout après ce qu'il venait de raconter. Devant son absence de réaction, Kôzô enchaîna:

-Enfin, je sais que tu en as aussi énormément souffert... Mais je pense qu'il faut simplement conserver le meilleur de chaque être croisé. Sinon, on ne se dépêtrerai plus du malheur, ce serait triste, dit-il en ramenant son regard vers le large. Son frère ne se rappelait pas l'avoir vu une seule fois si sérieux. Avoir des bons souvenirs, c'est précieux, même s'il y en a aussi des mauvais. Alors que moi, je n'en ai aucun. Pas de souffrances, mais pas de bonheur non plus.

Ca y est, Chuuya comprenait où il voulait en venir. Il cherchait à lui montrer qu'il avait tout de même moyen de se rappeler de tout cela avec le sourire. Qu'il n'avait qu'à refouler le mauvais. Ce serait sûrement plus supportable, mais est-ce que cela serait plus souhaitable?

-Ah, et si jamais tu craquais là, devant moi, je ne le dirai à personne. Ne t'inquiète pas. Pleure autant que tu veux, mais une seule fois, et après, relève toi.

Sur ces paroles emplies de beaucoup trop de sagesse du haut de ses quatorze ans, le plus jeune se releva et s'éloigna tranquillement.

Tandis que le jour déclinait, Chuuya sentit alors soudain un liquide tiède sur ses joues. Il mit un certain temps à comprendre d'où il provenait, encore un peu en état de choc. Puis il baissa la tête et la cala entre ses genoux, n'arrivant plus à réfréner ses émotions.

-Je ne sais pas si j'y arriverai... mais j'essayerai, murmura-t-il pour lui seul, promesse que seul le vent marin nocturne entendrait. Et peut-être quelques félins...

~

Presque une année s'était écoulée depuis qu'il était rentré, et Chuuya se sentait un peu mieux. Son cœur n'avait pas vraiment cicatrisé, mais il avait réussi à l'éclipser grâce aux conseils de son frère. Ils n'en avaient d'ailleurs pas vraiment reparlé depuis, mais cela arrangeait le rouquin. Il n'en avait ni l'envie ni le besoin, à son sens en tout cas.

Et puis il avait déjà été obligé d'en refaire le récit complet à Ranpo, qui avait été plus que casse-pied car presque à chaque phrase il s'était senti obligé de dire qu'il le savait déjà. Il avait décidément une capacité de déduction beaucoup trop développée.

De plus, il devait avouer qu'il était plutôt excité aujourd'hui. En effet, il avait obtenu -enfin- le titre de son père, qui avait donc prit sa retraite, et pourrait ouvrir lui-même le portail pour la génération suivante d'ici quelques heures.

Enfin, cette génération n'était encore composée que de quelques rares volontaires, ce qui était compréhensible au vu de tous les problèmes qui étaient survenus les dernières années, mais cela finirait par se tasser, un jour ou l'autre. Il fallait juste patienter.

Tout fonctionnait sur ce principe là, au final. N'importe quel traumatisme finissait par s'effacer, voire disparaître, au fil des ans. Il fallait juste être un peu patient. Or Chuuya ne l'était absolument pas, et il avait l'impression que cette vérité générale ne pouvait pas s'appliquer à lui.

Toujours est-il que l'excitation était à son comble au village. L'heure tournait doucement entre les allers-retours des jeunes parés au départ, les cris excités des enfants, les larmes des plus jeunes, et les recommandations des parents inquiets.

Le jeune rouquin se prenait d'ailleurs de nombreux regards suspicieux, mais il les ignorait. C'était normal après tout, il avait toujours été la bête noire, et le fait qu'on avait accepté qu'il soit le nouveau gardien du portail ne signifiait pas pour autant que les villageois avaient oublié ce fait.

Ils le craignaient toujours autant. Mais cela aussi, ça finirait bien par se tasser un jour ou l'autre, et répondre à cette haine gratuite serait totalement futile.

Enfin, l'heure arriva, et il se dirigea lui aussi vers le point névralgique du village, le bâtiment circulaire où l'on faisait entrer le portail. Son frère le rejoignit à mi-chemin, accompagné d'Atsushi, et ils l'encouragèrent tous deux d'un regard.

Chuuya soupçonnait l'argenté d'être au courant d'un peu trop de choses à son goût, cela dit il ne lui avait jamais posé de question à ce sujet, alors le rouquin n'ouvrirait pas non plus la conversation là-dessus.

Il revêtit de nouveau le masque, et la même sensation que l'année passée l'envahit. Celle de surpuissance qu'accordait l'artefact. Il accomplit sans encombre sa tâche, faisant mine de ne pas entendre les hoquets terrifiés de certains parents, puis ôta presque à regret le masque une fois qu'il eut renvoyé le portail aquatique. Cette sensation pouvait vite devenir addictive. Comme certains sentiments irrationnels...

Il fixa les derniers dauphins à s'être "envolés" d'en bas, plusieurs émotions nouant son ventre. La satisfaction d'avoir accompli sa tâche, l'honneur que cela représentait, la joie que cela lui procurait, mais, surtout, l'envie irrépressible d'être de nouveau à la place de ces dauphins.

Il tenta de la faire taire, en vain. Alors il la conserva précieusement, se disant qu'un jour il parviendrait peut-être à la canaliser et à l'utiliser de manière utile. Ou à simplement l'oublier et l'ignorer. Toujours était-il que, désormais, il ne pourrait plus jamais remonter à la surface.

On n'y montait qu'une seule fois, et normalement, sept jours. Il en avait déjà plus que profité, alors, désormais, il resterait occuper cette place. Tant pis si cela faisait mal, c'était sa tâche, et il la respecterait tant qu'il en aurait la capacité.

~

L'eau clapotait doucement sur les rochers en contrebas, amenant un chant harmonieux jusqu'aux oreilles du jeune brun suicidaire. Il était assis dangereusement au bord de l'une des falaises dominant la côte du côté de sa seconde maison.

Seconde maison, encore plus qu'avant, car désormais il s'agissait aussi de celle de sa sœur. Oda et elle s'étaient mariés depuis maintenant plus d'un an et y étaient restés. Lui y venait quasiment en permanence, fuyant sa première demeure, celle ou leur mère était morte trois mois plus tôt.

Il s'y sentait terriblement seul et trouvait comme excuse que cela accentuait encore plus ses pulsions suicidaires, provoquant le désarroi des deux jeunes époux. Ce n'était effectivement pas simple de supporter un jeune adolescent -encore qu'il avait vingt ans maintenant- en plein chagrin d'amour depuis déjà deux ans.

Il fixait le large absolument tous les jours sans exception, les pieds se balançant dans le vide, attendant quelque chose -plutôt quelqu'un- qui n'arriverait jamais. Lui-même le savait, mais ne trouvait rien de mieux à faire de ses journées, et les jeunes mariés avec qui il cohabitait presque n'osaient pas le déranger.

Chaque jour il avait un peu plus dans l'idée d'enfin sauter, mettre fin à cette souffrance qu'il avait lui-même provoquée. Car c'était de sa faute, à cause de son choix, si le petit rouquin était parti, ni plus ni moins.

Pourtant, chaque fois, quelque chose le retenait. Peut-être le fait de savoir que c'était inutile? Qu'il ne mourrait pas de cette manière? Qu'il provoquerait la tristesse de ses deux amis?

Probablement. Probablement pas. Il n'en savait à vrai dire rien. Enfin, à la réflexion, il avait fait une nouvelle tentative sept mois auparavant, lorsqu'il avait reçu une menace de sa famille concernant sa future alliance. En effet, s'il ne trouvait pas rapidement de fiancée, son oncle débarquerait avec une promise choisie par ses soins.

Sa tentative avait échouée, et sa sœur avait calmé le jeu en renvoyant une lettre où elle promettait que c'était en bonne voie -ce qui était évidemment totalement faux, mais ça, ils n'avaient pas moyen de le vérifier.

Enfin, la joie de vivre n'était toujours pas revenue chez le suicidaire, quoique la mort de sa mère l'avait un peu augmentée les mois précédents -en apparence, car, comme à son habitude, il se cachait sous le masque qu'il se créait, et la mort de sa génitrice l'avait tout de même affecté plus qu'il ne l'admettrait.

Chen, elle, s'inquiétait énormément pour son frère. Elle était certes surprotectrice, mais le fait d'être impuissante la déprimait aussi. Néanmoins elle savait également masquer les apparences, car après tout, c'était de famille. Seul Oda était sincère et exprimait ce qu'il pensait, ce qui était d'ailleurs une très bonne chose pour le frère et la sœur. Il était un peu comme une bouée qui leur rappelait que l'honnêteté existait.

Le couple était tout de même heureux, et la jeune femme était même enceinte depuis trois mois. Cela n'avait pas réellement détendu l'atmosphère, cependant elle espérait secrètement que l'arrivée d'un bébé ramènerait un peu de joie dans les yeux vides de son frère.

Un peu. Même s'il n'aimait pas les enfants. Elle venait de finir d'étendre le linge, et observait désormais son cadet avec une mine inquiète, comme habituellement. Puis elle soupira, et ramassa son panier.

Un jour comme un autre par les temps qui courait. Elle rentra dans la maisonnette avant d'avoir pu voir son frère se lever brusquement et dévaler les roches de la falaise pour arriver sur une petite corniche avancée au-dessus de la mer plus bas.

Comme l'année précédente, le portail s'était ouvert. Il s'agissait du seul réconfort du brun. Cela signifiait -très probablement, et l'auto-persuasion faisait le reste- que Chuuya était bien rentré et accomplissait sa tâche.

Il compta le nombre de dauphins sortant du tourbillon aquatique, souriant tristement en en comptant presque deux fois plus que l'année précédente. Ils semblaient tenir une sorte de réunion, et plusieurs le regardaient d'ailleurs avec un regard méfiant, l'ayant repéré au loin.

Un d'eux attira son attention, et il secoua même la tête. L'espace d'un instant, il avait cru voir Ses yeux. Mais ce n'était qu'un tour de son cerveau. Après les rêves durant son sommeil, ce serait les illusions durant la journée.

Cerveau détraqué et sadique.

Le dauphin s'était de toute manière détourné, et, désormais, ils se séparaient tous, prêts à parcourir le monde individuellement durant sept jours.

Dazai, du haut de sa corniche, soupira, les enviant presque. Eux, au moins, ils pourraient retourner en bas. Là où se trouvait celui qu'il voulait tant revoir que cela en devenait une obsession malsaine. Et eux, au moins, n'avaient pas d'obligation d'alliance. Quoiqu'ils devaient bien avoir tout un tas d'autres problèmes, à la réflexion. A chaque société ses problèmes.

Il s'allongea alors sur le dos, fixant le ciel, se posant encore une énième fois la question de, si jamais il venait à mourir, si son petit rouquin parviendrait à le retrouver parmi les âmes des défunts.

Encore que, la dernière fois que cela s'était produit, ça avait presque provoqué la fin du monde sous la mer. Presque. Et en soit, le brun n'était pas à ça près, mais Chuuya, ça, c'était autre chose.

Il ferma les yeux, totalement perdu dans ses pensées, quand une vague lui arriva soudain en pleine figure sans prévenir. Il se releva brutalement et toussota, ayant avalé un peu d'eau salée au passage.

Il ne s'y attendait absolument pas, en théorie il était trop haut, et les vagues étaient trop basses aujourd'hui pour arriver jusqu'à cette petite corniche. Non, c'était sûrement autre chose.

Il se pencha -un peu dangereusement- pour regarder en bas, et ce qu'il vit le surprit au point qu'il bascula en avant et tomba à l'eau.

Il n'était malheureusement pas un très bon nageur, et, très vite, il se débattit pour rester à la surface. En effet, jusqu'à présent, il n'avait jamais cherché à nager, car il souhaitait couler à pic.

Là, pourtant, il se le refusa. Il devait mettre tout au clair avant.

L'eau qu'il avait reçu en plein visage venait d'un des dauphins rouges. Plus particulièrement, de celui au regard céruléen qui avait capté son attention quelques minutes plus tôt. Et il devait à tout prix en avoir le cœur net, même s'il savait qu'il s'agissait d'un faux espoir.

Alors, après encore quelques secondes à se débattre et à perdre inutilement son énergie -il se promit de prendre des cours de natation un jour- il parvint à s'agripper à un rocher et à reprendre son souffle.

Le dauphin à la cause de tous ses tracas le fixait d'un regard calme et posé, l'observant minutieusement.

-OSAMU! cria soudain la voix de Chen au dessus de lui, paniquée. Mais qu'est-ce que tu fiches enfin! Ça va pas de me faire peur comme ça! s'énerva-t-elle, avant de croiser elle aussi le regard du dauphin, qui venait de tourner la tête vers elle.

Alors l'expression de ce dernier changea du tout au tout, il devint soudain froid et, même, agressif. Il se retourna vers Dazai, qui lui l'observait toujours, à moitié pétrifié, et trop perturbé pour pouvoir affirmer s'il s'agissait de Chuuya ou de quelqu'un d'autre.

Il n'eut pas le temps de rester longtemps comme cela, car le dauphin en question l'attrapa soudain et l'entraina vers les profondeurs sans plus de considération, ne lui laissant le temps d'entendre qu'un hoquet surpris de la part de sa sœur avant de plonger.

L'animal tenait dans sa gueule le t-shirt du suicidaire et le poussait vers le fond, mais il ne paniqua pas. Au contraire, il posa ses deux mains des deux côtés de la tête du mammifère, et rapprocha son visage au maximum pour le fixer au plus proche.

Il ouvrit les yeux malgré la douleur que le sel provoquait sur sa rétine et la pression de plus en plus puissante à ses tempes, et observa son agresseur, tentant de conserver le plus possible son oxygène.

Puis il recula finalement sa tête et afficha un sourire triste et résigné en fermant les yeux. Il caressa la joue du dauphin, et murmura alors quelque chose que l'animal ne put comprendre sous l'eau, mais devina en partie grâce aux vibrations et aux mouvements de lèvres du brun.

-Je vois... C'est donc toi, Kôzô... Tu pourras lui transmettre que...

Il expira malheureusement tout son air dans ce geste désespéré et ne put pas finir. Il commença donc à sombrer vers l'inconscience, vers une mort certaine. Si le dauphin avait eu ses yeux normaux, il les aurait sûrement écarquillés. Trop de choses se bousculèrent d'un coup dans sa tête, trop pour qu'il puisse réfléchir posément.

Alors, il fit finalement demi-tour, et remonta aussi vite qu'il put, priant pour que l'autre n'y passe pas.

Il avait eu dans l'idée de le supprimer lorsqu'il avait eu la confirmation qu'il s'agissait de celui qui avait tant fait souffrir son frère. Après tout, même s'il ne l'avait pas montré devant Chuuya, il en voulait énormément au brun de vivre sa petite vie heureuse tandis que le rouquin en souffrirait toute son existence.

Mais... Ce sourire triste qu'il avait affiché... Il l'avait peut-être imaginé, mais il avait semblé sincère. De plus, il avait réussi à le reconnaitre, et il comptait adresser ses derniers mots à celui qu'il avait tant fait souffrir. Tout du moins si ce qu'il avait capté était correct.

En plus, pourquoi attendre de ce regard désespéré sur la côte l'arrivée des dauphins alors qu'il était censé filer le parfait bonheur? Non, décidément, cela ne collait pas du tout à l'image qu'il s'en était faite. Mais alors pas du tout.

Il avait plus l'air de quelqu'un au bout du rouleau, un ivrogne à qui l'on avait retiré sa bouteille. Etait-il comme cela depuis deux ans?

Il le remonta à toute allure, le posant sur le sable un peu plus loin. La fameuse Chen, qui figurait aussi dans le récit de son frère, se précipita alors vers eux, non sans lancer un regard meurtrier à Kôzô, qui le lui rendit sans flancher.

Elle vérifia son pouls, et commença alors à se pencher sur lui pour lui faire un massage cardiaque et du bouche à bouche. Le jeune dauphin les observait, fulminant intérieurement contre eux et contre lui-même.

Il aurait dû aller au bout de son action. Ce Dazai était peut-être juste encore plus manipulateur que ce qu'il avait pu penser au premier abord, et avait tout manigancé pour faire souffrir encore plus Chuuya si jamais il revenait, jusqu'à sa fausse mort pour provoquer l'apitoiement avant d'enfoncer encore plus le couteau.

Enfin, la jeune femme était somme toute très paniquée, trop pour que cela soit simulé. Après deux minutes, elle parvint enfin à faire recracher de l'eau au brun, et celui-ci reprit soudain conscience et se releva brusquement, crachotant et s'essuyant la bouche avec une moue dégoutée et un regard accusateur à sa sauveuse.

-Ne me regarde pas comme ça, tu es resté plusieurs minutes en arrêt cardiaque, crétin! asséna-t-elle en tapant son frère à l'arrière du crâne et en se relevant pour se diriger vers la maisonnette. Je vous laisse, vous avez l'air d'avoir des choses à vous dire, ajouta-t-elle.

Dazai détourna alors son regard d'elle, reconnaissant même s'il ne le montrerait pas, pour le poser sur le dauphin, qui n'avait toujours pas bougé et le regardait même d'un œil encore plus mauvais.

-Ecoute, je ne sais pas comment briser la glace... Hmm.. Enchanté de te rencontrer aussi? dit-il soudain.

L'autre lui envoya alors une nouvelle vague avec sa queue, visiblement vexé.

-Bon d'accord, je l'ai méritée celle-là, sourit Dazai en s'essuyant le visage, avant de soupirer tragiquement. Mais il reprit bien vite son sérieux, prenant conscience de la chance qu'il avait. Comment est-ce qu'il va?

Le regard un peu surpris de l'autre fut vite remplacé par une moue ennuyée, explicite sur le fait qu'il était incapable de s'exprimer. Il renvoya alors une nouvelle vague d'eau sur le brun, seule manière qu'il avait de lui faire passer un message.

-Bon, très bien, tu hoches la tête pour oui, et tu m'envoies de l'eau pour non, d'accord? proposa le suicidaire après avoir encaissé la nouvelle vague.

Le dauphin sembla vaguement bouger la tête, mais ne l'aspergea pas de nouveau, alors il prit cela pour un oui.

-Est-ce qu'il va bien?

Il se prit une nouvelle vague, plus puissante que les précédentes lui sembla-t-il. Il ne s'en formalisa pas, même si son cœur se noua, et continua son interrogatoire.

-Est-ce lui qui a ouvert le portail?

Cette fois, rien, ce qui rassura plus qu'il ne l'aurait jamais avoué le suicidaire. Il s'autorisa même un soupir, avant d'enchaîner avec d'autres questions globales, dans le but d'obtenir le plus d'informations possibles sur ce qui était arrivé à son nain préféré. Il apprit alors qu'il était devenu quasi dépressif -suicidaire peut-être même?- et s'en voulut tout de même un peu pour cela, mais fut rassuré de savoir qu'il tenait tout de même le coup.

De toutes manières, il ne l'aurait pas cru si on lui avait dit qu'il avait craqué.

Seulement, il finit par se heurter au refus de répondre de son interlocuteur, qui arrêta tout signe de réponse et montra des signes d'impatience. Dazai soupira alors encore, se disant que la soirée allait être longue.

-Tu veux savoir ce qu'il s'est passé, hein?

Réponse positive, il ne se fit pas asperger tandis qu'il avait de nouveau capter l'attention de l'autre.

-Très bien, mais à une condition. N'en parle surtout, surtout pas à ton frère. Premièrement parce qu'il ne comprendrait sûrement pas, et me considérerait comme un idiot fini -ce que je suis certes, mais ce n'est pas une raison- et secondement parce qu'il pourrait reperdre foi en ses objectifs.

Il vit le regard hésitant du dauphin face à lui. Il ne devait pas bien comprendre encore pourquoi. Oui, définitivement, cette soirée allait être longue.

Il ne se prit pas de nouvelles vagues alors, au bout d'une petite minute, il commença à, lui aussi, tout raconter, d'un point de vue différent, et avec un timbre un peu plus assuré bien que tremblant tout de même sur la fin.

Kôzô s'éclipsa alors que la nuit était déjà tombée depuis plusieurs heures, songeur maintenant qu'il avait le second point de vue, mais surtout, surtout, totalement désespéré.

~

Des problèmes internes avaient subitement surgi au cours de l'année suivante dans le monde sous la mer. En effet, le gardien des rats, Mori, avait réussi à s'éclipser par on ne sait trop quel moyen dans le monde des hommes -Enfin, si, Chuuya était au courant, mais il valait mieux pour lui qu'il évite de le crier sur tous les toits- et, depuis, le nombre d'âmes souillées augmentait drastiquement tandis que le nouveau gardien assigné, un certain Edgard, peu dégourdi, n'arrivait pas à les gérer.

Il s'agissait d'un problème sans précédent, les rats commençaient à envahir tout le village, harcelant en permanence les villageois, ne leur laissant aucune répit, multipliant les cadavres de chats dans les rues et donnant du fil à retordre aux deux gardiens.

On ne savait trop comment l'ancien gardien s'y était pris mais, ce qui était certain, c'est qu'il était parvenu à s'arranger pour corrompre et tuer en masse des humains, il fallait donc le stopper avant qu'il ne continu son œuvre.

Pour cela, et de manières strictement exceptionnelle -mais surtout après une année d'insomnies à répétition, faute de raticides dans ce monde-ci- les anciens avaient décidé de dépêcher une unité d'élite en surface pour une année, avec pour but de tuer rapidement et efficacement le causeur de trouble et arrêter cette invasion d'âmes souillées.

Les jeunes entre 17 et 25 ans dont le pouvoir était le plus prometteur avaient été sélectionnés. Kôzô, qui avait certes une maîtrise moins puissante mais plus fine de l'eau que celle de son frère, y figurait, ainsi qu'Atsushi, capable de faire pousser de manière extrêmement rapide certains végétaux.

Ranpo n'avait, à sa grande frustration, pas été choisi, et le conseil avait longuement hésité quant au cas de Chuuya. Seulement, Kensuke était incapable de reprendre de nouveau la charge du portail, bien qu'il s'était partiellement remis, et ils ne se voyaient pas confier cette tâche à quelqu'un d'autre.

Ils avaient tout de même demandé au concerné, le tenant en estime maintenant qu'il était parvenu, en quatre ans, à gagner le respect de tous. Celui-ci avait immédiatement formulé un non catégorique, ce que les anciens avaient compris -le pauvre, il avait forcément été traumatisé là-haut- (oui, ils étaient plutôt hypocrites et tenaient à leur vie, et à leur sommeil, car actuellement le jeune homme était l'un des seuls dont les rats restaient à distance respectable).

Malheureusement, cela s'était fait au plus grand désarroi de son frère. Il avait effectivement promis de ne rien raconter de ce qu'il savait désormais à son aîné, et s'y était tenu, mais il n'empêchait que l'occasion se présentait enfin de rendre ce bonheur perdu à son aîné. Il suffirait qu'il accepte de se joindre à cette expédition, et alors tout s'arrangerait sûrement. Mais il fallait qu'il refuse, parce que lui n'avait pas tous les tenants et aboutissants de cette histoire.

Fichue histoire d'ailleurs dans laquelle Kôzô s'était empêtré. Et puis, pourquoi cherchait-il à jouer les entremetteurs pour deux cas désespérés comme ceux-là déjà? Malheureusement, il n'y pouvait rien. Lui allait partir de nouveau, et ce pour un an, à la surface, tandis que son frère allait rester seul à déprimer ici. Mais lui n'en avait pas plus que cela envie, il avait lui-même trouvé son bonheur ici et ne comptait pas particulièrement y renoncer.

S'il avait su, il l'aurait sûrement raconté plus tôt à Chuuya mais, désormais, ce dernier ne le croirait sûrement plus et y verrait une excuse pour le traîner à la surface.

Et il avait beau faire comme s'il s'était remis, Kôzô n'y croyait pas et savait très bien qu'en vérité son aîné allait très mal. Ce non catégorique en était la preuve.

Enfin, son visage n'avait exprimé aucun regret - à vrai dire, aucune émotion- donc c'est probablement qu'il avait tourné en partie la page. Il soupira, ne voyant pas d'issue au problème.

Il se désiste d'abord dans un premier lieu, invoquant les raisons personnelles sans s'épancher dessus, puis il en toucha deux mots à Atsushi, qui comprit, et décida lui aussi de se désister à la dernière minute, prétextant qu'il n'avait pas envie de finir comme ceux de la génération de Chuuya.

Ranpo les rejoignit alors, frustré de les voir refuser le départ alors que lui aurait aimé y aller, ne serait-ce qu'une fois, mais, malheureusement, on l'avait assigné comme "nounou" au nouveau gardien des âmes. Enfin, c'était pour reprendre ses propres mots, car, au fond, ils semblaient plutôt bien s'apprécier, ces deux nouveaux compagnons d'infortune...

~

Le jour j arriva. Les jeunes dépêchés pour la mission exceptionnelle en surface partiraient en même temps que les jeunes de seize ans, comme cela, au moindre doute, ils auraient toujours la possibilité de rentrer avant une année complète.

Chuuya ouvrit pour la quatrième fois le portail, et les laissa s'en aller. La sensation qu'il avait éprouvée à la première fois était toujours présente depuis, mais il arrivait à la faire taire et, mieux, à sourire à la place.

Il avait appris à masquer sa douleur, qui était toujours aussi forte depuis. Il avait refusé d'aller à la surface plus par lâcheté qu'autre chose. Il ne voulait pas avoir de nouveau affaire à ce qu'il considérait comme ses anciens démons.

Il ne voulait pas sentir les éclats de son cœur, qui avaient commencé à se resolidariser petit à petit, voler à nouveau dans tous les sens.

Ce n'était pas la peine, et il était bien, ici.

Il manquait juste quelque chose. Une seule chose.

Une chose essentielle, et qu'il n'aurait jamais plus l'occasion d'avoir.

Car cette chose lui était désormais inaccessible à jamais, éloignée par une étendue bleue, salée, et tellement immense que l'on ne pouvait espérer en voir l'entièreté d'un seul coup d'œil.

La mer.

Il n'aimerait sûrement plus jamais personne d'autre, ne se détacherait jamais de la courte vie qu'il avait vécu de l'autre côté. Néanmoins, il continuerait à vivre, même désespérément. Car la vie était faite ainsi, tout simplement. Cela s'arrêtait là, et il fallait l'accepter.

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