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La chambre est un petit coin qui n'appartient qu'à nous. Et celle de Brevan a quelque chose de tout particulier. Le mur blanc contre lequel se trouve son bureau est orné de peinture de galaxies et de photos d'animaux. Deux mondes totalement différents cohabitent ensemble. Et c'est tout aussi fascinant que son propriétaire. Il ouvre son sac et dispose ses affaires un peu partout et vu la tête qu'il fait, la fin de journée semble plutôt mal partie pour moi.

- On a p-pas de d-devoir d’Économie.

- Tu es sûr ? Tu n'aurais pas oublié de le noter, plutôt ?

Le regard qu'il me lance fait de moi un gros imbécile.

- Je note t-toujours mes devoirs. Surtout si c-c'est un g-gros sujet.

- Bon, d'accord, tu m'as grillé, j'avoue enfin.

Brevan sourit et je me laisse tomber sur son lit. Il tourne la tête vers la porte quand son chien passe la gueule dans l'entrebâillement et la pousse complètement pour se frotter contre la jambe de son maître. C'est un gros spécimen. Je suis obligé de m’asseoir quand il grimpe sur le lit pour presque me pousser par terre.

- Pourquoi tu as m-menti ? il demande en s’asseyant de l'autre côté de son chien.

- Je n'avais pas envie de rentrer chez moi pour me faire engueuler.

Ce qui est en partie véridique.
Le canidé s'allonge de tout son poids et vient reposer son museau sur les genoux de Brevan.

- Qu'est-ce q-que tu as f-fait ?

- Rien de grave... J'ai juste frappé Romain.

Brevan plisse les yeux et se penche en arrière, prenant appui sur ses mains. On ne dit rien pendant plusieurs secondes. Il regarde ma joue, alors j’observe la sienne mutilée. Brevan sait que je la fixe, car il pose ses doigts dessus et se lève, forçant son chien à bouger.

- Il t'a p-pas raté non p-plus.

Il part dans la cuisine et je jure. Il doit détester cette marque et moi, comme un idiot, je la fixe. Son compagnon à quatre pattes se retourne sur le dos et gémit en se frottant sur la couette. À croire qu'il se moque de moi.

- Rusky, arrête. Quand il f-fait ça, c'est qu'il est p-pas content, il m'informe en revenant avec une poche de gel froid. Voir j-jaloux.

Brevan le fait descendre et m'invite à m’asseoir près de lui. Il prend la poche et me la pose sur la pommette. Son autre main se retrouve à seulement quelques centimètres de ma cuisse. Je pourrais le faire tout seul, mais l'avoir aussi proche de moi n'est pas quelque chose sur lequel je dois cracher. En plus de ça, il paraît concentré sur sa tâche et non sur moi en particulier. Ce qui doit expliquer pourquoi nous sommes assez proche physiquement.

- À force de m-me côtoyer, tu vas f-finir avec le v-visage en sang. D'abord Lou, p-puis Romain, après ce s-sera qui ?

- Avoue que tu aimes jouer les infirmiers...

- Non, il déclare. J'ai envie d-d’être véto. Les animaux s-sont plus sympas.

Il est froid dans ses propos, comme si la possibilité d'un avenir lui est interdite. Je décide de changer de sujet pour ne pas le voir se braquer, lui qui semble s'ouvrir un peu plus à moi.

- C'est quoi comme race, je demande en regardant Rusky pencher la tête. Parce qu'il est super grand !

- Rottweiler et Husky. C'est... Rusky est mon chien d’assistance.

Chien d'assistance... Donc il a bien des problèmes.

- D'où son nom Rusky. Je comprends mieux.

Autant ne pas enfoncer le clou dans la plaie. Brevan n'est pas dupe pour autant, car il retire la glace de mon visage.

- P-Pourquoi je te choque p-pas ?

- Comment ça ?

- Tu m-me trouves p-pas bizarre comme t-tout le monde au l-lycée ?

- Bah non..

- Et puis p-pourquoi tu as pris ma d-défense ? Ça t'as valu un mauvais coup au visage.

- Romain t'a insulté. C'était normal pour moi de lui faire comprendre qu'il n'avait pas le droit.

- Ça va être p-pire maintenant... Ce genre de g-garçon fait tout p-pour qu'on lui r-réponde. J'ai c-connu ça, tu sais. Le m-mieux, c'est de les i-ignorer.

Brevan se relève du lit, alors pour le retenir, je lui attrape le poignet et il se crispe. Je comprends rapidement que ce n'était pas la chose à faire. Rusky se met à grogner, le poil hérissé sur sa colonne. Je ne dois pas le toucher de cette manière. Ou le toucher tout court. Pas sans son accord. Je relâche son bras et il semble se détendre.

- Désolé. Je le sais en plus que tu n'aimes pas ça, tu me l'as dit... Excuse-moi.

Brevan gratte les poils entre les oreilles du jeune chien, le calmant aussi. Il s'assoit sur son tapis pour se tenir assez éloigné de moi.

- Ce n'est p-pas que je n'aime pas... C'est que j'ai p-peur de ça.

- Pourquoi ? Pourquoi tu as peur du contact des gens ?

Sans répondre, il serre la gueule de Rusky. Je me doute que ce ne doit pas être un sujet facile à aborder. Mais je veux tellement savoir ce qui le terrorise autant.
Doucement, je descends du lit et m'assois en face de lui. Rusky grogne un coup, le visage de Brevan toujours enfoui dans ses poils.

- Brevan... je commence, incertain. Je suis qu'un idiot. Pas juste un peu. Je sais que tu n'aimes pas le contact des gens et moi, je t'attrape le poignet. Je l'ai fait de façon brusque en plus. Tu n'es pas obligé de me répondre, tu sais. T'as le droit d'avoir peur.

Même si tout au fond de moi, je crève d'envie de savoir.
Il ne me répond pas et garde son visage caché. J'aperçois juste ses mains serrer un peu plus le chien.

- Brevan...

- Je me d-déteste.

Il relâche Rusky et lève un regard embrumé sur moi. Brevan pleure et mon cœur se resserre.

- Je me d-déteste parce que je ne suis p-pas comme les autres. Je suis le gars b-bizarre qui bégaie et qui f-fait une crise de p-panique pour un coup de b-ballon ou juste si on l-l'effleure.

Mon cœur se comprime dans ma poitrine. Je ne veux pas qu'il pense ça. Brevan n'a aucune raison de se détester.

- Quand tu dis des choses pareilles, ça me rend triste. Parce que je ne sais pas comment t'aider.

Il se mord la lèvre, baisse la tête et serre ses bras contre lui. Je suis le roi des imbéciles.
Sa respiration se fait plus rapide. Rusky remue la queue et cherche à lui faire lever la tête.
Il est en train de faire une crise et je ne sais pas quoi faire.
Inquiet, je me rapproche de lui et malgré un grognement du chien, je pose mon index sur son épaule. Je veux réellement l'aider. Brevan ne réagit pas et se met à marmonner plus fort, tenant ses jambes contre son torse cette fois.
Une seule solution s'offre à moi. J'attrape son portable et j'ai la chance de le voir déverrouiller. J'appelle sa mère sans attendre et elle décroche presque immédiatement.

- Brevan ? Il y a un problème ?

- C'est Arllem en fait et je crois que Brevan fait une crise. Il est en boule et il dit des trucs que je ne comprends pas. Je ne sais pas quoi faire.

- Je vais mettre au moins dix minutes à arriver. Pour essayer de le calmer, parle lui doucement, laisse lui de l'espace pour respirer et surtout, ne le touche pas.

- D'accord. Je reste au téléphone au cas où.

Toujours le portable dans la main, je reste par terre en face de lui. Rusky frotte son museau contre le cou de Brevan pour tenter de l'apaiser. Je pose le portable à côté de moi et prends une grande inspiration, puis expire. J'ai eu la chance d'expérimenter le yoga avec mon père. On a fait que trois séances, mais c'était plutôt sympa. Et ça me permet aujourd'hui de mieux gérer ma respiration et de pouvoir aider Brevan avec la sienne. Je respire fort, en faisant en sorte qu'il puisse se caler sur moi. Et ça semble fonctionner. Après plusieurs minutes, il devient plus calme. Ses yeux s'ouvrent, il s'assoit en tailleur comme moi et affiche un faible sourire.

- T'es beau quand tu souris, je lâche malgré moi.

Il sourit de plus bel. Je ne peux m’empêcher de faire pareille.

- Toi aussi, il chuchote.

Mon cœur se casse la figure. Je suis foutu.

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